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23/11/2023 | FRANCE | N°21MA04601

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 23 novembre 2023, 21MA04601


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Chaudronnerie Tuyauterie Montage a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge, en droits et majorations, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices 2014 et 2015 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015.



Par un jugement n° 2002977 du 12 octobre 202

1, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.



Procédure devant la Cour :



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Chaudronnerie Tuyauterie Montage a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge, en droits et majorations, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices 2014 et 2015 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015.

Par un jugement n° 2002977 du 12 octobre 2021, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 26 novembre 2021, 24 juin 2022 et 17 avril 2023, la société Chaudronnerie Tuyauterie Montage, représentée par Me Mathieu, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2002977 du 12 octobre 2021 du tribunal administratif de Marseille ;

2°) de prononcer la décharge demandée au tribunal ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'administration a implicitement invoqué un abus de droit sans lui accorder les garanties de procédure correspondantes ;

- elle a été privée de la possibilité de saisir la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ;

- l'administration n'établit pas l'existence de factures fictives.

Par des mémoires en défense enregistrés les 7 juin 2022, 27 mars 2023 et 27 juin 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués par la société Chaudronnerie Tuyauterie Montage ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 23 juin 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 12 juillet 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Platillero,

- et les conclusions de M. Ury, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société Chaudronnerie Tuyauterie Montage, qui exerce une activité de chaudronnerie, a fait l'objet d'un contrôle sur pièces, à l'issue duquel des propositions de rectification des 12 décembre 2017 et 28 mars 2018 lui ont été notifiées. Au terme de la procédure, elle a été assujettie à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices 2014 et 2015 et à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015, assortis des intérêts de retard et de la majoration de 80 % prévue au c) de l'article 1729 du code général des impôts. La société Chaudronnerie Tuyauterie Montage relève appel du jugement du 12 octobre 2021 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et majorations, de ces impositions.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité (...) ".

3. Il résulte de l'instruction que les rectifications en litige procèdent de la remise en cause par l'administration de dépenses facturées à la société Chaudronnerie Tuyauterie Montage par la société Concept Entretien Réalisation Tuyauterie (CERT), au motif qu'elles ne correspondaient pas à des charges effectives et reposaient sur des factures fictives. Ainsi, l'administration ne s'est pas placée sur le terrain de l'abus de droit et n'a pas mis en œuvre, même implicitement, la procédure prévue par l'article L. 64 du livre des procédures fiscales. La société Chaudronnerie Tuyauterie Montage n'est par suite pas fondée à soutenir qu'elle aurait été privée des garanties de procédure prévues à cet article.

4. D'autre part, aux termes de l'article L. 59 du livre des procédures fiscales : " " Lorsque le désaccord persiste sur les redressements notifiés, l'administration, si le contribuable le demande, soumet le litige à l'avis (...) de la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires (...) ". Aux termes de l'article L. 59 A du même livre des procédures fiscales : " I. La commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires intervient lorsque le désaccord porte : (...) 3° Sur l'application du 1° du 1 de l'article 39 et du d de l'article 111 du même code relatifs aux rémunérations non déductibles pour la détermination du résultat des entreprises industrielles ou commerciales (...) ".

5. Ainsi qu'il a été dit au point 3, le différend qui opposait la société Chaudronnerie Tuyauterie Montage à l'administration ne portait pas sur des rémunérations non déductibles. La requérante n'est ainsi et en tout état de cause pas fondée à soutenir que la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires aurait dû être saisie en matière de " rémunérations excessives ".

Sur le bien-fondé des impositions :

6. D'une part, aux termes de l'article 39 du code général des impôts, applicable à l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : 1° Les frais généraux de toute nature (...) ". Pour être admis en déduction de l'impôt sur les sociétés, ces frais doivent être exposés dans l'intérêt direct de l'exploitation ou se rattacher à la gestion normale de l'entreprise, correspondre à une charge effective, être appuyés de justifications suffisantes et être compris dans les charges de l'exercice au cours duquel ils ont été engagés. Si, en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité. Le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive.

7. D'autre part, aux termes de l'article 271 du code général des impôts : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération (...) II. 1. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est (...) a) Celle qui figure sur les factures (...) ". Aux termes de l'article 272 du même code : " (...) 2. La taxe sur la valeur ajoutée facturée dans les conditions définies au 4 de l'article 283 ne peut faire l'objet d'aucune déduction par celui qui a reçu la facture (...) ". Aux termes l'article 283 dudit code : " (...) 4. Lorsque la facture ne correspond pas à la livraison d'une marchandise ou à l'exécution d'une prestation de services, ou fait état d'un prix qui ne doit pas être acquitté effectivement par l'acheteur, la taxe est due par la personne qui l'a facturée (...) ". Un contribuable n'est pas en droit de déduire de la taxe sur la valeur ajoutée dont il est redevable à raison de ses propres opérations la taxe mentionnée sur une facture établie à son nom par une personne qui ne lui a fourni aucun bien ou aucune prestation de services. Dans le cas où l'auteur de la facture était régulièrement inscrit au registre du commerce et des sociétés et assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée, il appartient à l'administration, si elle entend refuser à celui qui a reçu la facture le droit de déduire la taxe qui y était mentionnée, d'établir qu'il s'agissait d'une facture fictive ou d'une facture de complaisance. Si l'administration apporte des éléments suffisants permettant de penser que la facture ne correspond pas à une opération réelle, il appartient alors au contribuable d'apporter toutes justifications utiles sur la réalité de cette opération.

