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30/03/2004 | CEDH | N°74025/01

CEDH | AFFAIRE HIRST c. ROYAUME-UNI (N° 2)


QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE HIRST c. ROYAUME-UNI (no 2)
(Requête no 74025/01)
ARRÊT
STRASBOURG
30 mars 2004
CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT   LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE
6 octobre 2005
En l'affaire Hirst c. Royaume-Uni (no 2),
La Cour européenne des Droits de l'Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
M. M. Pellonpää, président,   Sir Nicolas Bratza,   Mme V. Strážnická,   MM. R. Maruste,    S. Pavlovschi,    L. Garlicki,    J. Borrego Borrego, ju

ges,  et de M. M. O'Boyle, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 16 décembr...

QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE HIRST c. ROYAUME-UNI (no 2)
(Requête no 74025/01)
ARRÊT
STRASBOURG
30 mars 2004
CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT   LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE
6 octobre 2005
En l'affaire Hirst c. Royaume-Uni (no 2),
La Cour européenne des Droits de l'Homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
M. M. Pellonpää, président,   Sir Nicolas Bratza,   Mme V. Strážnická,   MM. R. Maruste,    S. Pavlovschi,    L. Garlicki,    J. Borrego Borrego, juges,  et de M. M. O'Boyle, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 16 décembre 2003 et 9 mars 2004,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 74025/01) dirigée contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et dont un ressortissant de cet Etat, M. John Hirst (« le requérant »), a saisi la Cour le 5 juillet 2001 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l'assistance judiciaire, a été représenté par Me E. Abrahamson, solicitor à Liverpool. Le gouvernement britannique (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. J. Grainger, du ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth, à Londres.
3.  Le requérant se plaignait d'être frappé, en sa qualité de détenu condamné, d'une privation totale du droit de vote. Il invoquait l'article 3 du Protocole no 1 à la Convention, pris isolément et combiné avec l'article 14, ainsi que l'article 10 de la Convention.
4.  La requête a été attribuée à la quatrième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d'examiner l'affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l'article 26 § 1 du règlement.
5.  Par une décision du 8 juillet 2003, la Cour a déclaré la requête partiellement recevable.
6.  Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire (article 59 § 1 du règlement).
7.  Une audience s'est déroulée en public au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 16 décembre 2003 (article 59 § 3 du règlement).
Ont comparu :
–  pour le Gouvernement  M. J. Grainger,  agent,  Mme N. Pittam,  M. M. Rawlings,   Mme E. Willmott,  conseillers ;
–  pour le requérant  Mme F. Krause, conseil,  M. E. Abrahamson,  solicitor.
La Cour a entendu en leurs déclarations M. Grainger et Mme Krause.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
8.  Le requérant, né en 1950, purge actuellement une peine d'emprisonnement à la prison de Rye Hill, dans le Warwickshire.
9.  Le 11 février 1980, il plaida coupable d'homicide involontaire, qualification retenue eu égard à sa responsabilité atténuée, les preuves médicales produites ayant montré que l'intéressé était un homme atteint de troubles graves de la personnalité qui en faisaient un être amoral. Il fut condamné à une peine d'emprisonnement perpétuelle discrétionnaire.
10.  La partie punitive (tariff) de sa peine (c'est-à-dire la partie devant répondre aux exigences de répression et de dissuasion) vint à expiration le 25 juin 1994. Son maintien en détention se fonde sur des considérations de risque et de dangerosité, la commission de libération conditionnelle estimant qu'il continue de présenter un risque de préjudice grave pour le public.
11.  Empêché par l'article 3 de la loi de 1983 sur la représentation du peuple de voter aux élections législatives comme aux élections municipales, le requérant saisit la High Court sur le fondement de l'article 4 de la loi de 1998 sur les droits de l'homme, sollicitant une déclaration aux termes de laquelle ladite disposition était incompatible avec la Convention européenne des Droits de l'Homme.
12.  La demande fut examinée par la Divisional Court les 21 et 22 mars 2001, conjointement avec une demande de contrôle juridictionnel formée par deux autres détenus, M. Pearson et M. Feal-Martinez, qui sollicitaient également une déclaration d'incompatibilité après avoir demandé leur inscription sur les listes électorales et s'être vu opposer un refus de la part du responsable de leur tenue.
13.  Dans sa décision, rendue le 4 avril 2001, la Divisional Court releva qu'en Europe seuls huit pays, dont le Royaume-Uni, dépouillaient du droit de vote les détenus condamnés, vingt pays laissant la jouissance intégrale de ce droit aux détenus, et huit autres n'y portant que des atteintes limitées. Elle cita la Cour suprême des Etats-Unis, qui avait rejeté un recours dirigé contre le retrait des droits électoraux aux détenus condamnés, consacré par la Constitution de l'Etat de Californie (Richardson v. Ramirez [1974] 418 US 24). Elle se référa également à la jurisprudence canadienne, et en particulier à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Sauvé c. Canada (no 1) [1992] 2 SCR 438, où le retrait du droit de vote aux détenus avait été annulé au motif qu'il avait une portée trop large et enfreignait la règle de l'atteinte minimale, et à la décision de la Cour d'appel fédérale confirmant, dans l'affaire Sauvé (no 2) [2000] 2 CF, la disposition législative adoptée par la suite qui restreignait le champ d'application de la privation des droits électoraux aux détenus purgeant une peine de deux ans ou plus dans un établissement correctionnel. La Divisional Court passa également en revue les affaires examinées par la Commission et la Cour européennes des Droits de l'Homme.
Le Lord Justice Kennedy conclut de la manière suivante :
« (...) J'en reviens à ce que la Cour européenne a dit au paragraphe 52 de son arrêt Mathieu-Mohin. Evidemment, du point de vue de l'individu détenu, la privation du droit de vote porte atteinte à la substance même de ce droit, mais il s'agit là d'une approche trop simpliste, car le véritable objet de l'article 3 du Premier Protocole est la question plus large du suffrage universel et de la « libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif ». Si un individu doit être privé du droit de vote, ce ne peut être que dans un but légitime. Dans le cas d'un détenu condamné qui purge sa peine, ce but peut ne pas être facile à expliciter. Il y a manifestement un élément de châtiment et aussi un élément de droit électoral. Comme l'a dit le ministre de l'Intérieur, le Parlement a décidé que, pour la durée de leur incarcération, les détenus condamnés perdent leur droit de peser sur la manière dont le pays est gouverné. Le Groupe de travail a estimé que pareils détenus avaient perdu l'autorité morale nécessaire pour voter. Peut-être le meilleur parti à prendre est-il celui suggéré par le juge Linden, à savoir laisser aux philosophes le soin de définir la vraie nature de cette privation du droit de vote, tout en reconnaissant que la législation fait plusieurs autres choses.
