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12/01/2024 | FRANCE | N°22MA02324

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 12 janvier 2024, 22MA02324


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.





Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.



Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Danveau ;

- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public ;

- et les observations de Me Saint-Pierre, représentant M. D....





Considérant ce qui suit :



1.

M. D..., né le 12 avril 1958, a été pris en charge, à compter du mois d'avril 2009, pour un cancer épidermoïde du cavum, traité par radiothérapie et chim...

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Danveau ;

- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public ;

- et les observations de Me Saint-Pierre, représentant M. D....

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., né le 12 avril 1958, a été pris en charge, à compter du mois d'avril 2009, pour un cancer épidermoïde du cavum, traité par radiothérapie et chimiothérapie. Il a ensuite présenté des récidives ganglionnaires cervicales basses. Le 1er juillet 2011, il a bénéficié d'un traitement chirurgical avec un curage cervical gauche. Une ré-irradiation cervicale gauche a également été effectuée la même année. Une nouvelle récidive ganglionnaire est survenue en novembre 2012, pour laquelle un curage cervical droit a été réalisé le 12 décembre 2012. L'évolution de son état n'ayant pas été favorable, M. D... a subi, le 13 mars 2013, un troisième curage cervical avec radiothérapie du 6 mai 2013 au 19 juin 2013. Les examens réalisés ont montré par la suite l'absence de signe de récidive puis une rémission complète. Cependant, M. D... a présenté, suite à ces traitements, des douleurs neuropathiques invalidantes, une épaule gauche " gelée " et un déficit neurologique, sensitif et moteur de son membre supérieur gauche. Il a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CCI) qui, sur la base du rapport d'expertise rendu le 7 janvier 2019 par un radiologue et un neurologue, a émis un avis le 12 mars 2019 estimant que M. D... n'avait pas été victime d'un accident médical non fautif ouvrant droit à indemnisation par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale.

2. M. D... a saisi le tribunal administratif de Marseille afin qu'il soit mis à la charge de l'ONIAM l'indemnisation de l'ensemble des préjudices qu'il estime avoir subis, à hauteur de la somme totale de 502 603,60 euros. Par un jugement du 18 juillet 2022, le tribunal, après avoir un sollicité un avis technique complémentaire à l'expert radiothérapeute désigné par la CCI, a rejeté la requête de l'intéressé. Ce dernier relève appel de ce jugement.

Sur la responsabilité au titre de la solidarité nationale :

3. Aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " (...) II. - Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret. ". Selon le premier alinéa de l'article D. 1142-1 du même code : " Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L. 1142-1 est fixé à 24 %. (...) ".

4. La condition d'anormalité du dommage prévue par les dispositions précitées du II de l'article L. 1142-1 doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Ainsi, elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l'état du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l'origine du dommage.

5. Pour apprécier le caractère faible ou élevé du risque dont la réalisation a entraîné le dommage, il y a lieu de prendre en compte la probabilité de survenance d'un événement du même type que celui qui a causé le dommage et entraînant une invalidité grave ou un décès. Une probabilité de survenance du dommage qui n'est pas inférieure ou égale à 5 % ne présente pas le caractère d'une probabilité faible, de nature à justifier la mise en œuvre de la solidarité nationale.

6. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise, que le carcinome épidermoïde du cavum diagnostiqué chez M. D... en 2009 a donné lieu à un traitement par radio-chimiothérapie. Le premier traitement par radiothérapie a été effectué du 27 avril au 15 juin 2009. M. D... a cependant présenté une récidive ganglionnaire cervicale gauche, ce qui a nécessité un curage cervical le 1er juillet 2011, accompagné d'une ré-irradiation cervicale gauche et d'une chimiothérapie ayant eu lieu au cours des mois d'août à septembre 2011. Suite à une nouvelle récidive ganglionnaire en zone sus-claviculaire droite, un curage cervical droit a été effectué le 12 décembre 2012, suivie d'une ré-irradiation cervicale droite du 6 mai 2013 au 19 juin 2013.

7. Si les experts ont conclu à l'existence d'un aléa thérapeutique, la responsabilité de l'ONIAM au titre de la solidarité nationale ne saurait être engagée que si les conditions d'anormalité et de gravité des dommages prévues au II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique sont remplies.

8. Selon le collège d'experts désigné par la CCI, M. D... a présenté, suite au traitement de son cancer, une atteinte du plexus brachial caractérisée par des douleurs neuropathiques du membre supérieur gauche, une épaule gauche " gelée " et un léger déficit moteur du membre supérieur gauche, à l'origine d'un déficit fonctionnel permanent évalué à 30 %, taux supérieur à celui fixé à l'article D. 1142-1 du code de la santé publique. Le critère de gravité prévu à l'article L. 1142-1 du code de la santé publique est, dès lors, rempli.

