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16/01/2024 | FRANCE | N°22DA00689

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 16 janvier 2024, 22DA00689


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société par actions simplifiée (SAS) Baméo a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, de condamner l'établissement public Voies navigables de France (VNF) à lui verser la somme de 2 993 329,05 euros hors taxes, augmentée de la taxe sur la valeur ajoutée et assortie des intérêts moratoires à compter du 7 août 2018 et d'autre part, de mettre à la charge de VNF une somme de 6 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.





Par un jugement n° 1901376 du 25 janvier 2022, le tribunal administratif de L...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Baméo a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, de condamner l'établissement public Voies navigables de France (VNF) à lui verser la somme de 2 993 329,05 euros hors taxes, augmentée de la taxe sur la valeur ajoutée et assortie des intérêts moratoires à compter du 7 août 2018 et d'autre part, de mettre à la charge de VNF une somme de 6 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1901376 du 25 janvier 2022, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande et mis à sa charge la somme de 3 000 euros à verser à VNF sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 24 mars, 22 juillet et 20 octobre 2022, la SAS Baméo, représentée par Me des Cars, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) par l'effet dévolutif de l'appel, de dire et juger qu'elle est recevable et bien fondée à engager la responsabilité contractuelle de Voies Navigables de France (VNF) ;

3°) de condamner VNF à lui verser la somme de 2 993 329,05 euros HT, augmentée de la TVA en vigueur ;

4°) de condamner VNF à lui verser les intérêts moratoires sur le montant réclamé à compter du 7 août 2018, calculés en tenant compte du taux BCE en vigueur pour chaque jour de retard et majorés de 8 % par an ;

5°) de mettre à la charge de VNF une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la responsabilité contractuelle de VNF est engagée compte tenu des fautes commises lors de la définition des besoins et de la conception du marché ; les clauses contractuelles relatives au transfert et au partage de responsabilité ne peuvent l'exonérer de toute responsabilité alors qu'il a commis des fautes lourdes ;

- elle a d'abord subi un premier chef de préjudice résultant des surcoûts liés à la découverte d'ouvrages enterrés ;

- le tribunal administratif de Lille a commis une erreur de droit et une erreur de fait en considérant que VNF n'avait pas commis de faute au stade de la définition de ses besoins compte tenu du caractère incomplet du recensement des ouvrages enterrés effectué par ses soins et en faisant supporter aux candidats les risques de l'incomplétude des informations transmises ;

- eu égard aux missions confiées par l'article L. 4311-1 du code des transports, en dépit du contrat de partenariat, VNF doit être qualifié de " maître d'ouvrage immanent ", chargé de l'exploitation, de l'entretien, de la maintenance, de l'amélioration, de l'extension et de la promotion des voies navigables, ainsi qu'à ce titre, de la centralisation et de la diffusion au public des informations relatives à l'utilisation de celles-ci ; dès lors qu'il demeure maître d'ouvrage immanent, le transfert des risques opéré dans le contrat de partenariat ne dégage pas VNF de sa responsabilité contractuelle ; VNF a ainsi commis une faute en ne mettant pas à sa disposition les informations tenant à la présence d'ouvrages enterrés concernant six barrages ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, les candidats n'ont pas été en mesure de réaliser des études complémentaires durant la procédure de dialogue compétitif, compte tenu du délai et des conditions imposés par VNF ;

- elle a subi un deuxième chef de préjudice résultant des surcoûts liés à la suspension des travaux du barrage M15 ;

- bien qu'il eût connaissance des risques d'éboulement, VNF n'a pas mis à sa disposition les informations quant à la dangerosité du site ; elle n'a donc pas eu connaissance de l'instabilité de la falaise et de la nécessité de réaliser au préalable des travaux de sécurisation ; VNF a commis une faute engageant sa responsabilité en ne délivrant pas les informations en sa possession et en n'entreprenant aucune démarche avant la conclusion du contrat ;

- le tribunal administratif de Lille a commis une erreur de droit et une erreur de fait en considérant qu'elle avait connaissance, dès la procédure de dialogue compétitif, de l'instabilité de la falaise et qu'ainsi la responsabilité contractuelle pour faute de VNF ne peut être engagée sur ce chef de préjudice ;