La Cour européenne exige également que les moyens employés pour restreindre les droits électoraux résultant de la Convention ne soient pas disproportionnés, et c'est là, à mon avis, qu'il faut que la Divisional Court s'en remette au législateur. Il est facile de critiquer une loi pour l'ampleur de son champ d'application (par exemple, le fait qu'il s'étende aux détenus ayant terminé de purger la partie punitive de leur peine perpétuelle et aux personnes détenues au titre d'une disposition de la loi de 1983 sur la santé mentale), mais, ainsi qu'il ressort clairement des sources citées, les Etats qui retirent le droit de vote aux personnes condamnées ne limitent pas tous la privation du droit de vote à la période de détention. Le Parlement de ce pays aurait pu légiférer différemment pour atteindre les objectifs qu'il s'était fixés, et, comme le juge McLachlin au Canada, j'admets que le processus d'adaptation aux cas particuliers est rarement parfait, de sorte que les tribunaux doivent accorder une certaine latitude au législateur. Comme le soutient [le conseil du Ministre], les mesures appliquées dans les différentes sociétés démocratiques forment un large spectre, au centre duquel se situe la solution britannique. Avec le temps, celle-ci peut se déplacer vers l'une ou l'autre extrémité du spectre, que ce soit légèrement (cas de la récente modification visant notamment les personnes détenues provisoirement) ou radicalement. Mais c'est au Parlement, et non aux tribunaux, d'en décider. Ce principe s'applique même au cas difficile des détenus ayant achevé de purger la partie punitive de leur peine perpétuelle discrétionnaire (...) Ces individus ont tous été condamnés et si, par exemple, le Parlement avait dit que toutes les personnes condamnées à une peine de réclusion à vie perdaient leur droit de vote à vie, l'anomalie apparente de leur situation aurait disparu. (...)
Si l'article 3 § 1de la loi de 1983 peut être réputé remplir les exigences de l'article 3 [du Premier Protocole], alors ni l'article 14 ni l'article 10 ne peuvent être d'aucun secours. »
14.  Les prétentions du requérant furent donc rejetées, comme du reste celles des autres détenus.
15.  Le 2 mai 2001, une demande d'autorisation d'interjeter appel, accompagnée d'un résumé de 43 pages des moyens envisagés, fut introduite au nom de MM. Pearson et Feal-Martinez. Le 15 mai 2001, le Lord Justice Buxton examina la demande sur dossier et refusa l'autorisation sollicitée, considérant que l'appel ne présentait pas de réelles chances de succès.
16.  Le 19 mai 2001, le requérant sollicita lui aussi l'autorisation d'interjeter appel. Le 7 juin 2001, sa demande fut examinée sur dossier par le Lord Justice Simon Brown, qui la rejeta pour les mêmes motifs que ceux donnés par le Lord Justice Buxton pour écarter les demandes de MM. Pearson et Feal-Martinez. Le 18 juin 2001, après une audience, le Lord Justice Simon Brown repoussa une nouvelle demande formée par le requérant ; il débouta également MM. Pearson et Feal-Martinez, qui avaient eux aussi renouvelé leurs demandes.
II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
17.  L'article 3 de la loi de 1983 sur la représentation du peuple (Representation of the People Act 1983 – « la loi de 1983 ») est ainsi libellé :
« 1.  Toute personne condamnée est, pendant son incarcération dans un établissement pénitentiaire en exécution de sa peine (...), légalement incapable de voter aux élections parlementaires ou locales quelles qu'elles soient. »
Cet article a été adopté sans débat ; il reprend simplement les dispositions de l'article 4 de la loi de 1969 sur la représentation du peuple, dont la teneur remontait à la loi de 1870 sur la déchéance, laquelle reconduisait déjà des règles juridiques antérieures relatives à la déchéance de certains droits frappant les « criminels » condamnés (la « mort civique » de l'époque du roi Edouard III).
18.  La privation du droit de vote ne s'applique pas aux personnes emprisonnées pour contempt of court (article 3 § 2 a)) ni à celles emprisonnées faute, par exemple, d'avoir payé une amende (article 3 § 2 c)).
19.  Lors des débats parlementaires concernant la loi de 2000 sur la représentation du peuple, qui reconnaît aux personnes en détention provisoire et aux malades mentaux non condamnés le droit de voter, le député Howarth, s'exprimant au nom du Gouvernement, a défendu l'idée que « la perte de droits, dont celui de voter, doit faire partie intégrante de la peine d'un détenu condamné ». La loi était accompagnée d'une déclaration de compatibilité au titre de l'article 19 de la loi de 1998 sur les droits de l'homme par laquelle le ministre signifiait qu'il considérait les dispositions qu'il soumettait au Parlement comme compatibles avec la Convention.
20.  Le 22 février 2001, le ministre motiva comme suit le maintien de la politique en cause :
« En commettant des infractions qui, par elles-mêmes ou combinées avec des circonstances aggravantes, au nombre desquelles peuvent figurer la personnalité du contrevenant ou l'existence de condamnations antérieures, requièrent une peine privative de liberté, pareils détenus ont perdu, pour leur période de privation de liberté, le droit de peser sur la manière dont le pays est gouverné. La détention forcée n'est pas le seul aspect du châtiment. Le bannissement de la société emporte privation des privilèges de la société, et notamment de celui d'élire ses représentants. »
21.  L'article 4 de la loi de 1998 sur les droits de l'homme est ainsi libellé :
« 1.  Le paragraphe 2 du présent article s'applique à toute procédure dans le cadre de laquelle un tribunal est appelé à dire si une disposition législative est compatible avec un droit reconnu par la Convention.
2.  Si le tribunal considère que la disposition en cause est incompatible avec un droit reconnu par la Convention, il peut prononcer une déclaration d'incompatibilité. »
III.  LES TEXTES INTERNATIONAUX PERTINENTS
A.  Pacte international relatif aux droits civils et politiques
22.  Les dispositions pertinentes du Pacte international relatif aux droits civils et politiques sont ainsi libellées :
Article 25
« Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l'article 2 [race, couleur, sexe, langue, religion, opinion politique ou autre, origine nationale ou sociale, fortune, naissance ou toute autre situation] et sans restrictions déraisonnables :
a)  de prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants librement choisis ;
b)  de voter (...) »
Article 10
« 1.  Toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine.
3.  Le régime pénitentiaire comporte un traitement des condamnés dont le but essentiel est leur amendement et leur reclassement social. (...) »
23.  Dans l'observation générale no 25(57) qu'il a adoptée le 12 juillet 1996 au titre de l'article 40 § 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Comité des Droits de l'Homme des Nations unies déclare notamment au sujet du droit garanti par l'article 25 :
« 14.  Dans leurs rapports, les Etats parties devraient préciser les motifs de privation du droit de vote et les expliquer. Ces motifs devraient être objectifs et raisonnables. Si le fait d'avoir été condamné pour une infraction est un motif de privation du droit de vote, la période pendant laquelle l'interdiction s'applique devrait être en rapport avec l'infraction et la sentence. Les personnes privées de leur liberté qui n'ont pas été condamnées ne devraient pas être déchues du droit de vote. »
B.  Règles pénitentiaires européennes (1987, Recommandation R (87) 3 du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe)
« 64.  L'emprisonnement de par la privation de liberté est une punition en tant que telle. Les conditions de détention et les régimes pénitentiaires ne doivent donc pas aggraver la souffrance ainsi causée, sauf si la ségrégation ou le maintien de la discipline le justifie. »
C.  Code de bonne conduite en matière électorale
24.  Ce document, adopté par la Commission européenne pour la démocratie par le droit (la Commission de Venise) lors de sa 51e session plénière (5-6 juillet 2002) et soumis à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe le 6 novembre 2002, comprend les lignes directrices élaborées par la Commission quant aux circonstances dans lesquelles il peut y avoir privation du droit de vote ou d'éligibilité :
« d.  (...)
