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14/03/2024 | FRANCE | N°23DA00531

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 2ème chambre, 14 mars 2024, 23DA00531


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) " Le Pain d'Autrefois " a demandé au tribunal administratif de Lille, à titre principal, de condamner la commune de Coulogne à lui verser la somme 337 806,03 euros au titre du préjudice économique qu'elle estime avoir subi du fait des travaux d'aménagement du pont de Coulogne et du chemin des Régniers ainsi que du nouveau sens de circulation mis en place ou, à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise avant-dire-d

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Par un jugement n° 2006131 du 24 janvier 2023, le tribunal administr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) " Le Pain d'Autrefois " a demandé au tribunal administratif de Lille, à titre principal, de condamner la commune de Coulogne à lui verser la somme 337 806,03 euros au titre du préjudice économique qu'elle estime avoir subi du fait des travaux d'aménagement du pont de Coulogne et du chemin des Régniers ainsi que du nouveau sens de circulation mis en place ou, à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise avant-dire-droit.

Par un jugement n° 2006131 du 24 janvier 2023, le tribunal administratif de Lille a rejeté ses demandes et a mis à sa charge le versement à la commune de Coulogne d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 22 mars 2023, l'EURL " Le Pain d'Autrefois ", représentée par Me Jean-Sébastien Deloziere, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) à titre principal, de condamner la commune de Coulogne à lui verser la somme précitée de 337 806,03 euros ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise ;

4°) en tout état de cause, de mettre à la charge de la commune de Coulogne le versement d'une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Elle soutient que :

- la responsabilité sans faute de la commune de Coulogne est engagée à raison de la perte de clientèle qu'elle a subie du fait, d'une part, des travaux réalisés au niveau du carrefour situé à la sortie du pont de Coulogne, à l'intersection du chemin des Régniers et de la route de Guînes, et, d'autre part, des aménagements et du nouveau plan de circulation alors mis en place ;

- le dommage qu'elle a subi présente un caractère spécial dès lors que la perturbation de l'accès aux commerces résultant des travaux litigieux n'a concerné que le secteur dans lequel son magasin était implanté ; sa principale concurrente, située de l'autre côté du pont de Coulogne, n'a pas eu à subir les mêmes désagréments ;

- il présente également un caractère grave ou anormal dès lors que, pendant la durée des travaux, l'accès à sa boulangerie a été rendu particulièrement difficile voire impossible pour la clientèle venant du centre-ville depuis le pont de Coulogne, que, depuis leur achèvement, le nouveau plan de circulation mis en place impose des détours significatifs qui découragent la clientèle, qu'elle a enregistré une baisse sensible de son chiffre d'affaires et qu'elle a été de ce fait contrainte de changer l'implantation de son magasin ;

- la baisse de la fréquentation et celle de son chiffre d'affaires sont en lien direct et certain avec les travaux et les aménagements réalisés ;

- le préjudice financier qu'elle a subi justifie l'octroi d'une indemnité d'un montant total de 337 806,03 euros, dont 74 373,54 euros au titre la perte de marge brute liée à la baisse du chiffre d'affaires, 98 235,19 euros au titre de la perte de marge brute liée à la non-croissance du magasin et 165 197,31 euros au titre de la perte de valeur du fonds de commerce à la suite de la fermeture définitive du magasin ;

- à titre subsidiaire, si la cour estimait ne pas disposer de suffisamment d'éléments d'appréciation pour chiffrer ses préjudices, il conviendrait d'ordonner une mesure d'expertise.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 décembre 2023, la commune de Coulogne, représentée par Me Eric Forgeois, conclut au rejet de la requête d'appel et à ce que le versement d'une somme de 2 000 euros soit mis à la charge de l'EURL " Le Pain d'Autrefois " au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- le préjudice invoqué par l'EURL " Le Pain d'Autrefois " ne présente pas de caractère anormal dès lors que l'accès à son magasin a toujours été possible pendant la durée des travaux, la rue Charles de Gaulle dans laquelle il est situé n'ayant pas été concernée, et dès lors que les aménagements réalisés ne modifient pas les conditions d'accès des piétons et cyclistes au magasin, ni n'imposent de détours excessifs aux automobilistes ;

- il ne présente pas davantage de caractère spécial dès lors que l'accès à la boulangerie est resté possible pendant comme après les travaux et qu'il existe de nombreux autres commerces dans la rue Charles de Gaulle, le chemin des Régniers et la route de Guînes ;

- l'EURL " Le Pain d'Autrefois " ne démontre pas le lien de causalité entre, d'une part, la perte de chiffre d'affaires et la fermeture de son magasin et, d'autre part, les travaux litigieux dès lors que le magasin est toujours resté accessible pendant comme après les travaux et que l'ouverture du nouveau magasin rue Louis Clipet s'est faite le 19 juillet 2018, soit plus d'un an avant la fermeture de celui situé rue Charles de Gaulle le 1er septembre 2019 ;

- sa responsabilité sans faute n'est dès lors pas engagée ;

