La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/12/2023 | FRANCE | N°22TL21206

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 28 décembre 2023, 22TL21206


Vu la procédure suivante :



Procédures contentieuses antérieures :



Sous le n°1704256, Mme A... B... épouse ... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'Etat à lui verser la somme de 25 000 euros en réparation des préjudices résultant du décès de son fils, qu'elle imputait à un arrêté préfectoral du 27 juillet 2009 et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sauf pour son conseil à solliciter cette somme en application de l'ar

ticle 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce au bénéfice de...

Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

Sous le n°1704256, Mme A... B... épouse ... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'Etat à lui verser la somme de 25 000 euros en réparation des préjudices résultant du décès de son fils, qu'elle imputait à un arrêté préfectoral du 27 juillet 2009 et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sauf pour son conseil à solliciter cette somme en application de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce au bénéfice de la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

Sous le n°1704954, Mme B... épouse ... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner le centre hospitalier Gérard Marchant à lui verser la somme de 25 000 euros en réparation des préjudices résultant du décès de son fils, qu'elle imputait à une faute commise par l'établissement de santé et de mettre à la charge du centre hospitalier Gérard Marchant une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sauf pour son conseil à solliciter cette somme en application de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce au bénéfice de la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

Par un jugement n°s 1704256-1704954 du 24 mars 2022, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté ses demandes indemnitaires et a mis à la charge définitive et solidaire du centre hospitalier Gérard Marchant et de l'Etat, les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 1 462,40 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 24 mai 2022, et des mémoires en réplique, enregistrés les 3 et 8 novembre 2022, Mme B... épouse ..., représentée par Me Ahlsell de Toulza, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 24 mars 2022 du tribunal administratif de Toulouse ;

2°) de condamner le centre hospitalier Gérard Marchant de Toulouse à lui verser la somme de 25 000 euros au titre de son préjudice moral d'affection résultant du décès de son fils ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 25 000 euros au titre de son préjudice moral d'affection résultant du décès de son fils ;

4°) à titre subsidiaire, de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales à lui verser la somme de 25 000 euros en réparation de son préjudice d'affection au titre de la solidarité nationale ;

5°) de confirmer le jugement contesté en ce qu'il a mis à la charge de l'Etat et du centre hospitalier Gérard Marchant solidairement les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 1 462,40 euros ;

6°) de mettre solidairement à la charge de l'Etat et du centre hospitalier Gérard Marchant de Toulouse les dépens ainsi qu'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- si l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales a été appelé en la cause, le tribunal administratif de Toulouse a commis une erreur de droit en omettant de statuer sur l'application de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique ;

- le tribunal a commis une erreur d'appréciation en ne retenant pas les fautes commises par l'administration hospitalière dans l'organisation et le fonctionnement de son service et qui sont à l'origine du dommage ;

- l'établissement n'a pas exécuté l'article 2 de l'arrêté préfectoral du 27 juillet 2009, lequel imposait la mise en place d'une surveillance médicale durant la sortie d'essai de son fils ; cette inexécution est constitutive d'une faute ayant permis le suicide de son fils, qui résulte ainsi d'un défaut de surveillance médicale ;

- le centre hospitalier a commis une faute dès lors que le certificat médical ayant servi de base à l'arrêté du 27 juillet 2009 était insuffisamment motivé ainsi que l'a jugé le tribunal administratif dans son jugement du 2 février 2016 ; le centre hospitalier Gérard Marchant a été décisionnaire de la sortie d'essai fautive ;

- le tribunal a commis une erreur d'appréciation en estimant que son fils avait bénéficié de soins attentifs et conformes aux données acquises de la science lors de sa prise en charge par le centre hospitalier alors que tel n'est pas le cas ; ni les délais de prescription, ni les doses maximales, ni la prescription médicale du docteur C... n'ont été respectés ; le centre hospitalier Gérard Marchant a commis une faute en administrant des médicaments à son fils en surdose, en méconnaissance de la prescription médicale, alors que le traitement l'exposait à un risque de décompensation ; la faute tient au caractère inadapté du traitement tant dans la prise médicamenteuse excessive et non conforme aux règles de la science que dans des sorties d'essai prématurées ;

