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01/12/2023 | FRANCE | N°22DA01143

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 01 décembre 2023, 22DA01143


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner le centre hospitalier de Boulogne-sur-Mer à lui verser une indemnité globale de 473 870,61 euros en réparation des préjudices subis lors de sa prise en charge par cet établissement.



Par un jugement n° 1902411 du 4 avril 2022, le tribunal administratif de Lille n'a fait droit qu'en partie à sa demande en condamnant le centre à lui verser la somme de 18 296,95 euros, assortie des inté

rêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts.



Procédure devant la cour :

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner le centre hospitalier de Boulogne-sur-Mer à lui verser une indemnité globale de 473 870,61 euros en réparation des préjudices subis lors de sa prise en charge par cet établissement.

Par un jugement n° 1902411 du 4 avril 2022, le tribunal administratif de Lille n'a fait droit qu'en partie à sa demande en condamnant le centre à lui verser la somme de 18 296,95 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 1er juin 2022, M. C..., représenté par Me Raphaël Tachon, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Boulogne-sur-Mer à lui verser la somme totale de 610 711,51 euros en réparation de ses préjudices, y compris les dépens et frais d'avocat, assortie des intérêts et de leur capitalisation.

Il soutient que :

- le principe d'égalité des justiciables nécessite de fixer une juste indemnisation qui ne doit pas se limiter au barème indicatif de l'ONIAM ;

- la perte de chance doit être évaluée à 100 %, voire 85 % et non 70 % compte tenu des fautes commises par l'établissement hospitalier ;

- les préjudices qu'il a subis doivent être intégralement indemnisés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 juin 2022, la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme, représentée par Me Benoît de Berny, demande à la cour de confirmer le jugement concernant l'indemnisation de ses débours.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 janvier 2023, le centre hospitalier de Boulogne-sur-Mer, représenté par la société d'avocats Le Prado-Gilbert, demande à la cour de rejeter la requête.

Il fait valoir que :

- les conclusions indemnitaires présentées par l'appelant sont irrecevables en tant qu'elles excèdent la somme de 473 870,61 euros qui était demandée en première instance ;

- les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 7 avril 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 12 mai 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guillaume Vandenberghe,

- et les conclusions de Mme Caroline Regnier, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., né le 9 juin 1973, gaucher, qui était alors gérant d'un restaurant depuis la fin de l'année 2015, s'est tranché une partie de l'annulaire de la main droite le 28 juillet 2016 en procédant à la découpe d'une viande. Il a été admis au service des urgences du centre hospitalier de Boulogne-sur-Mer le jour même à 18 h 30 où il lui a été diagnostiqué une section complète du tendon fléchisseur de ce doigt au niveau des deuxième et troisième phalanges. Le 29 juillet 2016, M. C... a bénéficié d'une intervention chirurgicale au sein du service de traumatologie de cet établissement de santé consistant en la suture de ce tendon. Il a été autorisé, le 30 juillet suivant, à retourner à son domicile avec un traitement antibiotique. Les suites ont été compliquées par l'apparition d'un érythème et d'un œdème du doigt le 3 août 2016. M. C... s'est à nouveau présenté le 5 août 2016 au service des urgences du centre hospitalier de Boulogne-sur-Mer où il a été constaté un syndrome infectieux suspecté de se situer au niveau de la gaine tendineuse de l'annulaire droit. L'antibiothérapie a été modifiée et une réévaluation a été programmée le lendemain matin. Le 6 août 2016, après un examen du doigt, le chirurgien a reporté de 48 heures l'intervention chirurgicale et a augmenté la posologie de l'antibiotique. Le même jour, M. C..., sur les conseils de son pharmacien, s'est présenté à la clinique SOS mains de Lille sud. La reprise chirurgicale, consistant en un lavage de la gaine tendineuse, a été réalisée dans la journée. Les prélèvements per opératoire du phlegmon sont revenus positifs au staphylocoque doré. Une antibiothérapie a été prescrite à l'intéressé pour une durée de 15 jours ainsi qu'une attelle. Depuis la date de consolidation de son état de santé le 27 septembre 2016, M. C..., qui a refusé l'amputation de tout ou partie de son annulaire droit, conserve un doigt replié sous la paume de la main, sans qu'une extension de ce membre soit possible.

