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05/12/2023 | FRANCE | N°22MA02687

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 05 décembre 2023, 22MA02687


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société à responsabilité limitée (SARL) Chéri-Chérie a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner la commune de Bandol à l'indemniser des préjudices que lui ont causé les travaux de rénovation du quai Charles de Gaulle.



Par un jugement n° 2000995 du 6 octobre 2022, le tribunal administratif de Toulon a condamné la commune de Bandol à verser à la société Chéri-Chérie la somme de 2 000 euros en réparation de ses préjudices.




Procédure devant la Cour :



Par une requête, enregistrée le 28 octobre 2022, la société Chér...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) Chéri-Chérie a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner la commune de Bandol à l'indemniser des préjudices que lui ont causé les travaux de rénovation du quai Charles de Gaulle.

Par un jugement n° 2000995 du 6 octobre 2022, le tribunal administratif de Toulon a condamné la commune de Bandol à verser à la société Chéri-Chérie la somme de 2 000 euros en réparation de ses préjudices.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 28 octobre 2022, la société Chéri-Chérie, représentée par Me Lagadec, demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement n° 2000995 du 6 octobre 2022 du tribunal administratif de Toulon en ce qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de ses demandes ;

2°) de condamner la commune de Bandol à lui verser la somme de 115 545 euros ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Bandol le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle justifie avoir subi un dommage anormal et spécial résultant d'une perte de chiffre d'affaires imputable à la réalisation des travaux publics sur le quai Charles de Gaulle ;

- elle justifie de la réalité de son préjudice par la production de deux attestations de son expert-comptable ;

- c'est à tort que le tribunal administratif de Toulon a limité à la somme de 2 000 euros, soit seulement 2 % de son chiffre d'affaires, le montant de son indemnisation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 mars 2023, la commune de Bandol, représentée par Me Callen, conclut à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Toulon, au rejet des demandes de la société Chéri-Chérie, et à ce que soit mise à la charge de celle-ci la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la requête d'appel est irrecevable dès lors que la société appelante est en redressement judiciaire depuis février 2022 ;

- en tant que le jugement retient sa responsabilité, il devra être annulé ;

- il n'est justifié d'aucun préjudice anormal et spécial ;

- l'appelante n'apporte aucune démonstration quant au lien de causalité entre les travaux et son préjudice économique ;

- à titre subsidiaire, les conclusions indemnitaires sont insuffisamment étayées et rendent tout chiffrage éventuel impossible.

Par un mémoire en reprise d'instance enregistré le 28 avril 2023, la société civile professionnelle (SCP) BR Associés, agissant en sa qualité de mandataire liquidateur judiciaire de la société Chéri-Chérie et représentée par Me Lagadec, demande à la Cour de prendre acte de son intervention et conclut aux mêmes fins, et par les mêmes moyens, que la société Chéri-Chérie dans sa requête introductive d'instance.

Par ordonnance du 13 octobre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 octobre 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Martin,

- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,

- et les observations de Me Belahouane, substituant Me Callen, représentant la commune de Bandol.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Bandol a engagé un programme de réhabilitation du quai Charles de Gaulle au cours de l'année 2019. Estimant que ces travaux avaient préjudicié au bon exercice de son activité commerciale, la société Chéri-Chérie, qui exploitait une boutique de vente de vêtements prêt-à-porter située au n° 69 de cette voie, a saisi la commune de Bandol, par courrier du 27 novembre 2019, d'une demande tendant à l'indemnisation de ses préjudices. Cette demande ayant été implicitement rejetée, elle a saisi le tribunal administratif de Toulon lequel, par jugement du 6 octobre 2022, a condamné la commune de Bandol à lui verser la somme de 2 000 euros. Par la présente requête, la société Chéri-Chérie demande à la Cour de réformer ce jugement en ce qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de ses demandes. Et par la voie de l'appel incident, la commune de Bandol demande à la Cour d'annuler ce jugement.

Sur la recevabilité des conclusions d'appel principal :

2. Les dispositions du code de commerce organisant le redressement ou la liquidation judiciaire des entreprises n'étant édictées que dans l'intérêt des créanciers, seul le liquidateur peut s'en prévaloir pour contester la recevabilité du dirigeant de la société dont la liquidation judiciaire a été prononcée à se pourvoir en justice ou à poursuivre une instance en cours pour cette société. Par conséquent, dès lors que le liquidateur désigné par le tribunal de commerce de Toulon, au demeurant postérieurement à l'introduction de la requête d'appel, ne s'est pas opposé à l'action introduite par la société Chéri-Chérie, la commune de Bandol ne peut exciper de l'irrecevabilité de la requête d'appel.

3. En outre, et en tout état de cause, la SCP BR Associés, agissant en sa qualité de mandataire liquidateur judiciaire de la société Chéri-Chérie, a entendu reprendre l'instance engagée par la société Chéri-Chérie avant la liquidation judiciaire.

4. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par la commune de Bandol doit être rejetée.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

5. Il appartient au riverain d'une voie publique qui entend obtenir réparation des dommages qu'il estime avoir subis à l'occasion d'une opération de travaux publics à l'égard de laquelle il a la qualité de tiers d'établir, d'une part, le lien de causalité entre cette opération et les dommages invoqués et, d'autre part, le caractère anormal et spécial de son préjudice, les riverains des voies publiques étant tenus de supporter sans contrepartie, les sujétions normales qui leur sont imposées dans un but d'intérêt général.