- son préjudice moral d'affection doit être évalué à la somme de 25 000 euros ;

- l'arrêté préfectoral du 27 juillet 2009 accordant une sortie d'essai à son fils a été annulé par un jugement du tribunal administratif du 2 février 2016, le tribunal ayant estimé que le certificat médical sur lequel l'arrêté se fondait n'était pas motivé ; l'illégalité fautive entachant l'arrêté préfectoral du 27 juillet 2009 a directement causé son préjudice du fait du suicide de son fils, qui ne serait pas intervenu en l'absence dudit arrêté préfectoral autorisant sa sortie ; à tout le moins, l'illégalité fautive entachant l'arrêté préfectoral a fait perdre à son fils une chance d'échapper à son suicide ; l'Etat doit lui verser la somme de 25 000 euros au titre de son préjudice moral d'affection ;

- à titre subsidiaire, son fils a été victime d'un accident médical non fautif ; les conditions d'indemnisation sur le fondement de la responsabilité sans faute sont remplies ; l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales doit être condamné à lui verser la somme de 25 000 euros en réparation de son préjudice moral d'affection, résultant du décès de son fils.

Par un mémoire en défense enregistré le 14 octobre 2022, le centre hospitalier Gérard Marchant de Toulouse, représenté par la SARL Le Prado-Gilbert, conclut au rejet des conclusions de la requête de Mme B... épouse ... en tant qu'elles sont dirigées à son encontre.

Il fait valoir que :

- il n'a commis aucune faute dans le traitement et la prise en charge du patient ;

- la seconde sortie d'essai était justifiée ;

- le suicide de M. ... est sans lien avec le traitement reçu.

Par un mémoire en défense enregistré le 17 octobre 2022, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par Me Birot, conclut à sa mise hors de cause et au rejet de la requête en ce qu'elle est dirigée contre lui.

Il fait valoir que les conditions de mise en œuvre d'une indemnisation au titre de la solidarité nationale ne sont pas remplies dès lors que le dommage n'est pas en lien avec un acte de prévention, de diagnostic ou de soin.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 novembre 2022, le préfet de la Haute-Garonne conclut au rejet de la requête de Mme B... épouse ... en tant qu'elle est dirigée contre l'Etat.

Il fait valoir l'absence de lien de causalité entre l'illégalité fautive entachant son arrêté et le suicide de M. ....

Par une ordonnance du 8 juin 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 7 juillet 2023.

Mme B... épouse ... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle à hauteur de 25% par une décision du bureau d'aide juridictionnelle en date du 8 mars 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Thierry Teulière, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,

- et les observations de Me Goldanel, représentant le centre hospitalier Gérard Marchant de Toulouse.

Considérant ce qui suit :

1. Par arrêté du 14 avril 2009, le préfet de la Haute-Garonne a décidé l'hospitalisation d'office de M. ... au centre hospitalier Gérard Marchant de Toulouse. Par arrêté du 27 juillet 2009, cette même autorité a accordé à l'intéressé une autorisation de sortie d'essai prévue le 29 juillet 2009, au vu d'un certificat médical établi le 27 juillet 2009 par un médecin de l'établissement public de santé. A l'occasion de cette sortie, M. ..., alors âgé de 40 ans, a mis fin à ses jours à son domicile avec une arme à feu. Sa mère, Mme B... épouse ..., a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner le centre hospitalier Gérard Marchant à lui verser la somme de 25 000 euros en réparation des préjudices résultant du décès de son fils, imputable, selon elle, à des fautes commises par cet établissement de santé. Mme B... épouse ... a également demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'Etat à lui verser la somme de 25 000 euros au titre de son préjudice d'affection, en se fondant sur l'illégalité fautive de l'arrêté préfectoral du 27 juillet 2009. Par un jugement n°s 1704256-1704954 du 24 mars 2022, dont Mme B... épouse ... relève appel, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté ses demandes.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes du premier alinéa du I de l'article L. 1142-21 du code de la santé publique : " I.- Lorsque la juridiction compétente, saisie d'une demande d'indemnisation des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins dans un établissement de santé, estime que les dommages subis sont indemnisables au titre du II de l'article L. 1142-1 ou au titre de l'article L. 1142-1-1, l'office est appelé en la cause s'il ne l'avait pas été initialement. Il devient défendeur en la procédure. /(...)".

