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09/04/2024 | FRANCE | N°22DA02448

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 2ème chambre, 09 avril 2024, 22DA02448


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. F... A... a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner solidairement le centre hospitalier de Roubaix et le centre hospitalier de Tourcoing à lui verser la somme de 511 652,17 euros en réparation de l'intégralité des préjudices qu'il a subis lors de sa prise en charge par ces établissements de santé avec intérêts au taux légal et capitalisation de ces intérêts et de condamner solidairement le centre hospitalier de Roubaix et le centre hospitalier de Tourcoi

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... A... a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner solidairement le centre hospitalier de Roubaix et le centre hospitalier de Tourcoing à lui verser la somme de 511 652,17 euros en réparation de l'intégralité des préjudices qu'il a subis lors de sa prise en charge par ces établissements de santé avec intérêts au taux légal et capitalisation de ces intérêts et de condamner solidairement le centre hospitalier de Roubaix et le centre hospitalier de Tourcoing à lui verser les sommes dues au titre de l'article A. 444-32 du code de commerce en cas d'exécution forcée des condamnations.

Par un jugement n° 2000100 du 4 novembre 2022, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 23 novembre 2022, 19 décembre 2022 et 21 août 2023, M. A..., représenté par Me Bernard-Puech, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner solidairement le centre hospitalier de Roubaix et le centre hospitalier de Tourcoing à lui verser la somme de 528 101,49 euros en réparation de l'intégralité des préjudices qu'il a subis lors de sa prise en charge par ces établissements de santé avec intérêts au taux légal et capitalisation de ces intérêts ;

3°) de condamner les centres hospitaliers de Roubaix et de Tourcoing aux dépens et de mettre solidairement à leur charge la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la responsabilité du centre hospitalier de Roubaix et du centre hospitalier de Tourcoing est engagée en raison de l'indication d'une thoracotomie à visée diagnostique non conforme aux règles de l'art ;

- il est résulté de ces manquements des préjudices dont le montant global est de 528 101,49 euros ;

- il doit être indemnisé à hauteur de 5 024,48 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;

- il doit être indemnisé à hauteur de 20 000 euros au titre des souffrances temporaires endurées ;

- il doit être indemnisé à hauteur de 1 500 euros au titre du préjudice esthétique temporaire ;

- il doit être indemnisé à hauteur de 150 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ;

- il doit être indemnisé à hauteur de 5 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent ;

- il doit être indemnisé à hauteur de 20 000 euros au titre du préjudice d'agrément ;

- il doit être indemnisé à hauteur de 7 421,47 euros au titre de l'assistance temporaire par une tierce personne ;

- il doit être indemnisé à hauteur de 6 483 euros au titre des frais d'expertise ;

- il doit être indemnisé à hauteur de 32 000 euros au titre des frais d'adaptation de son logement ;

- il doit être indemnisé à hauteur de 663,15 euros au titre des pertes de gains professionnels actuels ;

- il doit être indemnisé à hauteur de 150 000 euros au titre de l'incidence professionnelle ;

- il doit être indemnisé à hauteur de 19 672,66 euros au titre des pertes de gains professionnels futurs ;

- il doit être indemnisé à hauteur de 110 336,73 euros au titre de l'assistance permanente par une tierce personne.

Par un mémoire, enregistré le 21 juillet 2023, le centre hospitalier de Roubaix et le centre hospitalier de Tourcoing, représentés par la société d'avocats le Prado-Gilbert, concluent au rejet de la requête.

Ils font valoir que :

- le centre hospitalier de Tourcoing n'a commis aucune faute au cours de la prise en charge de M. A... et s'est borné à soumettre son cas à la réunion de concertation pluridisciplinaire ;

- le centre hospitalier de Roubaix n'a pas davantage commis de faute en raison de l'indication d'une thoracotomie exploratoire par la réunion de concertation pluridisciplinaire, dès lors que la suspicion de cancer était très élevée, en conformité avec les recommandations professionnelles ;

- les dommages subis par M. A... sont la conséquence non de la thoracotomie mais de la lobectomie, elle-même résultant d'un diagnostic extemporané erroné et fautif du médecin anatomopathologiste exerçant à titre libéral ;

- à titre subsidiaire, si une faute devait leur être imputée, elle n'aurait entraîné qu'une perte de chance minime d'éviter les préjudices subis ;

- M. A... ne justifie pas de l'assistance temporaire par une tierce personne et la demande indemnitaire à ce titre est au surplus, excessive ;

- le préjudice au titre de l'adaptation du logement n'est pas établi et est sans lien avec la faute alléguée ;

- le préjudice financier au titre des frais d'expertise engagés n'est pas établi au-delà de l'ordonnance de taxe du 1er avril 2019 du tribunal de grande instance de Lille à hauteur de 4 428 euros ;

- le préjudice au titre des pertes de gains professionnels actuels et futurs et le préjudice d'incidence professionnelle sont sans lien avec les fautes alléguées ;

- la demande indemnitaire au titre de l'assistance permanente par une tierce personne doit être rejetée en l'absence d'un tel besoin ;

- le préjudice au titre du déficit fonctionnel temporaire, le préjudice au titre du déficit fonctionnel permanent, le préjudice au titre des souffrances endurées sont sans lien avec les fautes alléguées et les demandes indemnitaires y afférentes sont au surplus, excessives ;

- la demande indemnitaire au titre du préjudice esthétique temporaire comme permanent et celle au titre du préjudice d'agrément sont excessives.

