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12/06/2012 | CEDH | N°001-111424

CEDH | AFFAIRE ANOGIANAKIS c. GRÈCE


PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE ANOGIANAKIS c. GRÈCE
(Requête no 22510/09)
ARRÊT
STRASBOURG
12 juin 2012
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Anogianakis c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un Comité composé de :
Peer Lorenzen, président, Elisabeth Steiner, Julia Laffranque, juges,et de André Wampach, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 mai 2012,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.

A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 22510/09) dirigée contre la République hellénique et dont un r...

PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE ANOGIANAKIS c. GRÈCE
(Requête no 22510/09)
ARRÊT
STRASBOURG
12 juin 2012
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Anogianakis c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un Comité composé de :
Peer Lorenzen, président, Elisabeth Steiner, Julia Laffranque, juges,et de André Wampach, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 mai 2012,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 22510/09) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet Etat, M. Apostolos Anogianakis (« le requérant »), a saisi la Cour le 27 mars 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant est représenté par Mes N. Anagnostopoulos et A. Psycha, avocats au barreau d’Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, M. M. Apessos, conseiller auprès du Conseil juridique de l’Etat, et Mme M. Germani, auditrice auprès du Conseil juridique de l’Etat.
3. Le 8 mars 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. Le requérant est né en 1936 et réside à Athènes. Il est officier de l’armée de terre à la retraite depuis le 25 juin 1990 en vertu d’un décret de même date.
5. Au moment de son départ à la retraite, il reçut de la Caisse d’assurance de l’armée une indemnité de départ d’un montant de 8 057 697 drachmes (soit 23 647 euros).
6. En 1995, le Conseil d’Etat jugea illégale la mise à la retraite du requérant. En application d’un décret du 27 août 1996, il fut promu rétroactivement au grade de général de division, puis au grade de général de corps d’armée.
A. Première procédure
7. Le 29 septembre 1996, en raison de cette promotion, le requérant demanda à la Caisse d’assurance de l’armée une indemnité de départ complémentaire. La Caisse rejeta la demande le 21 octobre 1996. Le requérant formula une objection contre ce rejet devant la formation plénière du comité de direction de la Caisse, mais celui-ci le débouta le 18 décembre 1996.
8. Le 28 février 1997, le requérant saisit le tribunal administratif d’Athènes d’un recours en annulation de la décision du 18 décembre 1996. Il demandait aussi le versement d’une somme de 6 525 987 drachmes au titre d’indemnité complémentaire de départ à la retraite.
9. Par la décision no 9177/1998 du 17 février 1998, le tribunal administratif rejeta le recours au motif que la législation pertinente ne prévoyait pas le versement d’une indemnité complémentaire dans le cas du requérant. Cette décision lui fut notifiée le 1er décembre 1998.
B. Seconde procédure
10. Le 28 décembre 1998, le requérant saisit à nouveau le tribunal administratif d’Athènes d’une action déclaratoire tendant à faire reconnaître que l’Etat lui devait la somme précitée au titre de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil. L’audience eut lieu le 7 janvier 2000. Par une décision du 30 juin 2000, notifié au requérant le 4 avril 2001, le tribunal administratif rejeta l’action.
11. Le 18 mai 2001, le requérant interjeta appel devant la cour d’appel administrative d’Athènes qui tint audience le 6 février 2003.
12. Par l’arrêt no 2159/2003 du 15 mai 2003, la cour d’appel infirma la décision attaquée et jugea que l’Etat devait lui verser la somme de 16 881,46 euros. L’arrêt lui fut notifié le 14 novembre 2003.
13. Le 4 janvier 2004, l’Etat se pourvut en cassation devant le Conseil d’Etat. Initialement fixée au 17 octobre 2005, l’audience fut reportée d’office au 3 avril 2006, puis au 4 décembre 2006. A cette date, l’affaire fut rayée du rôle de la première chambre pour incompétence et réinscrite à celui de la sixième chambre. Fixée au 24 septembre 2007 devant cette chambre, l’audience fut à nouveau ajournée d’office au 11 février 2008, puis au 23 juin 2008.
14. Le 17 novembre 2008, le Conseil d’Etat rejeta le pourvoi (arrêt no 3329/2008). L’arrêt fut mis au net et certifié conforme le 24 février 2009.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
15. Le requérant considère que les deux procédures doivent être examinées comme une procédure unique et allègue que la durée de celle-ci a méconnu le principe du « délai raisonnable » tel que prévu par l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
16. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
17. La Cour note d’emblée qu’elle ne saurait suivre le requérant dans son raisonnement que les procédures litigieuses forment un ensemble, car il ressort clairement du dossier qu’il s’agit de deux procédures distinctes, la première visant à l’annulation de la décision du 18 décembre 1996 de la Caisse d’assurance et la seconde tendant à la reconnaissance de l’obligation de l’Etat de verser au requérant des dommages-intérêts en vertu de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil.