- elle est enfin fondée à solliciter l'indemnisation d'un troisième chef de préjudice, résultant des surcoûts induits par les ouvrages de franchissement piscicole ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, le transfert au titulaire du contrat de partenariat, de l'exploitation et de la maintenance des ouvrages n'a pas pour conséquence d'exonérer VNF de la charge de sa mission générale de cohérence des ouvrages du réseau fluvial et en particulier des aménagements nécessaires à la reconstitution de la continuité écologique qui lui incombe au titre de l'article L. 4311-1 du code des transports ;

- VNF n'ayant pas défini de manière suffisamment précise ses besoins en matière de franchissement piscicole, eu égard au caractère substantiel des travaux à réaliser et aux exigences finales de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA), sa responsabilité contractuelle est engagée ;

- en faisant référence, dans le programme fonctionnel, au plan de gestion des poissons migrateurs (PLAGEPOMI) dont la version définitive n'existait pas à la date de signature du contrat, VNF a défini des performances de manière générale, et a donc insuffisamment défini ses besoins en la matière.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 15 juin, 26 septembre et 16 novembre 2022, VNF, représenté par Me Desjardins et Me Pignon, conclut au rejet de la requête, à la confirmation du jugement et à ce qu'une somme de 6 000 euros soit mise à la charge de la société Baméo au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés dans la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 21 octobre 2022, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 21 novembre 2022 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code des marchés publics ;

- le code des transports ;

- l'ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat ;

- le décret n° 2021-81 du 28 janvier 2021 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Frédéric Malfoy, premier conseiller,

- les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public,

- et les observations de Me des Cars, représentant la société Baméo, et de Me Desjardins représentant VNF.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié le 19 octobre 2010 au Journal officiel de l'Union européenne et au Bulletin officiel des annonces des marchés publics, Voies Navigables de France (VNF) a lancé une procédure de dialogue compétitif, sur le fondement des dispositions de l'ordonnance du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat alors en vigueur, en vue de l'attribution d'un marché portant sur le remplacement de vingt-neuf barrages manuels de l'Aisne et de la Meuse, et la réalisation des équipements associés. Le 24 octobre 2013, VNF a attribué ce contrat de partenariat d'un montant total de 312 millions d'euros prévu pour une durée de trente ans, à un groupement composé des sociétés Vinci Concessions, Shema et Soc 43, auquel s'est substituée la société par actions simplifiée (SAS) Baméo. Dans le cadre de l'exécution de ce contrat, la société Baméo a conclu un contrat de conception-construction avec le groupement Corebam, lequel a débuté les travaux en mars 2015. Par un courrier du 20 juillet 2018, le groupement Corebam a sollicité de la société Baméo le versement d'une rémunération complémentaire en invoquant des difficultés rencontrées au cours de l'exécution des travaux, liées à la découverte d'obstacles et d'ouvrages enterrés inconnus, à diverses suspensions dans l'exécution des travaux pour des raisons administratives ou géotechniques ainsi qu'à la nécessité de modifier certains ouvrages de franchissement piscicole pour tenir compte des exigences de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA). C'est dans ces conditions que, par une lettre du 1er août 2018, la société Baméo, invoquant des fautes commises par VNF dans le cadre de la préparation et de l'exécution du contrat de partenariat relatif à la construction des barrages automatisés, a demandé à l'établissement public le versement d'une indemnité s'élevant à la somme totale de 26 067 809,44 euros. VNF a expressément rejeté l'intégralité des réclamations indemnitaires présentées par la société Baméo. En conséquence de ce refus, par un courrier du 2 octobre 2018, la société Baméo a sollicité, en application de l'article 60 du contrat de partenariat, la constitution d'une commission de conciliation, laquelle a rendu son avis le 13 décembre suivant, préconisant le versement à la société Baméo d'une indemnité globale de 2 993 329,05 euros hors taxes. Par un courrier du 11 janvier 2019, la société Baméo a demandé à VNF le règlement de cette somme, ce que l'établissement a refusé par une réponse datée du 1er février suivant. La société Baméo a alors demandé au tribunal administratif de Lille de condamner VNF à lui verser la somme de 2 993 329,05 euros hors taxes, augmentée de la taxe sur la valeur ajoutée et assortie des intérêts moratoires à compter du 7 août 2018.

