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21/06/2016 | CEDH | N°001-163824

CEDH | CEDH, AFFAIRE RAMOS NUNES DE CARVALHO E SÁ c. PORTUGAL, 2016, 001-163824


QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE RAMOS NUNES DE CARVALHO E SÁ c. PORTUGAL

(Requêtes nos 55391/13, 57728/13 et 74041/13)

ARRÊT

Cette version a été rectifiée conformément à l’article 81 du règlement de la Cour le 13 septembre 2016

STRASBOURG

21 juin 2016

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA

GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE

06/11/2018

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Ramos Nunes de Carvalho e Sá c. Portugal,

La Cour européenne des droits de l’homme (

quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

András Sajó, président,
Vincent A. De Gaetano,
Nona Tsotsoria,
Paulo Pinto de Albuquer...

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE RAMOS NUNES DE CARVALHO E SÁ c. PORTUGAL

(Requêtes nos 55391/13, 57728/13 et 74041/13)

ARRÊT

Cette version a été rectifiée conformément à l’article 81 du règlement de la Cour le 13 septembre 2016

STRASBOURG

21 juin 2016

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA

GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE

06/11/2018

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Ramos Nunes de Carvalho e Sá c. Portugal,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

András Sajó, président,
Vincent A. De Gaetano,
Nona Tsotsoria,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Krzysztof Wojtyczek,
Egidijus Kūris,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer, juges,
et de Marialena Tsirli, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 24 mai 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouvent trois requêtes (nos 55391/13, 57728/13 et 74041/13) dirigées contre la République portugaise et dont une ressortissante de cet État, Mme Paula Cristina Ramos Nunes de Carvalho e Sá (« la requérante »), a saisi la Cour les 16 août 2013 et 8 novembre 2013 respectivement en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante a été représentée par Me J. Ribeiro, avocat à Porto. Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme M. F. da Graça Carvalho, procureure générale adjointe.

3. La requérante dénonce l’iniquité de trois procédures disciplinaires diligentées à son encontre, en violation de l’article 6 de la Convention.

4. Le 20 mars 2015, les griefs concernant le défaut d’accès à un tribunal, le manque d’indépendance et d’impartialité de la section du contentieux de la Cour suprême de justice, l’absence d’une audience publique et, s’agissant des requêtes nos 55391/13 et 74041/13, la requalification juridique des faits qui lui étaient reprochés et la prise en compte d’un mode de participation à l’infraction disciplinaire différent des chefs des réquisitions ont été communiqués au Gouvernement et les requêtes ont été déclarées irrecevables pour le surplus, conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. La requérante est née en 1972 et réside à Barcelos.

A. La requête no 57728/13

6. Le 16 novembre 2010, le Conseil supérieur de la magistrature (Conselho Superior da Magistratura) décida d’ouvrir une procédure disciplinaire contre la requérante, alors juge au tribunal de Vila Nova de Famalicão (procédure disciplinaire no 333/10).

7. Le 13 mars 2011, le juge inspecteur F.M.J. chargé de la procédure disciplinaire forma ses réquisitions, proposant l’application à la requérante d’une peine de 20 jours-amende, pour avoir traité un autre inspecteur judiciaire, le juge H.G., de « menteur » au cours d’un entretien téléphonique, violant ainsi son devoir de correction. Il lui reprocha par ailleurs d’avoir accusé l’inspecteur H.G. qui était chargé de son appréciation professionnelle « d’inertie et de manque de diligence ».

8. Le 29 mars 2011, la requérante présenta devant le Conseil supérieur de la magistrature (« le CSM ») une demande de récusation du juge F.M.J., au motif que celui-ci n’avait pas respecté sa présomption d’innocence et qu’il était proche de l’inspecteur judiciaire prétendument offensé par la requérante.

9. À une date non précisée, la requérante déposa au dossier son mémoire en défense, invoquant la nullité de la procédure disciplinaire, pour violation des principes de l’égalité et de l’impartialité, et pour un manquement à son droit d’audition.

10. Le 10 avril 2011, le juge F.M.J. demanda son déport devant le CSM se disant « l’ennemi juré » de la requérante consécutivement aux accusations qu’elle avait portées contre lui dans le cadre de sa demande de récusation.

11. À une date non précisée, le CSM accorda le déport du juge F.M.J., le remplaçant par un autre inspecteur, le juge A.V.N.

12. Dans le rapport final élaboré le 23 septembre 2011, l’inspecteur nouvellement désigné, le juge A.V.N., proposa l’application à la requérante de 15 jours-amende, pour violation de son devoir de correction.

13. Au cours de la procédure, un témoin présenté par la requérante fut entendu. Celui-ci déclara qu’il avait assisté à l’entretien litigieux et que la requérante n’avait pas tenu les propos qui lui étaient reprochés.

14. Par une décision du 10 janvier 2012, l’assemblée plénière du CSM condamna la requérante à une peine de 20 jours-amende, correspondant à 20 jours sans rémunération, pour violation de son devoir de correction, estimant qu’il n’y avait pas lieu d’appliquer un sursis de peine en l’espèce.

15. Au moment de la prise de la décision condamnatoire de la requérante, le CSM était composé de quinze membres dont six étaient des juges et neuf étaient des non-juges.

16. Quatre des membres non-juges déposèrent une opinion dissidente commune, au motif qu’en espèce il n’était pas possible d’établir, sur la seule base de la déposition de l’inspecteur H.G., que la requérante l’avait traité de « menteur », et que les propos faisant allusion à son « inertie » et « manque de diligence » relevaient de l’exercice de la liberté d’expression de la requérante.

17. À une date non précisée, la requérante se pourvut en cassation devant la section du contentieux de la Cour suprême de justice (Secção de Contencioso do Supremo Tribunal de Justiça), demandant un réexamen de l’établissement des faits. À l’appui de sa demande, la requérante dénonçait le caractère disproportionné de la peine.

18. Le 21 mars 2013, la section du contentieux de la Cour suprême de justice confirma à l’unanimité la décision du CSM, considérant notamment :

. qu’il n’existait aucun doute quant à l’interprétation des normes de droit européen et, partant, qu’il y avait lieu de rejeter la demande de renvoi préjudiciel de l’affaire devant la Cour de justice de l’Union Européenne ;

. qu’il n’était pas du ressort de la Cour suprême de justice de faire le réexamen des faits de la cause mais uniquement de procéder au contrôle du caractère raisonnable de l’établissement des faits ;

. que la requérante avait utilisé un faux témoignage ce qui méritait d’être retenu contre elle pour la fixation de la peine ;

. que l’autorité administrative en charge de l’affaire n’avait pas le devoir d’apprécier le sursis de la peine d’amende étant donné qu’une privation de la liberté n’était pas en jeu dans le cas d’espèce ;

. que les accusations d’« inertie » et de « manque de diligence » tenues par la requérante à l’encontre de l’inspecteur judiciaire H.G. avaient offensé celui-ci, restant en-deçà du minimum éthique attendu d’un juge, et qu’elles n’étaient pas couvertes par la liberté d’expression.

B. La requête no 55391/13

19. Une deuxième procédure disciplinaire (procédure no 179/11) fut ouverte à l’encontre de la requérante pour utilisation d’un faux témoignage dans le cadre de la procédure antérieure.

20. Le 26 mai 2011, l’inspecteur judiciaire, le juge A.D.P.R., forma des réquisitions contre la requérante, lui imputant la violation de son devoir de loyauté. Il ne proposa pas à cette occasion l’application d’une peine concrète.

21. Le 14 juillet 2011, l’inspecteur judiciaire A.D.P.R. soumit son rapport final, proposant l’application à la requérante d’une peine de 60 jours de suspension de l’exercice.

22. Le 19 juillet 2011, la requérante forma une demande en nullité contre ce rapport devant l’inspecteur judiciaire en dénonçant le fait que la peine envisagée n’ait pas été avancée directement dans ses réquisitions. Par une ordonnance du 31 août 2011, l’inspecteur judiciaire A.D.P.R. rejeta la demande de la requérante.

23. Par une décision du 11 octobre 2011, l’assemblée plénière du CSM condamna la requérante à une peine disciplinaire de 100 jours de suspension de l’exercice, pour violation de son devoir d’honnêteté. Elle estima que la requérante avait fait une fausse déposition en demandant à un témoin qu’elle avait indiqué dans la procédure disciplinaire no 330/10 de tenir de fausses déclarations sur les faits qui lui étaient alors imputés. Le CSM établit ces faits en tenant compte du relevé des appels réalisés par la requérante avec son téléphone portable, et obtenu avec son consentement à la demande de l’inspecteur judiciaire F.M.J.

24. La décision du 11 octobre 2011 du CSM fut prise à l’unanimité, avec la présence de douze de ses dix-sept membres, dont sept étaient des juges, y compris le président du CSM, et cinq étaient des non-juges[1].

25. À une date non précisée, la requérante forma un recours contentieux devant la section du contentieux de la Cour suprême de justice contre la décision du 11 octobre 2011. Contestant les faits, elle exposa ce qui suit :

. qu’elle n’avait pas été entendue sur la peine disciplinaire proposée vu que les réquisitions ne précisaient pas celle-ci.

. que le CSM avait modifié la qualification juridique des faits qui lui étaient imputés aussi bien que son mode de participation à l’infraction disciplinaire.

. que la Cour suprême de justice avait omis de motiver sa décision de ne pas assortir la peine appliquée d’un sursis à exécution ;

. que la peine appliquée était disproportionnée.

26. Par un arrêt du 26 juin 2013, la section du contentieux de la Cour suprême de justice confirma à l’unanimité la décision du 11 octobre 2011 aux motifs :

. qu’elle avait des pouvoirs limités concernant le réexamen des faits dans la mesure où il s’agissait d’un contentieux d’annulation et non pas de pleine juridiction eu égard à l’article 3 § 1 du code de la procédure devant les tribunaux administratifs ;

. que l’indication de la peine proposée dans le rapport final de l’inspecteur judiciaire était suffisante, celui-ci ayant été en outre dûment porté à la connaissance de la requérante ;

. que le CSM avait la possibilité d’aggraver la peine proposée, estimant que la défense de la requérante s’exerçait par rapport aux faits de la cause et non par rapport à la peine proposée ;

. que, en ce qui concerne la requalification juridique des faits, les droits de la requérante avaient été sauvegardés dès lors que le CSM, sans modifier les faits, avait ménagé une différente interprétation juridique quant aux devoirs enfreints ;

. que le CSM en charge de la procédure disciplinaire n’était pas tenu d’apprécier le sursis de la peine de suspension de l’exercice au motif que l’enjeu de l’affaire ne comportait pas un risque de privation de la liberté, bénéficiant d’une marge d’appréciation à cet égard ;

. que la peine n’apparaissait pas disproportionnée.

