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30/04/2024 | FRANCE | N°22LY01694

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 6ème chambre, 30 avril 2024, 22LY01694


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :



M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Saint-Etienne à lui verser une somme de 435 132,29 euros, en réparation de ses préjudices consécutifs à sa prise en charge hospitalière du 19 août 2009.



Par un jugement n° 2004178 du 3 mai 2022, le tribunal administratif de Lyon a rejeté cette demande et mis à la charge du requérant les dépens constitués par les frais de l'expert

ise ordonnée le 20 décembre 2017.





Procédure devant la cour :



Par une requête enregis...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Saint-Etienne à lui verser une somme de 435 132,29 euros, en réparation de ses préjudices consécutifs à sa prise en charge hospitalière du 19 août 2009.

Par un jugement n° 2004178 du 3 mai 2022, le tribunal administratif de Lyon a rejeté cette demande et mis à la charge du requérant les dépens constitués par les frais de l'expertise ordonnée le 20 décembre 2017.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 2 juin 2022, M. D... A..., représenté par la SELARL Ad Justitiam, agissant par Me Thinon, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2004178 du 3 mai 2022 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) de condamner le CHU de Saint-Etienne à lui verser une somme de 440 132,29 euros, outre intérêts au taux légal et leur capitalisation, ou, subsidiairement de prononcer la même condamnation à l'encontre de l'ONIAM ;

3°) de mettre à la charge du CHU de Saint-Etienne, subsidiairement de l'ONIAM, une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. A... soutient que :

- les troubles dont il souffre sont en lien avec l'intervention chirurgicale pratiquée le 19 août 2009 au CHU de Saint-Etienne, lequel, ayant égaré son dossier médical, doit démontrer que sa prise en charge, présumée fautive de ce fait, ne l'est pas ;

- subsidiairement, ses préjudices, caractérisés par un taux d'atteinte permanente de 30 %, doivent être indemnisés au titre de la solidarité nationale ;

- ses préjudices doivent être évalués ainsi :

* déficit fonctionnel temporaire : 1 500 euros ;

* souffrances morales endurées : 8 000 euros ;

* déficit fonctionnel permanent : 67 200 euros ;

* préjudice d'agrément : 10 000 euros ;

* préjudice sexuel : 50 000 euros ;

* préjudice d'établissement : 20 000 euros ;

* incidence professionnelle : 20 000 euros ;

* perte de gains professionnels avant consolidation : 581 euros ;

* perte de gains professionnels futurs : 220 588,69 euros ;

* dépenses de santé passées et futures, restant à charge : 48 462,60 euros ;

* préjudice esthétique : 5 000 euros.

Par un mémoire, enregistré le 3 août 2022, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par l'AARPI Jasper avocats, agissant par Me Roquelle-Meyer, conclut à la confirmation du jugement attaqué.

L'ONIAM fait valoir que :

- il incombe au CHU, qui a égaré le dossier médical du requérant, de rapporter la preuve d'une prise en charge hospitalière de M. A... exempte de manquements, sans quoi la responsabilité de cet hôpital se trouve engagée ;

- la responsabilité du CHU serait-elle écartée, les conditions présidant à l'indemnisation des préjudices de M. A... au titre de la solidarité nationale ne sont pas réunies car les troubles sphinctériens du requérant ne sont pas imputables à un accident médical ni à une infection nosocomiale, mais résultent de l'évolution de son état de santé préexistant et ses troubles sexuels, dans l'hypothèse où ils seraient en lien avec l'intervention du 19 août 2009, ne présentent pas le caractère anormal requis par les dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique et n'atteignent pas le taux minimal de 24 % requis par l'article D. 1142-1 du même code.

Par des mémoires en défense enregistrés les 6 février et 23 février 2024, le CHU de Saint-Etienne, représenté par le cabinet d'avocats Le Prado - Gilbert, conclut au rejet de la requête et des conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Rhône.