3. La juridiction du fond, saisie de conclusions tendant à l'engagement de la responsabilité d'une personne mentionnée au I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, est tenue, si elle estime que le dommage invoqué remplit les conditions pour être indemnisé en tout ou partie sur le fondement du II du même article ou de son article L. 1142-1-1, d'appeler l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales en la cause, au besoin d'office, puis de mettre à sa charge la réparation qui lui incombe même en l'absence de conclusions dirigées contre lui, sans préjudice de l'éventuelle condamnation de la personne initialement poursuivie à réparer la part du dommage dont elle serait responsable.

4. Il est constant que Mme B... épouse ... n'a pas sollicité devant le tribunal administratif de Toulouse l'indemnisation de son préjudice d'affection au titre de la solidarité nationale. Toutefois, la réparation au titre de la solidarité nationale étant d'ordre public, il appartenait au tribunal administratif de Toulouse de vérifier d'office si les conditions énoncées par le II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique étaient remplies en l'espèce. Dès lors qu'il n'a pas condamné l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales mis en cause à ce titre, le tribunal doit être regardé comme ayant jugé implicitement que ces conditions n'étaient pas remplies, et en l'absence de moyen en ce sens, il n'était pas tenu de motiver son jugement sur ce point. Par suite, le moyen tiré de ce que les premiers juges auraient omis de statuer sur l'application du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique doit être écarté comme manquant en fait.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne les conclusions indemnitaires dirigées à l'encontre du centre hospitalier :

5. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I.- Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute./(...)".

6. Aux termes de l'article L. 3211-11 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur : " Afin de favoriser leur guérison, leur réadaptation ou leur réinsertion sociale, les personnes qui ont fait l'objet d'une hospitalisation sur demande d'un tiers ou d'une hospitalisation d'office peuvent bénéficier d'aménagements de leurs conditions de traitement sous forme de sorties d'essai, éventuellement au sein d'équipements et services ne comportant pas d'hospitalisation à temps complet mentionnés à l'article L. 6121-2. / La sortie d'essai comporte une surveillance médicale. Sa durée ne peut dépasser trois mois ; elle est renouvelable. Le suivi de la sortie d'essai est assuré par le secteur psychiatrique compétent. / La sortie d'essai, son renouvellement éventuel ou sa cessation sont décidés : (...) 2° Dans le cas d'une hospitalisation d'office, par le représentant de l'Etat dans le département, sur proposition écrite et motivée d'un psychiatre de l'établissement d'accueil ".

7. En premier lieu, pour établir l'existence d'une faute dans l'organisation du service hospitalier au titre du défaut de surveillance d'un patient atteint d'une pathologie psychiatrique, le juge doit notamment tenir compte, lorsque l'état de santé de ce patient fait courir le risque qu'il commette un acte agressif à son égard ou à l'égard d'autrui, non seulement de la pathologie en cause et du caractère effectivement prévisible d'un tel passage à l'acte, mais également du régime d'hospitalisation, libre ou sous contrainte, ainsi que des mesures que devait prendre le service, compte tenu de ses caractéristiques et des moyens dont il disposait.