. que, eu égard aux fausses déclarations d’un témoin visant à protéger la requérante, le CSM pouvait, dans le prononcé de la peine, prendre en considération que la requérante avait eu recours à un tiers pour altérer les preuves du dossier.

C. La requête no 74041/13

27. Une troisième procédure disciplinaire fut ouverte à l’encontre de la requérante (procédure no 269/11) pour avoir prétendument demandé à l’inspecteur judiciaire, le juge F.M.J, au cours d’un entretien à huis clos, de ne pas poursuivre disciplinairement le témoin à sa décharge dans le cadre de la première procédure disciplinaire.

28. Le 21 décembre 2011 l’inspecteur judiciaire, le juge A.D.P.R., soumit son rapport final proposant l’application de la peine de révocation à la requérante, pour violation de son devoir d’honnêteté.

29. Dans son mémoire en défense, la requérante reconnut avoir eu un entretien à huis clos avec l’inspecteur judiciaire, niant toutefois lui avoir fait une telle demande.

30. Par une décision du 10 avril 2012, l’assemblée plénière du CSM condamna la requérante à une peine de 180 jours de suspension de l’exercice, pour violation de ses devoirs de loyauté et de correction.

31. La décision du 10 avril 2012 fut prise avec la présence de quatorze des dix-sept membres du CSM dont huit étaient des juges, y compris le président du CSM, et six étaient des non-juges. L’un des membres juges déposa une opinion dissidente, au motif que les faits avérés, compte tenu de leur gravité, mériteraient l’application d’une peine de retraite anticipée ou de révocation en vertu de l’article 95 du statut des magistrats de l’ordre judiciaire (paragraphe 38 ci-dessous).

32. À une date non précisée, la requérante attaqua cette décision devant la section du contentieux de la Cour suprême de justice, demandant la tenue d’une audience publique afin d’y présenter un témoin et des documents, dénonçant la requalification juridique des faits, la non-motivation du refus d’appliquer un sursis à exécution à la peine prononcée et le caractère disproportionné de la peine de suspension de l’exercice prononcée.

33. Par un arrêt du 8 mai 2013, la section du contentieux de la Cour suprême de justice confirma à l’unanimité l’arrêt du 10 avril 2012, en exposant ce qui suit :

. qu’il y avait lieu de rejeter la demande de la requérante en vue d’une audience publique étant donné qu’il ne lui appartenait pas de procéder au réexamen de l’établissement des faits et qu’elle se bornait aux termes de la loi à contrôler le respect par le CSM des principes et des règles régissant l’examen des preuves, notamment la cohérence et le caractère raisonnable du verdict portant sur l’établissement des faits ;

. que la requérante avait produit un long mémoire ce qui rendait inutile la tenue d’allégations en matière de droit sous forme orale ;

. que l’audition du témoin réclamée visait à déterminer quelle était la teneur du projet de décision portant sur l’affaire disciplinaire de la requérante, ce qui allait à l’encontre de la confidentialité de la procédure menant à la délibération finale ;

. que les documents présentés par la requérante dépassaient l’objet de la procédure disciplinaire ;

. que le CSM jouissait d’une large marge d’appréciation concernant les questions relevant du droit de la détermination de l’infraction disciplinaire définie en des termes larges dans le statut des juges et que la Cour suprême de justice ne pouvait modifier cette qualification juridique qu’en cas d’erreur manifeste ou grossière portant sur la gravité disciplinaire du comportement de la requérante ;

. que la Cour suprême de justice ne pouvait pas non plus revoir la peine appliquée mais uniquement décider si elle était adéquate à l’infraction et si elle n’était pas disproportionnée par rapport à l’infraction ;

. qu’elle n’avait pas le devoir de se prononcer quant au refus de surseoir de la peine disciplinaire appliquée étant donné que la procédure ne relevait pas du droit pénal et qu’aucune peine privative de liberté n’avait été appliquée.

34. Dans son arrêt du 8 mai 2013, la section du contentieux de la Cour suprême de justice s’exprima comme suit :

« L’admissibilité de la tenue d’une audience publique, à la demande d’un intéressé, dans le cadre de l’action administrative spéciale vouée à l’annulation d’un acte administratif, dépend de l’étendue des pouvoirs de contrôle de la Cour suprême de justice eu égard à l’établissement des faits. Il est évident qu’une audience orale destinée à produire des preuves et à la discussion des faits n’aurait du sens et de l’utilité que si la Cour suprême avait la possibilité d’exercer un double degré de juridiction sans restrictions sur tous les faits retenus par la décision attaquée. Dans cette hypothèse, la Cour suprême de justice formerait sa propre conviction sur les éléments de preuve et examinerait de nouvelles preuves, bien au-delà d’une démarche de légalité.

Or, comme il découle de la jurisprudence uniforme de cette section du contentieux, cette possibilité n’existe pas à la lumière du statut des magistrats de l’ordre judiciaire. »

35. Le 30 septembre 2014, l’assemblée plénière du Conseil supérieur de la magistrature ayant réalisé le cumul juridique des peines infligées (cúmulo jurídico das penas disciplinares aplicadas) à la requérante dans les trois procédures disciplinaires décrites ci-dessus, lui appliqua, à l’unanimité, une peine unique de 240 jours de suspension de l’exercice de ses fonctions.

36. La décision du 30 septembre 2014 est définitive et elle fut prise avec la présence de douze des dix-sept membres du CSM dont sept étaient des juges, y compris le président du CSM, et cinq étaient des non-juges. La peine disciplinaire de 240 jours de suspension de l’exercice des fonctions de la requérante fut mise en œuvre par les autorités nationales.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNE PERTINENTS

37. La Constitution de la République portugaise établit la composition du Conseil supérieur de la magistrature, composé de dix-sept membres, comme suit :

Article 218

« 1. Le Conseil supérieur de la magistrature, sous la présidence du Président de la Cour suprême de justice, est composé des membres suivants :

a) deux nommés par le Président de la République ;

b) sept élus par l’Assemblée de la République ;

c) sept juges élus par les juges (...)

(...) ».

Le règlement (Regimento) de l’Assemblée de la République no 1/2007 du 20 août 2007 se lit comme suit dans sa partie pertinente :

Article 257

« L’assemblée de la République procède à l’audition des candidats aux postes suivants (...) dont la nomination est de son ressort :

(...)

e) sept membres du Conseil supérieur de la magistrature ».

Le règlement du Conseil supérieur de la magistrature, publié le 27 avril 1993 dans le journal officiel (Diário da República), se lit comme suit dans sa partie pertinente :

Article 12

« 1. Les délibérations sont prises à la majorité des voix, avec la présence de la majorité du nombre légal des membres du Conseil supérieur de la magistrature, le président disposant d’une voix prépondérante.

(...) »

38. Les dispositions pertinentes de la loi no 21/85 du 30 juillet 1985, relative au statut des magistrats de l’ordre judiciaire (Estatuto dos Magistrados Judiciais), se lisent comme suit :

Article 85

« 1. Les magistrats sont soumis aux peines suivantes :

a) l’avertissement ;

b) l’amende ;

c) la mutation ;

d) la suspension de l’exercice ;

e) l’inactivité ;

f) la retraite anticipée ;

g) la révocation. »

Article 87

« L’amende est fixée en jours, pouvant aller de 5 à 90 jours. »

Article 89

« 1. Les peines de suspension de l’exercice et d’inactivité emportent un écartement complet du service tout au long de la durée de la peine.

2. La peine de suspension peut aller de vingt à deux cents quarante jours ».

Article 95

« 1. Les peines de retraite anticipée ou de révocation sont applicables lorsque le magistrat :

(...)

b) révèle un manque d’honnêteté (...) ».

Article 102

« L’amende est mise en œuvre par le prélèvement dans le salaire du magistrat du montant correspondant au nombre de jours appliqué. »

Article 110

« (...)

2. (...) [L]a procédure disciplinaire est écrite et ne dépend d’aucune formalité, hormis l’audience avec la possibilité de défense de l’accusé. »

Article 111

« Il incombe au Conseil supérieur de la magistrature l’instauration de procédures disciplinaires contre les juges. »

Article 113

« 1. La procédure disciplinaire est confidentielle jusqu’à la décision finale (...).

2. Sous demande motivée de l’accusé, [le CSM] peut lui remettre des copies du dossier pourvu qu’elles soient utiles à la défense d’intérêts légitimes. »

Article 115

« (...)

2. Le [juge] instructeur peut rejeter une demande d’audition de témoins (...) dès lors qu’il considère suffisantes les preuves produites. »

Article 120

« Pendant le délai imparti pour la présentation de la défense, l’accusé, son défenseur commis d’office ou son conseil peuvent consulter le dossier dans les locaux [du CSM]. »

Article 131

« Les normes régissant le statut des fonctionnaires (...) sont applicables à titre subsidiaire, aussi bien que le code pénal, le code de procédure pénale (...) »

Article 137

« 1. Le Conseil supérieur de la magistrature est présidé par le président de la Cour suprême de justice et composé des membres suivants :

a) Deux désignés par le Président de la République ;

b) Sept élus par le Parlement ;

c) Sept élus parmi et par les magistrats.

2. Le poste de membre du Conseil supérieur de la magistrature ne peut pas être refusé par les juges. »

Article 138

« 1. Le vice-président du Conseil supérieur de la magistrature est le juge de la Cour suprême de justice mentionné à l’alinéa 2 de l’article 141 et il exerce ses fonctions à plein temps.

(...) »

Article 141

« 1. L’élection des membres indiqués à l’alinéa c) de l’article 137 § 1 s’effectue à partir de listes établies par un minimum de 20 électeurs.

2. Les listes incluent un suppléant par rapport à chaque candidat effectif, chaque liste devant comporter un juge de la Cour suprême de justice, deux juges de la cour d’appel et un juge de chaque district judiciaire.

(...) »

Article 153

« 1. Il incombe au Président du Conseil supérieur de la magistrature de :

a) représenter le Conseil ;

b) exercer les fonctions déléguées par le Conseil, avec possibilité de subdélégation au vice-président ;

c) recevoir le serment du vice-président, des inspecteurs judiciaires et du secrétaire ;

d) diriger et coordonner les services d’inspection ;

e) élaborer, sous proposition du secrétaire, des circulaires ;

f) exercer les autres fonctions attribuées par la loi.

