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03/02/2011 | CEDH | N°32362/08

CEDH | AFFAIRE CHAÏKALIS c. GRÈCE


PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE CHAÏKALIS c. GRÈCE
(Requête no 32362/08)
ARRÊT
STRASBOURG
3 février 2011
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Chaïkalis c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un Comité composé de :
Nina Vajić, présidente,   Khanlar Hajiyev,   Giorgio Malinverni, juges,  et de André Wampach, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 janvier 2011,
Rend l’arr

t que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 32362/08...

PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE CHAÏKALIS c. GRÈCE
(Requête no 32362/08)
ARRÊT
STRASBOURG
3 février 2011
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Chaïkalis c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un Comité composé de :
Nina Vajić, présidente,   Khanlar Hajiyev,   Giorgio Malinverni, juges,  et de André Wampach, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 janvier 2011,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 32362/08) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet Etat, M. Panagiotis Chaïkalis (« le requérant »), a saisi la Cour le 30 juin 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le requérant est représenté par Me V. Chirdaris, avocat à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, M. G. Kanellopoulos, conseiller auprès du Conseil juridique de l’Etat, et Mme G. Papadaki, assesseure auprès du Conseil juridique de l’Etat.
3.  Le 8 octobre 2009, la présidente de la première section a décidé de communiquer le grief tiré de la durée de la procédure au Gouvernement. En application du Protocole no 14, la requête a été attribuée à un Comité.
EN FAIT
LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4.  Le requérant est né en 1943 et réside à Corfou.
5.  Le 29 mai 1999, le requérant, propriétaire de navires, fut arrêté pour trafic de stupéfiants. Le 21 juin 2000, à la fin de l’instruction, le requérant, ainsi que quinze autres personnes, fut renvoyé en jugement devant la cour d’appel criminelle d’Athènes.
6.  Les débats s’étalèrent sur plusieurs jours, à savoir du 25 au 29 septembre 2000, puis les 2, 4, 5, 6, 10, 11, 13, 16, 19, 20, 23, 24 et 30 octobre 2000.
7.  Par un jugement du 31 octobre 2000, le requérant fut condamné pour trafic de stupéfiants par la cour d’appel criminelle d’Athènes, siégeant à trois membres, à une peine de réclusion à perpétuité et à une sanction pécuniaire de 200 000 000 drachmes. Le procès concernait un trafic de stupéfiants de grande envergure avec l’Amérique latine, l’Amérique du Nord et l’Europe. Le texte de ce jugement dépasse 400 pages.
8.  Dans un délai de dix jours du prononcé, huit des quinze condamnés, dont le requérant, interjetèrent appel contre ce jugement devant la cour d’appel d’Athènes, siégeant à cinq membres.
9.  L’audience, initialement prévue le 29 octobre 2003, fut reportée au 14 janvier 2004, en raison de l’encombrement du rôle de cette cour. A cette dernière date, elle fut encore ajournée au 26 avril 2004 à la demande d’un coaccusé, en raison d’un litige qui l’opposait à ses avocats au sujet de leurs honoraires. Aux débats des 26 et 30 avril 2004, l’avocat du requérant demanda au tribunal la production de l’ensemble des enregistrements de ses conversations avec un coaccusé et invita la cour à ordonner une expertise.
10.  A l’audience du 28 juillet 2004, la cour d’appel ajourna à nouveau l’affaire au 1er septembre 2004, pour des raisons liées à la réalisation de l’expertise. A cette date, l’affaire fut encore reportée au 29 septembre 2004, puis au 7 avril 2005 pour les mêmes raisons.
11.  Les débats s’étalèrent sur soixante-dix-sept jours. Par un arrêt du 16 décembre 2005, la cour d’appel confirma le jugement de première instance. Le texte de cet arrêt comporte plus de 1200 pages.
12.  La cour d’appel rejeta aussi un moyen d’un coaccusé relatif à la durée de la procédure. Elle considéra que la responsabilité des retards incombait aux accusés et à leurs demandes d’ajournement et non pas aux autorités judiciaires. En outre, la cour d’appel s’appuya sur la complexité de l’affaire qui mettait en cause huit accusés, sur les infractions très graves ayant eu lieu dans plusieurs pays, et sur le fait que le procès de l’équipage du bateau ayant servi à transporter les stupéfiants s’était déroulé aux Etats-Unis.
13.  Le 12 juillet 2006, le requérant se pourvut en cassation. L’audience eut lieu le 14 mars 2007.
14.  Par un arrêt du 27 décembre 2007, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Plus particulièrement, elle confirma le raisonnement de la cour d’appel concernant la durée de la procédure devant cette dernière.
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION AU REGARD DE LA DUREE DE LA PROCEDURE
15.  Le requérant allègue que la durée de la procédure a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
16.  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse. Il se prévaut de la complexité de l’affaire, du grand nombre d’accusés (seize en première instance et huit en appel et en cassation) et du nombre d’ajournements demandés par le requérant ou auxquels celui-ci ne s’est pas opposé.
17.  La période à considérer a débuté le 29 mai 1999, avec l’arrestation du requérant, et s’est terminée le 27 décembre 2007, avec l’arrêt de la Cour de cassation. Elle a donc duré huit ans et sept mois, pour trois instances.