2. Après que le juge des référés du tribunal administratif de Lille a ordonné des expertises médicales, M. C... a saisi ce tribunal d'une demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de Boulogne-sur-Mer à l'indemniser des préjudices qu'il estime avoir subis. Il relève appel du jugement du 4 avril 2022 par lequel le tribunal administratif de Lille n'a fait droit qu'en partie à ses conclusions indemnitaires en condamnant le centre hospitalier à lui verser la somme de 18 296,95 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la responsabilité du centre hospitalier de Boulogne-sur-Mer :

3. D'une part, il résulte de l'instruction, et il n'est pas contesté, que M. C..., a développé, lors de sa prise en charge au centre hospitalier de Boulogne-sur-Mer, une infection au staphylocoque doré nécessitant une reprise chirurgicale et présentant un caractère nosocomial, engageant la responsabilité sans faute du centre hospitalier.

4. D'autre part, il n'est pas davantage contesté que le centre a commis des fautes de nature à engager sa responsabilité du fait de l'absence d'antibiothérapie avant l'opération du 29 juillet 2016, qui aurait permis d'éviter les risques d'infection, de l'insuffisante posologie du traitement prescrit à M. C... en post opératoire, laquelle a contribué à la survenance de cette infection nosocomiale, et du retard dans la prise en charge du patient, l'intervention de reprise chirurgicale, qui présentait un caractère urgent, a été reportée de 48 heures par le chirurgien du centre hospitalier de Boulogne-sur-Mer.

En ce qui concerne la perte de chance :

5. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

6. Il résulte des conclusions de l'experte désignée par le juge des référés du tribunal administratif de Lille que, compte tenu de l'importance de la section du tendon fléchisseur de l'annulaire causée par la coupure, une prise en charge de M. C... dans les règles de l'art l'aurait néanmoins conduit à garder des séquelles, son doigt conservant une flexion modérée. Ainsi, l'infection nosocomiale et les fautes commises par le centre hospitalier de Boulogne-sur-Mer ont fait perdre à la victime une chance d'éviter les séquelles de 70 %, sans que l'appelant puisse soutenir que ses préjudices devraient être intégralement indemnisés. En outre, l'intéressé ne démontre pas que le taux de perte de chance devrait être fixé à 85 % conformément à la littérature médicale, alors que l'experte a proposé un taux de 70 % dans son rapport du 27 septembre 2018, sans être sérieusement contredite.

En ce qui concerne l'évaluation des préjudices :

7. Pour procéder à l'évaluation des préjudices d'une victime d'une faute médicale ou d'une infection nosocomiale, aucune disposition législative ou règlementaire n'impose au juge administratif de faire application d'un référentiel d'indemnisation particulier, de sorte que M. C... ne peut utilement invoquer la rupture du principe d'égalité des justiciables devant les juridictions judiciaires et administratives du fait de l'application d'un barème particulier.

S'agissant des préjudices patrimoniaux

8. D'une part, M. C... sollicite la réparation de la perte de rémunération qu'il allègue avoir subie en raison de l'infection dont il a été victime lors de l'intervention chirurgicale du 28 juillet 2016. Si l'appelant soutient qu'il ne peut plus cuisiner, le centre hospitalier de Boulogne-sur-Mer produit un rapport critique du Dr A..., chirurgien orthopédiste, dont il résulte que l'immobilisation de l'annulaire droit de l'intéressé en position repliée ne fait pas obstacle à l'accomplissement des gestes courants de la cuisine, comme la préhension d'ustensiles de cuisine, la cuisson ou la découpe d'aliments, de sorte que l'embauche de plusieurs salariés en cuisine, à la supposer même avérée, pour remplacer M. C... ne saurait être indemnisée. En outre, il résulte de l'instruction et en particulier du rapport de l'expert-comptable de M. C... que celui a continué à bénéficier de revenus après la consolidation de son état de santé. Enfin, il n'est pas démontré que la vente du restaurant en 2018 résulterait directement de l'état de santé de l'intéressé. Dès lors, M. C... n'est pas fondé à demander l'indemnisation des pertes de revenus alléguées.