2. Le président peut déléguer au vice-président la compétence pour recevoir le serment des inspecteurs judiciaires et du secrétaire, aussi bien que les compétences prévues à l’alinéa d) et e). »

Article 168

« 1. Les décisions du Conseil supérieur de la magistrature sont susceptibles de recours devant la Cour suprême de justice.

2. Aux fins de l’examen du recours cité au paragraphe précédent, la Cour suprême de justice fonctionne par le biais d’une formation constituée du plus ancien de ses vice‑présidents, disposant d’une voix prépondérante, et d’un juge de chacune des sections, chacun nommé annuellement et successivement compte tenu de son ancienneté.

(...)

5. Les fondements du recours sont ceux prévus par la loi pour attaquer les actes du Gouvernement. »

Article 178

« Les normes régissant les recours contentieux formés devant la Cour administrative suprême sont applicables à titre subsidiaire. »

(...) »

39. L’article 3 § 2 de la loi no 58/2008 du 9 septembre 2008 régissant la discipline des fonctionnaires dispose:

« (...)

2. Les devoirs généraux des fonctionnaires sont :

a) le devoir de poursuite de l’intérêt général ;

(...)

d) le devoir d’information ;

(...)

g) le devoir de loyauté ;

h) le devoir de correction ;

(...) »

40. Le recours attaquant une décision du Conseil supérieur de la magistrature devant la section du contentieux de la Cour suprême de justice a pour objet l’annulation de la décision du CSM. Dans un arrêt du 15 décembre 2011, la section du contentieux de la Cour suprême de justice a considéré que ce recours était une « action administrative spéciale » (ação administrativa especial) par laquelle l’intéressé demande l’annulation, la déclaration de la nullité ou de l’inexistence juridique de l’acte administratif attaqué. Cette formation a considéré ce qui suit :

« (...)

La sauvegarde judiciaire des droits des administrés en vertu de l’article 268 § 4 de la Constitution supposant l’annulation de tout acte administratif censé leur porter préjudice, quelle que soit sa forme, doit être conforme à l’article 3 du code de procédure devant les tribunaux administratifs et fiscaux, selon lequel « dans le respect du principe de la séparation des pouvoirs, les tribunaux administratifs contrôlent la compatibilité de l’action de l’administration avec les dispositions et les principes juridiques qui la lient et non pas en fonction d’une appréciation d’opportunité ».

D’une part, on voit en cette nouvelle disposition un élargissement des compétences des tribunaux administratifs eu égard à la législation précédente mais, d’autre part, les pouvoirs de pleine juridiction dorénavant octroyés ne sauraient faire oublier les limitations inhérentes à la sauvegarde des pouvoirs discrétionnaires de l’administration. Or, les pouvoirs du CSM échappent au contrôle du tribunal lorsque [l’organe disciplinaire] statue sur une conduite prétendument incompatible avec le devoir de diligence d’un magistrat.

Sous une autre perspective, conduisant néanmoins au même résultat, l’instance du recours doit, sur la base d’une légalité au sens large, contrôler le respect de l’article 266 § 2 de la Constitution, en vertu duquel l’administration doit exercer ses pouvoirs respectant, entre autres, le principe de la proportionnalité, constituant en des termes simples une prohibition de l’excès (proibição do excesso). »

Dans un arrêt du 21 mars 2013, la Cour suprême de justice a statué comme suit sur la nature du contrôle exercé sur les décisions du CSM en matière disciplinaire :

« La suffisance des preuves et de l’établissement des faits qui motivent une décision punitive dans le cadre d’une procédure disciplinaire peuvent faire l’objet d’un recours contentieux (...)

Cependant, le contrôle de la suffisance des preuves ne constitue pas, dans le cadre d’un recours contentieux, un réexamen de celles-ci mais une appréciation de [l’éventuel] caractère raisonnable et de la cohérence du rapport entre, d’une part, les faits que l’entité administrative a établis et, et d’autre part, les preuves sur la base de son verdict (...).

La Cour suprême de justice ne procède pas au contrôle de l’examen et de l’appréciation des preuves. Elle se borne, dans une démarche de légalité, à apprécier la régularité de l’indication, du recueil et de la production des preuves. (...)

Il lui sied uniquement, compte tenu des preuves retenues dans le dossier, d’apprécier le caractère raisonnable du verdict final et de contrôler si l’entité administrative a examiné les faits recueillis par l’accusateur et les faits apportés par la défense, motivant dûment ce verdict.

(...) »

III. LES DOCUMENTS INTERNATIONAUX PERTINENTS

41. Les Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature, adoptés par le septième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui s’est tenu à Milan du 26 août au 6 septembre 1985, et confirmés par l’Assemblée générale dans ses résolutions 40/32 du 29 novembre 1985 et 40/146 du 13 décembre 1985 se lisent ainsi dans ses parties pertinentes :

« (...)

Mesures disciplinaires, suspension et destitution

17. Toute accusation ou plainte portée contre un juge dans l’exercice de ses fonctions judiciaires et professionnelles doit être entendue rapidement et équitablement selon la procédure appropriée. Le juge a le droit de répondre, sa cause doit être entendue équitablement. La phase initiale de l’affaire doit rester confidentielle, à moins que le juge ne demande qu’il en soit autrement.

(...)

19. Dans toute procédure disciplinaire, de suspension ou de destitution, les décisions sont prises en fonction des règles établies en matière de conduite des magistrats.

20. Des dispositions appropriées doivent être prises pour qu’un organe indépendant ait compétence pour réviser les décisions rendues en matière disciplinaire, de suspension ou de destitution. Ce principe peut ne pas s’appliquer aux décisions rendues par une juridiction suprême ou par le pouvoir législatif dans le cadre d’une procédure quasi judiciaire. »

42. La Charte européenne sur le statut des juges (Direction des affaires juridiques du Conseil de l’Europe, 8-10 juillet 1998, DAJ/DOC (98)23), en ses extraits pertinents, le chapitre 5 intitulé « Responsabilité », est ainsi libellé :

« 5.1. Le manquement par un juge ou une juge à l’un des devoirs expressément définis par le statut ne peut donner lieu à une sanction que sur la décision, suivant la proposition, la recommandation ou avec l’accord d’une juridiction ou d’une instance comprenant au moins pour moitié des juges élus, dans le cadre d’une procédure à caractère contradictoire où le ou la juge poursuivis peuvent se faire assister pour leur défense. L’échelle des sanctions susceptibles d’être infligées est précisée par le statut et son application est soumise au principe de proportionnalité. La décision d’une autorité exécutive, d’une juridiction ou d’une instance visée au présent point prononçant une sanction est susceptible d’un recours devant une instance supérieure à caractère juridictionnel. »

43. Le rapport sur les nominations judiciaires (CDL-AD(2007)028) de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), adopté lors de sa 70e session plénière (16-17 mars 2007) se lit comme suit :

« (...)

29. (...) Ainsi, une partie importante ou la majorité des membres du conseil de la magistrature devrait être élue par les magistrats eux-mêmes. Afin d’assurer la légitimité démocratique du conseil de la magistrature, les autres membres devraient être élus par le parlement parmi des personnes ayant les compétences juridiques appropriées, en tenant compte d’éventuels conflits d’intérêts.

(...) »

44. La Commission de Venise, dans son rapport sur l’indépendance du système judiciaire – Partie I : L’indépendance des juges, adopté lors de 82ème session plénière du 12-13 mars 2010 (CDL-AD (2010) 004), a adopté la conclusion suivante :

« (...)

« 6. Les conseils de la magistrature, ou les juridictions disciplinaires, devraient jouer un rôle déterminant dans les procédures disciplinaires. Il devrait être possible de faire appel des décisions des instances disciplinaires.

(...) »

45. La Commission de Venise résume son avis comme suit :

« (...)

32. En résumé, de l’avis de la Commission de Venise, il est approprié, pour garantir l’indépendance de la magistrature, qu’un conseil de la magistrature indépendant joue un rôle déterminant dans les décisions relatives à la nomination et à la carrière des juges. Du fait de la richesse de la culture juridique en Europe, qui est précieuse et doit être préservée, il n’existe pas de modèle unique applicable à tous les pays. Tout en respectant la diversité des systèmes juridiques, la Commission de Venise recommande aux États qui ne l’ont pas encore fait d’envisager de créer un conseil de la magistrature indépendant ou un organe similaire. La composition de ce conseil devrait, dans tous les cas, présenter un caractère pluraliste, les juges représentant une partie importante, sinon la majorité, de ses membres. À l’exception des membres de droit, ces juges devraient être élus ou désignés par leurs pairs.

(...) »

46. L’avis conjoint de la Commission de Venise et de la Direction des droits de l’homme (DHR) de la Direction générale des droits de l’homme et de l’État de droit (DGI) du Conseil de l’Europe sur le projet de loi portant révision de la loi sur la responsabilité disciplinaire des juges ordinaires et la procédure disciplinaire applicable aux juges ordinaires en Géorgie (CDL-AD(2014)032), adopté par la Commission de Venise lors de sa 100ème Session plénière (10-11 Octobre 2014), dans ses parties pertinentes, se lit comme suit :

« (...)

26. (...) [La] publicité devrait aussi être un principe général aux étapes suivantes de la procédure disciplinaire. (...) [L]e projet d’article 30, par. 4, en vertu duquel les « réunions du conseil de discipline ont lieu à huis clos » est problématique. D’abord, il est recommandé de tenir en général des réunions publiques et de n’autoriser qu’exceptionnellement le huis clos à la demande du juge et dans les circonstances prévues par la loi. Ensuite, le libellé de l’article 30, par. 4, ne permet pas de savoir clairement si la demande de publicité du juge, comme dans le cas de la procédure devant le Haut conseil judiciaire (...), constitue une dérogation au principe de confidentialité des réunions du conseil de discipline ou uniquement une information liée aux audiences (...) ».

47. L’avis de la Commission de Venise sur les lois relatives à la responsabilité disciplinaire et à l’évaluation des juges de « l’ex-République yougoslave de Macédoine » (CDL-AD(2015)042), adopté par la Commission de Venise lors de sa 105ème session plénière (18‑19 décembre 2015) se lit comme suit :

« (...)

62. Tout d’abord, la Commission de Venise attire l’attention des autorités sur son avis de 2014 relatif au projet de révision de la Constitution macédonienne. Dans cet avis, elle suggérait de modifier la proportion des membres magistrats et des membres non magistrats du Conseil de la magistrature pour accroître le nombre de ces derniers (c’est-à-dire, en substance, pour réduire le nombre des membres magistrats) et était favorable à l’idée de retirer au ministre de la Justice et au président de la Cour suprême le titre de membres de droit du Conseil.

