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08/11/2012 | CEDH | N°001-114270

CEDH | CEDH, AFFAIRE PASCAUD c. FRANCE, 2012, 001-114270


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE PASCAUD c. FRANCE

(Requête no 19535/08)

ARRÊT

(Satisfaction équitable)

STRASBOURG

8 novembre 2012

DÉFINITIF

08/02/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Pascaud c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant une chambre composée de :

Dean Spielmann, président,
Mark Villiger,
Karel Jungwiert,
Boštjan M. Zupanč

ič,
Angelika Nußberger,
André Potocki,
Paul Lemmens, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du con...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE PASCAUD c. FRANCE

(Requête no 19535/08)

ARRÊT

(Satisfaction équitable)

STRASBOURG

8 novembre 2012

DÉFINITIF

08/02/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Pascaud c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant une chambre composée de :

Dean Spielmann, président,
Mark Villiger,
Karel Jungwiert,
Boštjan M. Zupančič,
Angelika Nußberger,
André Potocki,
Paul Lemmens, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 octobre 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 19535/08) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Christian Pascaud (« le requérant »), a saisi la Cour le 15 avril 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Par un arrêt du 16 juin 2011 (« l’arrêt au principal »), la Cour a jugé que l’article 8 avait été violé en raison du refus de reconnaître judiciairement la filiation du requérant à l’égard de son père biologique (Pascaud c. France, no 19535/08). Elle a notamment jugé que la mesure de sauvegarde de justice ne privait nullement le père biologique, W.A., du droit de consentir personnellement à un prélèvement ADN, qu’il avait par ailleurs exprimé auprès des autorités la volonté de reconnaître le requérant et que ni la réalisation ni la fiabilité de l’expertise génétique qui concluait à une probabilité de paternité de 99,999 % de W.A. sur le requérant n’avaient jamais été contestées devant les juridictions internes (ibidem, § 66). Elle a exprimé ses difficultés à admettre que les juridictions nationales aient laissé des contraintes juridiques l’emporter sur la réalité biologique en se fondant sur l’absence de consentement de W.A., alors même que les résultats de l’expertise ADN constituaient une preuve déterminante de l’allégation du requérant. Elle a conclu que, dans les circonstances de l’espèce, il n’avait pas été ménagé un juste équilibre entre les intérêts en présence et que le requérant avait subi une atteinte injustifiée à son droit au respect de sa vie privée (§ 68), à savoir le droit à l’identité dont le droit à connaître et faire reconnaître son ascendance fait partie (§§ 59-60).

3. En s’appuyant sur l’article 41 de la Convention, le requérant réclamait une satisfaction équitable de 2 000 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel, soit la moitié de l’actif successoral de W.A. auquel il aurait pu prétendre s’il avait été reconnu comme son fils.

4. La question de l’application de l’article 41 de la Convention concernant le préjudice matériel ne se trouvant pas en état, la Cour l’a réservée et a invité le Gouvernement et le requérant à lui soumettre par écrit, dans les six mois, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, p. 16, et point 3 b) du dispositif).

5. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations.

EN DROIT

6. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage matériel

1. Les arguments des parties

a) Le requérant

7. Le requérant précise d’emblée que l’établissement de sa filiation biologique n’étant plus contestable compte tenu de l’arrêt de la Cour du 16 juin 2011, cela lui permet, sans autre formalité, d’être héritier réservataire de son père dans les mêmes conditions qu’un enfant légitime. Il n’entend pas remettre en cause les testaments ou legs librement effectués par son père. Il constate qu’étant son seul descendant direct, la violation de l’article 8 a eu pour effet direct de le priver de la moitié de l’actif successoral qui devait automatiquement lui revenir, en vertu des dispositions pertinentes du code civil applicables au moment du décès, en particulier des articles 757 et 913.

8. S’agissant du chiffrage du préjudice, le requérant informe la Cour que, depuis la procédure au fond, il a découvert un certain nombre de documents officiels, notamment judiciaires ou de caractère public, permettant de connaître l’actif successoral et l’exacte mesure de son préjudice. Ces documents sont les suivants :

. déclaration de succession de l’actif successoral faite par la commune de Saint-Emilion, personne publique, par l’intermédiaire d’un notaire, officier public, pour un montant de 758 447,73 EUR ;