i.  une exclusion du droit de vote et de l'éligibilité peut être prévue, mais elle est soumise aux conditions cumulatives suivantes :
ii.  elle doit être prévue par la loi ;
iii.  elle doit respecter le principe de la proportionnalité ; l'exclusion de l'éligibilité peut être soumise à des conditions moins sévères que celle du droit de vote ;
iv.  elle doit être motivée par une interdiction pour motifs liés à la santé mentale ou des condamnations pénales pour des délits graves ;
v.  en outre, l'exclusion des droits politiques ou l'interdiction pour motifs liés à la santé mentale doivent être prononcées par un tribunal dans une décision spécifique. »
D.  Affaire Sauvé c. le procureur général du Canada (no 2)
25.  A la suite de la décision rendue par le tribunal administratif en cette affaire, la Cour suprême du Canada a dit le 31 octobre 2002, par cinq voix contre quatre, que l'alinéa 51 e) de la loi électorale du Canada de 1985, qui prive du droit de vote toute personne détenue dans un établissement correctionnel pour y purger une peine de deux ans ou plus, était inconstitutionnel, c'est-à-dire contraire aux articles 1 et 3 de la Charte canadienne des droits et libertés, aux termes desquels :
« 1.  La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. »
« 3.  Tout citoyen canadien a le droit de vote et est éligible aux élections législatives fédérales ou provinciales. »
26.  L'avis de la majorité, rendu par le juge en chef McLachlin, est résumé comme suit au début de l'arrêt1 :
« Pour justifier l'atteinte portée à un droit garanti par la Charte au regard de l'article premier, le gouvernement doit démontrer qu'elle vise un but ou objectif valide du point de vue constitutionnel, et que les mesures choisies sont raisonnables et leur justification peut se démontrer. L'argument du gouvernement selon lequel le fait de priver les détenus du droit de vote appelle la retenue parce que c'est une question de philosophie sociale et politique est rejeté. La retenue peut se révéler appropriée à l'égard d'une décision impliquant des principes opposés en matière politique et sociale. Elle ne l'est pas, cependant, à l'égard d'une décision ayant pour effet de limiter des droits fondamentaux. Le droit de vote est un droit fondamental pour notre démocratie et la primauté du droit, et il ne peut être écarté à la légère. Les restrictions au droit de vote exigent non pas une retenue judiciaire, mais un examen approfondi. Les rédacteurs de la Charte ont souligné l'importance privilégiée que revêt ce droit non seulement en employant des termes généraux et absolus, mais aussi en le soustrayant à l'application de l'art. 33, la clause de dérogation. L'argument portant que la nature philosophique ou symbolique des objectifs du gouvernement commande en soi la retenue est également rejeté. Le législateur ne peut s'appuyer sur de nobles objectifs pour soustraire la législation à un examen fondé sur la Charte. En l'espèce, l'al. 51e) n'est pas justifié selon l'article premier de la Charte.
Le gouvernement n'a pas réussi à cerner les problèmes spécifiques qui nécessitent la privation du droit de vote ; il est donc difficile de conclure qu'elle vise un but urgent et réel. Vu l'absence de problème spécifique, le gouvernement invoque deux objectifs généraux pour justifier l'al. 51e) : 1)  accroître la responsabilité civique et le respect de la règle de droit ; et 2)  infliger une sanction supplémentaire, ou « faire ressortir les objets généraux de la sanction pénale ». Cependant, les objectifs généraux et symboliques rendent l'analyse de la question de la justification plus difficile. Le premier objectif pourrait être invoqué à l'égard de presque toutes les lois criminelles et de nombreuses mesures non criminelles. Pour ce qui est du deuxième objectif, le dossier n'indique pas précisément pourquoi le législateur a estimé qu'il fallait infliger une sanction supplémentaire à cette catégorie de prisonniers en particulier, ni quels objectifs, autres que ceux réalisés par les peines déjà prévues, le législateur espérait ainsi atteindre. Toutefois, la prudence nous conseille de procéder à l'analyse de la proportionnalité au lieu de rejeter catégoriquement ces objectifs.
L'alinéa 51e) ne répond pas au critère de la proportionnalité. En particulier, le gouvernement n'a pas réussi à établir un lien rationnel entre la privation du droit de vote prévue à l'al. 51e) et les objectifs qu'il poursuit. En ce qui concerne le premier objectif, à savoir accroître la responsabilité civique et le respect de la règle de droit, le fait de priver les détenus du droit de vote risque plus de transmettre des messages qui compromettent le respect de la règle de droit et de la démocratie que des messages qui prônent ces valeurs. La légitimité de la loi et l'obligation de la respecter découlent directement du droit de vote de chaque citoyen. Priver les prisonniers du droit de vote équivaut à abandonner un important moyen de leur inculquer des valeurs démocratiques et le sens des responsabilités sociales. La nouvelle théorie politique du gouvernement qui permettrait aux représentants élus de priver du droit de vote une partie de la population n'a pas sa place dans une démocratie fondée sur des principes d'inclusion, d'égalité et de participation du citoyen. Que les démocraties autoproclamées n'adhèrent pas toutes à cette conclusion renseigne peu sur ce que permet la vision canadienne de la démocratie consacrée dans la Charte. De plus, l'argument portant que seuls ceux qui respectent la loi devraient participer au processus politique est inacceptable. Le retrait du droit de vote fondé sur une supposée absence de valeur morale est incompatible avec le respect de la dignité humaine qui se trouve au cœur de la démocratie canadienne et de la Charte. Il va également à l'encontre du libellé même de l'art. 3 de la Charte, du fait qu'il ne peut faire l'objet d'une dérogation par application de l'art. 33, et de l'idée que les lois commandent l'obéissance parce qu'elles émanent de ceux dont elles régissent le comportement.
Pour ce qui est du deuxième objectif, à savoir infliger une sanction appropriée, le gouvernement ne présente aucune théorie convaincante pour expliquer pourquoi on devrait lui permettre de retirer ce droit démocratique fondamental à titre de peine infligée par l'Etat. Le retrait du droit de vote n'est pas conforme aux exigences en matière de peine appropriée, à savoir que la peine ne doit pas être arbitraire et qu'elle doit viser un objectif valide en droit criminel. Pour ne pas être arbitraire, la peine doit être ajustée aux actions et à la situation particulière du contrevenant. L'alinéa 51e) en tant que peine a peu à voir avec le crime particulier commis par le contrevenant. Quant à l'objectif pénal légitime, ni le dossier ni le bon sens n'appuient la prétention que la privation du droit de vote a pour effet de dissuader les criminels ou de les réadapter. En imposant une sanction qui s'applique indistinctement à tous les détenus, indépendamment du crime commis, du préjudice causé ou du caractère normatif de leur comportement, l'al. 51e) ne satisfait pas aux exigences d'une sanction ayant un effet réprobateur et infligeant un châtiment et n'a donc pas de lien rationnel avec l'objectif invoqué par le gouvernement.
La disposition contestée ne porte pas atteinte au droit de vote de façon minimale. L'alinéa 51e) a une portée trop large, touchant de nombreuses personnes qui, de l'avis même du gouvernement, ne devraient pas être visées. Il ne peut être justifié du seul fait qu'il est moins restrictif qu'une exclusion générale de tous les détenus du droit de vote.