(...)

77. La Commission de Venise rappelle le point de vue qu’elle a exprimé dans son avis sur le projet de loi relatif au Conseil supérieur des juges et des procureurs de la Bosnie-Herzégovine, où elle a souligné l’importance de « trouver le juste milieu entre la nécessité de protéger l’indépendance du CSJP (Conseil Supérieur des Juges et des Procureurs) et l’utilité d’en assurer le contrôle par une instance publique et d’éviter un mode de gestion corporatiste ». Si, dans cet avis, il est recommandé qu’une majorité de membres du conseil soit élue par le corps judiciaire, la Commission de Venise n’a jamais été favorable aux systèmes dans lesquels tous les membres sont élus par les magistrats. Étant donné que des pouvoirs très importants sont conférés au CEF (Conseil d’établissement des faits) en matière de discipline des magistrats, il est recommandé qu’une proportion importante de ses membres soit nommée par des organes élus démocratiquement, de préférence par le parlement, à la majorité qualifiée des voix. Cette dernière solution permettrait de renforcer la responsabilité démocratique du pouvoir judiciaire, tout en apportant une protection suffisante contre toute domination de cette instance par des représentants politiques.

(...)

91. Par ailleurs, l’article 54, paragraphe 2, laisse une large marge de manœuvre pour décider de ne pas tenir de procédures disciplinaires en public au nom de l’urgence ou de la confidentialité, ou pour respecter la dignité et la réputation du magistrat. À vrai dire, on pourrait faire valoir que de telles considérations s’appliquent à toute audition disciplinaire. L’intérêt du public à être dûment informé de l’avancée des procédures disciplinaires dans de nombreuses affaires doit l’emporter sur l’intérêt personnel du magistrat à préserver la confidentialité de certains détails. La loi doit établir clairement que l’intérêt d’un magistrat à préserver sa vie privée ne doit pas l’emporter en toutes circonstances et que le Conseil de la magistrature doit peser les différents intérêts lorsqu’il décide de donner suite ou non à une demande d’audition à huis clos introduite par un magistrat.

(...)

96. On ne comprend pas bien comment les membres du Conseil d’appel sont sélectionnés. Il semble que ce conseil soit formé au sein de la Cour suprême de manière ad hoc pour chaque cas d’espèce et qu’il soit composé de neuf juges, dont trois issus de la Cour suprême, quatre de cours d’appel et deux du tribunal d’origine du requérant. De l’avis de la Commission de Venise, il est très important que la composition de la juridiction d’appel soit prédéfinie par la loi. En règle générale, les décisions disciplinaires doivent être examinées par une instance judiciaire impartiale (Cour suprême de cassation, Cour suprême administrative, jurys de la Cour de cassation, etc.), dont la décision est entourée de toutes les garanties de la procédure judiciaire. Par conséquent, conférer ce pouvoir à une cour de justice permanente (et non pas à une instance ad hoc) serait préférable en l’espèce.

(...) »

48. La Recommandation CM/Rec(2010)12 du Comité des Ministres aux États membres sur les juges : indépendance, efficacité et responsabilités (adoptée par le Comité des Ministres le 17 novembre 2010, lors de la 1098e réunion des Délégués des Ministres) se lit comme suit dans ses parties pertinentes :

« (...)

Chapitre IV – Conseils de la justice

26. Les conseils de la justice sont des instances indépendantes, établies par la loi ou la Constitution, qui visent à garantir l’indépendance de la justice et celle de chaque juge et ainsi promouvoir le fonctionnement efficace du système judiciaire.

27. Au moins la moitié des membres de ces conseils devraient être des juges choisis par leurs pairs issus de tous les niveaux du pouvoir judiciaire et dans le plein respect du pluralisme au sein du système judiciaire.

28. Les conseils de la justice devraient faire preuve du plus haut niveau de transparence envers les juges et la société, par le développement de procédures préétablies et la motivation de leurs décisions.

(...)

Chapitre VI – Statut du juge

Sélection et carrière

46. L’autorité compétente en matière de sélection et de carrière des juges devrait être indépendante des pouvoirs exécutif et législatif. Pour garantir son indépendance, au moins la moitié des membres de l’autorité devraient être des juges choisis par leurs pairs.

Chapitre VII – Devoirs et responsabilités

(...)

Responsabilité et procédures disciplinaires

(...)

69. Une procédure disciplinaire peut être exercée à l’encontre des juges qui ne s’acquittent pas de leurs obligations de manière efficace et adéquate. Cette procédure devrait être conduite par une autorité indépendante ou un tribunal avec toutes les garanties d’un procès équitable et accorder aux juges le droit d’exercer un recours contre la décision et la sanction. Les sanctions disciplinaires devraient être proportionnelles à la faute commise.

(...) »

49. Le Conseil consultatif de juges européens a adopté, lors de sa 11e réunion plénière (17-19 novembre 2010), une Magna Carta des juges (principes fondamentaux) synthétisant et codifiant les principales conclusions des Avis qu’il a déjà adoptés. Ce texte dispose notamment :

« 13. Pour assurer l’indépendance des juges, chaque État doit créer un Conseil de la Justice ou un autre organe spécifique, lui-même indépendant des pouvoirs exécutif et législatif, doté des prérogatives les plus étendues pour toute question relative au statut des juges, ainsi qu’à l’organisation, au fonctionnement et à l’image des institutions judiciaires. Le Conseil doit être composé soit exclusivement de juges, soit au moins d’une majorité substantielle de juges élus par leurs pairs. Le Conseil de la Justice est tenu de rendre compte de ses activités et de ses décisions. »

50. La recommandation no 6 du rapport d’évaluation du Portugal du Groupe d’États contre la corruption (GRECO), adoptée le 4 décembre 2015, se lit comme suit :

« (...)

vi. i) renforcer le rôle des conseils du pouvoir judiciaire en tant que garants de l’indépendance des juges et de l’appareil judiciaire, notamment en inscrivant dans la loi qu’au moins la moitié de leurs membres doivent être des juges choisis par leurs pairs.

(...) ».

EN DROIT

I. SUR LA JONCTION DES REQUÊTES

51. Compte tenu de la similarité factuelle et juridique des requêtes, la Cour décide de les joindre, comme le lui permet l’article 42 § 1 du règlement.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

52. La requérante allègue la violation de son droit à un tribunal indépendant et impartial, de son droit au réexamen des faits établis par le Conseil supérieur de la magistrature, ainsi que de son droit à la tenue d’une audience publique tels que prévus par l’article 6 de la Convention. Elle se plaint en outre que, compte tenu de la requalification des faits opérée par le Conseil supérieur de la magistrature, elle n’a pas été informée de manière détaillée de l’accusation portée contre elle et qu’elle n’a pas disposé, en conséquence, du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense. L’article 6 de la Convention est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement (...), par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) »

A. Sur la recevabilité

53. Aux yeux du Gouvernement, pour ce qui est de l’applicabilité du volet civil de l’article 6 de la Convention, il n’existe aucun grief défendable tiré d’une contestation sur un droit civil de la requérante. S’agissant de l’amende et de la suspension de l’exercice, il observe que les sanctions disciplinaires infligées à la requérante n’ont pas eu pour effet de la mettre dans l’impossibilité permanente et définitive d’exercer sa profession. Pour ce qui est de l’applicabilité du volet pénal de l’article 6, il note que les infractions prétendument commises par la requérante sont des fautes professionnelles : les sanctions lui ayant été appliquées à l’aboutissement des procédures disciplinaires sont par conséquent des sanctions disciplinaires « classiques », dépourvues du degré de gravité d’une sanction au pénal.

54. Le Gouvernement en conclut que l’article 6 n’est applicable en l’espèce, ni sous son volet civil ni sous son volet pénal.

55. La requérante combat cette thèse. À ses yeux, l’applicabilité de l’article 6 de la Convention, sous son volet civil, ne se borne pas aux hypothèses de sanctions du type de la révocation. Elle observe qu’en l’espèce les sanctions lui ayant été infligées l’ont privée de son traitement et l’ont mise dans l’impossibilité temporaire de travailler ; elle affirme en outre que la loi interne lui permet d’attaquer ces sanctions devant la Cour suprême de justice. S’agissant du volet pénal de l’article 6, la requérante estime que, indépendamment de la qualification opérée par le droit interne, ce qui est décisif pour l’applicabilité de cette disposition est la sévérité de la sanction susceptible d’être appliquée. À son avis, la peine de révocation étant en jeu et compte tenu de la sévérité de la peine unique de 240 jours de suspension, le caractère pénal de l’accusation est bien fondé.

56. La requérante en conclut que toutes les conditions de l’applicabilité et du volet civil et du volet pénal de l’article 6 sont remplies en l’espèce.

1. Sur l’application du volet civil de l’article 6 § 1

57. En ce qui concerne tout d’abord l’applicabilité de l’article 6 à la procédure judiciaire en cause, la Cour rappelle que cette disposition s’applique sous son volet civil aux « contestations » relatives à des « droits » de « caractère civil » que l’on peut prétendre, au moins de manière défendable, reconnus en droit interne, qu’ils soient ou non protégés de surcroît par la Convention. Il doit s’agir d’une contestation réelle et sérieuse, qui peut concerner aussi bien l’existence même d’un droit que son étendue ou ses modalités d’exercice. De plus, l’issue de la procédure doit être directement déterminante pour le droit en question, un lien ténu ou des répercussions lointaines ne suffisant pas à faire entrer en jeu l’article 6 § 1 (Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 74, CEDH 2009, et Boulois c. Luxembourg [GC], no 37575/04, § 90, CEDH 2012).

58. En l’espèce, la procédure litigieuse portait sur la contestation par la requérante des décisions du CSM lui appliquant des sanctions à l’issue de trois procédures disciplinaires. En ce qui concerne tout d’abord l’existence d’un « droit », la Cour accepte que les procédures litigieuses étaient déterminantes pour les droits de la requérante dans la mesure où celles-ci auraient pu aboutir, si les juridictions internes avaient fait droit aux recours de l’intéressée, à l’annulation des peines disciplinaires appliquées par le CSM.

59. Quant au caractère « civil » d’un tel droit au sens de l’article 6, la Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, les litiges opposant l’État à ses fonctionnaires entrent en principe dans le champ d’application de l’article 6, sauf si deux conditions cumulatives sont remplies. En premier lieu, le droit interne de l’État concerné doit avoir expressément exclu l’accès à un tribunal pour le poste ou la catégorie de salariés en question. En second lieu, cette dérogation doit reposer sur des motifs objectifs liés à l’intérêt de l’État (Vilho Eskelinen et autres c. Finlande [GC], no 63235/00, § 62, CEDH 2007-IV).