. évaluation du Service des Domaines en 2007 de la valeur de la propriété viticole « Château Badette » (appellation Saint-Emilion Grand‑Cru), ayant permis à la commune de Saint-Emilion de fixer le montant de la demande de droit de préemption de la SAFER (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural - société de droit privé sans but lucratif, avec des missions d’intérêt général, placée sous tutelle des ministères de l’Agriculture et des Finances) à 6 500 000 EUR, le cahier des charges dressé sous la forme authentique par un notaire précisant que la mise à prix, soit le minimum de la valeur, était de 3 700 000 EUR ;

. un rapport d’expertise judiciaire, homologué par le tribunal de grande instance de Libourne par un jugement définitif du 26 janvier 2006 (dans le cadre d’une instance opposant la commune de Saint-Emilion à la SCEA ‑ société civile d’exploitation agricole ‑ Château Badette et son gérant), fixant à 7 942 EUR la valeur des parts de la SCEA du Château Badette à la date du décès de W.A., soit, pour 50 parts, 397 100 EUR, moins un abattement de 10%, la commune de Saint-Emilion étant une collectivité publique.

9. Le requérant produit un état liquidatif établi à sa demande par un notaire le 9 novembre 2011, au vu de tous les éléments disponibles et dans les mêmes conditions qu’un règlement de succession qui se serait déroulé en 2002. Il en ressort qu’en sa qualité d’héritier réservataire de W.A., la somme de 3 452 001,67 EUR devait automatiquement lui revenir. Ce montant ne correspond pas à une évaluation, mais correspond au résultat de la prise en compte des documents, notamment judiciaires, opposables aux tiers et aux administrations.

10. Le requérant convient de la nécessité de déduire les droits de succession. Après paiement de ces derniers, il aurait dû percevoir la somme de 3 184 080,67 EUR, qu’il demande à la Cour de lui accorder.

b) Le Gouvernement

11. Le Gouvernement prend acte de ce que la Cour a jugé dans son arrêt du 16 juin 2011 qu’il existe dans cette affaire un lien de causalité entre la violation constaté et le dommage allégué, résultant de la privation d’une partie de l’actif successoral de W.A.

12. Il note que la demande du requérant au titre de la satisfaction équitable est passée d’un montant de deux millions d’euros à 3 184 080 EUR, et qu’il s’agit d’une évaluation qui repose sur un document dressé par un notaire le 9 novembre 2011 sur la base de documents produits par le requérant et dont le Gouvernement n’a pas connaissance.

13. Il relève plusieurs différences entre la déclaration de succession établie le 30 septembre 2002 par la commune de Saint-Emilion et le projet liquidatif du 9 novembre 2011 produit par le requérant, en particulier la réévaluation de certains actifs et l’ajout de nouveaux actifs :

. s’agissant de l’évaluation des 50 parts de la SCEA du Château Badette, le Gouvernement note que le jugement du tribunal de Libourne est largement postérieur au décès et à la liquidation de W.A., ce qui ne permet pas de déterminer si l’évaluation ne résulte pas d’une hausse ultérieure et conjoncturelle de la valeur des parts. Il relève en outre que si la valeur de la part a bien été fixée à 7 942 EUR, soit 397 100 EUR pour 50 parts, un abattement de 10% a été retenu en raison des difficultés éventuelles de négociation des parts : la qualité de l’héritier ne modifiant en rien ce constat du tribunal, la valeur des 50 parts ne pourrait excéder 397 100 EUR moins 10%, soit 357 400 EUR. Le Gouvernement souhaite néanmoins que la valeur de ces parts soit arrêtée dans le seul état de liquidation officielle établi par la commune de Saint-Emilion le 30 septembre 2002, soit 270 000 EUR ;

. pour ce qui est des fermages dus, le Gouvernement les évalue à 66 570 EUR ;

. concernant l’évaluation du Château Badette, ce bien a fait l’objet d’une donation à la commune du vivant de W.A. pour un montant de 1 171 601 EUR. Le Gouvernement constate que le requérant fait état d’une évaluation réalisée par le Service des Domaines en 2007 pour un montant de 6 500 000 EUR, mais il note que ce document n’est pas produit. En revanche, il constate que la propriété n’a pas trouvé acquéreur pour 3 700 000 EUR. Par ailleurs, une évaluation du Service des Domaines réalisée en 2011 à la demande du Gouvernement dans le cadre de la présente procédure fait état d’une valeur du bien de 3 500 000 EUR libre (le bien était loué au décès de W.A. et il est encore occupé) et 2 450 000 EUR occupé comme en l’espèce. Il estime donc que la juste appréciation doit se situer entre l’évaluation faite en 1998 à l’occasion de la donation et celle du bien occupé en 2011, soit, en équité, une valeur de 1 810 000 EUR ;