8. Il résulte de l'instruction que M. ..., qui était atteint de troubles psychiatriques chroniques, a fait l'objet d'une mesure d'hospitalisation d'office au centre hospitalier Gérard Marchant par arrêté préfectoral du 14 avril 2009. Il résulte de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse le 20 octobre 2010, qui n'est pas contredite par le rapport, remis le 25 février 2020, de l'expertise diligentée par la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, que M. ... a bénéficié durant son hospitalisation d'un suivi médical intense et rigoureux. Les évaluations régulières du psychiatre, corroborées par celles des soignants, ont mis en évidence une amélioration lente de l'état du patient, qui a conduit le docteur C..., psychiatre, à proposer une première sortie d'essai, accordée par un arrêté préfectoral du 20 juillet 2009. A la suite de cette première sortie qui a eu lieu le 23 juillet 2009 et s'est bien déroulée d'après le rapport d'expertise remis le 25 février 2020 même si l'expert désigné par le tribunal relève qu'elle a été un peu angoissante pour ... car il se trouvait décalé avec l'extérieur, le docteur C... a rencontré à trois reprises M. ..., sans avoir relevé un quelconque signe clinique morbide ou signe mettant en évidence une situation de péril pour ce patient, dont l'état apparaissait stationnaire. A cet égard, si Mme ... produit une lettre faisant état de ses inquiétudes concernant l'état mental de son fils lors de la première sortie d'essai, qu'elle avait l'intention d'adresser au psychiatre qui le suivait, il est constant qu'elle n'a finalement jamais envoyé cette lettre. S'il est vrai qu'elle a téléphoné à ce même psychiatre avant le suicide de son fils, aucun élément du dossier ne permet de connaître la teneur des propos échangés lors de cet appel. En outre, l'expert désigné par le tribunal souligne également que les informations détenues par le médecin psychiatre ayant établi le certificat préalable à la seconde sortie d'essai recoupaient les différentes données transcrites par l'équipe pluridisciplinaire et conclut, au vu de ces informations, qu'" il n'y avait (...) pas lieu de suspendre la sortie d'essai du 29 juillet 2009 ". Par ailleurs, il résulte de l'instruction que ni les médecins du centre hospitalier, ni la mère du défunt n'avaient eu connaissance, avant le suicide de M. ..., de ce qu'il avait fait l'acquisition d'une arme à feu. Dans ces circonstances, en l'absence d'argument clinique laissant à penser qu'il existait un risque suicidaire objectif et de signe particulier laissant prévoir le geste commis par M. ..., lequel était imprévisible, il n'y avait pas lieu de suspendre la sortie d'essai du 29 juillet 2009, ni de l'assortir de mesures de surveillance particulières. Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le centre hospitalier Gérard Marchant serait responsable d'un défaut de surveillance à l'égard de son fils de nature à caractériser une faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service.

9. En deuxième lieu, Mme B... épouse ... soutient que le centre hospitalier Gérard Marchant a également commis une faute en ce que le certificat médical, établi par un psychiatre de l'établissement et ayant servi de fondement à l'arrêté préfectoral du 27 juillet 2009 accordant une sortie d'essai en faveur de son fils, n'était pas motivé en méconnaissance des dispositions de l'article L. 3211-11 du code de la santé publique ainsi que l'a jugé le tribunal administratif de Toulouse dans son jugement n°1401076 du 2 février 2016, devenu définitif. Il résulte toutefois de l'instruction, notamment de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal, qu'ainsi qu'il a été dit au point précédent, le dossier médical de M. ... ne pointait pas de signe clinique morbide, ni de risque suicidaire objectif, qui auraient justifié de suspendre la sortie d'essai du 29 juillet 2009 et qu'en considération des nombreuses évaluations réalisées entre les deux sorties d'essai, il était même indiqué de poursuivre la réinsertion sociale du patient. Ainsi, même dépourvu de vice de forme, le certificat médical du psychiatre n'aurait pas proposé d'autre mesure qu'une sortie d'essai dans les mêmes conditions. Dès lors, en l'absence de lien direct entre la faute alléguée et le préjudice invoqué par Mme B... épouse ..., les conclusions indemnitaires de cette dernière, fondées sur le défaut de motivation du certificat médical du docteur C..., ne peuvent qu'être rejetées. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la requérante, la sortie d'essai du 29 juillet 2009 n'a pas été décidée par le centre hospitalier Gérard Marchant mais par le préfet de la Haute-Garonne. Par suite, aucune faute du centre hospitalier ne peut être retenue à raison d'une décision d'autorisation de sortie d'essai du patient qu'il n'a pas prise.