- à titre subsidiaire, les préjudices invoqués par l'EURL " Le Pain d'Autrefois " ne sont pas en lien direct et certain avec les travaux litigieux ;

- tout d'abord, la baisse de chiffre d'affaires sur laquelle l'appelante fonde l'intégralité de son raisonnement est principalement imputable à l'ouverture d'un nouveau magasin plus d'un an avant la fermeture du précédent et non à une perte de clients ; les produits d'exploitation du commerce ont continué à progresser même pendant la durée des travaux ;

- la perte de marge brute liée à la baisse du chiffre d'affaires n'est pas justifiée par les comptes de résultats détaillés des années 2018 et 2019 ; la perte de chiffre d'affaires alléguée n'est pas établie ; le taux de marge retenu n'est pas justifié ;

- la perte de marge brute liée à la non-croissance du magasin présente un caractère purement hypothétique dans la mesure où la progression de 15 à 20% sur laquelle l'EURL " Le Pain d'Autrefois " s'est fondée n'est pas justifiée ;

- la perte de valeur du fonds de commerce à la suite de la fermeture définitive du magasin présente également, dans son principe comme dans le chiffrage proposé, un caractère hypothétique et n'est manifestement pas en lien avec les travaux litigieux ;

- il n'y a pas lieu d'ordonner une expertise.

Par ordonnance du 26 décembre 2023, la date de clôture de l'instruction a été fixée au 26 janvier 2024 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guillaume Toutias, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Caroline Regnier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Eric Forgeois, représentant la commune de Coulogne.

Considérant ce qui suit :

1. L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) " Le Pain d'Autrefois " a ouvert, le 15 novembre 2013, une boulangerie-pâtisserie au numéro 16 de la rue du Général de Gaulle à Coulogne (Pas-de-Calais). D'octobre 2015 à mai 2017, la commune de Coulogne a réalisé des travaux de réhabilitation du pont de Coulogne et de réaménagement des voies publiques alentours. Elle a notamment procédé à l'aménagement d'un terre-plein central sur le chemin des Régniers sur lequel débouche la rue du Général de Gaulle. L'EURL " Le Pain d'Autrefois ", estimant avoir subi une perte de clientèle, a demandé à la commune de l'indemniser des préjudices financiers en résultant, par des courriers des 9 mars 2020 et 7 août 2020, restés sans réponse. L'EURL " Le Pain d'Autrefois " relève appel du jugement n° 2006131 du 24 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune de Coulogne à lui verser une indemnité totale de 337 806,03 euros.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. D'une part, le riverain d'une voie publique qui entend obtenir réparation des dommages qu'il estime avoir subis à l'occasion d'une opération de travaux publics, à l'égard de laquelle il a la qualité de tiers, doit établir, d'une part, le lien de causalité entre cette opération et les dommages allégués et, d'autre part, le caractère grave et spécial de son préjudice, les riverains des voies publiques étant tenus de supporter, sans contrepartie, les sujétions normales qui leur sont imposées dans un but d'intérêt général. D'autre part, si, en principe, les modifications apportées à la circulation générale et résultant de changements effectués dans l'assiette, la direction ou l'aménagement des voies publiques ne sont pas de nature à ouvrir droit à indemnité, il en va autrement dans le cas où ces modifications ont pour conséquence d'interdire l'accès des riverains à la voie publique. Par ailleurs, il appartient au juge, lorsque les aménagements en cause n'ont pas eu pour effet d'interdire tout accès à la voie publique, de rechercher s'ils n'ont pas eu pour effet de rendre cet accès excessivement difficile et s'il n'en résulte pas, dans les circonstances de l'espèce, un préjudice anormal et spécial.

3. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la commune de Coulogne a fait réaliser, entre octobre 2015 et mai 2017, des travaux de réhabilitation sur le pont de Coulogne ainsi que des travaux de réaménagement des voies publiques y donnant accès, notamment le chemin des Régniers qui dessert, entre autres, la rue du Général de Gaulle où se situe la boulangerie-pâtisserie exploitée par l'EURL " Le Pain d'Autrefois ". Il ne résulte pas de l'instruction que, pendant la durée de ces travaux, qui poursuivaient les objectifs d'intérêt général d'améliorer les conditions de circulation dans les voies publiques considérées ainsi que de renforcer leur sécurité, l'accès au commerce ait été rendu impossible ou extrêmement difficile. En particulier, alors que la commune fait valoir que les travaux ne se sont pas étendus à la rue du Général de Gaulle dans laquelle est situé le commerce et que celle-ci a toujours été accessible par les piétons comme par les automobilistes, moyennant pour ces derniers des détours qui n'ont pas excédé les 500 mètres, l'EURL " Le Pain d'Autrefois " n'apporte aucun élément de nature à établir le contraire. Les éléments qu'elle produit, notamment ceux d'ordre financier, rendent d'ailleurs compte de ce que le commerce a enregistré des résultats pendant toute la durée des travaux, témoignant par ce seul fait de son accessibilité.

4. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que, dans le cadre de ces travaux, la commune de Coulogne a notamment fait procéder à l'aménagement d'un terre-plein central sur le chemin des Régniers. Cet aménagement empêche désormais les automobilistes en provenance du pont de Coulogne ou circulant sur le chemin des Régniers dans le sens Guînes-Calais de tourner à gauche pour s'engager directement dans la rue du Général de Gaulle. Toutefois, il résulte également de l'instruction que cette rue reste aisément accessible par les mêmes automobilistes s'ils empruntent des détours qui n'excèdent pas 700 mètres et n'allongent la durée de parcours que de deux minutes. Les travaux n'ont par ailleurs emporté aucune modification des conditions de stationnement à proximité immédiate du commerce ainsi que dans la rue du Général de Gaulle en général. L'aménagement contesté par l'EURL " Le Pain d'Autrefois " est en outre sans incidence sur les conditions dans lesquelles les piétons et les cycles peuvent accéder à son commerce mais aussi les autres automobilistes venant d'autres provenances, l'EURL n'établissant à cet égard pas que les automobilistes en provenance du Pont de Coulogne et de la partie sud du chemin des Régniers représentent une part majoritaire de ses clients. Enfin les éléments d'ordre financier qu'elle produit rendent encore compte de ce que le commerce a continué à enregistrer des résultats même après la fin des travaux et la mise en service des nouveaux aménagements.

5. En troisième lieu, si l'EURL " Le Pain d'Autrefois " soutient que le produit des ventes réalisées dans son commerce situé rue du Général de Gaulle a chuté de plus de 40% depuis le début des travaux, il résulte de l'instruction que cette baisse a été intégralement compensée par l'augmentation du produit des ventes réalisées sur les marchés et que le produit global d'exploitation de l'EURL " Le Pain d'Autrefois " a même augmenté tout au long de la période considérée. Il s'ensuit que la dégradation du résultat de l'EURL " Le Pain d'Autrefois " est exclusivement imputable à l'augmentation de ses charges d'exploitation. A cet égard, elle n'établit pas, par les extraits de bilan qu'elle produit, que l'augmentation de ces charges soit liée au renforcement de son activité de vente sur les marchés, laquelle était déjà prépondérante avant même le début des travaux litigieux. Dans ces conditions, l'EURL " Le Pain d'Autrefois " n'établit pas que les travaux et aménagements litigieux ont porté une atteinte manifeste à la viabilité économique de son commerce, de sorte que la décision qu'elle a prise d'en changer l'implantation en juillet 2018 ne peut pas être regardée comme en constituant une conséquence.

6. Il résulte de tout ce qui précède que les troubles subis par l'EURL " Le Pain d'Autrefois " du fait des travaux litigieux n'ont pas excédé, par leur ampleur, ceux que les riverains des voies publiques sont tenus de supporter sans indemnité et n'ont, dès lors, pas revêtu le caractère d'un dommage anormalement grave et spécial, seul de nature à lui ouvrir un droit à réparation. Il s'ensuit qu'elle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté ses conclusions tendant à la condamnation de la commune de Coulogne à l'indemniser de ses préjudices sur le fondement de sa responsabilité sans faute. Dès lors, sans qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise complémentaire sollicitée par l'EURL " Le Pain d'Autrefois " qui ne présente pas d'utilité pour la résolution du litige, ses conclusions d'appel tendant à l'annulation de ce jugement et à ce qu'il soit fait droit à sa demande indemnitaire doivent à leur tour être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

7. D'une part, il ne ressort pas des pièces du dossier que la présente instance ait généré des dépens, de sorte que les conclusions de l'EURL " Le Pain d'Autrefois " tendant à ce que les dépens soient mis à la charge de la commune de Coulogne doivent être rejetées.

8. D'autre part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune de Coulogne, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que l'EURL " Le Pain d'Autrefois " demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre au même titre à la charge de cette dernière le versement à la commune de Coulogne de la somme de 2 000 euros.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de l'EURL " Le Pain d'Autrefois " est rejetée.

Article 2 : L'EURL " Le Pain d'Autrefois " versera à la commune de Coulogne une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée " Le Pain d'Autrefois " et à la commune de Coulogne.

Délibéré après l'audience publique du 20 février 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Nathalie Massias, présidente de la cour,

- M. Marc Baronnet, président-assesseur,

- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 mars 2024.

Le rapporteur,

Signé : G. ToutiasLa présidente de la cour,

Signé : N. Massias

La greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne au préfet du Pas-de-Calais, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

par délégation,

La greffière

Anne-Sophie VILLETTE

2

N°23DA00531


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00531
Date de la décision : 14/03/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme Massias
Rapporteur ?: M. Guillaume Toutias
Rapporteur public ?: Mme Regnier
Avocat(s) : DECOSTER - CORRET - DELOZIERE - LECLERCQ

Origine de la décision
Date de l'import : 07/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-14;23da00531 ?
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