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20/12/2023 | FRANCE | N°21LY02380

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 20 décembre 2023, 21LY02380


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :



La société Axa France IARD a demandé l'annulation du titre exécutoire n° 2216 du 30 octobre 2018 d'un montant de 2 166,45 euros, émis à son encontre par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), et la décharge de l'obligation de payer la somme en cause.



Dans cette instance, l'ONIAM a demandé, à titre reconventionnel, de condamner la société Axa France IARD à l

ui verser une somme de 2 166,45 euros avec intérêts au taux légal à compter du 9 mai 2019, capitalisés le 9...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Axa France IARD a demandé l'annulation du titre exécutoire n° 2216 du 30 octobre 2018 d'un montant de 2 166,45 euros, émis à son encontre par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), et la décharge de l'obligation de payer la somme en cause.

Dans cette instance, l'ONIAM a demandé, à titre reconventionnel, de condamner la société Axa France IARD à lui verser une somme de 2 166,45 euros avec intérêts au taux légal à compter du 9 mai 2019, capitalisés le 9 mai 2020 ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date, de la condamner à lui verser la somme de 324,97 euros au titre de la pénalité prévue à l'article L. 1142-15 du code de la santé publique et de la condamner à lui rembourser les frais d'expertise.

Par un jugement n° 1902850 du 21 mai 2021, le tribunal administratif de Dijon a annulé le titre exécutoire n° 2216 émis par l'ONIAM le 30 octobre 2018 à l'encontre de la société Axa France IARD, a condamné la société Axa France IARD à verser à l'ONIAM une somme de 1 170 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 29 janvier 2021 et de la capitalisation des intérêts, et a rejeté le surplus des demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 16 juillet 2021 et des mémoires enregistrés les 6 et 27 octobre 2022, l'ONIAM, représenté par la SELARL Birot-Ravaut et associés, agissant par Me Birot, demande à la cour dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement n° 1902850 du 21 mai 2021 du tribunal administratif de Dijon ;

2°) de rejeter les demandes présentées par la société Axa France IARD devant le tribunal administratif de Dijon ;

3°) de condamner la société Axa France IARD à lui verser une somme de 2 166,45 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 9 mai 2019, avec capitalisation par période annuelle ;

4°) de condamner la société Axa France IARD à lui verser une somme de 324,97 euros, au titre de la pénalité prévue à l'article L. 1142-15 du code de la santé publique ;

5°) de condamner la société Axa France IARD à lui rembourser la somme de 466,66 euros au titre des frais d'expertise ;

6°) de mettre à la charge de la société Axa France IARD la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal administratif a considéré que l'action subrogatoire exercée à l'encontre de la société Axa France IARD était fondée sur les dispositions de l'article L. 1142-17 du code de la santé publique ;

- l'assureur du centre hospitalier de Montceau-les-Mines ayant refusé d'indemniser Mme C..., ayant droit de Mme D..., l'ONIAM s'est substitué à celui-ci en application de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique et dispose d'une action subrogatoire en application du même article ; si les dispositions de l'article L. 1142-17 du même code prévoient une réparation par la solidarité nationale en cas d'infection nosocomiale grave, aucun texte n'exclut la possibilité pour la victime d'une telle infection de rechercher directement la responsabilité de l'établissement de santé au titre des dispositions du premier alinéa de l'article L. 1142-1 de ce code, lorsqu'une faute est à l'origine de l'infection ou à l'origine de l'intervention au cours de laquelle est survenue l'infection ;

- il ressort des éléments du dossier que le centre hospitalier de Montceau-les-Mines a commis des fautes dans la prise en charge de Mme D... ayant entrainé une perte de chance d'éviter son décès qui peut être évaluée à 33 % conformément à l'avis de la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux ;

- par suite, le montant de la créance dont il sollicite le paiement par le biais du titre exécutoire contesté s'élève bien à la somme de 2 166,45 euros ;

- en ce qui concerne la légalité externe du titre exécutoire n° 2216, l'avis des sommes à payer mentionne le nom de l'auteur de l'acte, à savoir M. A..., et l'ordre de recouvrer comporte la signature de Mme E... disposant d'une délégation de signature, par suite, le moyen tiré de la violation des dispositions de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration manque en fait. En tout état de cause, la méconnaissance de la formalité de la signature par l'auteur de l'acte lui-même n'a privé la société Axa France IARD d'aucune garantie ;

- il est recevable à demander la condamnation de la société Axa France IARD au paiement de la pénalité de 15 % prévue par les dispositions de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique et à solliciter le remboursement des frais d'expertise.