60. En l’espèce, force est de constater que la première de ces conditions ne se trouve pas remplie. Le droit interne prévoit en effet la possibilité pour les personnes ayant un intérêt à agir d’introduire un recours judiciaire devant la Cour suprême de justice pour contester la légalité de la décision du CSM de punir disciplinairement un juge (paragraphe 42 ci-dessus). Cette possibilité était applicable au cas de la requérante, qui a effectivement introduit un tel recours en vertu de l’article 168 de la loi no 21/85 du 30 juillet 1985. La première condition du test Vilho Eskelinen n’est donc pas remplie et, partant, l’article 6 trouve à s’appliquer dans son volet civil (comparer Olujić c. Croatie, no 22330/05, §§ 31-45, 5 février 2009, et Oleksandr Volkov c. Ukraine, no 21722/11, § 91, CEDH 2013).

61. Cette disposition exigeait par conséquent que la requérante ait accès à un tribunal qui statue sur la contestation concernant ses droits et obligations de caractère civil dans le respect des garanties de l’article 6 § 1. La Cour rappelle toutefois que la conclusion quant à l’applicabilité de l’article 6 ne préjuge en rien de la réponse à la question de savoir comment les diverses garanties attachées à cet article, notamment s’agissant de l’étendue du contrôle requis des tribunaux nationaux, doivent s’appliquer à un litige qui, comme en l’espèce, concerne des fonctionnaires (Vilho Eskelinen et autres, précité, § 64).

2. Sur l’application du volet pénal de l’article 6 § 1

62. Compte tenu de l’applicabilité du volet civil de l’article 6 § 1 de la Convention, la Cour ne juge pas nécessaire d’examiner si le volet pénal de cette disposition tient à s’appliquer en l’espèce. Elle décide donc de ne pas connaître des griefs tirés dudit volet pénal.

3. Conclusion

63. La Cour constate que les griefs tirés de l’indépendance et de l’impartialité des juridictions, de l’étendue du contrôle exercé par la Cour suprême de justice, et de l’absence d’une audience publique ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle les déclare donc recevables.

B. Sur le fond

1. Thèse de la requérante

64. La requérante fait d’abord valoir que la composition du Conseil supérieur de la magistrature, sous la présidence du président de la Cour suprême de justice, ne répond pas aux exigences d’un « tribunal indépendant ». Elle observe qu’en vertu de l’article 218 § 1 de la Constitution deux de ses membres sont nommés par le Président de la République, sept d’entre eux sont élus par l’Assemblée de la République et que seulement huit des dix-sept membres du CSM sont des juges, dont le président de la Cour suprême de justice et du Conseil supérieur de la magistrature.

65. Quant à l’étendue du contrôle exercé par la Cour suprême de justice, la requérante soutient que la section du contentieux de celle-ci s’est limitée à adhérer systématiquement, par un procédé de copier-coller, aux arguments développés par le Conseil supérieur de la magistrature. Elle met en exergue la nature du recours devant la Cour suprême de justice : un recours en « légalité » (de mera legalidade) et non de « pleine juridiction » (de plena jurisdição), sans possibilité de réexamen de l’établissement des faits réalisé par le CSM, ni même d’une révision effective de la peine disciplinaire appliquée.

66. S’agissant de l’exigence d’audience publique, la requérante note qu’elle a expressément demandé au Conseil supérieur de la magistrature et à la Cour suprême de justice la tenue d’une audience, qu’elle considérait justifiée au vu de la nature non technique des questions soulevées notamment dans la requête no 74041/13 et de la divergence quant à l’établissement des faits ayant trait à la teneur des propos lui étant reprochés. Aux yeux de la requérante, il existe des doutes objectivement justifiés portant sur l’impartialité de la section du contentieux de la Cour suprême de justice. Elle observe que le CSM exerce des compétences disciplinaires à l’égard des juges de la Cour suprême de justice, ce qui n’est pas le cas vis-à-vis des juges de la Cour administrative suprême, laquelle, pour cette raison, serait plus à même de connaître des recours portant sur les procédures disciplinaires des juges de l’ordre judiciaire. Pour la requérante, le fait que le CSM désigne, apprécie, et exerce des pouvoirs disciplinaires à l’égard des juges de l’ordre judiciaire soulève des doutes quant à l’impartialité des juges de la Cour suprême de justice lorsque ceux-ci ont à trancher dans le cadre d’affaires disciplinaires, étant appelés à annuler ou confirmer des décisions de leur propre organe disciplinaire.

2. Thèse du Gouvernement

67. Pour ce qui est de la composition du Conseil supérieur de la magistrature, le Gouvernement reconnait que cet organe est constitué de huit juges (y compris le président, avec voix prépondérante) et de neuf membres non-juges. Toutefois, il met en exergue que l’intervention du président du CSM peut compenser les conséquences de la minorité des juges. S’agissant des craintes de la requérante quant à un défaut d’impartialité de la section du contentieux de la Cour suprême de justice, le Gouvernement soutient que la composition de cette formation est déterminée par la loi sur la base de l’ancienneté des juges et de leur appartenance à une section donnée, et non sur celle de la volonté du président de la Cour suprême de justice. Il observe en outre que lorsque cette formation examine des recours introduits contre les décisions du Conseil supérieur de la magistrature le président de la Cour suprême de justice n’y siège pas.

68. Concernant l’étendue des pouvoirs de la section du contentieux de la Cour suprême de justice, le Gouvernement soutient qu’il ne sied pas à la haute juridiction d’empiéter sur les pouvoirs discrétionnaires de l’administration. Comme l’a dit la Cour suprême de justice dans son arrêt du 15 décembre 2011, il n’est pas de son ressort de contrôler l’appréciation que le Conseil supérieur de la magistrature a réalisée du comportement d’un juge au regard de son devoir de poursuite de l’intérêt général. De surcroît, la Cour suprême de justice ne réexamine pas les preuves : elle se borne à contrôler leur suffisance pour justifier les conclusions tirées par le Conseil supérieur de la magistrature, c’est-à-dire, le caractère raisonnable du verdict sur l’établissement des faits (arrêt de la Cour suprême de justice du 21 mars 2013).

69. Eu égard à la tenue d’une audience publique (question soulevée par la requête no 74041/13), le Gouvernement reconnait que la pratique de la Cour suprême de justice n’applique pas cette démarche. Il observe néanmoins qu’en l’absence de la possibilité du réexamen des preuves la tenue d’une audience ne revêt aucune utilité pour le déroulement de la procédure. Il note par ailleurs qu’en l’espèce la Cour suprême de justice a considéré que les circonstances particulières de l’affaire n’exigeaient pas la tenue d’une audience publique.

3. Appréciation de la Cour

a) Sur l’indépendance et l’impartialité des instances saisies

70. Pour établir si un tribunal peut passer pour « indépendant » aux fins de l’article 6 § 1, il faut prendre en compte, notamment, le mode de désignation et la durée du mandat de ses membres, l’existence d’une protection contre les pressions extérieures et le point de savoir s’il y a ou non apparence d’indépendance (Findlay c. Royaume-Uni, 25 février 1997, § 73, Recueil des arrêts et décisions 1997-I, et Brudnicka et autres c. Pologne, no 54723/00, § 38, CEDH 2005-II). La Cour rappelle le rôle croissant de la notion de séparation du pouvoir exécutif et de l’autorité judiciaire dans sa jurisprudence (Stafford c. Royaume-Uni [GC], no 46295/99, § 78, CEDH 2002-IV, et Saghatelyan c. Arménie, no 7984/06, § 43, 20 octobre 2015). Cela étant, ni l’article 6 ni aucune autre disposition de la Convention n’oblige les États à se conformer à telle ou telle notion constitutionnelle théorique concernant les limites admissibles à l’interaction entre l’un et l’autre (Kleyn et autres c. Pays-Bas [GC], nos 39343/98, 39651/98, 43147/98 et 46664/99, § 193, CEDH 2003-VI).

71. L’impartialité se définit d’ordinaire par l’absence de préjugé ou de parti pris. Selon la jurisprudence constante de la Cour, aux fins de l’article 6 § 1, l’impartialité doit s’apprécier selon une démarche subjective, en tenant compte de la conviction personnelle et du comportement de tel juge, c’est-à-dire du point de savoir si celui-ci a fait preuve de parti pris ou préjugé personnel en telle occasion, et aussi selon une démarche objective consistant à déterminer si le tribunal offrait, notamment à travers sa composition, des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à son impartialité (voir, entre autres, Fey c. Autriche, 24 février 1993, §§ 27, 28 et 30, série A no 255-A, et Wettstein c. Suisse, no 33958/96, § 42, CEDH 2000‑XII).

72. La frontière entre l’impartialité subjective et l’impartialité objective n’est cependant pas hermétique car non seulement la conduite même d’un juge peut, du point de vue d’un observateur extérieur, entraîner des doutes objectivement justifiés quant à son impartialité (démarche objective) mais elle peut également toucher à la question de sa conviction personnelle (démarche subjective) (Kyprianou c. Chypre [GC], no 73797/01, § 119, CEDH 2005‑XIII). Ainsi, dans des cas où il peut être difficile de fournir des preuves permettant de réfuter la présomption d’impartialité subjective du juge, la condition d’impartialité objective fournit une garantie importante de plus (Pullar c. Royaume-Uni, 10 juin 1996, § 32, Recueil 1996-III).

73. En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l’importance ou, comme le dit un adage anglais « justice must not only be done, it must also be seen to be done » (il faut non seulement que justice soit faite, mais aussi qu’elle le soit au vu et au su de tous). Il y va de la confiance que les tribunaux d’une société démocratique se doivent d’inspirer aux justiciables (Oleksandr Volkov c. Ukraine, no 21722/11, § 106, CEDH 2013, et Morice c. France [GC], no 29369/10, § 78, CEDH 2015).

74. Enfin, les concepts d’indépendance et d’impartialité objective sont étroitement liés et, selon les circonstances, peuvent appeler un examen conjoint (Sacilor-Lormines c. France, no 65411/01, § 62, CEDH 2006‑XIII). Eu égard aux faits de la présente affaire, la Cour juge qu’il y a lieu d’examiner conjointement les questions de l’indépendance et de l’impartialité (Oleksandr Volkov, précité, §§ 103-107).