2. La société Baméo relève appel du jugement du 25 janvier 2022 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. D'une part, aux termes de l'article 1er de l'ordonnance du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat, alors applicable : " I. - Le contrat de partenariat est un contrat administratif par lequel l'Etat ou un établissement public de l'Etat confie à un tiers, pour une période déterminée en fonction de la durée d'amortissement des investissements ou des modalités de financement retenues, une mission globale ayant pour objet la construction ou la transformation, l'entretien, la maintenance, l'exploitation ou la gestion d'ouvrages, d'équipements ou de biens immatériels nécessaires au service public, ainsi que tout ou partie de leur financement à l'exception de toute participation au capital. / Il peut également avoir pour objet tout ou partie de la conception de ces ouvrages, équipements ou biens immatériels ainsi que des prestations de services concourant à l'exercice, par la personne publique, de la mission de service public dont elle est chargée. / II. - Le cocontractant de la personne publique assure la maîtrise d'ouvrage des travaux à réaliser. (...) ". Aux termes de l'article 5 de cette ordonnance : " Les contrats de partenariat peuvent être passés selon les procédures du dialogue compétitif, de l'appel d'offres ou selon une procédure négociée selon les conditions définies à l'article 7. / (...) ". Et aux termes de son article 7 : " I.- Sur la base du programme fonctionnel qu'elle a établi afin de déterminer ses besoins et ses objectifs, la personne publique engage un dialogue avec chacun des candidats, dont l'objet est de définir les moyens techniques et le montage juridique et financier les mieux à même de répondre à ses besoins. / La personne publique peut discuter avec les candidats de tous les aspects du contrat. / (...) / La personne publique poursuit les discussions avec les candidats jusqu'à ce qu'elle soit en mesure d'identifier la ou les solutions, au besoin après les avoir comparées, qui sont susceptibles de répondre à ses besoins. / Elle peut prévoir que les discussions se déroulent en phases successives au terme desquelles seules sont retenues les propositions répondant le mieux aux critères fixés dans l'avis d'appel public à la concurrence ou dans le règlement de consultation. Le recours à cette possibilité doit avoir été indiqué dans l'avis d'appel public à la concurrence ou dans le règlement de la consultation. / Lorsqu'elle estime que la discussion est arrivée à son terme, la personne publique en informe les candidats qui ont participé à toutes les phases de la consultation. Elle invite les candidats à remettre leur offre finale sur la base de la ou des solutions présentées et spécifiées au cours du dialogue dans un délai qui ne peut être inférieur à un mois. Elle définit les conditions d'exécution du contrat, y compris de celles de ses clauses qui prévoient une évolution, pendant la durée du contrat, des droits et obligations du cocontractant, et, le cas échéant, précise les critères d'attribution du contrat définis dans l'avis d'appel public à la concurrence ou le règlement de la consultation. Elle s'efforce de maintenir jusqu'à ce stade une concurrence réelle. / Ces offres comprennent tous les éléments nécessaires à l'exécution du contrat. / (...) ".

4. D'autre part, les difficultés rencontrées dans l'exécution d'un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l'entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie soit que ces difficultés trouvent leur origine dans des sujétions imprévues ayant eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat soit qu'elles sont imputables à une faute de la personne publique commise notamment dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, dans l'estimation de ses besoins, dans la conception même du marché ou dans sa mise en œuvre, en particulier dans le cas où plusieurs cocontractants participent à la réalisation de travaux publics.

5. Il résulte des stipulations des articles 38 et 38.1 à 38.5 du contrat de partenariat conclu entre VNF et la société Baméo, qu'en contrepartie de la réalisation de l'ensemble de ses obligations contractuelles, VNF verse au titulaire une redevance trimestrielle égale à la somme des composantes R1, R2, R3, R4, qui présentent toutes un caractère forfaitaire à l'exception de la composante R3. Dans ces conditions les difficultés rencontrées par la société Baméo dans l'exécution du marché en litige sont susceptibles de lui ouvrir droit à indemnité dans les conditions citées au point précédent.