Par un mémoire en défense enregistré le 7 octobre 2022, la société Axa France IARD, représentée par Me Fabre, conclut, par la voie de l'appel incident :

1°) à la décharge de l'obligation de payer la créance mise à sa charge par l'ONIAM ;

2°) au rejet des demandes présentées par l'ONIAM devant le tribunal administratif de Dijon et au rejet de sa requête ;

3°) à ce que soit mis à la charge de l'ONIAM le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le titre exécutoire du 30 octobre 2018 méconnait les dispositions de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration et devra être annulé pour ce motif ;

- les dispositions de l'article L. 1142-1-1 du code de la santé publique mettent à la charge de la solidarité nationale l'indemnisation des préjudices résultant des suites d'une infection nosocomiale ayant conduit au décès et aucune faute dans la prise en charge de Mme D..., en lien direct et certain avec son décès, ne saurait être retenue à l'encontre du centre hospitalier de Montceau-les-Mines ; la créance mise à sa charge est manifestement indue ;

- la pénalité prévue par l'article L. 1142-15 du code de la santé publique ne pouvait lui être infligée ;

- les moyens soulevés par l'ONIAM ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 4 novembre 2022, la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte-d'Or a indiqué ne pas avoir de créance à faire valoir.

Par un courrier du 15 novembre 2023, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt est susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité des conclusions de l'ONIAM tendant à la condamnation de la société Axa France IARD à lui verser la somme de 2 166,45 euros, assortie des intérêts et de la capitalisation des intérêts, dès lors que l'ONIAM a choisi de recourir au titre exécutoire pour recouvrer la créance litigieuse.

L'ONIAM a présenté des observations sur ce moyen qui ont été enregistrées le 17 novembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Vergnaud, première conseillère,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Gross, substituant Me Fabre, représentant la société Axa France IARD.

Considérant ce qui suit :

1. Le 26 mars 2010, Mme B... D..., née en 1922, a été victime d'une chute à l'EHPAD-Résidence la demi-lune du Creusot où elle séjournait. Elle a été transportée le même jour au centre hospitalier de Montceau-les-Mines où a été diagnostiquée une fracture engrenée du col du fémur droit. Le 28 mars 2010 elle a subi une intervention chirurgicale pour la mise en place d'une prothèse intermédiaire de hanche droite. Elle a été hospitalisée jusqu'au 6 avril 2010, date à laquelle elle est revenue à l'EHPAD-Résidence la demi-lune du Creusot. Le 26 avril 2010, Mme D... a de nouveau été hospitalisée au centre hospitalier de Montceau-les Mines à raison d'un état algique et de l'existence de suppurations au niveau de la cicatrice. Une luxation de la prothèse a été diagnostiquée et un prélèvement bactériologique a été prescrit. Mme D... a bénéficié d'un lavage de prothèse le 28 avril 2010. Dans les suites de cette dernière intervention, elle a subi un choc septique entrainant un coma avec insuffisance rénale ayant abouti à son décès le 5 mai 2010. Par un avis du 10 janvier 2011, la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales de Bourgogne (CRCI), éclairée notamment par une expertise du 13 octobre 2010, a considéré que les fautes commises par le centre hospitalier de Montceau-les-Mines et l'EHPAD-Résidence la demi-lune avaient entraîné une perte de chance d'éviter le décès de Mme D... à hauteur d'un tiers chacun, estimant le dernier tiers imputable à l'état antérieur dégradé de Mme D.... La commission a en conséquence indiqué qu'il appartenait à l'EHPAD Résidence la demi-lune et au centre hospitalier de Montceau-les-Mines, chacun pour ce qui le concerne, ou à leurs assureurs respectifs, d'indemniser, dans la limite d'un tiers chacun, les préjudices personnels de la victime et de ses ayants droit. Par un courrier du 6 décembre 2010, la société Axa France IARD, assureur du centre hospitalier de Montceau-les-Mines a informé l'ONIAM de son refus de présenter une offre d'indemnisation. L'ONIAM s'est substitué à l'assureur du centre hospitalier et a indemnisé Mme C..., en sa qualité d'ayant droit de Mme D..., au titre de son préjudice d'affection en lui versant une somme de 2 166,45 euros. Subrogé dans les droits de cette dernière, l'ONIAM a émis, le 30 octobre 2018, un titre exécutoire du même montant à l'encontre de la société Axa France IARD.