75. La Cour a déjà dit que la présence parmi les membres d’un tribunal de magistrats occupant au moins la moitié des sièges, dont celui de président avec voix prépondérante, donne un gage certain d’impartialité (Le Compte, Van Leuven et De Meyere c. Belgique, 23 juin 1981, § 58, série A no 43, et Oleksandr Volkov, précité, § 109). Il y a lieu de noter qu’en ce qui concerne les procédures disciplinaires dirigées contre des juges, la nécessité qu’un nombre important des membres de l’organe disciplinaire soient eux-mêmes juges est reconnue par la Charte européenne sur le statut des juges (paragraphe 42 ci-dessus) aussi bien que par les avis de la Commission de Venise (paragraphe 43 ci-dessus). La Cour note que la Recommandation CM/Rec(2010)12 du Comité des Ministres aux États membres du Conseil de l’Europe sur les juges, adoptée par le Comité des Ministres le 17 novembre 2010, recommande que l’autorité compétente en matière de sélection et de carrière des juges soit indépendante des pouvoirs exécutif et législatif. Pour garantir son indépendance, au moins la moitié des membres de l’autorité devraient être des juges choisis par leurs pairs (paragraphe 38 ci-dessus). Elle note de surcroît la recommandation no 6 du rapport d’évaluation du Portugal du Groupe d’États contre la corruption (GRECO), adoptée le 4 décembre 2015, d’inscrire dans la loi qu’au moins la moitié des membres du CSM doivent être des juges choisis par leurs pairs (paragraphe 48 ci-dessus). Le Conseil consultatif de juges européens a adopté, lors de sa 11e réunion plénière (17-19 novembre 2010), une Magna Carta des juges, qui dispose notamment que le Conseil doit être composé soit exclusivement de juges, soit au moins d’une majorité substantielle de juges élus par leurs pairs (paragraphe 49 ci-dessus).

76. Pour les besoins des présentes requêtes, la Cour examinera les griefs de la requérante portant sur l’indépendance et l’impartialité du Conseil supérieur de la magistrature à la lumière des principes susmentionnés.

77. La Cour note que, en vertu de l’article 218 § 1 de la Constitution, le Conseil supérieur de la magistrature est composé de dix-sept membres nommés par différents organes. Il faut souligner ici que deux de ces membres sont nommés directement par le Président de la République, sept autres par l’Assemblée de la République, et sept autres élus par les juges parmi leurs pairs. Comme l’observe le Gouvernement, le CSM dans sa composition normale est constitué de huit juges (dont le président qui dispose d’une voix prépondérante) et de neuf membres non-juges (paragraphe 37 ci-dessus). Aux yeux de la Cour, il s’ensuit que l’effet des principes régissant la composition de ce conseil a été qu’il peut être constitué en majorité de membres non judiciaires nommés directement par les autorités exécutives et législatives.

78. L’analyse du procès-verbal des délibérations du Conseil supérieur de la magistrature du 10 janvier 2012 amène la Cour à constater que, parmi les quinze membres du Conseil supérieur de la magistrature qui ont tranché l’affaire de la requérante (portant sur la requête no 57728/13), six seulement étaient des juges (paragraphe 15 ci-dessus). La Cour remarque en outre que la délibération du 11 octobre 2011 a été prise avec la présence de douze des dix-sept membres du CSM, dont sept étaient des juges, y compris le président du CSM, et cinq étaient des non-juges (paragraphe 24 ci-dessus) et que celle du 10 avril 2012 a été prise elle aussi avec une majorité de membres juges du fait de l’absence d’un nombre important des membres non-juges du CSM (paragraphe 31 ci-dessus)[2]. La décision du 30 septembre 2014 fut prise avec la présence de douze des dix-sept membres du CSM dont sept étaient des juges, y compris le président du CSM, et cinq étaient des non-juges, la majorité de juges étant due à l’absence de quatre membres non-juges (paragraphe 36 ci-dessus).

79. La Cour conclut que si, dans la plupart des cas, les juges formaient une majorité des membres de la formation qui a examiné l’affaire de la requérante, lors des délibérations du 10 janvier 2012 ils en ont pourtant été minoritaires. La Cour estime que cette situation, au sein du Conseil supérieur de la magistrature portugais, est problématique au regard de l’article 6 § 1 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Oleksandr Volkov, précité, § 111)[3]. Elle note par ailleurs avec appréhension que, dans le système juridique portugais, la loi ne formule aucune exigence particulière portant sur la qualification des membres non-juges du CSM.

80. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que l’indépendance et l’impartialité du Conseil supérieur de la magistrature peuvent être sujettes à caution.

b) Sur l’étendue du contrôle exercé par la Cour suprême de justice

81. Le droit interne prévoit en l’espèce la possibilité d’obtenir, au moyen d’un recours en annulation, le contrôle judiciaire de la légalité de la décision du CSM d’infliger une peine disciplinaire à un juge. La Cour doit donc vérifier si la procédure à laquelle la requérante a eu accès a respecté les exigences de l’article 6 de la Convention.

82. La Cour rappelle d’emblée qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes. C’est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne (voir, parmi d’autres, Nejdet Şahin et Perihan Şahin c. Turquie [GC], no 13279/05, § 49, 20 octobre 2011). La Cour n’est pas une instance d’appel des juridictions nationales et il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par ces juridictions, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999‑I). De même, il ne lui revient pas, en principe, de comparer les diverses décisions rendues, même dans des litiges de prime abord voisins ou connexes, par des tribunaux dont l’indépendance s’impose à elle (Nejdet Şahin et Perihan Şahin, précité, § 50). Dès lors, dans la présente espèce, il n’appartient pas à la Cour, dans le contexte de l’article 6, de rechercher si les décisions du CSM de punir la requérante étaient régulières en droit interne. La tâche de la Cour consistera à vérifier si la Cour suprême de justice a opéré un contrôle juridictionnel d’une étendue suffisante.

83. Pour satisfaire aux exigences de l’article 6 § 1, le « tribunal » visé par cette disposition doit avoir compétence pour se pencher sur toutes les questions de fait et de droit pertinentes pour le litige dont il se trouve saisi (Terra Woningen B.V. c. Pays-Bas, 17 décembre 1996, § 52, Recueil 1996-VI, Chevrol c. France, no 49636/99, § 77, CEDH 2003‑III, et I.D. c. Bulgarie, no 43578/98, § 45, 28 avril 2005). L’article 6 exige par ailleurs que les juridictions internes indiquent de manière suffisante les motifs sur lesquels elles se fondent. Sans exiger une réponse détaillée à chaque argument du plaignant, cette obligation présuppose que la partie à une procédure judiciaire puisse s’attendre à une réponse spécifique et explicite aux moyens décisifs pour l’issue de la procédure en cause (voir, parmi d’autres, Ruiz Torija c. Espagne, 9 décembre 1994, §§ 29-30, série A no 303‑A).

84. Dans la présente espèce, la Cour suprême de justice était compétente pour contrôler la légalité de la décision litigieuse par laquelle le CSM avait appliqué des peines disciplinaires à la requérante. Dans le cadre du contrôle de légalité, elle pouvait contrôler la validité des preuves, la suffisance et la cohérence de l’établissement des faits, aussi bien que le caractère raisonnable et proportionnel de la décision punitive. La haute juridiction pouvait ainsi annuler la décision pour plusieurs motifs d’illégalité liés aux exigences de procédure ou de fond prévues par la loi et renvoyer le dossier au CSM afin qu’il se prononce de nouveau en conformité avec les directives que la Cour suprême de justice aurait pu formuler concernant les irrégularités éventuellement constatées (paragraphe 40 ci-dessus). En droit portugais, la Cour suprême de justice n’était pas compétente pour procéder au réexamen de l’établissement des faits par le CSM. En particulier, la Cour suprême de justice ne pouvait pas non plus revoir la peine appliquée mais uniquement décider si elle était adéquate à l’infraction et si elle n’était pas disproportionnée à son égard (paragraphe 33 ci-dessus).

85. La présente affaire doit donc être rapprochée des situations dans lesquelles les juridictions nationales n’avaient pas été en mesure ou avaient refusé d’examiner une question centrale du litige parce qu’elles s’estimaient liées par les constatations de fait ou de droit des autorités administratives et ne pouvaient procéder à un examen indépendant de ces questions (Terra Woningen B.V., précité, §§ 46 et 50-55, Obermeier c. Autriche, 28 juin 1990, §§ 66-70, série A no 179, Tsfayo c. Royaume-Uni, no 60860/00, § 48, 14 novembre 2006, Chevrol, précité, § 78, I.D. c. Bulgarie, précité, §§ 50‑55, Capital Bank AD c. Bulgarie, no 49429/99, §§ 99-108, CEDH 2005‑XII (extraits), et Fazliyski c. Bulgarie, no 40908/05, § 59, 16 avril 2013).

86. En l’espèce, la question qui se pose est celle de savoir si la Cour suprême de justice a effectué un contrôle d’une étendue suffisante sur le pouvoir disciplinaire exercé par le CSM. La requérante conteste les faits tels qu’ils ont été établis par le CSM. Elle dit non seulement qu’elle n’a pas traité le juge H.G. de « menteur » et qu’au cours de son entretien avec le juge F.M.J. elle ne lui a pas demandé le retrait des poursuites contre le témoin qu’elle avait indiqué. Dans les deux situations, il s’agissait de points de fait essentiels pour l’aboutissement des deux procédures disciplinaires à son encontre. La requérante n’a jamais eu la possibilité de voir la Cour suprême de justice réexaminer ces faits décisifs (Tsfayo, précité, § 48), le premier desquels par ailleurs a prêté à controverse entre les membres du CSM (paragraphe 16 ci-dessus). De ce fait, la Cour note que la Cour suprême de justice s’était limitée à un simple contrôle de légalité sur le terrain de l’établissement des faits (voir, a contrario, A. Menarini Diagnostics S.r.l. c. Italie, no 43509/08, § 64, 27 septembre 2011). Il ressort de la manière dont la Cour suprême de justice est parvenue à sa décision dans l’affaire de la requérante ainsi que de l’objet du litige qu’elle n’a pas dûment examiné d’importants arguments avancés par l’intéressée (voir, mutatis mutandis, Oleksandr Volkov, précité, § 127).