En ce qui concerne l'indemnisation des surcoûts liés à la présence d'ouvrages enterrés :

6. Selon les énonciations de la réclamation indemnitaire de la société Baméo, dans le cadre de l'exécution des travaux de construction des ouvrages, le groupement Corebam a découvert fortuitement, lors de travaux d'excavation, des structures ou obstructions enterrées, notamment des enrochements et des palplanches, sur les sites des ouvrages de Sassey (M03), Uf (M19), Hérant (A05), Ham-sur-Meuse (M24), Mouyon (M23) et Saint-Joseph (M18). La société appelante reproche à VNF de n'avoir pas informé les candidats, au stade de la procédure de consultation, de l'existence de ces ouvrages enterrés, qui affectent nécessairement l'emprise des nouveaux barrages à construire et ont nécessité l'engagement de travaux de démolition et d'enlèvement, préalablement à la poursuite des travaux.

7. Il résulte de l'instruction que, parmi les documents composant le dossier de consultation, figurait un document référencé DCE-100-DE correspondant aux données d'entrée mises à disposition des candidats " à titre indicatif ", et avertissant ces derniers de ce que " la responsabilité de VNF ou de toute autre autorité publique ne pourra être engagée du fait du caractère incomplet, inexact ou erroné des documents (estimations, prévisions, informations analyses et études de toutes natures) ". Dès lors, la société Baméo doit être regardée comme ayant été alertée sur les lacunes éventuelles du document référencé VNF-PPP BAM-DCE6107-DE-D comportant l'ensemble des études géotechniques de type G11 (ouvrages et bassins) réalisées pour chacun des ouvrages concernés. Au demeurant, il résulte du dossier de consultation que durant la première phase de dialogue compétitif, les candidats étaient appelés à préciser les investigations géotechniques complémentaires qu'ils estimaient nécessaires, en les hiérarchisant et disposaient pour cela d'un délai courant du 17 juillet 2011 au 30 septembre 2011. La possibilité de proposer de telles investigations complémentaires a été réitérée dans le cadre de la deuxième phase du dialogue. Il n'est pas contesté par la société Baméo, qui a disposé d'un temps suffisant pour prendre connaissance et s'informer de la situation des différents sites concernés par le contrat de partenariat envisagé, qu'elle n'a formulé aucune demande d'investigations géotechniques complémentaires qui lui auraient paru nécessaires.

8. En tout état de cause, VNF ne saurait se voir imputer des manquements dans la définition de ses besoins que dans le cas où les éléments mis à disposition des candidats se seraient révélés totalement insuffisants ou gravement lacunaires. A cet égard, en ce qui concerne le site M03 de Sassey, si la présence d'un éperon important de blocs d'enrochements de grande taille affleurant à l'aval immédiat du barrage ne figurait pas dans l'étude géotechnique, il est constant que VNF avait informé la société Baméo de leur existence, dès le 16 novembre 2012. En ce qui concerne la découverte d'un ouvrage de fondations en palplanches et d'enrochements importants, sur le site M19 d'Uf, l'étude géotechnique indiquait l'existence d'une île artificielle entièrement constituée de matelas de gabions, permettant d'anticiper la présence des vestiges d'anciennes protections de berges. En ce qui concerne la découverte d'un ouvrage plan de grande superficie, empêchant la fermeture d'une infrastructure, et d'obstacles situés en profondeur sur le site A05 d'Hérant, l'étude géotechnique mentionne la présence des fondations d'un barrage réalisé dans les années 1840 et démoli depuis, sur la base de plans ne donnant que des indications partielles et imprécises de la structure réelle des ouvrages existants, et préconise d'implanter le nouveau barrage en dehors de la zone de l'ancien barrage, et en cas d'implantation sur le même site, de procéder à des sondages complémentaires. En ce qui concerne la présence, sur le site M24 de Ham-sur-Meuse, d'un ouvrage de fondation inconnu d'une superficie de 1 000 m2, situé à l'emplacement de l'ouvrage à construire, l'étude géotechnique mentionne que si le mode de fondation mis en œuvre pour la construction de l'ancien barrage n'est pas connu, il existe cependant, un radier en moellons qui est bien visible lors de l'étiage et qui pourrait provoquer des difficultés d'exécution. Enfin, en ce qui concerne l'enchérissement des travaux portant sur le site M18 à Saint-Joseph, à la suite de la découverte d'importants massifs réalisés en pierres maçonnées et en béton cyclopéen, ainsi que des fondations en pieux de bois auxquels étaient mélangés des déchets tels que des poutrelles en bois ou des pneus usagés, l'étude géotechnique mentionne l'existence d'infrastructures existantes en se référant à un " important radier en moellons - rangée de pieux en bois à la limite aval du radier " qui se prolongent à l'amont et à l'aval du barrage existant et qui pourraient provoquer des difficultés d'exécution. Il s'ensuit que les candidats disposaient d'informations attirant leur attention, à la fois, sur l'existence d'anciens ouvrages ou obstacles dans le lit du cours d'eau et sur le caractère limité et non exhaustif des éléments documentant ces données.