2. Par le jugement attaqué du 21 mai 2021 le tribunal administratif de Dijon a annulé le titre exécutoire du 30 octobre 2018 pour un vice de forme, a condamné la société Axa France IARD à verser à l'ONIAM une somme de 1 170 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 29 janvier 2021 et de la capitalisation des intérêts, et a rejeté le surplus des demandes reconventionnelles de l'ONIAM, qui interjette appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du titre exécutoire en litige :

En ce qui concerne la responsabilité et les dispositions applicables :

3. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère ". Aux termes de l'article L. 1142-1-1 du même code : " Sans préjudice des dispositions du septième alinéa de l'article L. 1142-17, ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale : / 1° Les dommages résultant d'infections nosocomiales dans les établissements, services ou organismes mentionnés au premier alinéa du I de l'article L. 1142-1 correspondant à un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à 25 % déterminé par référence au barème mentionné au II du même article, ainsi que les décès provoqués par ces infections nosocomiales ; (...) ".

4. Si la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CRCI) mentionnée à l'article L. 1142-6 du code de la santé publique estime, dans l'avis émis en application de l'article L. 1142-8 du même code, que le dommage engage la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé, il résulte de l'article L. 1142-14 du code de la santé publique que l'assureur de la personne considérée comme responsable adresse à la victime, dans un délai de quatre mois, une offre d'indemnisation. Si l'assureur s'abstient de faire une offre ou si le responsable n'est pas assuré, l'article L. 1142-15 prévoit que l'ONIAM lui est substitué et qu'il est subrogé dans les droits de la victime contre la personne responsable du dommage ou son assureur lorsqu'il a, à ce titre, versé une indemnité à la victime. L'ONIAM peut en outre obtenir remboursement des frais d'expertise et, en cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, le juge, saisi dans le cadre de la subrogation, condamne, le cas échéant, l'assureur ou le responsable à verser à l'office une somme au plus égale à 15 % de l'indemnité qu'il alloue.

5. L'article L. 1142-17 du code de la santé publique dispose quant à lui que, lorsque la CRCI " estime que le dommage est indemnisable au titre du II de l'article L. 1142-1, ou au titre de l'article L. 1142-1-1 ", l'ONIAM adresse à la victime ou à ses ayants droit, dans un délai de quatre mois suivant la réception de l'avis, une offre d'indemnisation visant à la réparation intégrale des préjudices subis et ajoute que si l'office qui a transigé avec la victime estime que la responsabilité d'un établissement de santé est engagée, il dispose d'une action subrogatoire contre ce dernier. Aux termes du septième alinéa de ce même article L. 1142-17 : " Cette action subrogatoire ne peut être exercée par l'office lorsque les dommages sont indemnisés au titre de l'article L. 1142-1-1, sauf en cas de faute établie de l'assuré à l'origine du dommage, notamment le manquement caractérisé aux obligations posées par la réglementation en matière de lutte contre les infections nosocomiales. "

6. Il résulte des dispositions précitées que la réparation des dommages mentionnés à l'article L. 1142-1-1 du code de la santé publique relève de la solidarité nationale et incombe donc à l'ONIAM. S'agissant des décès provoqués par des infections nosocomiales, qui entrent dans les prévisions de ce texte, l'ONIAM, ayant transigé avec les ayants droit de la victime, peut, en application de l'article L. 1142-17, exercer contre l'établissement une action subrogatoire en cas de faute établie, et notamment de manquement caractérisé aux obligations posées par la réglementation en matière de lutte contre les infections nosocomiales.