87. Pour ce qui est du contrôle en matière de droit, la Cour note que, aux yeux de la Cour suprême de justice, les pouvoirs du CSM échappent au contrôle du tribunal lorsque l’organe disciplinaire statue sur une conduite prétendument incompatible avec le devoir de diligence d’un magistrat. De plus, le Gouvernement, sur l’étendue des pouvoirs de la section du contentieux de la Cour suprême de justice, soutient qu’il ne sied pas à la haute juridiction d’empiéter sur les pouvoirs discrétionnaires de l’administration (paragraphe 40 ci-dessus). La Cour remarque que l’instance du recours contrôle, sur la base d’une légalité au sens large, le respect de l’article 266 § 2 de la Constitution, en vertu duquel l’administration doit exercer ses pouvoirs en respectant, entre autres, le principe de la prohibition de l’excès (paragraphe 40 ci-dessus). La Cour en conclut que la Cour suprême de justice a une conception restrictive de l’étendue de ses propres pouvoirs de contrôle de l’activité disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature.

88. La pratique judiciaire développée dans ce domaine est révélatrice (paragraphes 33 et 40 ci-dessus). Les considérations précédentes indiquent donc en fait que les conséquences juridiques découlant du contrôle fait par la Cour suprême de justice de ces questions sont limitées, et ne font que renforcer les doutes de la Cour quant à sa capacité de régler la question de manière effective et de procéder à un contrôle suffisant de l’affaire (voir, mutatis mutandis, Oleksandr Volkov, précité, § 126).

89. La Cour considère donc que le contrôle effectué par la Cour suprême de justice dans l’affaire de la requérante n’était pas suffisant.

c) Sur l’absence d’une audience publique (requête no 74041/13)

90. La requérante se plaint du fait que les affaires n’ont pas été entendues au cours d’une audience publique ce qui a méconnu son droit à un procès équitable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. Elle invoque à l’appui de sa thèse la nature non technique des questions soulevées notamment dans la requête no 74041/13 et la divergence quant à l’établissement des faits ayant trait à la teneur des propos lui étant reprochés.

91. Le Gouvernement combat cette thèse.

92. La Cour rappelle que la publicité de la procédure judiciaire constitue un principe fondamental consacré par l’article 6 § 1 de la Convention. Elle protège les justiciables contre une justice secrète échappant au contrôle du public et constitue ainsi l’un des moyens qui contribuent à la préservation de la confiance dans les tribunaux. Par la transparence qu’elle donne à l’administration de la justice, elle aide à atteindre le but de l’article 6 § 1 : le procès équitable, dont la garantie compte parmi les principes fondamentaux de toute société démocratique (Diennet c. France, 26 septembre 1995, § 33, série A no 325‑A, B. et P. c. Royaume-Uni, nos 36337/97 et 35974/97, § 36, CEDH 2001‑III, Olujić, précité, § 70, Martinie c. France [GC], no 58675/00, § 39, CEDH 2006‑VI, et Nikolova et Vandova c. Bulgarie, no 20688/04, § 67, 17 décembre 2013).

93. L’article 6 § 1 ne fait cependant pas obstacle à ce que les juridictions décident, au vu des particularités de la cause soumise à leur examen, de déroger à ce principe : aux termes mêmes de cette disposition, « (...) l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice » ; le huis clos, qu’il soit total ou partiel, doit alors être strictement commandé par les circonstances de l’affaire (Diennet, § 34, Martinie, § 40, Olujić, § 71, et Nikolova et Vandova, § 68, arrêts précités).

94. Concernant les procédures disciplinaires contre des juges, la Cour rappelle qu’il est recommandé de tenir en général des réunions publiques et de n’autoriser qu’exceptionnellement le huis clos à la demande du juge et dans les circonstances prévues par la loi. Elle rappelle également que la publicité devrait aussi être un principe général aux étapes suivantes de la procédure disciplinaire et que le fait que les « réunions du conseil de discipline ont lieu à huis clos » est problématique (paragraphe 46 ci-dessus).

95. L’article 6 n’exige pas nécessairement la tenue d’une audience dans toutes les procédures. Tel est notamment le cas pour les affaires ne soulevant pas de question de crédibilité ou ne suscitant pas de controverse sur les faits qui auraient requis une audience, et pour lesquelles les tribunaux peuvent se prononcer de manière équitable et raisonnable sur la base des conclusions présentées par les parties et d’autres pièces (voir, par exemple, Döry c. Suède, no 28394/95, § 37, 12 novembre 2002, Pursiheimo c. Finlande (déc.), no 57795/00, 25 novembre 2003, et Şahin Karakoç c. Turquie, no 19462/04, § 36, 29 avril 2008). Partant, la Cour ne saurait conclure, même dans l’hypothèse d’une juridiction investie de la plénitude de juridiction, que l’article 6 implique toujours le droit à une audience publique, indépendamment de la nature des questions à trancher. D’autres considérations, dont le droit à un jugement dans un délai raisonnable et la nécessité en découlant d’un traitement rapide des affaires inscrites au rôle, entrent en ligne de compte pour déterminer si des débats publics sont nécessaires (Varela Assalino c. Portugal (déc.), no 64336/01, 25 avril 2002). La Cour a ainsi déjà considéré que des procédures consacrées exclusivement à des points de droit ou hautement techniques peuvent remplir les conditions de l’article 6 même en l’absence de débats publics (Jurisic et Collegium Mehrerau c. Autriche, no 62539/00, § 65, 27 juillet 2006, et Mehmet Emin Şimşek c. Turquie, no 5488/05, §§ 30-31, 28 février 2012).

96. En l’espèce, la requérante a attaqué la décision du 10 avril 2012 du CSM devant la section du contentieux de la Cour suprême de justice, demandant la tenue d’une audience publique afin d’y présenter un témoin et des documents. Pour ce qui est de l’éventuelle protection de la dignité de la requérante, la Cour souligne que celle-ci a demandé, elle-même, la tenue d’une audience publique (Olujić, précité, § 74). La Cour rappelle par ailleurs que, selon les éléments disponibles du droit international, l’intérêt du public à être dûment informé de l’avancée des procédures disciplinaires dans de nombreuses affaires doit l’emporter sur l’intérêt personnel du magistrat à préserver la confidentialité de certains aspects de la procédure (paragraphe 47 ci-dessus). La Cour suprême de justice avait motivé son refus de convoquer un témoin que la requérante voulait faire entendre en indiquant que son audition visait à déterminer la teneur du projet de décision portant sur l’affaire disciplinaire contre la requérante, ce qui allait à l’encontre de la confidentialité de la procédure, et que les documents présentés par la requérante dépassaient l’objet de la procédure disciplinaire (paragraphes 32 et 33 ci-dessus). Or, bien qu’il ne lui revienne pas d’émettre une opinion sur la pertinence de ces éléments ni sur le bien-fondé des allégations formulées contre la requérante, la Cour estime que le témoignage en question était pertinent en l’espèce en ce qu’il aurait vraisemblablement permis d’étayer les moyens de défense de l’intéressée. En outre, les motifs avancés par la Cour suprême de justice ne suffisaient pas à justifier le refus d’entendre le témoin que la requérante voulait faire comparaître, cette mesure ayant fini par entraver la capacité de l’intéressée à défendre sa cause, en méconnaissance des garanties d’un procès équitable (comparer Olujić, précité, §§ 83-85). La Cour considère en outre que la Cour suprême de justice, en refusant l’audition, dans une audience publique, du témoin indiqué par la requérante en l’espèce, n’a pas garanti la transparence que cet acte de procédure donnerait à la procédure disciplinaire diligentée à l’encontre celle-ci, ce qui constitue un but recherché par l’article 6 § 1 de la Convention (Mehmet Emin Şimşek, précité, § 28). Enfin, elle note qu’en l’espèce la Cour suprême de justice n’a pas remédié au refus de tenue d’une audience publique (voir, mutatis mutandis, Olujić, précité, § 76).

97. La Cour ne considère pas que les questions débattues dans le cadre de la procédure litigieuse, à savoir la sanction disciplinaire imposée à une juge pour des faits relatifs notamment à des propos enfreignant ses obligations professionnelles, présentaient un caractère hautement technique et ne nécessitaient pas une audience sous le contrôle du public (voir, mutatis mutandis, Nikolova et Vandova, précité, § 76). Aux yeux de la Cour, une audience publique, orale et accessible à la requérante, comme elle l’avait demandée, était nécessaire dans la présente affaire. À cet égard, la Cour observe qu’il y avait une controverse sur les faits et que les sanctions que la requérante risquait d’encourir avaient un caractère infamant, étant susceptibles de porter préjudice à l’honorabilité professionnelle et au crédit de la requérante (voir, mutatis mutandis, Grande Stevens et autres c. Italie, nos 18640/10, 18647/10, 18663/10, 18668/10 et 18698/10, § 122, 4 mars 2014).

98. La Cour, consciente de la nécessité de trouver un juste milieu entre la nécessité de protéger l’indépendance du CSM et l’utilité d’en assurer le contrôle par une instance publique et d’éviter un mode de gestion corporatiste (paragraphe 47 ci-dessus), considère que la garantie de la tenue d’une audience publique dans le cadre des procédures disciplinaires contre des juges contribue à leur équité au sens de l’article 6 § 1, par le biais d’une procédure à caractère contradictoire (paragraphe 42 ci-dessus), du plus haut niveau de transparence envers les juges et la société et de l’octroi de toutes les garanties d’un procès équitable (paragraphe 48 ci-dessus).

99. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que les autorités internes ont manqué aux garanties de tenue d’une audience publique.

d) Conclusion

100. En l’espèce, au vu de l’effet cumulatif des éléments susmentionnés, la Cour considère qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

101. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

102. La requérante réclame 43 750 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu’elle aurait subi du fait de la perte de salaires. Elle n’a pas formulé de demande au titre du préjudice moral, estimant qu’un éventuel constat d’une violation fournirait en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi.

103. Le Gouvernement combat cette thèse faisant valoir que la requérante confond l’objet des procédures internes et celui de la présente instance.

104. La Cour estime que la seule base à retenir pour l’octroi d’une satisfaction équitable réside en l’espèce dans le fait que la requérante n’a pu jouir des garanties prévues à l’article 6. Elle ne saurait certes spéculer sur ce qu’eût été l’issue du procès dans le cas contraire. Eu égard à l’ensemble des circonstances et conformément à sa pratique habituelle pour les affaires tant civiles que pénales en cas de violation de l’article 6 § 1 découlant d’un manque d’indépendance et d’impartialité objective ou structurelle, la Cour ne juge pas approprié d’octroyer une réparation financière à la requérante pour perte de salaires qu’elle allègue avoir subie en raison de l’issue de la procédure interne (voir, mutatis mutandis, Kingsley c. Royaume-Uni [GC], no 35605/97, § 43, CEDH 2002‑IV). Elle n’aperçoit donc pas de lien de causalité entre les violations constatées et le dommage matériel allégué et rejette cette demande.