18. Dès lors, pour autant que le requérant vise la première procédure devant le tribunal administratif d’Athènes, la Cour note que cette procédure a pris fin le 1er décembre 1998, avec la notification de la décision no 9177/1998, donc plus de six mois avant l’introduction de la présente requête.
19. Il s’ensuit que ce volet du grief tiré de la durée de la procédure est tardif et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
20. Ne reste donc en jeu que la seconde procédure engagée par le requérant. La Cour constate que ce volet du grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. Elle relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Période à prendre en considération
21. La période à considérer a débuté le 28 décembre 1998, avec la saisine du tribunal administratif d’Athènes par le requérant et s’est terminée le 24 février 2009, avec la mise au net de l’arrêt no 3329/2008 du Conseil d’Etat. Elle a donc duré dix ans et deux mois environ pour trois degrés de juridiction.
2. Caractère raisonnable de la procédure
22. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII
23. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant des questions semblables à celle du cas d’espèce et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir Frydlender précité).
24. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».
Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
25. Le requérant se plaint également du fait qu’en Grèce il n’existe aucun recours effectif pour se plaindre de la durée excessive de la procédure. Il invoque l’article 13 de la Convention, ainsi libellé :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
26. Le Gouvernement conteste cette thèse.
A. Sur la recevabilité
27. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
28. La Cour rappelle que l’article 13 garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1, d’entendre les causes dans un délai raisonnable (voir Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 156, CEDH 2000‑XI).
29. Par ailleurs, la Cour a déjà eu l’occasion de constater que l’ordre juridique hellénique n’offrait pas aux intéressés un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention leur permettant de se plaindre de la durée d’une procédure (Konti-Arvaniti c. Grèce, no 53401/99, §§ 29-30, 10 avril 2003 et Tsoukalas c. Grèce, no 12286/08, §§ 37-43, 22 juillet 2010).
30. La Cour note que le 12 mars 2012 a été publiée la loi no 4055/2012 portant sur l’équité et la durée raisonnable de la procédure judiciaire, qui est entrée en vigueur le 2 avril 2012. En vertu des articles 53 suiv. de la loi précitée, un nouveau recours a été introduit permettant aux intéressés de se plaindre de la durée de chaque instance d’une procédure administrative dans un délai de six mois à partir de la date de publication de la décision y relative. La Cour observe que cette loi n’a pas d’effet rétroactif. Par conséquent, elle ne prévoit pas un tel recours pour les affaires déjà terminées six mois avant son entrée en vigueur.
31. En l’espèce, la procédure a pris fin le 24 février 2009, à savoir plus de six mois avant l’entrée en vigueur de la loi no 4055/2012. Dès lors, la Cour estime qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention en raison, à l’époque des faits, de l’absence en droit interne d’un recours qui aurait permis au requérant d’obtenir la sanction de son droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
32. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
33. Le requérant réclame 15 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.
34. Le Gouvernement estime que la somme réclamée est excessive.
35. La Cour estime qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 6 000 EUR au titre du préjudice moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.
B. Frais et dépens
36. Le requérant demande également, facture à l’appui, 491 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 1 000 EUR pour ceux engagés devant la Cour.
37. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
38. La Cour rappelle qu’elle a constaté une violation de l’article 6 § 1 en raison du seul dépassement du délai raisonnable de la procédure. Compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 1 000 EUR pour la procédure devant elle, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.
C. Intérêts moratoires
39. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de la durée excessive de la procédure entamée le 28 décembre 1998 et de l’absence de recours interne effectif à cet égard et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;
4. Dit
a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, les sommes suivantes :
i) 6 000 EUR (six mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
ii) 1 000 EUR (mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 juin 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
André Wampach Peer Lorenzen Greffier adjoint Président


Synthèse
Formation : Cour (première section comité)
Numéro d'arrêt : 001-111424
Date de la décision : 12/06/2012
Type d'affaire : Arrêt (au principal et satisfaction équitable)
Type de recours : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure civile ; Article 6-1 - Délai raisonnable) ; Violation de l'article 13 - Droit à un recours effectif (Article 13 - Recours effectif)

Parties
Demandeurs : ANOGIANAKIS, Apostolos
Défendeurs : GRÈCE

Origine de la décision
Date de l'import : 24/07/2012
Fonds documentaire ?: HUDOC
Identifiant URN:LEX : urn:lex;coe;cour.europeenne.droits.homme;arret;2012-06-12;001.111424 ?

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