8. Il résulte de l'instruction que la société Chaudronnerie Tuyauterie Montage a procédé à 18 paiements par chèques pour un montant total de 90 041,66 euros en 2014 et à 34 paiements par chèques pour un montant total de 165 298,34 euros, débités du compte libellé au nom de la société CERT. La contrepartie à ces débits était constituée en 2014 de charges comptabilisées en tant qu'achats de matériels, équipements et travaux sur le fondement de neuf factures, pour un montant total de 53 175 euros hors taxes, la taxe sur la valeur ajoutée mentionnée sur ces factures, d'un montant de 10 635 euros ayant par ailleurs été déduite. Elle était constituée en 2015 de charges comptabilisées en tant qu'achats d'études et de prestations de services, ainsi que de matériels, équipements et travaux sur le fondement de 18 factures, pour un montant total de 130 505 euros hors taxes, la taxe sur la valeur ajoutée mentionnée sur ces factures, d'un montant de 26 101 euros ayant par ailleurs été déduite. L'administration a estimé qu'aucune prestation n'avait en réalité été rendue et que les factures étaient fictives. Elle a ainsi remis en cause la déduction de ces charges et de la taxe sur la valeur ajoutée y afférente.

9. Pour estimer que les factures en litige ne correspondaient pas à des charges effectives en matière d'impôt sur les sociétés et constituaient des factures fictives en matière de taxe sur la valeur ajoutée, l'administration a constaté, au cours d'une vérification de comptabilité dont elle a fait l'objet, que la société CERT, qui avait cessé son activité à compter du 31 mai 2012 et ne l'avait reprise qu'à compter du mois de juillet 2015, ne disposait d'aucun moyen matériel et humain au cours des années en litige, n'ayant engagé aucune charge de personnel, de sous-traitance ou de personnel intérimaire et ne disposant d'aucun outil de travail en propriété ou en location. Elle a également constaté que la société CERT, dont le principal client était en comptabilité la société Chaudronnerie Tuyauterie Montage, avait soldé au cours des mêmes années des comptes de fournisseurs mais l'exercice d'un droit de communication qui lui a permis d'accéder au compte bancaire professionnel de cette société a révélé que les paiements n'avaient pas été encaissés par ces prétendus fournisseurs mais par le dirigeant de la société Chaudronnerie Tuyauterie Montage ou ses proches. Face à ces éléments, de nature à démontrer que la société CERT n'a rendu aucune prestation et a simplement servi à soustraire des sommes de la société Chaudronnerie Tuyauterie Montage au bénéfice de son dirigeant et de ses proches, la requérante se borne à se prévaloir du caractère régulier des factures en cause et à soutenir que ces factures étaient relatives à des prestations immatérielles, ce qui n'est d'ailleurs pas le cas pour l'essentiel, sans même produire aucun devis, plan ou justificatif de travaux réalisés à la suite des prestations prétendument réalisées. Par suite, les éléments relevés par l'administration sont suffisants pour regarder comme établis le caractère fictif des factures en litige et l'absence de charges effectives, la société Chaudronnerie Tuyauterie Montage ne pouvant ignorer que les factures payées ne correspondaient à aucune opération réelle. A cet égard, en présence de factures fictives, la requérante ne peut utilement se prévaloir du principe de neutralité pour revendiquer un droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée. Ainsi, les rectifications mentionnées au point 8 sont bien fondées.

10. Par ailleurs, la société Chaudronnerie Tuyauterie Montage ne peut utilement contester les impositions mises à la charge personnelle de son dirigeant dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la société Chaudronnerie Tuyauterie Montage n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande. Ses conclusions aux fins d'annulation de ce jugement et de décharge, en droits et majorations, des impositions en litige doivent dès lors être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Chaudronnerie Tuyauterie Montage demande au titre des frais qu'elle a exposés.

D E C I D E :

Article 1 : La requête de la société Chaudronnerie Tuyauterie Montage est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Chaudronnerie Tuyauterie Montage et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.

Délibéré après l'audience du 9 novembre 2023, où siégeaient :

- Mme Paix, présidente,

- M. Platillero, président assesseur,

- Mme Mastrantuono, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 novembre 2023.

2

N° 21MA04601


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21MA04601
Date de la décision : 23/11/2023
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-06-02 Contributions et taxes. - Taxes sur le chiffre d'affaires et assimilées. - Taxe sur la valeur ajoutée.


Composition du Tribunal
Président : Mme PAIX
Rapporteur ?: M. Fabien PLATILLERO
Rapporteur public ?: M. URY
Avocat(s) : MATHIEU

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-11-23;21ma04601 ?
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