Enfin, les effets négatifs de la privation du droit de vote l'emporteraient facilement sur les minces effets bénéfiques pouvant en découler. Priver les prisonniers du droit de vote a des effets négatifs sur les intéressés et sur le système pénal. Cela fait disparaître un moyen de susciter le développement social et sape les lois et politiques correctionnelles visant la réadaptation et la réinsertion sociale. Compte tenu du nombre disproportionné d'Autochtones dans les pénitenciers, les effets négatifs de l'al. 51e) sur les prisonniers sont disproportionnés à l'égard de la population autochtone déjà désavantagée du Canada. »
27.  L'avis de la minorité, exprimé par le juge Gonthier, est résumé comme suit (seul un extrait en est reproduit)2 :
« (...) En l'espèce, bien qu'il ait été reconnu que l'al. 51e) de la Loi électorale du Canada porte atteinte à l'art. 3 de la Charte, cette atteinte constitue une restriction raisonnable dont la justification peut se démontrer dans une société libre et démocratique. Les objectifs de l'al. 51e) sont urgents et réels. Les deux objectifs se fondent sur une philosophie sociale ou politique, à la fois raisonnable et rationnelle. Le premier objectif, à savoir accroître la responsabilité civique et le respect de la règle de droit, est lié à la promotion du sens civique. La réprobation sociale des actes criminels graves reflète un point de vue moral garantissant le respect du contrat social et de la règle de droit et affirmant l'importance du lien entre l'individu et la collectivité. La « promotion de la responsabilité civique » peut avoir un caractère abstrait ou symbolique, mais des objectifs symboliques ou abstraits peuvent être valables en soi et ne doivent pas être minimisés du simple fait qu'ils sont symboliques. Le deuxième objectif est l'accroissement de la réalisation des objectifs généraux de la sanction pénale. L'alinéa 51e) a clairement un aspect punitif et inflige un châtiment. Le législateur peut légitimement concevoir les sanctions et les peines qu'il convient d'infliger aux auteurs d'actes criminels graves. L'inhabilité à voter est une incapacité civile découlant de la déclaration de culpabilité.
L'alinéa 51e) satisfait au critère de la proportionnalité. Premièrement, il existe un lien rationnel entre la disposition contestée et les objectifs. Bien que l'existence d'un lien causal entre l'inhabilité des détenus à voter et les objectifs ne puisse être démontrée de façon empirique, la raison, la logique et le bon sens, ainsi que d'abondants témoignages d'experts, permettent de conclure qu'il y a un lien rationnel entre l'inhabilité à voter des personnes incarcérées pour avoir commis des actes criminels graves et les objectifs de promouvoir la responsabilité civique et le respect de la règle de droit et de favoriser la réalisation des objectifs généraux de la sanction pénale. (...) De plus, le retrait du droit de vote aux auteurs d'actes criminels graves sert à transmettre à la collectivité et aux contrevenants eux-mêmes le message que la collectivité ne tolérera pas la perpétration d'infractions graves. La société peut donc suspendre temporairement le droit de vote des auteurs d'actes criminels graves pour affirmer que la responsabilité civique et le respect de la règle de droit, en tant qu'objectifs légitimes, sont des conditions préalables à la participation démocratique. Pour ce qui est du deuxième objectif, la privation du droit de vote a été soigneusement adaptée de manière à ne viser que les personnes qui ont commis un acte criminel grave, et il ressort du dossier que la privation du droit de vote est perçue comme significative par les prisonniers eux-mêmes et peut donc contribuer à leur réadaptation. Enfin, de nombreuses autres démocraties, en optant pour une forme ou une autre d'inhabilité des prisonniers à voter, ont également conclu à l'existence d'un lien entre des objectifs semblables à ceux avancés en l'espèce et les moyens retenus pour exclure les détenus de l'électorat.
Deuxièmement, l'atteinte au droit garanti par la Charte est minimale. (...) Seuls les « auteurs d'actes criminels graves », définis par le législateur, sont inhabiles à voter. Comme le législateur a fixé la limite de deux ans pour déterminer quels contrevenants incarcérés ont commis des actes criminels suffisamment graves pour justifier la perte du droit de vote, aucune autre ligne de démarcation ne pourrait avoir la même efficacité. (...) La disposition est raisonnablement bien adaptée en ce que l'inhabilité reflète la durée de la peine et de l'incarcération réelle, qui elle reflète la gravité du crime commis et la progression prévisible vers la réalisation des objectifs ultimes que sont la réadaptation et la réinsertion sociale. L'alinéa 51e) n'est pas arbitraire : il se rattache directement à des catégories de comportement en particulier. La limite de deux ans s'appuie également sur des considérations d'ordre pratique. Par ailleurs, étant donné que la Cour a donné l'impression qu'il appartenait au législateur de précisément tracer la limite, après l'audition de la première affaire Sauvé (...), il est nécessaire de respecter la limite qu'il a fixée. L'analyse de philosophies sociales ou politiques et la conciliation de valeurs dans le contexte de l'application de la Charte doivent tenir compte du fait que de nombreux dosages raisonnables et rationnels sont possibles. C'est au législateur de choisir une limite parmi différentes alternatives acceptables (...).
Troisièmement, considérés dans leur contexte global, les objectifs et les effets bénéfiques l'emportent sur l'inhabilité temporaire à voter de l'auteur d'un acte criminel grave. L'adoption de cette mesure est bénéfique en soi. La loi, intrinsèquement, exprime des valeurs sociales à l'égard du comportement criminel grave et du droit de vote dans la société. Une valeur se dégage du message : ceux qui commettent des actes criminels graves seront temporairement privés d'une facette de l'égalité politique des citoyens. De plus, l'inhabilité temporaire à voter est perçue comme significative par les contrevenants eux-mêmes et pourrait avoir un effet positif permanent sur le plan de la réadaptation. (...) Selon les données statistiques mentionnées par la Cour d'appel fédérale, cette disposition ne vise que les auteurs d'infractions graves et les récidivistes et la plupart des détenus ne seront privés du droit de vote qu'à un seul scrutin. Etant donné que la durée de l'inhabilité est directement liée à celle de l'incarcération, il est en fait possible qu'un détenu ayant perpétré un acte criminel grave ne soit jamais privé du droit de vote dans la mesure où il pourrait ne pas y avoir d'élections au cours de cette période. Vu le contexte particulier de la présente espèce, où la justification avancée par le législateur trouve sa source dans une philosophie sociale ou politique non susceptible d'être étayée par une preuve au sens où on l'entend habituellement, il convient de faire preuve de retenue parce que la disposition contestée soulève des questions de philosophie et de politique pénales. (...) »
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 3 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION
28.  Le requérant se plaint d'avoir été privé du droit de vote. Il invoque l'article 3 du Protocole no 1, aux termes duquel :
« Les Hautes Parties contractantes s'engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif. »
A.  Arguments des parties
1.  Le requérant
29.  Le requérant soutient que le droit de vote compte parmi les droits fondamentaux sur lesquels repose une société véritablement démocratique. Il ne s'agit pas selon lui d'un privilège, contrairement à ce qu'a indiqué le ministre en février 2001. La limitation du droit de vote, qui ne touche pas les détenus non condamnés, ne vise à son avis aucun but légitime. En réalité, le législateur n'aurait guère réfléchi à la privation du droit de vote des détenus, puisque la loi de 1983, qui s'est bornée à refondre des lois antérieures, a été adoptée sans débat sur la question.