9. D'autre part, M. C... sollicite la réparation de l'incidence professionnelle de l'infection nosocomiale qu'il a contractée lors de sa prise en charge par le centre hospitalier de Boulogne-sur-Mer. Or, comme il vient d'être dit, l'intéressé n'établit pas que son état de santé consolidé aurait des répercussions sur sa vie professionnelle. En outre, il résulte de l'instruction que M. C... était intermittent du spectacle avant de reprendre son restaurant à la fin de l'année 2015. Si l'intéressé a produit ses contrats d'engagement jusqu'à l'année 2015, il n'établit pas qu'il aurait été engagé pour se produire au début de l'été 2016, aucun contrat pour cette année n'étant produit au dossier. Il en résulte de M. C... ne peut pas prétendre à bénéficier d'une somme supérieure à celle de 5 250 euros allouée par les premiers juges.

S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux :

10. En premier lieu, il résulte de l'instruction que M. C... a subi un déficit fonctionnel temporaire total pour la période du 5 au 10 août 2016, partiel à un taux de 25 %, pour la période du 11 août au 13 septembre 2016 et à un taux de 10 % pour la période du 14 septembre 2016 à la date de consolidation le 27 septembre 2016. Compte tenu du taux journalier d'indemnisation de 15 euros, il y a lieu de confirmer la somme de 238,50 euros, soit 166,95 euros après application du taux de perte de chance, allouée par les premiers juges.

11. En deuxième lieu, il résulte du rapport d'expertise que M. C... a enduré des souffrances, notamment physiques, consécutives à l'infection nosocomiale qu'il a contractée au décours de l'intervention chirurgicale qu'il a subie le 28 juillet 2016 au centre hospitalier de Boulogne-sur-Mer, que l'expert a évaluées à 3,5 sur une échelle de 7. Ainsi, il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en l'évaluant à la somme de 5 400 euros, soit la somme de 3 780 euros, après application du taux de perte de chance.

12. En troisième lieu, il résulte de l'instruction qu'à la suite de la prise en charge de M. C... au centre hospitalier de Boulogne-sur-Mer, sont apparus un érythème et un œdème du doigt. Ainsi, il y a lieu d'allouer une somme de 1 000 euros, soit 700 euros après application du taux de perte de chance, au titre du préjudice esthétique temporaire subi par la victime.

13. En quatrième lieu, il résulte de l'instruction que M. C... présente un déficit fonctionnel permanent évalué par l'experte à 4 %. Il sera fait une juste appréciation des séquelles conservées à ce titre par l'intéressé, âgé de 43 ans à la date de la consolidation, en lui allouant une somme de 5 000 euros, soit 3 500 euros après application du taux de perte de chance.

14. En dernier lieu, il résulte de l'instruction que M. C... ne peut plus pratiquer la moto compte tenu de l'impossibilité de revêtir les gants exigés par la règlementation routière. Si l'intéressé était guitariste, ce qui nécessite l'extension de son annulaire droit afin de pincer les cordes de cet instrument, il n'établit pas que les séquelles qu'il aurait conservées en cas de prise en charge dans les règles de l'art par le centre hospitalier de Boulogne-sur-Mer, lui auraient permis de continuer à pratiquer la guitare. Dans ces conditions, M. C... ne peut pas prétendre à bénéficier d'une somme supérieure à celle de 3 500 euros allouée par les premiers juges au titre de son préjudice d'agrément.

15. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non- recevoir opposée par le centre hospitalier de Boulogne-sur-Mer, que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont limité l'indemnisation de ses préjudices à la somme de 18 296,95 euros.

Sur les dépens :

16. Il y a lieu de confirmer le jugement attaqué qui a mis les frais de l'expertise, taxés et liquidés à la somme globale de 2 500 euros, à la charge définitive du centre hospitalier de Boulogne-sur-Mer.

Sur les frais liés au litige :

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge des intimés, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête présentée par M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., au centre hospitalier de Boulogne-sur-Mer et à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme.

Délibéré après l'audience publique du 14 novembre 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Thierry Sorin, président,

- M. Marc Baronnet, président-assesseur,

- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er décembre 2023.

Le rapporteur,

Signé : G. VandenbergheLe président de chambre,

Signé : T. Sorin

La greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

Anne-Sophie Villette

2

N°22DA01143


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA01143
Date de la décision : 01/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Sorin
Rapporteur ?: M. Guillaume Vandenberghe
Rapporteur public ?: Mme Regnier
Avocat(s) : SCP WABLE TRUNECEK TACHON AUBRON

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-01;22da01143 ?
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