7. En l'espèce, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expertise diligentée à la demande de la CRCI de Bourgogne effectuée le 13 octobre 2010, que suite à une chute survenue le 26 mars 2010, Mme D... a subi, le 28 mars 2010 au centre hospitalier de Montceau-les-Mines, une intervention pour la pose d'une prothèse intermédiaire de hanche droite, que le 26 avril 2010 Mme D... a de nouveau été hospitalisée au centre hospitalier de Montceau-les-Mines à raison d'une luxation de la prothèse et d'une infection du site opéré, qu'un lavage de la prothèse de hanche a été effectué le 28 avril 2010 et que, dans les suites de cette intervention, Mme D... a subi un choc septique, avec des hémocultures mettant en évidence un staphylocoque aureus Methi R de même nature que celui retrouvé dans la plaie, entrainant un coma avec insuffisance rénale, et qu'elle est décédée le 5 mai 2010. L'expertise mentionne que la patiente a été victime d'une infection nosocomiale, le staphylocoque doré étant un germe habituel dans ce type d'infection, en lien direct avec le décès dont la survenue a été favorisé, à hauteur de 33,3 %, par son état de santé très dégradé, compte tenu notamment du taux de mortalité associée à la fracture du col du fémur pour une patiente âgée de 87 ans.

8. Aux termes de son avis du 10 janvier 2011, la CRCI de Bourgogne a considéré que les fautes commises par l'EHPAD-Résidence la demi-lune, à savoir des manquements dans la prise en charge de Mme D... et un retard dans le recours à un diagnostic médical, ont contribué à la survenance du décès de cette dernière à hauteur d'un tiers et que le retard de deux jours dans la mise en place d'une antibiothérapie probabiliste par le centre hospitalier de Montceau-les-Mines, à compter de l'hospitalisation de Mme D... le 26 avril 2010, témoignant d'une prise en charge insuffisamment diligente et adaptée, a contribué à la survenance du décès pour la même part. La commission a imputé le tiers restant à l'état antérieur de la victime.

9. Cependant, au regard de ce qui a été exposé au point 7 du présent arrêt, la survenue du décès étant en lien direct avec une infection nosocomiale, la réparation d'un tel dommage relève de la solidarité nationale et incombe à l'ONIAM. Dans ces conditions, quel qu'ait été le sens de l'avis de la CRCI, l'office ne peut exercer, contre l'assureur du centre hospitalier de Montceau-les-Mines, que l'action subrogatoire prévue par l'article L. 1142-17 du code de la santé publique.

En ce qui concerne le bien-fondé de la créance :

10. Si les dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique font obstacle à ce que l'ONIAM supporte, au titre de la solidarité nationale, la charge de réparations incombant aux personnes responsables d'un dommage, elles n'excluent toute indemnisation par l'office que si le dommage est entièrement la conséquence directe d'un fait engageant leur responsabilité. Dans l'hypothèse où une infection nosocomiale est à l'origine de conséquences dommageables mais où une faute commise a fait perdre à la victime une chance d'échapper à l'infection ou de se soustraire à ses conséquences, le préjudice en lien direct avec cette faute est la perte de chance d'éviter le dommage corporel advenu et non le dommage corporel lui-même, lequel demeure tout entier en lien direct avec l'infection nosocomiale. Par suite, une telle infection ouvre droit à réparation au titre de la solidarité nationale, l'indemnité due par l'ONIAM étant seulement réduite du montant de celle mise, le cas échéant, à la charge du responsable de la perte de chance, égale à une fraction du dommage corporel correspondant à l'ampleur de la chance perdue.

11. Par ailleurs, dans le cadre de l'action subrogatoire prévue par les dispositions de l'article L. 1142-17 du code de la santé publique, il appartient à l'ONIAM de justifier, d'une part, d'une faute établie et, d'autre part, de l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre cette faute et le dommage. Si la faute reprochée au professionnel de santé ou à l'établissement, service ou organisme mentionné au I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique a fait perdre à la victime une chance d'éviter l'infection nosocomiale ou de se soustraire à ses conséquences, il appartient au juge, de réduire l'indemnité due par l'ONIAM du montant qu'il met alors, à ce titre, à la charge du responsable de cette perte de chance.