30.  Le Gouvernement a justifié la déchéance du droit de vote frappant les condamnés détenus en déclarant que cette mesure faisait partie de la sanction et qu'elle visait à accroître le sens civique. Toutefois, le requérant ne pense pas qu'il soit légitime de punir en supprimant d'autres droits fondamentaux que le droit à la liberté car cela serait incompatible avec l'objectif affiché de l'emprisonnement, c'est-à-dire la réadaptation. Rien ne montrerait que cette déchéance poursuive les buts annoncés et rien ne prouverait l'existence d'un lien quelconque entre la suppression du droit de vote et la prévention du crime ou le respect de l'état de droit. La plupart des tribunaux et des citoyens ignoreraient totalement que la perte du droit de vote accompagne la condamnation à une peine d'emprisonnement. D'ailleurs, cette mesure abolirait le sens civique et affaiblirait le respect de l'état de droit, et elle aurait pour résultat de couper encore plus les détenus de la société.
31.  Cette interdiction générale serait aussi disproportionnée et arbitraire et porterait atteinte à la substance même du droit de vote. Elle ne serait pas liée à la nature ou à la gravité de l'infraction commise et ses effets sur les détenus varieraient suivant que leur incarcération coïncide ou non avec des élections. Elle priverait potentiellement une part importante de la population (74 000 personnes environ) de voix ou de la possibilité de contester par le biais des élections la politique pénale qui leur a été appliquée. En outre, le requérant soutient que, étant donné qu'il a terminé de purger la partie punitive de sa peine, il n'est plus détenu dans un but répressif mais en raison de sa dangerosité, auquel cas on ne saurait plus invoquer la justification de la punition. Il renvoie à la tendance à reconnaître le droit de vote aux détenus qui se fait jour au Canada (en s'appuyant plus particulièrement sur la décision de la Cour suprême dans l'affaire Sauvé no 2, qui a jugé inconstitutionnelle une interdiction de voter frappant les détenus condamnés à une peine d'emprisonnement de deux ans ou plus), en Afrique du Sud et dans d'autres Etats européens, et argue que 19 pays n'appliquent aucune restriction tandis que huit appliquent une interdiction partielle ou spécifique. Il conclut qu'il n'existe aucune raison convaincante, en dehors de la sanction, de retirer le droit de vote aux condamnés détenus, et que cette punition supplémentaire ne s'accorde pas avec l'idée selon laquelle l'emprisonnement punit de par la privation du droit à la liberté qu'il entraîne et que le détenu ne perd par là aucun de ses autres droits fondamentaux, à moins que la sécurité ou d'autres considérations ne commandent de l'en priver.
2.  Le Gouvernement
32.  Le Gouvernement considère que l'article 3 du Protocole no 1 n'énonce pas un droit de vote absolu et qu'il y a lieu d'accorder aux Etats contractants une large marge d'appréciation quand ils ont à fixer les conditions d'exercice du droit de vote. En effet, la décision d'imposer des limites appartient au législateur et doit à ce titre se voir conférer un poids particulier, et il existe en pratique de grandes différences entre les Etats contractants en ce qui concerne la situation des détenus condamnés, quelque 18 pays n'imposant aucune restriction, 13 interdisant à tous les détenus de voter et 12 autres appliquant certaines limitations. Les approches sont aussi très variées dans les Etats démocratiques non européens. Pour autant que le requérant a invoqué l'affaire canadienne Sauvé no 2, le Gouvernement fait observer que la décision a été adoptée à une courte majorité – cinq voix contre quatre –, qu'elle s'accompagne d'une opinion dissidente vigoureuse renvoyant à la diversité des pratiques en Europe et qu'en outre elle porte sur un instrument interne de défense des droits de l'homme libellé différemment de la Convention et auquel la marge d'appréciation n'est pas applicable.
33.  Le Gouvernement déclare que la politique en vigueur est suivie depuis de nombreuses années avec l'approbation expresse du Parlement, renouvelée en dernier lieu avec l'adoption de la loi de 2000 sur la représentation du peuple ; celle-ci était assortie d'une déclaration de compatibilité en vertu de la loi sur les droits de l'homme, ce qui signifie que le ministre considérait cette loi comme conforme à la Convention. Le Gouvernement soutient qu'en l'espèce, l'incapacité visait deux buts légitimes indissolublement liés, la prévention du crime et la punition des contrevenants, d'une part, et le renforcement du sens civique et du respect de l'état de droit du fait que les personnes qui ont enfreint les règles fondamentales de la société se voient priver du droit de donner leur avis sur la manière dont ces règles sont élaborées, et ce pendant la durée de leur peine, d'autre part. Les condamnés détenus ont rompu le contrat social et peuvent donc (temporairement) passer pour avoir perdu le droit de participer au gouvernement du pays. Dans sa jurisprudence, la Commission a considéré ces objectifs comme légitimes.
34.  La mesure en cause serait par ailleurs proportionnée car elle ne touche que les personnes condamnées pour des crimes jugés suffisamment graves, eu égard aux circonstances individuelles, pour exiger une incarcération immédiate, à l'exclusion des personnes condamnées à une amende, à une peine avec sursis, à une peine d'intérêt général ou à une peine d'emprisonnement pour atteinte à l'autorité de la justice, ainsi que des personnes n'ayant pas payé une amende ou de celles en détention provisoire. De plus, l'incapacité juridique est levée dès que le détenu recouvre sa liberté. La durée de cette mesure est fixée par le tribunal au moment du prononcé de la peine. Il ne s'agit donc pas d'une déchéance à vie sauf pour une petite catégorie de personnes, celles ayant commis les crimes les plus graves. Cette mesure doit au sens du Gouvernement être tenue pour une restriction au droit de vote ne portant pas atteinte à la substance même de ce droit, qui tend à assurer la libre expression de l'opinion du peuple lors des élections législatives.
35.  Pour ce qui est des effets prétendument arbitraires de cette mesure, le Gouvernement soutient que, sauf si la Cour devait dire qu'il n'existe absolument aucune marge d'appréciation dans ce domaine, il faut admettre que l'on doit tracer quelque part une ligne de démarcation. Enfin, les conséquences sur le requérant en l'espèce ne seraient pas disproportionnées puisqu'il a été condamné à une peine d'emprisonnement perpétuelle et n'aurait en tout état de cause pas pu bénéficier d'une interdiction plus adaptée à son cas, telle que celle qui, en Autriche, ne touche que les personnes condamnées à une peine supérieure à un an.
B.  Appréciation de la Cour
1.  Principes généraux
36.  Bien que l'article 3 du Protocole no 1 énonce l'obligation pour les Hautes Parties contractantes d'organiser des élections dans des conditions qui assurent la libre expression de l'opinion du peuple, la jurisprudence de la Cour établit qu'il garantit des droits subjectifs, dont le droit de vote et celui de se porter candidat à des élections. Ces droits sont fondamentaux pour la démocratie et l'état de droit, mais ils ne sont pas absolus et peuvent être l'objet de restrictions. Les Etats contractants jouissent en la matière d'une large marge d'appréciation, mais il appartient à la Cour de statuer en dernier ressort sur l'observation des exigences de l'article 3 du Protocole no 1 ; il lui faut s'assurer que lesdites restrictions ne réduisent pas les droits dont il s'agit au point de les atteindre dans leur substance même et de les priver de leur effectivité, qu'elles poursuivent un but légitime et que les moyens employés ne se révèlent pas disproportionnés (Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique, arrêt du 2 mars 1987, série A no 113, p. 23, § 52, et, plus récemment, Matthews c. Royaume-Uni [GC], no 24833/94, § 63, CEDH 1999-I, Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 201, CEDH 2000-IV, et Podkolzina c. Lettonie, no 46726/99, § 33, CEDH 2002-II).