. le Gouvernement ne dispose pas d’information sur la manière dont une parcelle de Saint-Emilion, évoquée par le requérant dans son évaluation, a été identifiée comme faisant partie du patrimoine de W.A. ou sur la méthode de sa valorisation. De plus, un immeuble situé au lieu-dit Balestard a été revendu pour la somme de 220 000 EUR en 2007, son estimation en 2002 étant inconnue. Le Gouvernement déduit de la déclaration de succession établie en 2002 que les biens légués par W.A. à des tiers autres que la commune de Saint-Emilion représentait une somme totale de 203 275 EUR et que les nouveaux actifs ne devraient pas excéder cette somme ;

. enfin, quant à l’évaluation des droits de succession, l’état liquidatif de 2011 produit par le requérant exclue les « donations antérieures déjà taxées lors de leur signature », ce que le Gouvernement conteste : la demande du requérant reposant sur ce qu’il aurait touché si le lien de filiation avec W.A. aurait été reconnu, il convient de retrancher les droits de succession qu’il aurait dû acquitter sur l’intégralité de la réserve héréditaire.

14. En conclusion, le Gouvernement estime que l’évaluation de la part successorale qui serait revenue au requérant ne saurait excéder 1 107 000 EUR.

c) Réponse du requérant

15. En réponse aux observations du Gouvernement, le requérant précise ce qui suit.

16. La variation entre ses précédentes prétentions (deux millions d’euros) et sa demande actualisée (3 184 080,67 EUR) s’explique par le fait qu’il s’était initialement fondé sur le seul document disponible, à savoir la déclaration de succession rédigée par la commune de Saint-Emilion elle‑même auprès de l’administration fiscale. Or, il a par la suite découvert des documents officiels qui lui avaient été dissimulés et dont il ressort que les chiffres contenus dans la déclaration de succession sont erronés ou largement sous-évalués pour différentes raisons. Par ailleurs, il souligne que la Cour elle-même a jugé que la question de l’application de l’article 41 ne se trouvait pas en état.

17. S’agissant de la discordance entre le chiffrage réalisé par un notaire à sa demande en novembre 2011 et la déclaration de succession de 2002, le requérant constate que cette dernière a été effectuée par la commune de Saint-Emilion qui, faute d’héritiers connus, a elle-même unilatéralement fixé les sommes qui allaient servir de base aux droits qu’elle allait devoir payer. Partant, le requérant estime qu’on ne peut prendre en compte la valeur déclarée par le débiteur fiscal des droits de succession en 2002, mais la valeur réelle des biens au jour d’ouverture de la succession, le 7 mars 2002.

18. Concernant les nouveaux actifs ajoutés dans le document de novembre 2011, le requérant souligne que cela correspond au mode de calcul imposé en droit français et que le notaire s’est strictement conformé aux dispositions applicables pour être en mesure d’évaluer la masse active de la succession et la part qui lui revenait en qualité d’héritier réservataire. Pour déterminer sa part, il convient donc de déterminer comment un notaire chargé de régler la succession aurait procédé en 2002 en présence du requérant héritier réservataire.

19. Sur l’évaluation des parts de la SCEA du Château Badette, le requérant relève que le Gouvernement indique à tort que l’expertise judiciaire ordonnée et homologuée par le tribunal de Libourne serait postérieure au décès de W.A. et à la liquidation de la succession : l’expert avait précisément reçu pour mission du président du tribunal de grande instance de Libourne d’évaluer la valeur à la date du 7 mars 2002 et son rapport a été ultérieurement homologué. Le requérant relève en outre que la décision de justice définitive du tribunal de Libourne prouve que la commune de Saint-Emilion, qui devait payer les droits de succession, avait sous-évalué la valeur des parts dans la déclaration de succession établie unilatéralement en 2002 et que l’on ne peut donc retenir cette dernière comme base de calcul. Le requérant conteste en outre la possibilité d’opérer un abattement de 10% sur la valeur des parts de la SCEA, l’expert ayant écrit à son conseil en janvier 2012 pour préciser qu’il aurait retenu la valeur de 397 100 EUR sans abattement de 10% en présence d’un héritier réservataire. Enfin, il précise avoir été informé d’une cession de parts à la suite de l’expertise judiciaire, suivant une délibération d’une assemblée générale extraordinaire de la SCEA du 5 décembre 2006, avec une valeur de la part fixée à 7 148 EUR, soit 357 400 EUR pour 50 parts. Le requérant considère que cette somme constitue donc un minimum à retenir.