10. En troisième lieu, Mme B... épouse ... soutient que le centre hospitalier Gérard Marchant a commis une faute en ne respectant pas la posologie du traitement médical et en administrant à son fils, sans respect des délais de prescription et de la prescription du 24 juin 2009 du docteur C..., un surdosage de Risperdal Consta, médicament dont les effets secondaires connus peuvent favoriser un risque de décompensation. Il résulte toutefois de l'instruction, notamment des deux rapports d'expertise établis par les docteurs E... et D..., qu'aucun manquement de la part du centre hospitalier Gérard Marchant n'a été relevé dans la prise en charge de M. ..., quant à la prescription et l'administration de médicaments. Si la requérante soutient en particulier que son fils aurait reçu au moins quatre doses du même médicament les 3, 6, 20 et 27 juillet 2009 en se fondant sur les comptes-rendus de soins journaliers, qui font apparaître à cinq reprises la mention de Risperdal Consta entre le 3 et le 27 juillet 2009, ces éléments sont relatifs, d'après le rapport d'expertise du docteur D..., à la prescription de médicaments et non à leur administration effective. L'allégation de surdosage n'est ainsi pas corroborée par les rapports d'expertise, qui ne font état, quant à eux, que de deux injections du médicament à quinze jours d'intervalle, les 6 et 20 juillet 2009, conformément à ce qui avait été prescrit. Par ailleurs, il résulte du rapport d'expertise établi par le docteur D... qu'il est " peu probable " que le même infirmier ait administré dans la même demi-journée du 20 juillet 2009 une double dose de Risperdal Consta, l'expert estimant, d'une part, que cette anomalie résulte vraisemblablement d'une double saisie informatique du médicament administré, et d'autre part qu'à la supposer même avérée, cette double injection n'aurait pu avoir de conséquences quant au passage à l'acte suicidaire. Ainsi, aucun surdosage de Risperdal Consta ne résulte de l'instruction, pas plus qu'une double injection sur la demi-journée du 20 juillet 2009. Par voie de conséquence, aucune faute n'est établie quant au non-respect de la prescription médicale du psychiatre assurant le suivi du patient ou encore quant au défaut de correction de la prétendue surdose administrée à M. .... Par suite et alors que le rapport d'expertise établi par docteur D... a conclu que les traitements reçus par M. ..., notamment ceux qui préparaient les sorties d'essai, étaient adaptés et conformes aux règles de l'art quant à leur nature et leurs posologies et qu'ils n'ont pu déterminer ou favoriser son passage à l'acte, Mme B... épouse ... n'est pas fondée à soutenir que son fils n'aurait pas bénéficié de soins ou de traitements conformes aux données acquises par la science.

En ce qui concerne les conclusions indemnitaires dirigées à l'encontre de l'Etat :

11. Il résulte de l'instruction que, par le jugement précité du 2 février 2016, le tribunal administratif de Toulouse a relevé que, pour accorder une autorisation de sortie d'essai à M. ..., le préfet de la Haute-Garonne s'était fondé sur un certificat médical établi le 27 juillet 2009 par un psychiatre du centre hospitalier Gérard Marchant qui indiquait que l'intéressé pouvait " bénéficier d'un aménagement de ses conditions d'hospitalisation sous la forme d'un congé d'essai d'hospitalisation " et " qu'il sortira seul ", puis a considéré que ce certificat médical n'était pas motivé au regard des dispositions précitées de l'article L. 3211-11 du code de la santé publique et qu'il ne permettait pas, en conséquence, à l'autorité préfectorale de savoir si l'état mental de M. ... justifiait l'aménagement de ses conditions de traitement sous forme de sortie d'essai. Il a, par suite, annulé, pour vice de procédure, l'arrêté du 27 juillet 2009 par lequel le préfet de la Haute-Garonne a accordé une autorisation de sortie d'essai à M. ....