2.  Application des principes susmentionnés au cas d'espèce
37.  La Cour rappelle que, conformément à l'article 3 de la loi de 1983 sur la représentation du peuple, le requérant est déchu du droit de voter à toute élection municipale ou législative du fait qu'il purge une peine d'emprisonnement, en l'occurrence une peine perpétuelle. Les élections municipales tombant hors du champ d'application de l'article 3 du Protocole no 1, la Cour se bornera à rechercher si l'interdiction de voter aux élections législatives qui frappe le requérant respecte les exigences énumérées ci-dessus.
38.  Elle observe qu'il n'existe que peu d'affaires récentes portant sur ce type de privation du droit de vote ou directement pertinentes à cet égard. Dans l'affaire M.D.U. c. Italie (no 58540/00, décision du 28 janvier 2003), la quatrième section a rejeté le grief, tiré de l'article 3 du Protocole no 1, concernant l'impossibilité de voter découlant de la peine d'interdiction d'exercer des fonctions publiques pendant deux ans prononcée par un magistrat accessoirement à la condamnation du requérant à une peine de trois ans d'emprisonnement pour infractions fiscales. Dans deux affaires anciennes antérieures à l'arrêt Mathieu-Mohin, la Commission a considéré que le législateur pouvait priver de leurs droits politiques les personnes condamnées pour incivisme (grave abus du droit de participer à la vie publique pendant la seconde guerre mondiale) et une personne condamnée à huit mois d'emprisonnement pour avoir refusé de donner suite à sa convocation au service militaire ; elle a fait référence à l'idée que certaines condamnations marquent d'infamie pour un temps déterminé qui peut être pris en considération par la législation quant à l'exercice des droits politiques (no 6573/74, décision de la Commission du 19 décembre 1974, Décisions et Rapports (DR) 1, p. 87, et no 9914/82, décision de la Commission du 4 juillet 1983, DR 33, p. 244). Dans l'affaire Patrick Holland c. Irlande (no 24827/94, décision de la Commission du 14 avril 1998, DR 93-B, p. 15) où le requérant, condamné à sept ans d'emprisonnement pour possession d'explosifs, était de fait privé du droit de vote étant donné qu'aucune disposition ne permettait à un détenu de voter en prison, la Commission a estimé que la suspension du droit de vote n'entravait pas la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif et ne pouvait passer pour arbitraire vu les circonstances. La Cour remarque qu'en se bornant dans cette affaire à rechercher si l'empêchement était arbitraire, la Commission a négligé d'examiner les autres aspects du critère élaboré dans l'arrêt Mathieu-Mohin, à savoir la légitimité du but poursuivi et la proportionnalité de la mesure.
39.  La Cour considère donc qu'elle doit reprendre entièrement l'étude des questions soulevées par une interdiction légale de voter frappant automatiquement les détenus condamnés.
40.  A titre préliminaire, pour ce qui est de la marge d'appréciation, elle relève les divergences que présentent le droit et la pratique dans les Etats contractants. D'un côté, on trouve 18 pays qui n'imposent aucune restriction au droit de vote des prisonniers et, de l'autre, 13 pays où les détenus ne peuvent voter, que ce soit par l'effet de la loi ou en raison de l'absence de clauses le leur permettant. Entre ces extrêmes, dans les autres Etats contractants, la perte du droit de vote est adaptée à certaines infractions ou catégories d'infractions particulières, ou bien le tribunal qui prononce la peine jouit d'une certaine latitude en la matière. Cette absence de consensus manifeste fait ressortir l'importance de la marge d'appréciation dont jouissent les parlements nationaux pour fixer les conditions régissant le droit de vote (voir, mutatis mutandis, Wingrove c. Royaume-Uni, arrêt du 25 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-V, § 58).
41.  Cela dit, la Cour ne considère pas qu'un Etat contractant puisse invoquer sa marge d'appréciation pour justifier des restrictions au droit de vote qui n'auraient pas fait l'objet d'un débat approfondi devant les organes législatifs et qui découleraient essentiellement d'une fidélité aveugle et automatique à la tradition historique. La Cour a eu dans maintes affaires l'occasion de souligner l'importance des « valeurs démocratiques » pour l'interprétation et l'application des droits énoncés dans la Convention (par exemple, Soering c. Royaume-Uni, arrêt du 7 juillet 1989, série A no 161, § 87), y compris le rôle crucial que jouent les élus du peuple dans la défense des intérêts des électeurs (par exemple, Jerusalem c. Autriche, no 26958/95, § 36, CEDH 2001-II ; voir aussi A. c. Royaume-Uni, no 35373/97, CEDH 2002-X, sur les mesures légitimes de protection qui s'attachent à l'exercice des fonctions parlementaires). Il faut aussi reconnaître que le droit de voter pour élire les représentants du peuple constitue le socle indispensable de tout système démocratique. Toute dévaluation ou tout affaiblissement de ce droit menace de saper ce système, ce pourquoi il ne faut pas le supprimer fortuitement ou à la légère.
a)  But légitime
42.  Se penchant tout d'abord sur la question de savoir si la restriction appliquée en l'espèce visait un but légitime, la Cour rappelle que le Gouvernement affirme poursuivre deux objectifs : la prévention du crime et la punition des contrevenants, d'une part, et le renforcement du sens civique et du respect de l'état de droit par cela que les personnes qui ont enfreint gravement les règles fondamentales de la société se voient priver du droit de donner leur avis sur la manière dont ces règles sont élaborées, et ce pendant la durée de leur peine, d'autre part. Le premier objectif s'est exprimé dans la déclaration prononcée par le ministre délégué à l'Irlande du Nord lors de l'examen de la loi de 2000 sur la représentation du peuple (paragraphe 19 ci-dessus).
43.  A ce sujet, la Cour estime que l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Sauvé no 2 renferme un examen détaillé et utile des objectifs visés par la privation du droit de vote touchant les détenus (paragraphes 24-26 ci-dessus). Certes, comme le Gouvernement l'a fait remarquer, cet arrêt a été adopté par cinq voix contre quatre, mais on peut noter qu'il y était question d'une interdiction moins sévère qu'en l'espèce à l'égard des détenus (puisqu'elle frappait seulement ceux condamnés à une peine d'emprisonnement de deux ans ou plus) et que, dans la première affaire Sauvé, qui portait sur une interdiction générale pour tous les détenus condamnés, la décision avait été prise à l'unanimité. Tenant dûment compte des différences que présente la Charte canadienne avec la Convention en ce qui concerne tant le texte que la structure, la Cour n'en considère pas moins que le fond du raisonnement suivi dans cette affaire peut passer pour applicable à l'espèce.