Le CHU fait valoir que :

- le caractère incomplet du dossier médical du requérant ne démontre pas, en soi, l'existence de fautes qui seraient imputables à l'établissement et l'expert disposait de pièces médicales permettant d'apprécier la prise en charge hospitalière de M. A... et le lien entre celle-ci et les troubles de l'intéressé ;

- il n'existe pas de lien direct et certain entre les troubles sphinctériens du requérant et l'intervention qu'il a subie le 19 août 2009 ;

- aucune faute de nature médicale ne peut lui être imputée si bien qu'il ne peut pas être tenu pour responsable des conséquences dommageables de cette intervention, s'agissant des troubles sexuels du requérant ;

- s'agissant du devoir d'information, le requérant n'a perdu aucune chance d'éviter les préjudices subis car, informé des risques de l'intervention, il y aurait encore consenti et, subsidiairement, le taux de perte de chance serait particulièrement minime ;

- la demande de la CPAM reposant sur les troubles sphinctériens, non imputables à l'intervention chirurgicale, n'est pas fondée, la caisse ne justifie pas l'utilisation, par M. A..., de 88 boîtes du médicament Vitaros dont il est demandé le remboursement, et l'hôpital s'oppose à toute capitalisation de frais futurs ;

- à titre subsidiaire :

* le taux journalier pour le déficit fonctionnel temporaire doit être fixé à 13 euros, sur la base d'un taux de 10 % attribué aux troubles sexuels ;

* le préjudice sexuel et les souffrances morales sont déjà indemnisés au titre du déficit fonctionnel permanent et les indemnités sollicitées à ce titre doivent être ramenées à de plus justes proportions ;

* les préjudices d'établissement et d'agrément ne sont pas établis ;

* le montant de l'indemnité au titre du déficit fonctionnel permanent ne saurait excéder 13 621 euros ;

* les troubles sexuels seuls pouvant être éventuellement en lien avec l'intervention chirurgicale ne génèrent pas de préjudice d'incidence professionnelle ni de préjudice de perte de gains professionnels, alors que, pour ce dernier, il devrait être tenu compte des indemnités journalières et de la rente d'invalidité perçues, que, pour le futur, jusqu'à l'âge de la retraite, ce préjudice ne saurait donner lieu à capitalisation et que le requérant ne donne pas d'indication sur une éventuelle perte de droits à pension ;

* les frais de santé allégués restés à charge du requérant ne sont pas justifiés ;

* il n'existe pas de préjudice esthétique en lien avec les troubles sexuels.

Par un mémoire enregistré le 13 février 2024, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Rhône, représentée par la SELARL BdL avocats, agissant par Me Philip de Laborie, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2004178 du 3 mai 2022 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) de condamner le CHU de Saint-Etienne, responsable en totalité des préjudices de M. A..., à lui verser la somme de 50 560,92 euros, au titre de ses débours, outre une somme de 1 191 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;

3°) de mettre à la charge du CHU de Saint-Etienne une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La caisse primaire d'assurance maladie soutient que :

- les troubles sexuels de M. A... font suite à l'intervention chirurgicale du 19 août 2009 au CHU de Saint-Etienne, lequel a commis une faute en égarant le dossier médical du requérant ;

- le CHU de Saint-Etienne n'a pas respecté son obligation d'informer M. A... des conséquences de cette intervention ;

- elle est fondée à demander la condamnation du CHU à lui rembourser ses débours et à lui verser l'indemnité forfaitaire de gestion.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale, ensemble l'arrêté du 18 décembre 2023 relatif aux montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale pour l'année 2024 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 2 avril 2024 :

- le rapport de M. Gros, premier conseiller,

- et les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D... A..., né en 1968, souffrant depuis 1994 d'une hernie discale lombaire d'origine professionnelle, a subi plusieurs interventions chirurgicales jusqu'à la réimplantation, le 19 août 2009, d'un stimulateur épidural ou médullaire. Atteint de troubles sphinctériens et de troubles sexuels qu'il estime résulter de cette dernière prise en charge, il a demandé la condamnation du CHU de Saint-Etienne, ou à défaut celle de l'ONIAM, à lui verser une somme de 435 132,29 euros. Par un jugement du 3 mai 2022, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande et a mis à sa charge les frais d'expertise. M. A... relève appel de ce jugement en demandant la condamnation du centre hospitalier ou de l'ONIAM à lui verser une somme de 440 132,29 euros.

Sur la responsabilité du centre hospitalier pour faute :