9. Enfin, si la société Baméo soutient que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la répartition des risques ne relevait pas exclusivement de la liberté contractuelle, mais qu'elle l'a acceptée dans le cadre d'une " négociation imposée ", cette seule allégation ne saurait suffire à établir que son consentement aurait été vicié par des manœuvres de VNF. A cet égard, il résulte de l'instruction qu'invitée, comme tous les autres candidats, à fournir une note présentant la répartition optimale des risques envisagée entre la société de projet, ses prestataires et VNF, la société Baméo a émis une proposition aux termes de laquelle elle déclarait " prendre à sa charge le risque lié aux inexactitudes des données transmises par VNF (...) ". Par suite, c'est en toute connaissance de cause qu'elle a accepté la répartition de ce risque, figurant à l'article 17.3 du contrat de partenariat qu'elle a signé et dont les stipulations reprennent les mentions du document DCE-100-DE, cité au point 7, selon lesquelles " Dans le cadre du Projet, la responsabilité de VNF ne saurait être engagée du fait du caractère incomplet, inexact ou erroné des documents (estimations, prévisions, informations, analyses et études de toutes natures) remis au Titulaire ").

En ce qui concerne l'indemnisation des surcoûts induits par la suspension des travaux sur le barrage M15 :

10. Au soutien de sa réclamation indemnitaire, la société Baméo se prévaut de ce que, dans le cadre de l'exécution des travaux de construction du barrage dit M15 - Dames de Meuse, le groupement Corebam a été contraint de suspendre le chantier afin de procéder à des travaux de confortement de la falaise située en surplomb, qui ont nécessité des autorisations administratives et ont conduit à la suspension du chantier durant deux mois et demi, entraînant un surcoût estimé à la somme de 450 473,28 euros hors taxes. La société Baméo soutient que cette situation résulte d'une faute de VNF qui a omis de signaler le risque d'éboulement et de procéder à la mise en sécurité de la falaise.

11. Le rapport d'étude géotechnique G11 portant sur le barrage n° 10 (Dames de Meuse), annexé au dossier de consultation du projet de contrat de partenariat portant sur le remplacement des barrages manuels de l'Aisne et de la Meuse, comporte un paragraphe consacré à l'aléa " mouvement de terrain " mentionnant que les " observations sur site ont révélé une instabilité de la falaise rive gauche...de nombreux indices de glissements et / ou éboulements récents ", fait " confirmé par le levé bathymétrique de 2006, qui montre des hauts fonds en rive gauche, ce qui est probablement dû aux effondrements de la falaise ". Compte tenu de ces indications, la société était suffisamment informée de ce risque dès la phase du dialogue compétitif et ne saurait dès lors invoquer un manquement fautif de VNF dans la communication de cette information.

12. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu qu'une telle carence ne saurait être à l'origine du préjudice de retard dans l'exécution du chantier de construction du barrage M15 dont la société Baméo demande réparation.