44.  Pour ce qui est du premier objectif – prévenir le crime et punir les contrevenants avec une sanction supplémentaire, la déchéance du droit de vote – les organes de la Convention ont souligné dans un certain nombre de contextes différents que ce n'est pas parce qu'un détenu condamné est privé de sa liberté qu'il perd la protection des autres droits fondamentaux énoncés dans la Convention, même si la jouissance de ces droits est inévitablement tempérée par les exigences de sa situation. Le simple fait de l'emprisonnement n'a pas été jugé suffisant pour justifier d'imposer à un détenu une privation totale du droit de correspondre (Silver et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 25 mars 1983, série A no 61), du droit d'avoir un accès effectif à un avocat ou à un tribunal (Campbell et Fell c. Royaume-Uni, arrêt du 28 juin 1984, série A no 80, Golder c. Royaume-Uni, arrêt du 21 février 1975, série A no 18), du droit de voir sa famille (X c. Royaume-Uni, no 9054/80, décision de la Commission du 8 octobre 1982, DR 30, p. 113), du droit de pratiquer sa religion (Poltoratski c. Ukraine, no 38812/97, §§ 167-171, CEDH 2003-V), du droit à la liberté d'expression (T. c. Royaume-Uni, no 8231/78, rapport de la Commission, 12 octobre 1983, DR 49, p. 5, §§ 44-84) ou du droit de se marier (Hamer c. Royaume-Uni, no 7114/75, rapport de la Commission, 13 décembre 1979, DR 24, p. 5, Draper c. Royaume-Uni, no 8186/78, rapport de la Commission, 10 juillet 1980, DR 24, p. 72).
45.  On peut noter que la déchéance du droit de vote ne joue pas un rôle manifeste dans le processus de condamnation en matière pénale au Royaume-Uni. Dans l'affaire Sauvé, la majorité n'a pas non plus trouvé d'élément à l'appui de l'argument selon lequel la privation du droit de vote détournait du crime, et a considéré que l'application d'une sanction globale à tous les détenus quels que soient leur crime ou leur situation personnelle ne témoignait d'aucun lien rationnel entre la punition et la personne punie.
46.  Quant au second objectif – renforcer le sens civique et le respect de l'état de droit – il n'existe aucun lien manifeste et logique entre la privation du droit de vote et le prononcé d'une peine d'emprisonnement car cette privation ne s'applique pas aux personnes coupables de crimes qui, bien que pouvant être tout aussi antisociaux ou inciviques que des actes sanctionnés par une telle peine, n'emportent pas cette conséquence. La Cour juge très convaincants les arguments avancés par la majorité dans l'affaire Sauvé selon lesquels la privation du droit de vote va en réalité à l'encontre de la réadaptation du contrevenant pour en faire de nouveau un membre de la société respectueux de la loi, et sape l'autorité de celle-ci en tant qu'elle est élaborée par un organe législatif dont les membres sont élus par la collectivité dans son ensemble.
47.  En dépit des doutes qu'elle nourrit quant à la validité de l'un et l'autre de ces objectifs de nos jours, la Cour note la variété des philosophies politiques et pénales qui peuvent être invoquées dans ce contexte et, aux fins de l'espèce, se garde de conclure que ces objectifs ne sauraient passer pour légitimes, ne fût-ce que sur un plan abstrait ou symbolique. Elle ne tranche pas la question car cela n'est en l'occurrence pas nécessaire pour les raisons exposées ci-dessous.
b)  Proportionnalité
48.  La Cour relève que la restriction appliquée au Royaume-Uni établit bien une distinction entre différents motifs de détention et divers types de crimes et peut passer pour moins draconienne que le régime en vigueur dans d'autres pays. En effet, cette mesure ne touche que les personnes reconnues coupables de crimes suffisamment graves pour justifier une peine d'emprisonnement immédiat, et ne vise pas les personnes en détention provisoire ni celles détenues pour défaut de paiement d'amendes ou pour atteinte à l'autorité de la justice. De plus, elle est levée dès que le détenu est libéré.
49.  Cependant, la disposition en cause dépouille du droit de vote, garanti par la Convention, une grande quantité de personnes (plus de 70 000) de manière indiscriminée. De fait, elle inflige une restriction globale à tous les détenus condamnés et s'applique automatiquement à eux tous, quelle que soit la durée de leur peine et indépendamment de la nature ou de la gravité de l'infraction qu'ils ont commise. Comme les tribunaux canadiens l'ont indiqué, son incidence concrète sur le droit de vote d'un détenu en particulier sera fonction, quelque peu arbitrairement, de la période pendant laquelle il purge sa peine. Un détenu condamné à une semaine d'emprisonnement pour une infraction mineure peut se trouver privé du droit de vote s'il est en prison le jour des élections, tandis qu'il se peut qu'un détenu purgeant une peine de plusieurs années pour un crime plus grave ne manque aucune élection. L'affaire à l'examen renferme une anomalie supplémentaire : le requérant, condamné à une peine perpétuelle, a fini de purger la partie punitive de sa peine et ne reste incarcéré qu'en raison du danger qu'il continue de représenter pour la société. Pour autant que l'incapacité de voter doit passer pour faire partie de la punition du détenu, il n'y a aucune raison logique de la maintenir pour le requérant en l'espèce. Le Gouvernement invoque l'argument que ces détenus peuvent à juste titre se voir priver du droit de vote pendant leur détention en raison du danger qu'ils représentent. La Cour ne trouve pas ce raisonnement convaincant, en particulier parce que le Gouvernement n'explique pas comment cela entre dans le cadre des objectifs énoncés par lui.
50.  Le Gouvernement soutient, en s'appuyant de fait sur la marge d'appréciation, que le législateur doit pouvoir fixer une ligne de démarcation pour ce qui est des détenus et que, en tout état de cause, en l'espèce le requérant, qui a commis une infraction très grave et a été condamné à une peine perpétuelle, n'a subi aucun préjudice car il aurait quand même été privé du droit de vote si une restriction plus étroite avait été appliquée.
51.  La Cour admet qu'il s'agit d'un domaine où le législateur national doit jouir d'une large marge d'appréciation pour déterminer s'il se justifie encore de nos jours de restreindre le droit de vote des détenus et, dans l'affirmative, comment établir un juste équilibre. Il appartient au législateur notamment de décider si les éventuelles restrictions au droit de vote doivent être adaptées à des infractions spécifiques ou à des infractions d'une gravité particulière ou si, par exemple, le tribunal qui prononce la peine doit disposer d'une latitude totale pour priver ou non un condamné du droit de vote. La Cour relève que rien ne montre que le législateur britannique ait jamais cherché à peser les intérêts concurrents ou à évaluer la proportionnalité de l'interdiction frappant les détenus condamnés. Elle ne saurait admettre qu'une interdiction absolue de voter pour tout détenu purgeant sa peine, et ce quelles que soient les circonstances, relève d'une marge d'appréciation acceptable. En l'espèce, le requérant a été déchu du droit de vote parce que lui a été appliquée une restriction privant automatiquement et totalement du droit de vote les détenus condamnés ; il peut donc se prétendre victime de cette mesure. La Cour ne saurait spéculer sur le point de savoir si le requérant aurait aussi été déchu du droit de vote si avait été imposée au droit de vote des détenus une restriction plus étroite de nature à respecter les exigences de l'article 3 du Protocole no 1.
52.  La Cour conclut dès lors qu'il y a eu violation de l'article 3 du Protocole no 1 à la Convention.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 14 DE LA CONVENTION
53.  Le requérant allègue qu'il a été l'objet, en tant que détenu condamné, d'une discrimination contraire à l'article 14 de la Convention, lequel dispose :
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
54.  Eu égard à sa conclusion ci-dessus relative à l'article 3 du Protocole no 1, la Cour considère qu'aucune question distincte ne se pose sous l'angle de l'article 14 et elle ne procède donc à aucun constat séparé au titre de cette disposition.