A.  Sur la recevabilité
18.  En premier lieu, le Gouvernement soutient que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes car il n’aurait pas introduit une action en dommages-intérêts sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil.
19.  La Cour a déjà jugé que le recours invoqué par le Gouvernement ne satisfait pas aux exigences de l’article 35 § 1 de la Convention et qu’il convient donc de rejeter l’objection dont il s’agit (Tsoukalas c. Grèce, no 12286/08, 22 juillet 2010). Elle constate, en outre, que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité.
B.  Sur le fond
20.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d’autres, Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 67, CEDH 1999-II)
21.  La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Pélissier et Sassi précité).
22.  La Cour note que la procédure mettait en cause seize accusés pour des infractions commises dans plusieurs pays et liées à un trafic de stupéfiants, et que les faits étaient complexes. Le texte du jugement de première instance comporte plus de 400 pages et celui de l’arrêt de la cour d’appel plus de 1200 pages. Toutefois, la durée de la procédure devant la cour d’appel – cinq ans environ - dans une affaire pénale ne saurait être considérée comme raisonnable, compte tenu notamment des délais très longs qui ont été consentis par cette cour pour la réalisation de l’expertise et surtout du délai de trois ans environ séparant la saisine de la cour d’appel de la première audience tenue par cette juridiction.
23.  Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse a été excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».
Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.
II.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
24.  Le requérant se plaint aussi d’une violation de son droit à un procès équitable, garanti par l’article 6 de la Convention. Il reproche à la cour d’appel criminelle, statuant en première instance, puis en appel, d’avoir pris en compte les fausses accusations proférées contre lui par un policier et par ses coaccusés. Il reproche aussi à la Cour de cassation d’avoir rejeté son pourvoi sans prendre suffisamment en considération ses moyens de cassation.
25.  La Cour considère qu’à travers ce grief, le requérant conteste la manière dont les juridictions internes ont statué dans son cas. La Cour rappelle à cet égard qu’aux termes de l’article 19 de la Convention, elle a pour tâche d’assurer le respect des engagements résultant de la Convention par les Parties contractantes. En particulier, il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention (voir, García Ruiz c. Espagne [GC], nº 30544/96, § 28, CEDH 1999-I). La Cour ne peut apprécier elle-même les éléments de fait ayant conduit une juridiction nationale à adopter telle décision plutôt que telle autre, sinon elle s’érigerait en juge de quatrième instance et elle méconnaîtrait les limites de sa mission (voir, mutatis mutandis, Kemmache c. France (nº 3), 24 novembre 1994, § 44, série A nº 296-C).
26.  En l’occurrence, la Cour ne décèle aucun indice d’arbitraire dans le traitement par les juridictions pénales et la Cour de cassation de l’affaire dont elles étaient saisies.
27.  Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
28.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
29.  Le requérant réclame 10 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.
30.  Le Gouvernement estime que le constat de violation constituerait une satisfaction équitable suffisante.
31.  La Cour estime que le requérant a subi un tort moral certain. Statuant en équité, elle lui accorde 4 000 EUR à ce titre.
B.  Frais et dépens
32.  Le requérant demande également 1 500 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour.
33.  Le Gouvernement invite la Cour à ne pas allouer une somme qui dépasserait le montant de 500 EUR.
34.  La Cour rappelle que l’allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). Dès lors, en l’espèce, compte tenu des éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable d’accorder au requérant le montant réclamé en entier, à savoir 1 500 EUR, plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt sur cette somme.
C.  Intérêts moratoires
35.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de la durée excessive de la procédure et irrecevable pour le surplus ;
2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3.  Dit
a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, les sommes suivantes :
i.  4 000 EUR (quatre mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour le dommage moral ;
ii.  1 500 EUR (mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour les frais et dépens ;
b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 février 2011, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
André Wampach Nina Vajić   Greffier adjoint Présidente
ARRÊT CHAÏKALIS c. GRÈCE
ARRÊT CHAÏKALIS c. GRÈCE 


Synthèse
Formation : Cour (première section comité)
Numéro d'arrêt : 32362/08
Date de la décision : 03/02/2011
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'art. 6-1

Analyses

(Art. 6) PROCEDURE PENALE, (Art. 6-1) PROCES EQUITABLE


Parties
Demandeurs : CHAÏKALIS
Défendeurs : GRÈCE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2011-02-03;32362.08 ?

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