La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie de Lille-Douai, à la caisse primaire d'assurance maladie de Roubaix-Tourcoing et à la mutuelle Interiale, qui n'ont pas produit de mémoires.

Par une ordonnance du 31 octobre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 novembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guillaume Vandenberghe, rapporteur ;

- les conclusions de Mme Caroline Régnier, rapporteure publique ;

- les observations de M. F... A..., de Me Hubert Demailly, représentant le centre hospitalier de Tourcoing et le centre hospitalier de Roubaix.

Considérant ce qui suit :

1. Le 8 mars 2015, M. F... A..., né le 8 décembre 1974, a été victime d'une chute qui lui a occasionné une fracture de la mâchoire et de l'os zygomatique et un traumatisme au thorax. Il a été pris en charge au service des urgences puis par le service de médecine interne du centre hospitalier de Tourcoing du 8 au 11 mars 2015. Le 9 mars 2015, un scanner thoracique a mis en évidence un nodule pulmonaire isolé de 19 mm à contours spiculés sur le segment " S6 gauche ", associé à des micro nodules satellites. Le 10 mars 2015, une fibroscopie bronchique n'a révélé aucune lésion suspecte, tandis que les résultats des prélèvements cytologiques se sont révélés négatifs, notamment concernant la présence de bacilles de Koch, responsables de la tuberculose. Les fractures au visage ont été soignées par des stomatologues à Lille. Le 18 mars 2015, une tomographie par émission de positons (TEPSCAN) a révélé un hypermétabolisme du nodule pulmonaire lobaire inférieur gauche. Le 3 avril 2015, un deuxième scanner thoracique a confirmé la présence d'une lésion nodulaire gauche croissante de 22 millimètres de grand axe, associée à quelques micronodules satellites. Le 20 avril 2015, M. A... a consulté le docteur E..., praticienne hospitalière du centre hospitalier de Tourcoing, qui lui a fait part de sa volonté de procéder à une exérèse chirurgicale. Le dossier du patient a été présenté en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) d'oncologie thoraciquele le 23 avril 2015 au centre hospitalier de Roubaix qui a conclu à la réalisation d'une thoracotomie à visée anatomopathologique, destinée à vérifier le diagnostic, compte tenu d'une très forte suspicion de cancer broncho-pulmonaire.

2. M. A..., hospitalisé du 20 au 26 mai 2015 à la clinique La Louvière de Lille, a été opéré le 21 mai 2015 par le docteur D..., qui a réalisé une thoracotomie exploratoire. Les prélèvements ont fait l'objet d'un examen anatomopathologue par le docteur B... qui a diagnostiqué qu'ils présentaient un caractère cancéreux, ce qui a conduit le docteur D... à pratiquer immédiatement une lobectomie du poumon gauche et un curage des ganglions. Le 12 juin 2015, un examen du prélèvement réalisé le 21 mai 2015 a conclu à l'absence de cancer mais a révélé une inflammation granulomateuse gigantocellulaire épithélioïde nécrosante permettant d'établir une origine tuberculeuse du nodule. M. A... s'est alors vu administrer un traitement antituberculeux.

3. Le 9 mai 2017, par courriers recommandés avec accusés de réception, M. A... a sollicité le centre hospitalier de Roubaix et le centre hospitalier de Tourcoing aux fins d'indemnisation des préjudices qu'il estimait résulter de sa prise en charge au sein de ces établissements. Ces demandes ont été implicitement rejetées. M. A... a alors saisi le tribunal de grande instance de Lille et, par ordonnance du 27 juin 2017, le président du tribunal de grande instance de Lille a désigné le docteur C... en qualité d'expert spécialiste en pneumologie, lequel s'est adjoint les compétences du docteur G..., expert en anatomopathologie. Le rapport d'expertise définitif du docteur C... a été déposé le 31 août 2018. Par jugement du 9 mars 2023, le tribunal judiciaire de Lille, statuant sur l'action civile, a reconnu la responsabilité du docteur B... au motif d'une erreur de diagnostic des prélèvements réalisés au cours de la thoracotomie et l'a condamné à verser à M. A... une somme totale de 19 394,15 euros. M. A... relève appel du jugement n° 2000100 du 4 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire du centre hospitalier de Roubaix et du centre hospitalier de Tourcoing à indemniser les préjudices qu'il impute à sa prise en charge au sein de ces établissements.