12. Il résulte de l'instruction et notamment de l'expertise diligentée par la CRCI qu'aucune faute du centre hospitalier n'a été constatée concernant l'intervention initiale subie par Mme D.... L'expert relève notamment une préparation cutanée et une antibioprophylaxie conforme aux bonnes pratiques et l'absence d'intervention septique dans la salle préalablement à cette intervention. S'il indique que l'infection nosocomiale survenue un mois après l'intervention a fait l'objet d'une prise en charge " globalement satisfaisante " par le centre hospitalier, il précise cependant qu'aucune antibiothérapie probabiliste n'a été mise en place entre le 26 avril 2010 et le 28 avril 2010.

13. Le retard de deux jours dans la mise en place d'une antibiothérapie alors que l'infection était évidente et que la patiente était déjà très affaiblie doit être regardé comme une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Montceau-les-Mines. Si l'ONIAM fait valoir que le centre hospitalier de Montceau-les-Mines a commis d'autres manquements dans la prise en charge de la patiente, invoquant notamment un retard de deux jours dans l'intervention de lavage de la prothèse, l'inadaptation de l'antibiothérapie administrée, l'absence de surveillance rapprochée alors que la patiente souffrait de déshydratation avec insuffisance rénale aigue et hyperkaliémie et l'absence de contrôle de la glycémie alors qu'elle souffrait d'un diabète déséquilibré, d'une part, de tels manquements n'ont pas été retenus par l'expert et, d'autre part, ces allégations ne sont pas étayées par des éléments médicaux suffisamment probants.

14. Compte tenu de ces éléments et des manquements de l'EHPAD, le taux de perte de chance d'échapper au décès résultant du retard dans la mise en place d'une antibiothérapie probabiliste par le centre hospitalier de Montceau-les-Mines peut être évalué à 20 % de l'entier dommage.

15. Le préjudice d'affection subi par Mme C..., fille de Mme D... pouvant être estimé à la somme de 6 500 euros, la créance mise à la charge de la société Axa France IARD à ce titre ne pouvait dès lors excéder 20 % de cette somme soit un montant de 1 300 euros.

Sur la régularité du titre exécutoire en litige :

16. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration : " (...) / Toute décision prise par l'une des autorités mentionnées à l'article 1er comporte, outre la signature de son auteur, la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci ".

17. Il résulte de ces dispositions, d'une part, que les titres exécutoires émis par l'ONIAM, établissement public administratif de l'Etat, doivent être signés et comporter les prénom, nom et qualité de leur auteur et, d'autre part, qu'il appartient à l'autorité administrative de justifier, en cas de contestation, que l'état revêtu de la formule exécutoire comporte la signature de l'émetteur. Lorsque le bordereau est signé non par l'ordonnateur lui-même mais par une personne ayant reçu de lui une délégation de compétence ou de signature, ce sont, dès lors, les nom, prénom et qualité de cette personne qui doivent être mentionnés sur le titre de recettes individuel ou l'extrait du titre de recettes collectif, de même que sur l'ampliation adressée au redevable.

18. En l'espèce, ainsi que l'a relevé le tribunal administratif de Dijon, le titre n° 2216 du 30 octobre 2018 adressé à la société Axa France IARD mentionne le nom de M. A..., directeur de l'ONIAM et n'est pas signé. Par ailleurs, le bordereau de titre de recettes produit par l'ONIAM comporte les nom, prénom et qualité ainsi que la signature de Mme E..., directrice adjointe bénéficiaire d'une délégation de signature, qui doit être ainsi regardée comme étant l'auteur de l'acte au sens des dispositions précitées. Dès lors, le titre en cause ne mentionnait pas l'identité réelle de son auteur, en méconnaissance des dispositions précitées. Il ressort par ailleurs de l'instruction que cette inexactitude a privé le destinataire des actes de la garantie prévue par les dispositions précitées, qui porte sur l'identification précise de l'auteur d'un acte, notamment pour les besoins de la vérification des règles de compétence. Il résulte de ce qui précède que l'ONIAM n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Dijon a annulé le titre de recette en cause.

Sur les conclusions tendant à la décharge de l'obligation de payer :

19. L'annulation d'un titre exécutoire pour un motif de régularité en la forme n'implique pas nécessairement, compte tenu de la possibilité d'une régularisation par l'administration, l'extinction de la créance litigieuse, à la différence d'une annulation prononcée pour un motif mettant en cause le bien-fondé du titre.