III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 10 DE LA CONVENTION
55.  Le requérant soutient que la privation du droit de vote l'empêche d'exercer son droit à la liberté d'expression garanti par l'article 10, qui dispose en ses passages pertinents :
« 1.  Toute personne a droit à la liberté d'expression. (...)
2.  L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »
56.  La Cour considère que l'article 3 du Protocole no 1 constitue une lex specialis pour ce qui est de l'exercice du droit de vote et conclut, eu égard à son constat précédent de violation de cette disposition, qu'aucune question distincte ne se présente en l'espèce sur le terrain de l'article 10.
IV.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
57.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
58.  Le requérant réclame 200 livres sterling (GBP) au titre de ses débours personnels (appels téléphoniques et lettres à ses représentants) et 5 000 GBP pour compenser les souffrances et la détresse provoquées par la violation alléguée.
59.  Le Gouvernement estime qu'un éventuel constat de violation constituerait en soi une satisfaction équitable pour le requérant. Il considère à titre subsidiaire que, si la Cour devait allouer une somme, celle-ci ne devrait pas dépasser 1 000 GBP.
60.  La Cour examinera ci-après les prétentions du requérant concernant les frais et dépens qu'il a personnellement exposés pendant la procédure. Pour ce qui du dommage moral, elle déclare qu'il appartiendra au gouvernement britannique de mettre en œuvre en temps voulu les mesures qu'il jugera appropriées pour satisfaire à l'obligation qui lui incombe d'assurer le droit de vote conformément au présent arrêt. Dans ces conditions, elle estime que cela peut passer pour offrir au requérant une satisfaction équitable pour la violation constatée en l'espèce.
B.  Frais et dépens
61.  Le requérant sollicite le remboursement des frais exposés lors de la procédure devant la High Court et la Cour d'appel afin de faire redresser dans l'ordre juridique interne la violation de ses droits, à savoir les honoraires et frais de ses solicitors et de son conseil devant la High Court, soit 26 115,82 GBP, et devant la Cour d'appel, soit 13 203,64 GBP. Il réclame également 18 212,50 GBP au titre des frais et dépens afférents à de la procédure devant la Cour. Le total se monte donc à 62 731,96 GBP, taxe sur la valeur ajoutée (TVA) comprise.
62.  Le Gouvernement soutient que, comme le requérant a bénéficié de l'assistance judiciaire lors de la procédure interne, il n'a en réalité eu aucun frais. Pour autant que l'intéressé semble réclamer des sommes non couvertes par l'assistance judiciaire, le Gouvernement soutient que de tels frais supplémentaires ne sauraient passer pour avoir été nécessairement exposés ou raisonnables quant à leur montant et qu'il n'y a pas lieu d'en accorder le remboursement. Quant aux frais exposés à Strasbourg, le Gouvernement trouve excessifs le taux horaire de 300 GBP pour 20 heures de travail de préparation, de même que les frais afférents à l'audience et le nombre de jours (trois) réclamé pour la comparution à celle-ci. Les griefs du requérant n'ayant pas tous été déclarés recevables, il invite la Cour à réduire la somme allouée en conséquence.
63.  La Cour rappelle qu'au titre de l'article 41 de la Convention, elle rembourse les frais et dépens dont il est établi qu'ils ont été réellement et nécessairement exposés et qu'ils sont d'un montant raisonnable (voir notamment Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 79, CEDH 1999-II, et Smith et Grady c. Royaume-Uni (satisfaction équitable), nos 33985/96 et 33986/96, § 28, CEDH 2000-IX). Cela peut englober les frais afférents à la procédure interne réellement et nécessairement exposés pour prévenir ou redresser le fait jugé constitutif d'une violation de la Convention (voir, par exemple, I.J.L. et autres c. Royaume-Uni (satisfaction équitable), nos 29522/95, 30056/96 et 30574/96, § 18, 25 septembre 2001). Toutefois, comme les frais que le requérant a engagés pour sa représentation devant la High Court et la Cour d'appel afin de contester la perte du droit de vote ont été couverts par l'assistance judiciaire, on ne saurait dire qu'il a déboursé ces sommes ; par ailleurs, il n'a pas montré qu'il devait ou doit toujours verser d'autres sommes à ses représentants à ce titre. L'intéressé ne saurait utiliser la soumission de la présente requête à la Cour pour réclamer après coup des sommes dépassant les barèmes de l'assistance judiciaire interne.
64.  Quant aux frais afférents à la procédure de Strasbourg, la Cour prend note des objections du Gouvernement et constate que les sommes réclamées peuvent passer pour exagérément élevées : le requérant fait état en particulier de trois jours de présence pour une audience qui a duré une matinée et il ne ventile pas les sommes suivant la nature du travail accompli par son solicitor. En revanche, s'il est vrai que certains de ses griefs ont été déclarés irrecevables, le requérant s'est plaint essentiellement de la privation du droit de vote, ce sur quoi sa défense était centrée, et il a obtenu gain de cause sous l'angle de l'article 3 du Protocole no 1. Aucune déduction n'est donc appliquée à ce titre. Tenant compte du montant de l'assistance judiciaire versée par le Conseil de l'Europe et eu égard aux circonstances de la cause, la Cour alloue 12 000 euros (EUR), TVA comprise, pour frais et dépens. En ce qui concerne les frais que le requérant affirme avoir lui-même exposés pour présenter sa requête, la Cour note qu'ils ne sont pas ventilés mais, reconnaissant que l'intéressé a dû engager certains frais, elle lui accorde 144 EUR.
C.  Intérêts moratoires
65.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 3 du Protocole no 1 à la Convention ;
2.  Dit qu'aucune question distincte ne se pose sous l'angle de l'article 14 de la Convention ;
3.  Dit qu'aucune question distincte ne se pose sous l'angle de l'article 10 de la Convention ;
4.  Dit que le constat de violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante pour le préjudice moral subi par le requérant ;
5.  Dit
a)  que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en livres sterling au taux applicable à la date du règlement :
i)  12 000 EUR (douze mille euros) au titre des frais et dépens exposés par les représentants du requérant ;
ii)  144 EUR (cent quarante-quatre euros) au titre des frais et dépens exposés par le requérant ;
b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 30 mars 2004 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Michael O'Boyle Matti Pellonpää   Greffier Président
1.  Traduction officielle de la Cour suprême du Canada.
2.  Traduction officielle de la Cour suprême du Canada.
ARRÊT HIRST c. ROYAUME-UNI (no 2)
ARRÊT HIRST c. ROYAUME-UNI (no 2) 


Synthèse
Formation : Cour (quatrième section)
Numéro d'arrêt : 74025/01
Date de la décision : 30/03/2004
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de P1-3 ; Aucune question distincte au regard de l'art. 14 ; Aucune question distincte au regard de l'art. 10 ; Préjudice moral - constat de violation suffisant ; Remboursement partiel frais et dépens

Analyses

(Art. 34) VICTIME, (P1-3) VOTE, MARGE D'APPRECIATION


Parties
Demandeurs : HIRST
Défendeurs : ROYAUME-UNI (N° 2)

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2004-03-30;74025.01 ?

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