20. Il confirme que, s’agissant du montant des fermages dus, la somme indiquée par le Gouvernement (66 570 EUR) est exacte.

21. Quant aux parcelles de Saint-Emilion, contrairement à ce qu’indique le Gouvernement, il précise qu’elles sont parfaitement connues puisqu’elles sont individualisées et visées dans le testament du 27 août 1998 établi devant notaire, puis dans une donation du 28 novembre 2000 également faite devant notaire et, enfin, dans l’acte de délivrance d’un legs. Absentes de la déclaration de succession et exploitées sous la marque « Château Bellerose Figeac », leur valeur peut en outre être facilement estimée, puisqu’elles sont situées en bordure de l’appellation « Pomerol » à Saint-Emilion et à proximité des châteaux Petrus et Cheval blanc, ce que vante le Château Bellerose Figeac lui-même dans sa promotion. Or, toutes les ventes sont notamment accessibles aux notaires et au Service des Domaines dans le fichier « Perval ». Il en ressort qu’au moment du décès, soit dans la période du 6 décembre 2001 au 8 août 2002, la valeur moyenne à la vente de l’hectare à Saint-Emilion était de 368 360,07 EUR, soit pour les parcelles concernées (1 hectare 10) 405 196 EUR. En outre, une maison d’habitation sur l’un des terrains devant être évaluée à 90 000 EUR selon le requérant, la somme de 495 000 EUR retenue par le notaire dans le chiffrage de novembre 2011 est justifiée.

22. Le requérant précise que l’immeuble de Balestard a été revendu en 2007 par les donataires pour le prix de 200 000 EUR.

23. A propos du Château Badette, il souligne que le Gouvernement conteste son évaluation en se fondant sur celle qu’il a lui-même demandé à ses services en août 2011 pour les besoins de la présente procédure. Il doute de la pertinence du montant de 2 400 000 EUR retenu à cette occasion par des fonctionnaires à la demande du Gouvernement. Par ailleurs, il produit l’estimation du Service des Domaines, sur papier à en-tête de la trésorerie générale de la Gironde, à la date du 14 février 2007, à 3 700 000 EUR pour le bien alors occupé (attestation qu’il s’est procurée par l’intermédiaire du maire de la commune de Saint-Emilion en décembre 2011).

24. Sur le fait que le château n’ait pas trouvé preneur au prix de 3 700 000 EUR, le requérant estime que cela s’explique par le cahier des charges qui décourageait les éventuels acquéreurs en les informant d’un risque d’éviction future du fait de son action en reconnaissance de paternité. Il ajoute que l’absence de la vente ne lui est pas opposable.

25. Le requérant considère qu’en tout état de cause la valeur exacte du bien était de 6 500 000 EUR, montant fixé pour l’exercice du droit de préemption de la SAFER, étant entendu qu’un bien agricole n’est proposé à une SAFER, de par le statut de celle-ci, qu’au prix le plus exact du marché.

26. Il soutient que l’estimation réalisée en 2011 par le Service des Domaines à la demande du Gouvernement est manifestement une sous-estimation pour les besoins de la procédure. Il produit à cet égard une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux en date du 16 mars 2011 qui, en raison de l’urgence, a suspendu la vente de la propriété viticole du Château Badette pour la somme de 2 400 000 EUR, aux motifs notamment que tous les éléments du prix de vente ne sont pas clairement déterminés et que ce prix est inférieur à la valeur du bien.

27. Il porte à la connaissance de la Cour un autre fait nouveau : la vente du Château Badette au mois de mars 2012 pour un prix de 4 770 547,41 EUR. Or, en suivant l’acte et en déduisant de cette somme des éléments qui ne le concernent pas, il obtient la somme de 3 705 800 EUR, ce qui correspond justement à l’évaluation faite par le Service des Domaines en 2007 et à ses premières écritures. Certes, le requérant reconnaît l’existence d’une décote lorsque le bien est loué : cette décote était fixée de 9 à 20% dans l’arrêté du 30 août 2001 et de 11 à 20% dans celui du 13 novembre 2002.

28. Enfin, pour ce qui est des droits de succession, il précise que le calcul a été effectué conformément aux dispositions du code général des impôts. Par ailleurs, les rapports de donations effectuées du vivant du défunt ont déjà été taxés et ne peuvent donc pas l’être une seconde fois. Il ne doit régler que les droits dont l’assiette est constituée par les actifs qui lui revenaient effectivement au titre de sa réserve.