B. Frais et dépens

105. La requérante demande également 2 500 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes.

106. Le Gouvernement n’a pas soumis d’observations à ce sujet.

107. La Cour rappelle que, lorsqu’elle conclut à la violation de la Convention, elle peut accorder au requérant le paiement non seulement des frais et dépens qu’il a engagés devant elle, mais aussi de ceux exposés devant les juridictions internes pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation, dès lors que leur nécessité est établie, que les justificatifs requis sont produits – tel n’est le cas en l’espèce – et que les sommes réclamées ne sont pas déraisonnables (voir, par exemple, Martinie, précité, § 62). En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour rejette la demande relative aux frais et dépens des procédures nationales.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

1. Décide, à l’unanimité, de joindre les requêtes ;

2. Déclare, à l’unanimité, les requêtes recevables ;

3. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu de connaître des griefs tirés de la non communication de la nature et de la cause de l’accusation portée contre la requérante et du fait qu’elle n’a pas disposé du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

4. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 de la Convention ;

5. Rejette, par six voix contre une, la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 21 juin 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Marialena TsirliAndrás Sajó
GreffièrePrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Kūris.

A.S.
M.T.

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE KŪRIS

(Traduction)

1. Mon désaccord avec la majorité concerne le point 5 du dispositif de l’arrêt.

2. Pour refuser d’octroyer à la requérante une réparation pour dommage matériel, la majorité invoque et renvoie à l’arrêt Kingsley c. Royaume-Uni ([GC], no 35605/97, § 43, CEDH 2002‑IV et à la jurisprudence citée dans cet arrêt), où la Cour a refusé « d’octroyer une réparation financière (...) pour perte de chances en matière procédurale ou pour la détresse, les pertes ou le préjudice qu’il allègue avoir subis en raison de l’issue de la procédure interne (...) en cas de violation de l’article 6 § 1 découlant d’un manque d’indépendance et d’impartialité objective ou structurelle ».

3. Cependant, un détail a été ignoré. Et un détail important. Au paragraphe 43 de l’arrêt Kingsley (précité), auquel la majorité se réfère, la Cour n’a pas accordé réparation au requérant pour dommage matériel « eu égard à l’ensemble des circonstances ». Je présume que cette phrase n’a pas été incluse simplement par hasard. Elle traduit l’exigence, qui va sans dire dans tous les cas, voulant que la Cour, lorsqu’elle n’octroie pas de réparation pour dommage matériel, doit tenir compte de l’ensemble des circonstances réelles de cette affaire particulière, sans copier mécaniquement le résultat d’une affaire précédente dont les circonstances factuelles et juridiques peuvent être différentes. Je crois fermement que la notion de « l’ensemble des circonstances » inclut la plupart du temps l’absence de lien de causalité entre les violations constatées et le dommage subi. En fait, cette notion doit inclure ce lien.

Mais qu’en est-il si ce lien de causalité n’est pas absent ? Qu’en est-il s’il est présent ?

4. Au paragraphe 104 de l’arrêt, la majorité déclare qu’elle ne voit pas de lien de causalité entre les violations constatées et le dommage matériel subi par le requérant.

Quelle conclusion !

Je ne peux suivre ce raisonnement. Je vois ce lien. Je le vois aussi clairement que s’il s’affichait en lettres brillantes sur un écran. Je ne vois que lui. Ce lien est tellement évident qu’on ne le voit pas uniquement si l’on décide que l’on ne veut pas le remarquer.

5. Disons les choses simplement. La requérante a été suspendue de ses fonctions de juge pendant 240 jours et cette sanction a été mise en œuvre (paragraphes 35 et 36 de l’arrêt). La décision du Conseil supérieur de la magistrature d’infliger cette sanction semble ne pas être en conformité avec l’article 6 § 1 de la Convention. Tel est le cœur de la requête que la requérante présente en vertu de la Convention ; c’est de cela qu’il s’agit dans le présent arrêt. De plus, cette violation « unique », en fait comme en droit, comprend trois aspects (paragraphes 80, 89 et 99 de l’arrêt). En conséquence de la mise en œuvre de cette décision, qui a violé la Convention à trois égards, la requérante n’a pas perçu son salaire pendant la période en question. Si cette décision n’avait pas été adoptée ou si (pour quelque raison hypothétique) elle n’avait pas été mise en œuvre, l’intéressée aurait bien touché son salaire, étant donné qu’il n’y avait aucune autre raison pour suspendre celui-ci. La requérante n’a pas perçu son salaire précisément en raison de l’application à son endroit de cette sanction particulière, et non pour un quelconque autre motif.

Ainsi, en l’espèce, la violation est la cause, et la perte de salaire est une conséquence. C’est aussi clair que deux et deux font quatre. En termes de logique, nous avons l’antécédent et le conséquent : si P existe, alors Q existe – on a bien la cause et l’effet.

Comment la Cour peut-elle « ne pas voir » ce lien de causalité ?

Mais il y a plus que cela.

6. Je ne peux que souscrire à l’avis de la majorité selon lequel la Cour ne peut pas (et ne doit pas) spéculer sur la question de savoir quelle aurait été l’issue de la procédure contre la requérante s’il n’y avait pas eu de violation procédurale de l’article 6 § 1 de la Convention (paragraphe 104 de l’arrêt).

On pourrait envisager que, si le Conseil supérieur de la magistrature s’était trompé seulement « en son propre nom » dans, disons, l’application de la législation interne, la réouverture de la procédure dans l’affaire de la requérante au sein du système national, sous réserve que cela eût toujours été possible après toutes ces années, aurait pu conduire au même résultat défavorable pour la requérante. Et dans le cas contraire, c’est-à-dire si l’issue de cette procédure rouverte avait bénéficié à l’intéressée, alors, quel qu’ait été le dommage matériel subi par elle, il aurait pu être réparé au niveau national. En pareil cas – jusqu’à présent uniquement hypothétique – la réparation du dommage matériel ne pourrait pas être accordée par notre Cour. L’injustice aurait été réparée au niveau national.

J’aurais accepté cela. Après tout, l’article 41 n’oblige pas la Cour à accorder une réparation intégrale au requérant : il prévoit que « la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable » uniquement « si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de la violation » (italique ajouté). J’aurais également accepté une décision de la majorité justifiant de ne pas accorder une réparation pour dommage matériel au motif que pareille réparation était en réalité disponible au niveau national, si la requérante avait pu défendre sa cause et apporter des preuves dans le cadre d’une telle procédure interne satisfaisant aux exigences de la Convention.

Mais il n’y a pas un seul mot dans l’arrêt concernant une telle possibilité. Et il n’y a pas non plus un seul mot sur la possibilité de rouvrir la procédure dans l’affaire de la requérante, ce qui aurait pu redresser les lacunes de celles dont la Cour avait estimé qu’elle n’était pas conforme à la Convention.

Ce n’est pas surprenant, puisqu’il n’existe aucune possibilité de la sorte.

7. En l’espèce, il ne s’agit pas seulement d’une erreur du Conseil supérieur de la magistrature. En réalité, c’est le cadre global institutionnel et procédural permettant de décider de ce type d’affaires au Portugal qui, au moment des faits, n’était pas en mesure de garantir le respect des exigences de l’article 6 § 1 concernant l’indépendance, l’impartialité et l’équité d’un tribunal et le caractère public d’une audience (voir la partie « Droit et pratique internes pertinents »). La Cour n’a pas eu d’assurance que la situation avait évolué, du moins par essence.

8. La question ne tourne pas seulement autour de la « spéculation » concernant l’issue plus ou moins probable que l’affaire de la requérante aurait eue si les violations procédurales n’avaient pas été commises. Il s’agit de l’impossibilité pratique, et même théorique, pour l’organe décisionnel (le Conseil supérieur de la magistrature) de ne pas commettre au moins certaines de ces violations procédurales.

9. Telles que sont les choses, pouvons-nous toujours affirmer que la Cour a légitimement laissé pratiquement sans réponse la demande de réparation pour dommage matériel présentée par la requérante ? Pouvons-nous dire que nous avons rendu justice à la requérante (laquelle, à propos, n’a demandé aucune réparation pour le dommage moral qu’elle a sans aucun doute subi et qui, en outre, n’a rien obtenu pour les frais et dépens qu’elle a exposés) ?

Ma réponse est : Non, nous ne le pouvons pas. C’est pour cette raison que je n’ai pas pu voter avec la majorité au point 5 du dispositif de l’arrêt.

10. Par ailleurs, est-ce que la ligne du raisonnement (qui aboutit au refus d’octroyer une réparation pour dommage matériel) suivie en l’espèce est une ligne que la Cour tolérerait dans la pratique des juridictions nationales des États membres ? La Cour suggérerait-elle que cette ligne soit suivie par les juridictions nationales ? Je peux aisément imaginer que, si la Cour devait trancher une affaire dans laquelle le requérant se plaignait que les tribunaux internes n’avaient trouvé aucun lien de causalité dans une situation dans laquelle ce lien était évident, le gouvernement défendeur aurait bien peu d’armes pour défendre sa cause.

11. La référence à l’arrêt Kingsley (précité), particulièrement dans sa version quelque peu tronquée (paragraphe 3 ci-dessus) ne dispense pas la Cour de son obligation d’examiner toutes les circonstances pertinentes de l’affaire à l’examen, y compris celles qui concernent la réparation demandée par le requérant, et d’octroyer une réparation pour dommage matériel, ainsi que pour dommage moral, à la partie lésée, si cette réparation n’est pas disponible dans le cadre du droit interne de l’État membre.

En l’espèce, cette référence visait à servir la continuité de la jurisprudence de la Cour. Cette continuité a été préservée, ou plutôt l’apparence de cette continuité a été préservée. Et c’est pourquoi c’est uniquement l’apparence de la continuité qui a été préservée qu’un argument supplémentaire, artificiel, a été inventé et employé pour dissimuler le fossé entre le simulacre et la réalité. Cet argument est celui de « l’absence de lien de causalité ».

12. Les références mécaniques à la jurisprudence antérieure qui servent de substituts à une véritable analyse des circonstances les plus essentielles (même une seule) de l’affaire à l’examen, voire qui donnent une fausse représentation de telles circonstances, peuvent en fait servir la continuité dans l’injustice. Cela est extrêmement décevant – et pas seulement dans le cadre de cette affaire particulière.

* * *

[1]. Ce paragraphe a été rectifié conformément à l’article 81 du règlement de la Cour.

[2]. Ce paragraphe a été rectifié conformément à l’article 81 du règlement de la Cour.

[3]. Ce paragraphe a été rectifié conformément à l’article 81 du règlement de la Cour.


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