20. Il résulte de ce qui a été exposé au point 15 du présent arrêt que la société Axa France IARD est seulement fondée à obtenir la décharge de l'obligation de payer la somme de 866,45 euros correspondant à la différence entre la somme de 2 166,45 euros qui lui a été réclamée et la somme de 1 300 euros que l'ONIAM est fondé à lui réclamer.

Sur les conclusions présentées par l'ONIAM :

En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :

21. Lorsqu'il cherche à recouvrer les sommes versées aux victimes en application de la transaction conclue avec ces dernières, l'ONIAM peut soit émettre un titre exécutoire à l'encontre de la personne responsable du dommage, de son assureur ou du fonds institué à l'article L. 426-1 du code des assurances, soit saisir la juridiction compétente d'une requête à cette fin. Toutefois, l'office n'est pas recevable à saisir le juge d'une requête tendant à la condamnation du débiteur au remboursement de l'indemnité versée à la victime lorsqu'il a, préalablement à cette saisine, émis un titre exécutoire en vue de recouvrer la somme en litige. Réciproquement, il ne peut légalement émettre un titre exécutoire en vue du recouvrement forcé de sa créance s'il a déjà saisi le juge ou s'il le saisit concomitamment à l'émission du titre.

22. En l'espèce, dès lors que l'ONIAM a choisi d'émettre un titre exécutoire pour recouvrer la créance en lien avec la prise en charge de Mme D... par le centre hospitalier de Montceau-les-Mines, il n'est pas recevable à demander au juge, au cours d'un litige portant sur ce titre exécutoire, par voie de conclusions reconventionnelles postérieurement à l'émission de ce titre et quand bien même ce dernier serait annulé, la condamnation de la société Axa France IARD, assureur du centre hospitalier, à lui verser les indemnités correspondantes avec intérêts et capitalisation des intérêts.

23. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de l'ONIAM tendant à la condamnation de la société Axa France IARD doivent être rejetées comme étant irrecevables. C'est par suite à tort que le tribunal administratif de Dijon a condamné cette dernière à verser à l'ONIAM une somme de 1 170 euros et le jugement n° 1902850 sera réformé dans cette mesure.

En ce qui concerne les pénalités et les frais d'expertise :

24. Ainsi qu'il a été dit au point 9 du présent arrêt, l'office ne pouvait exercer, contre l'assureur du centre hospitalier de Montceau-les-Mines, que l'action subrogatoire prévue par l'article L. 1142-17 du code de la santé publique. Or cet article ne prévoit pas la possibilité pour l'ONIAM de demander au juge la condamnation du débiteur au versement de la pénalité prévue par les seules dispositions de l'article L. 1142-15 du même code. L'article L. 1142-17 ne prévoit pas davantage le remboursement des frais d'expertise. Par suite, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Dijon a rejeté les demandes présentées par l'ONIAM à ce titre.

Sur les frais liés au litige :

25. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la Société Axa France IARD, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par l'ONIAM, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ONIAM la somme demandée par la société Axa France IARD sur le même fondement.

DECIDE :

Article 1er : L'article 2 du jugement n° 1902850 du 21 mai 2021 du tribunal administratif de Dijon est annulé.

Article 2 : La société Axa France Iard est déchargée de l'obligation de payer la somme mise à sa charge par l'ONIAM à hauteur de 866,45 euros.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le jugement n° 1902850 du 21 mai 2021 du tribunal administratif de Dijon est réformé en tant qu'il est contraire au présent arrêt.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à la société Axa France IARD et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte d'Or.

Délibéré après l'audience du 4 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Stillmunkes, président assesseur,

Mme Vergnaud, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 décembre 2023.

La rapporteure,

E. Vergnaud

Le président,

F. Pourny

La greffière,

F. Abdillah

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 21LY02380


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21LY02380
Date de la décision : 20/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-01-01 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé. - Établissements publics d'hospitalisation. - Responsabilité pour faute simple : organisation et fonctionnement du service hospitalier. - Existence d'une faute.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: Mme Edwige VERGNAUD
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : FABRE & ASSOCIES AVOCATS, SOCIETE D'AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-20;21ly02380 ?
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