12. L'illégalité ainsi relevée par le tribunal administratif constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat. Toutefois, l'intervention d'une décision illégale ne saurait donner lieu à réparation si, dans le cas d'une procédure régulière, la même décision aurait pu légalement être prise. En l'espèce, il résulte de l'instruction, et notamment des rapports d'expertise, que, dépourvu de vice de motivation, le certificat médical du psychiatre n'aurait pas proposé une autre mesure qu'une sortie d'essai dans les mêmes conditions, et, par suite, que l'autorité préfectorale aurait également, dans le cas d'une procédure régulière, pris la même décision accordant à l'intéressé le bénéfice d'une sortie d'essai. Dès lors, en l'absence de lien direct entre la faute alléguée et le préjudice invoqué par Mme B... épouse ..., les conclusions indemnitaires de cette dernière, fondées sur l'illégalité fautive de l'arrêté du 27 juillet 2019, ne peuvent qu'être rejetées.

En ce qui concerne la demande subsidiaire d'indemnisation et la responsabilité au titre de la solidarité nationale :

13. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " (...) II. - Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret ". Il résulte de ces dispositions que l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales est seul chargé d'indemniser, au titre de la solidarité nationale, les victimes de préjudices résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la double condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état et que leur gravité excède le seuil défini à l'article D. 1142-1 du code de la santé publique.

14. En l'espèce, s'il est constant que le suicide de M. ... est survenu à l'occasion de la seconde sortie d'essai accordée par arrêté préfectoral du 27 juillet 2009, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert désigné par le tribunal, qu'ainsi qu'il a été dit, son dossier médical ne relevait pas de signe clinique morbide, ni de risque suicidaire objectif, qui auraient justifié de suspendre cette sortie et qu'en considération des nombreuses évaluations réalisées entre les deux sorties d'essai, la poursuite de la réinsertion sociale du patient était indiquée. Il résulte également de l'instruction, et notamment du second rapport d'expertise remis le 25 février 2020 à la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, que les traitements reçus par le patient au centre hospitalier n'ont pu favoriser son passage à l'acte. Par conséquent, le décès de M. ... ne peut être regardé comme directement imputable à un acte de prévention, de diagnostic ou de soins. M. ... n'étant pas victime d'un accident médical, Mme B... épouse ... n'est pas fondée à solliciter la réparation de son préjudice moral d'affection, sur le fondement des dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique.

15. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... épouse ... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté ses demandes.

Sur les frais d'expertise :

16. Le jugement n°s 1704256-1704954 du 24 mars 2022 n'est pas contesté en ce qu'il a mis à la charge définitive et solidaire du centre hospitalier Gérard Marchant et de l'Etat, les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 1 462,40 euros. Les conclusions de Mme B... épouse ... relatives aux dépens de l'instance sont, dès lors, dépourvues d'objet et doivent donc être rejetées.

Sur les autres frais liés au litige :

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier Gérard Marchant et de l'Etat, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, la somme que demande Mme B... épouse ... au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme B... épouse ... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... épouse ..., au centre hospitalier Gérard Marchant de Toulouse, au ministre de la santé et de la prévention et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.

Délibéré après l'audience du 12 décembre 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,

Mme Blin, présidente assesseure,

M. Teulière, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 décembre 2023.

Le rapporteur,

T. Teulière

La présidente,

A. Geslan-Demaret

La greffière,

M-M. Maillat

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N°22TL21206


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL21206
Date de la décision : 28/12/2023
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé.


Composition du Tribunal
Président : Mme GESLAN-DEMARET
Rapporteur ?: M. Thierry TEULIÈRE
Rapporteur public ?: Mme TORELLI
Avocat(s) : SELARL BIROT - MICHAUD - RAVAUT

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-28;22tl21206 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award