29. Le requérant estime d’ailleurs que même en reprenant les évaluations du Gouvernement, qu’il conteste formellement comme étant manifestement sous-évaluées, on obtiendrait une valeur minimale de 2 461 634,67 EUR qu’il aurait dû percevoir.

30. L’estimation de son préjudice correspond cependant aux évaluations réelles du marché, soit 3 184 080,67 EUR.

31. Il considère de surcroît que cette somme en valeur 2002 devrait être assortie de légitimes intérêts.

2. L’appréciation de la Cour

32. La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’Etat défendeur l’obligation de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI). Les Etats contractants parties à une affaire sont en principe libres de choisir les moyens dont ils useront pour se conformer à un arrêt constatant une violation. Ce pouvoir d’appréciation quant aux modalités d’exécution d’un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l’obligation primordiale imposée par la Convention aux Etats contractants : assurer le respect des droits et libertés garantis (article 1). Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l’Etat défendeur de la réaliser, la Cour n’ayant ni la compétence ni la possibilité pratique de l’accomplir elle-même. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de la violation, l’article 41 habilite la Cour à accorder, s’il y a lieu, à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée (Brumărescu c. Roumanie (satisfaction équitable) [GC], no 28342/95, § 20, CEDH 2001-I).

33. La Cour rappelle également que, dans son arrêt au principal du 16 juin 2011, elle a considéré en l’espèce que le requérant avait subi une atteinte injustifiée à son droit au respect de sa vie privée (§ 68), le droit de faire reconnaître son ascendance faisant partie intégrante de la notion de vie privée (§ 59). Après avoir constaté que ni la réalisation ni la fiabilité de l’expertise génétique qui concluait à une probabilité de paternité de 99,999 % de W.A. sur le requérant n’avaient jamais été contestées devant les juridictions internes (§ 66), elle a jugé que les résultats de l’expertise ADN constituaient une preuve déterminante de l’allégation du requérant (§ 68).

34. Partant, la Cour a constaté l’existence d’un lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué par le requérant (§ 82), à savoir la perte d’une partie de l’actif successoral de W.A. à laquelle il aurait pu prétendre s’il avait été reconnu comme son fils (§ 80). Le Gouvernement en prend acte dans ses observations.

35. Les observations des parties amènent la Cour à relever ce qui suit.

36. Quant au moment auquel il faut se placer pour déterminer la valeur de la part à laquelle aurait pu prétendre le requérant, la Cour estime qu’il correspond à la date du décès de W.A., le 7 mars 2002. Les parties en conviennent. Ces dernières se fondent également sur les dispositions du code civil applicables en matière successorale à cette date, dont il ressort que le requérant aurait été seul héritier réservataire et qu’à ce titre il aurait dû recevoir la moitié de l’actif successoral.

37. La Cour note cependant que les parties s’opposent sur la composition de l’actif successoral et sa valeur, ainsi que sur la question de l’évaluation des droits de succession.

38. La Cour entend, comme il se doit, apprécier le caractère raisonnable des différents éléments soumis à son appréciation concernant le préjudice matériel (voir, mutatis mutandis, Vermeire c. Belgique (article 50), 4 octobre 1993, § 13, série A no 270-A, Smith et Grady c. Royaume-Uni (satisfaction équitable), no 33985/96 et 33986/96, § 19, Recueil des arrêts et décisions 2000-IX, et Motais de Narbonne c. France (satisfaction équitable), no 48161/99, § 21, 27 mai 2003).

39. Elle relève tout d’abord que les observations du Gouvernement reposent principalement sur la déclaration de succession établie le 30 septembre 2002 par la commune de Saint-Emilion et sur une évaluation réalisée à sa demande par le Service des Domaines, administration rattachée au ministère de l’Economie et des Finances, en 2011. Le requérant fournit quant à lui un état liquidatif réalisé par un notaire dans le cadre d’une consultation privée.

40. La Cour constate ensuite que le désaccord sur les montants proposés par les parties s’explique largement par les différences d’estimations de la valeur de certains biens, en particulier la propriété viticole Château Badette et les parts de la SCEA Château Badette.