4. Aux termes de l'article L. 1110-5 du code de la santé publique : " Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir, sur l'ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d'investigation ou de traitements et de soins ne doivent pas, en l'état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. (...) ". Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. ".

5. Il ressort de son rapport d'expertise déposé le 31 août 2018 que, pour retenir que les centres hospitaliers de Roubaix et de Tourcoing avaient tous deux commis une faute à l'origine des préjudices subis par M. A... en proposant une thoracotomie à visée anatomopathologique, l'expert soutient qu'une ponction transthoracique était davantage indiquée et conforme aux données acquises de la science médicale car elle aurait permis à M. A... d'éviter une chirurgie lourde et d'obtenir un diagnostic rapide et fiable, ce procédé présentant une sensibilité de 90 % pour le diagnostic de cancer broncho-pulmonaire. En outre, selon l'expert et contrairement à ce que soutiennent les centres hospitaliers dans leurs écritures, la topographie du nodule pulmonaire n'était pas incompatible avec cette technique diagnostique, le rapport d'expertise précisant que " la lésion adhère à la plèvre extrêmement facile à atteindre par une aiguille ". Toutefois, il ressort des recommandations professionnelles de juin 2011 élaborées conjointement par l'Institut national du cancer et la Société française de pneumologie de langue française qu'en présence d'un patient présentant un nodule pulmonaire très suspect de malignité, une chirurgie diagnostique et thérapeutique est indiquée si le patient est opérable et que, dans le cas contraire, une ponction doit être réalisée. Or, ainsi que l'indique l'expert lui-même, M. A... présentait des facteurs de risque de cancer broncho-pulmonaire importants en raison de son tabagisme actif et de sa consommation de stupéfiants depuis l'âge de vingt ans tandis que les images scanographiques révélaient un nodule pulmonaire suspect présentant un hypermétabolisme. En outre, d'une part, le diagnostic d'un nodule d'origine tuberculeuse était difficile compte tenu des résultats négatifs des prélèvements cytologiques quant à la présence de bacilles de Koch et, selon le rapport d'expertise du docteur C..., de " l'aspect non typique d'une tuberculose au scanner thoracique " et, d'autre part, contrairement aux conclusions de l'expertise non contradictoire du docteur H..., sollicitée par le requérant, il ne peut être sérieusement allégué que M. A... présentait, à la date de sa prise en charge par le centre hospitalier de Tourcoing, des signes pathognomoniques, à savoir des signes dont la présence indique une maladie donnée sans équivoque possible, d'une pathologie d'origine tuberculeuse, dès lors que certains des symptômes ainsi évoqués, comme la toux et l'amaigrissement, sont aussi, ainsi qu'il ressort d'un document produit en défense relatif aux tumeurs du poumon primitives et secondaires et émanant du collège des enseignants de pneumologie en 2013, des symptômes du cancer broncho-pulmonaire et qu'il n'est établi ni que les autres symptômes évoqués en ce sens présentent un tel caractère pathognomonique de la tuberculose ni de surcroît qu'ils aient été portés à la connaissance du centre hospitalier de Tourcoing lors de la prise en charge initiale de M. A..., sans que soit par ailleurs alléguée une quelconque faute dans l'anamnèse à laquelle il a été procédé au sein de cet établissement. Dans ces conditions, l'indication d'une thoracotomie à visée anatomopathologique et, selon le résultat de l'examen anatomopathologique extemporané, thérapeutique, doit être regardée comme conforme aux règles de l'art. En outre, ni le centre hospitalier de Tourcoing ni le centre hospitalier de Roubaix n'ont recommandé de pratiquer une lobectomie, laquelle a été réalisée dans une clinique privée, de sorte que la responsabilité de ces établissements ne peut être engagée à ce titre.

6. Il résulte de tout ce qui précède, que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande. Par suite, les conclusions indemnitaires présentées par l'appelant doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... A..., au centre hospitalier de Roubaix et au centre hospitalier de Tourcoing.

Copie en sera adressée pour information à la caisse primaire d'assurance maladie de Lille-Douai et de Roubaix-Tourcoing et à la mutuelle Interiale.

Délibéré après l'audience publique du 26 mars 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Nathalie Massias, présidente de la cour ;

- M. Marc Baronnet, président-assesseur ;

- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 avril 2024.

Le rapporteur,

Signé : G. VandenbergheLa présidente de la cour,

Signé : N. Massias

La greffière,

Signé : A-S. Villette

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

par délégation,

La greffière

2

N°22DA02448


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA02448
Date de la décision : 09/04/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme Massias
Rapporteur ?: M. Guillaume Vandenberghe
Rapporteur public ?: Mme Regnier
Avocat(s) : BERNARD-PUECH

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-09;22da02448 ?
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