6. D'une part, il résulte de l'instruction que la commune de Bandol a engagé des travaux de rénovation du quai Charles de Gaulle dans le cadre d'un marché public constitué d'une tranche ferme et d'une tranche optionnelle, la tranche ferme, relative à l'aménagement entre le giratoire de la fontaine du bicentenaire et le giratoire de l'entrée de ville, ayant été découpée en sept zones de travaux distinctes, les travaux des zones 1 à 5 s'étant déroulés de décembre 2018 à juin 2019, et les travaux des zones 6 et 7 de septembre 2019 à janvier 2020 selon les affirmations concordantes des parties. Ces travaux de voirie ont constitué une opération de travaux publics à l'égard de laquelle la société Chéri-Chérie, installée au niveau de la zone 6 du chantier, avait la qualité de tiers.

7. D'autre part, si ces travaux ont nécessairement occasionné une gêne pour l'accès au commerce de la société requérante, il résulte de l'instruction que celui-ci est resté accessible pendant toute la durée des travaux pour les piétons et que, selon les affirmations non contredites de la commune de Bandol, les possibilités d'accès et de stationnement des voitures ont été maintenues, notamment par l'utilisation du parc de stationnement du casino resté disponible et situé en face du commerce de l'appelante. Si cette dernière soutient que les difficultés d'accès ont été telles qu'elle a dû se résoudre à fermer son commerce lors des travaux des phases 6 et 7, une telle affirmation, contredite par la commune, n'est étayée par aucune pièce probante et notamment pas par les procès-verbaux de constat d'huissier dressés les 9 septembre et 17 octobre 2019. En outre, la circonstance qu'au cours de la période de travaux, des gênes auraient été occasionnées par les tractopelles et marteaux-piqueurs, notamment pendant les vacances scolaires du mois d'octobre, ne saurait être regardée comme une sujétion anormale au regard de l'intérêt général poursuivi par l'opération de travaux sous maîtrise d'ouvrage de la commune. Enfin, alors que la société Chéri-Chérie n'établit pas, par les seules photographies produites, que les travaux portant sur la zone 5 auraient entraîné la suppression de l'éclairage public, il résulte du plan de situation produit en défense qu'au regard de la situation du commerce, dont elle assurait la gestion, par rapport à la délimitation de cette zone 5, les désagréments allégués liés au bruit ou à la présence de poussières et de grandes bennes à ordures n'ont pu excéder les sujétions normales auxquelles elle pouvait être exposée. Dès lors, la société requérante ne justifie ni que l'accès à son commerce aurait été rendu excessivement difficile, ni que la durée des travaux était excessive et que la gêne qu'elle a pu subir aurait excédé les sujétions normales qui peuvent être normalement imposées aux riverains de la voirie publique dans un but d'intérêt général.

8. Enfin et au surplus, la société Chéri-Chérie entend se prévaloir d'un préjudice économique. Elle produit, pour en justifier, deux attestations de son expert-comptable selon lesquelles son chiffre d'affaires aurait connu une baisse significative après le commencement des travaux. Toutefois, ces attestations, particulièrement sommaires en ce que, notamment, l'expert ne s'est pas interrogé sur d'éventuelles autres causes extérieures à ces travaux susceptibles d'expliquer la baisse de ce chiffre d'affaires, ne permettent pas d'établir l'existence d'un manque à gagner indemnisable. A cet égard, la commune de Bandol fait d'ailleurs valoir, sans être contredite, non seulement que les travaux ont cessé tout au long de la période estivale de 2019, mais aussi que la société Chéri-Chérie a bénéficié d'une exonération à hauteur d'un montant de 1 487,20 euros correspondant à son droit de terrasse 2019.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Bandol est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon l'a condamnée à verser la somme de 2 000 euros à la société Chéri-Chérie, et que la demande présentée devant le tribunal administratif de Toulon par celle-ci, ainsi que les conclusions présentées par elle en appel et reprises par la SCP BR Associés, agissant en sa qualité de mandataire liquidateur judiciaire, doivent être rejetées.

Sur les frais d'instance :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme quelconque soit mise à la charge de la commune de Bandol, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par la commune de Bandol au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2000995 du 6 octobre 2022 du tribunal administratif de Toulon est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la société Chéri-Chérie devant le tribunal administratif de Toulon et les conclusions présentées par elle devant la Cour, reprises par la SCP BR Associés, agissant en sa qualité de mandataire liquidateur judiciaire de la SARL Chéri-Chérie, sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions présentées par la commune de Bandol en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SCP BR Associés en sa qualité de mandataire liquidateur judiciaire de la société Chéri-Chérie et à la commune de Bandol.

Délibéré après l'audience du 21 novembre 2023, où siégeaient :

- M. Marcovici, président,

- M. Revert, président assesseur,

- M. Martin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 décembre 2023.

N° 22MA02687 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA02687
Date de la décision : 05/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

67-02 Travaux publics. - Règles communes à l'ensemble des dommages de travaux publics.


Composition du Tribunal
Président : M. MARCOVICI
Rapporteur ?: M. Stéphen MARTIN
Rapporteur public ?: Mme BALARESQUE
Avocat(s) : SELARL CABINET LAGADEC

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-05;22ma02687 ?
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