9. En l'espèce, il résulte du rapport d'expertise, et il n'est pas contesté, que le cancer épidermoïde du cavum dont souffrait M. D..., diagnostiqué à un stade " T4N2cM0 ", était grave et que son pronostic vital était sérieusement engagé en l'absence de traitement. Par suite, les conséquences de l'acte médical ne peuvent être regardées comme notablement plus graves que celles auxquelles était exposé le requérant du fait de sa pathologie initiale.

10. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que les troubles neurologiques de M. D... sont dus aux curages cervicaux réalisés et à la répétition des irradiations subies, notamment à deux reprises du côté gauche entre avril 2009 et septembre 2011, puis du côté droit entre mai et juin 2013, lesquelles sont de nature à augmenter le risque de neurotoxicité. Cependant, si les experts désignés par la CCI ont indiqué, en se fondant sur une étude intitulée " Auris Nasus Larynx " publiée le 10 juin 2014, que 3 patients sur 42 ont présenté une atteinte des nerfs ayant bénéficié d'un curage cervical, soit un taux de survenue de 7 %, cette étude ne saurait suffire à évaluer la probabilité de survenance des troubles présentés par M. D..., dès lors, d'une part, qu'aucun des cas ne concerne l'atteinte des nerfs du membre supérieur subie par le requérant et, d'autre part, qu'elle ne tient pas compte de la situation où, comme en l'espèce, plusieurs curages ganglionnaires cervicaux et radiothérapies ont été effectués. De surcroît, le rapport complémentaire, produit le 21 septembre 2021 à la demande du tribunal par l'expert spécialisé en oncologie et en radiothérapie, conclut, à la date à laquelle il a été établi, à l'impossibilité de préciser le pourcentage de risque d'atteinte du nerf spinal avec troubles au niveau du plexus brachial de même nature que ceux présentés par le requérant en raison des spécificités de la prise en charge de son cancer marquée par le caractère itératif du traitement par curage et irradiation, ajoutant que " le cas précis de M. (...) D... n'est pas publié à l'heure actuelle dans la littérature ". Dans ces circonstances, l'état de l'instruction ne permet pas à la cour de connaître, à partir d'un état actualisé des connaissances scientifiques, la probabilité de survenance des troubles neurologiques dont souffre le requérant.

11. Aux termes de l'article R. 625-2 du code de justice administrative : " Lorsqu'une question technique ne requiert pas d'investigations complexes, la formation de jugement peut charger la personne qu'elle commet de lui fournir un avis sur les points qu'elle détermine. Elle peut, à cet effet, désigner une personne figurant sur l'un des tableaux établis en application de l'article R. 221-9. Elle peut, le cas échéant, désigner toute autre personne de son choix. Le consultant, à qui le dossier de l'instance n'est pas remis, n'a pas à opérer en respectant une procédure contradictoire à l'égard des parties. / L'avis est consigné par écrit. Il est communiqué aux parties par la juridiction. / Les dispositions des articles R. 621-3 à R. 621-6, R. 621-10 à R. 621-12-1 et R. 621-14 sont applicables aux avis techniques. ".

12. Eu égard aux éléments qui précèdent, il y a lieu pour la cour de solliciter l'avis technique prévu par les dispositions de l'article R. 625-2 du code de justice administrative, confié au docteur B..., médecin spécialisé en oncologie et radiothérapie, afin de déterminer, à partir d'un état actualisé des connaissances scientifiques à la date de l'avis qui sera rendu, un pourcentage du risque d'atteinte du nerf spinal avec troubles au niveau du plexus brachial de même nature que ceux présentés par M. D... dans le cadre de la prise en charge d'un cancer du cavum par radiothérapie et curage ganglionnaire cervical, en tenant compte du caractère itératif de ces traitements.

D É C I D E :

Article 1er : Il sera, avant de statuer sur la requête de M. D..., demandé un avis technique au docteur C... B..., tel qu'indiqué au point 12.

Article 2 : L'avis sera consigné par écrit et transmis à la cour dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, qui le communiquera ensuite aux parties.

Article 3 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'a pas été expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'à la fin de l'instance.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D..., à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône, à la caisse commune de sécurité sociale des Hautes-Alpes et au docteur C... B....

Délibéré après l'audience du 21 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Rigaud, présidente assesseure, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative ;

- M. Mahmouti, premier conseiller ;

- M. Danveau, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 janvier 2024.

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N° 22MA02324


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA02324
Date de la décision : 12/01/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-005-02 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé. - Établissements publics d'hospitalisation. - Responsabilité sans faute. - Actes médicaux.


Composition du Tribunal
Président : Mme RIGAUD
Rapporteur ?: M. Nicolas DANVEAU
Rapporteur public ?: M. GAUTRON
Avocat(s) : SELARL LELIEVRE SAINT-PIERRE

Origine de la décision
Date de l'import : 14/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-12;22ma02324 ?
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