41. S’agissant tout d’abord de la propriété viticole Château Badette, la Cour relève qu’elle a fait l’objet d’une donation à la commune du vivant de W.A. pour un montant de 1 171 601 EUR. Le Gouvernement produit également une attestation réalisée à sa demande en 2011 par le Service des Domaines qui indique une valeur de 2 450 000 EUR pour le bien évalué occupé et de 3 500 000 EUR libre. Par ailleurs, la Cour note que, par une ordonnance du 16 mars 2011, le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a suspendu la vente de la propriété viticole du Château Badette en raison notamment de la sous-évaluation du prix fixé à 2 400 000 EUR, montant très proche de l’estimation de 2011. Enfin, en 2007, le Service des Domaines avait estimé le bien libre à 3 700 000 EUR.

42. Concernant la valeur des 50 parts de la SCEA du Château Badette, la Cour note que le requérant produit un rapport d’expertise judiciaire, homologué par le tribunal de grande instance de Libourne par un jugement définitif du 26 janvier 2006, dans le cadre d’une instance opposant la commune de Saint-Emilion à la SCEA Château Badette et son gérant, qui fixe à 7 942 EUR la valeur des parts de la SCEA du Château Badette à la date du décès de W.A., ce qui représente 397 100 EUR pour 50 parts.

43. La Cour relève que d’autres éléments ont été pris en compte dans le document du 9 novembre 2011 versé au dossier par le requérant à l’appui de ses demandes.

44. Le requérant retient tout d’abord une valeur de 66 570 EUR pour les fermages dus, point sur lequel les parties sont d’accord.

45. Quant aux parcelles de Saint-Emilion qui étaient absentes de la déclaration de succession faite en 2002, après avoir fait part de ses interrogations sur leur intégration dans le patrimoine de W.A. et leur estimation, le Gouvernement n’a pas contesté les explications du requérant, dont il ressort, d’une part, que ces terrains apparaissent expressément dans le testament rédigé de son vivant par W.A. en 1998 et dans des actes authentiques ultérieurs et, d’autre part, que l’estimation qui en est faite repose sur la situation de ces parcelles et sur la valeur moyenne à la vente de l’hectare enregistrée dans le fichier Perval, ainsi que sur l’existence d’une maison d’habitation sur l’un des terrains. La Cour estime cependant que l’évaluation proposée par le requérant laisse subsister trop d’interrogations, dès lors qu’elle ne repose pas sur des éléments incontestables, mais sur une construction élaborée à partir, d’une part, de la proximité de châteaux prestigieux, dont il n’est pas justifié que la renommée soit susceptible de comparaison avec la marque « Bellerose Figeac » et, d’autre part, de prix moyens qui ne permettent pas de situer exactement le positionnement des parcelles concernées dans la fourchette des prix de vente constatés. En outre, il n’est pas fourni de démonstration convaincante de l’estimation de la maison d’habitation sur l’une des parcelles.

46. S’agissant de l’immeuble situé au lieu-dit Balestard, les parties indiquent qu’il a été vendu en 2007, évoquant un prix sensiblement identique (soit 220 000 EUR selon le Gouvernement et 200 000 selon le requérant), sans préciser sa valeur à la date du 7 mars 2002.

47. Enfin, tout en rappelant que le calcul des droits de succession ne relève pas de sa compétence, la Cour constate que cette question prête également à controverse entre les parties.

48. Dans ces conditions, la Cour estime que les divers éléments constituant le préjudice matériel subi par le requérant ne peuvent se prêter à un calcul exact dans les circonstances de l’espèce. Or, dans une telle hypothèse, elle peut être amenée à les examiner globalement (B. c. Royaume-Uni (article 50), 9 juin 1988, §§ 10-12, série A no 136-D, Dombo Beheer B.V. c. Pays-Bas, 27 octobre 1993, § 40, série A no 274, et Comingersoll S.A. c. Portugal [GC], no 35382/97, § 29, CEDH 2000-IV).

49. Dès lors, dans le cadre d’une appréciation globale et compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que le montant du préjudice matériel subi par le requérant peut être fixé à 2 750 000 EUR.

B. Frais et dépens

50. Le requérant n’ayant pas présenté de demande pour cette partie de la procédure, aucune somme ne doit lui être allouée à ce titre.

C. Intérêts moratoires

51. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 2 750 000 EUR (deux millions sept cent cinquante mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage matériel ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

2. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 8 novembre 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Claudia WesterdiekDean Spielmann
GreffièrePrésident


Synthèse
Formation : Cour (cinquiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-114270
Date de la décision : 08/11/2012
Type d'affaire : satisfaction équitable
Type de recours : Dommage matériel - réparation (Article 41 - Dommage matériel;Satisfaction équitable)

Parties
Demandeurs : PASCAUD
Défendeurs : FRANCE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : FAVREAU B.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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