En ce qui concerne l'indemnisation des surcoûts induits par les modifications apportées aux ouvrages de franchissement piscicoles :

13. A l'appui de sa réclamation indemnitaire, la société Baméo soutient que le rétablissement de la continuité écologique, et notamment piscicole, constituant l'un des principaux objectifs du contrat de partenariat, il appartenait à VNF de procéder à une définition précise des éléments nécessaires à cette continuité, notamment au travers d'une concertation en amont avec les services de l'Etat concernés, dont l'ONEMA. La société Baméo reproche en particulier à VNF de lui avoir sciemment transféré l'intégralité du risque relatif à la gestion des autorisations administratives, sans s'assurer, préalablement à la signature du contrat de partenariat, de l'acceptabilité des projets des candidats par l'ONEMA ou de prendre à sa charge le risque représenté par la demande de cet organisme d'une évolution des documents de conception.

14. D'une part, aux termes de l'article 13 de l'ordonnance du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat : " I. - Lorsque le contrat emporte occupation du domaine public, il vaut autorisation d'occupation de ce domaine pour sa durée. Le titulaire du contrat a, sauf stipulation contraire de ce contrat, des droits réels sur les ouvrages et équipements qu'il réalise. Ces droits lui confèrent les prérogatives et obligations du propriétaire, dans les conditions et les limites définies par les clauses du contrat ayant pour objet de garantir l'intégrité et l'affectation du domaine public. / (...) ".

15. D'autre part, aux termes de l'article L. 4311-1 du code des transports : " L'établissement public de l'Etat à caractère administratif dénommé " Voies navigables de France ": / (...) 3° Concourt au développement durable et à l'aménagement du territoire, notamment par la sauvegarde des zones humides et des aménagements nécessaires à la reconstitution de la continuité écologique, la prévention des inondations, la conservation du patrimoine et la promotion du tourisme fluvial et des activités nautiques ; (...) ".

16. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 214-17 du code de l'environnement : " I. - Après avis des conseils départementaux intéressés, des établissements publics territoriaux de bassins concernés, des comités de bassins et, en Corse, de l'Assemblée de Corse, l'autorité administrative établit, pour chaque bassin ou sous-bassin : / (...) 2° Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant, sans que puisse être remis en cause son usage actuel ou potentiel, en particulier aux fins de production d'énergie. S'agissant plus particulièrement des moulins à eau, l'entretien, la gestion et l'équipement des ouvrages de retenue sont les seules modalités prévues pour l'accomplissement des obligations relatives au franchissement par les poissons migrateurs et au transport suffisant des sédiments, à l'exclusion de toute autre, notamment de celles portant sur la destruction de ces ouvrages. ".

17. Il résulte des dispositions de l'article 13 du décret du 17 juin 2004 que sauf stipulations contraires, le contrat de partenariat, qui emporte occupation du domaine public fluvial confié à VNF, emporte pour le titulaire un transfert des obligations relatives à l'occupation de ce domaine, qui comportent notamment celles afférentes à la préservation ou au rétablissement de la continuité écologique des cours d'eau. Conformément à ces dispositions, les articles 18.1 et 18.2 du contrat de partenariat conclu par VNF et la société Baméo, stipulent ainsi respectivement, d'une part, que " Sans préjudice des stipulations de l'Article 26, le Titulaire est responsable de l'obtention et du maintien de l'ensemble des permis et autorisations ainsi que des déclarations relatifs à la construction, à l'exploitation et la maintenance des Ouvrages et, par conséquent, assume seul les risques y afférents " et d'autre part, que le titulaire " établit, le cas échéant avec le concours d'experts, dans le respect de la réglementation applicable, les dossiers de demande d'autorisations, de permis et de déclarations relatifs aux Ouvrages. A ce titre, il est également responsable de toutes les démarches en vue de permettre aux autorités compétentes de délivrer en temps utile les autorisations relatives aux Ouvrages et, par conséquent, assume seul les risques y afférents ".

18. Il résulte de l'instruction que le programme fonctionnel et performanciel, élément constitutif du dossier de consultation lors du dialogue compétitif, définit les besoins à satisfaire, les objectifs à atteindre ainsi que les niveaux de performance correspondants pour le projet de déconstruction des vingt-neuf barrages à manœuvre manuelle et leur remplacement par des barrages automatisés. En vertu du point 2.1.1, l'implantation des ouvrages doit répondre notamment à l'objectif de continuité écologique, pour lequel les objectifs de performance et les exigences environnementales sont précisés au point 5.1. Il appartient ainsi au titulaire d'assurer la continuité écologique de chaque site, qui se décline en trois sous-thèmes, à savoir la continuité piscicole tant en dévalaison qu'en montaison, la continuité de passage de la petite et de la grande faune et la continuité des sédiments. S'agissant en particulier de la continuité piscicole, le point 5.1.1 prévoit que " les objectifs de continuité piscicole s'appliquent à chacun des 29 Barrages à reconstruire et aux Barrages de Givet et Monthermé, dès leur mise en service. (...) " et que " durant la phase de conception (donc après la signature du contrat), le Titulaire devra prendre en compte l'avis et les prescriptions de l'ensemble des services instructeurs concernés ". Ainsi, il est assigné comme objectif, pour chaque tronçon, que les équipements de franchissement piscicole devront permettre le franchissement de l'ensemble des espèces présentes dans le cours d'eau, ainsi que des espèces migratrices potentielles. Il ressort des points 5.1.1.1.1 et 5.1.1.1.2 que pour chacune des espèces identifiées comme prioritaires (anguille, saumon, brochet et alose), les objectifs d'efficacité des dispositifs de franchissement fixés pour les poissons migrateurs correspondent aux taux de survie minimaux attendus en montaison et aux taux de mortalité maximaux acceptés en dévalaison, issus des données du Plan de Gestion des Poissons Migrateurs (PLAGEPOMI) de la Meuse. S'il est constant que ce document de planification n'est devenu définitif qu'en 2016, il n'est pas allégué que les objectifs fixés dans la version définitive aient été significativement différents de ceux envisagés dans la version ayant servi à VNF pour fixer ses objectifs de performance. A cet égard, l'intégration anticipée, dans le programme fonctionnel et performanciel, des objectifs de survie des poissons migrateurs déterminés par l'ONEMA contredit l'affirmation de l'appelante selon laquelle VNF n'aurait pas pris en compte l'acceptabilité, par l'Office, des projets d'ouvrages susceptibles d'être proposés par le titulaire. Sur ce point, la société Baméo ne saurait faire reproche à VNF de s'être vu refuser, par l'ONEMA, le 21 novembre 2013, la proposition de mise en place d'un capteur de silhouette pour le suivi piscicole dès lors que selon le point 5.1.1.3 du programme fonctionnel et performanciel, il appartient au titulaire de satisfaire à l'obligation de suivi en continu des espèces utilisant les dispositifs de montaison en mettant en place au minimum trois stations de contrôle ou chambres de comptage et en procédant au comptage au moyen d'un suivi vidéo ou d'une autre méthode donnant des résultats au moins équivalents. Compte tenu de ces dispositions, il appartenait à la société Baméo de soumettre à l'ONEMA un dispositif permettant d'assurer la fiabilité du comptage des franchissements du barrage par les poissons migrateurs. Dans ces conditions, si l'ONEMA a exigé de la société Baméo de modifier la conception de ses ouvrages de franchissement piscicole et de suivi des espèces transitant pas ces ouvrages, ces circonstances ne sont pas imputables à des manquements de VNF dans la définition de ses besoins.

19. Il résulte de tout ce qui précède que la société Baméo n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 25 janvier 2022 attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de VNF, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la société Baméo au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Baméo le versement d'une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par VNF à ce même titre.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête présentée par la société Baméo est rejetée.

Article 2 : La société Baméo versera à VNF une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Baméo et à Voies navigables de France.

Délibéré après l'audience publique du 19 décembre 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur, assurant la présidence de la formation du jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Dominique Bureau, première conseillère,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 janvier 2024.

Le rapporteur,

Signé : F. Malfoy

Le président de la formation de jugement,

Signé : J-M. Guérin-Lebacq

La greffière,

Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

N. Roméro

No 22DA00689 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA00689
Date de la décision : 16/01/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: M. Frédéric Malfoy
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : SELARL ALTANA

Origine de la décision
Date de l'import : 21/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-16;22da00689 ?
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