2. En premier lieu, aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute ".

3. Il résulte du rapport du 4 mars 2019 de l'expertise réalisée par un médecin neurochirurgien que le choix de la neurostimulation, poursuivi par la réimplantation, le 19 août 2009, d'un stimulateur épidural, était approprié pour réduire les douleurs neuropathiques de M. A.... Aucun incident n'est survenu lors de cette intervention chirurgicale du 19 août 2009 selon le compte rendu rédigé le jour même et le compte rendu de l'hospitalisation de M. A... jusqu'au 1er septembre 2009 ne mentionne que des paresthésies des membres inférieurs post opératoires traitées avec succès par l'administration d'infiltrations. Dès lors, si le dossier médical du requérant couvrant cette période de prise en charge, produit par le CHU, se limitait à ces documents et à un compte rendu d'une consultation du 1er avril 2010 auprès du chirurgien opérateur, sans comporter d'autres pièces telles que les relevés quotidiens des infirmières et les notes des médecins, cette circonstance, pour regrettable qu'elle soit, n'est pas à elle seule susceptible de révéler la commission par le CHU d'une faute, elle-même susceptible d'être en lien avec les troubles dont souffre le requérant. Par suite, ce dernier, qui n'a pas été privé d'une chance d'obtenir réparation de son préjudice en raison d'un dossier hospitalier incomplet, ainsi que la CPAM du Rhône, ne sont pas fondés à soutenir que la responsabilité du CHU de Saint-Etienne est engagée sur le fondement des dispositions visées ci-dessus du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique.

4. En second lieu, l'article L. 1111-2 du code de la santé publique dispose que : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus ". Il résulte de ces dispositions que doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui, soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence.

5. 5. En cas de manquement à cette obligation d'information, si l'acte de diagnostic ou de soin entraîne pour le patient, y compris s'il a été réalisé conformément aux règles de l'art, un dommage en lien avec la réalisation du risque qui n'a pas été porté à sa connaissance, la faute commise en ne procédant pas à cette information engage la responsabilité de l'établissement de santé à son égard, pour sa perte de chance de se soustraire à ce risque en renonçant à l'opération. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction, compte tenu de ce qu'était l'état de santé du patient et son évolution prévisible en l'absence de réalisation de l'acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu'il aurait fait, qu'informé de la nature et de l'importance de ce risque, il aurait consenti à l'acte en question.

6. Il est constant que M. A... n'a pas, préalablement à l'intervention du 19 août 2009, été informé du risque, grave, de survenue de troubles sexuels, en l'occurrence une dysérection ou dysfonctionnement érectile. Il ne résulte pas de l'instruction que cette intervention, consistant en la réimplantation d'un stimulateur épidural ou médullaire, posé une première fois le 3 janvier 2000 mais explanté en raison de nombreux épisodes infectieux, présentait un caractère impérieux, ni que M. A..., informé de la nature et de l'importance de ce risque, aurait nécessairement consenti à l'intervention, quand bien même il l'avait sollicitée. Il en résulte que le manquement de l'établissement à son devoir d'information a privé M. A... d'une chance de se soustraire à la réalisation du risque en renonçant à l'opération. Le taux attaché à cette perte de chance doit être fixée à 30 %.

Sur l'engagement de la solidarité nationale :

7. Aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " II. - Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement (...) n'est pas engagée, un accident médical (...) ouvre droit à la réparation des préjudices du patient (...) au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret (...) ". Aux termes de l'article D. 1142-1 du même code : " Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L. 1142-1 est fixé à 24 %. / Présente également le caractère de gravité mentionné au II de l'article L. 1142-1 un accident médical (...) ayant entraîné, pendant une durée au moins égale à six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de douze mois, un arrêt temporaire des activités professionnelles ou des gênes temporaires constitutives d'un déficit fonctionnel temporaire supérieur ou égal à un taux de 50 %. / A titre exceptionnel, le caractère de gravité peut être reconnu : / 1° Lorsque la victime est déclarée définitivement inapte à exercer l'activité professionnelle qu'elle exerçait avant la survenue de l'accident médical (...) ; / 2° Ou lorsque l'accident médical (...) occasionne des troubles particulièrement graves, y compris d'ordre économique, dans ses conditions d'existence ".

8. Il résulte du rapport d'expertise du 4 mars 2019 précité que les troubles sexuels du requérant, constatés lors d'une consultation du 19 mars 2010 auprès d'un médecin urologue, sont en lien avec l'intervention chirurgicale, dépourvue de caractère fautif, durant laquelle le chirurgien a été conduit à ouvrir plus largement le canal vertébral occupé par une fibrose. Toutefois, le taux de déficit fonctionnel permanent attribué à ces troubles par l'expert étant de 10 % et aucun élément ne permettant de qualifier alternativement le caractère de gravité requis par le II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, les conditions d'engagement de la solidarité nationale ne sont pas réunies pour l'indemnisation des préjudices nés de ces troubles sexuels. D'autre part, s'agissant des troubles sphinctériens dont souffre également le requérant, l'expert estime que le délai de plus de deux années séparant la première mention médicale de ces troubles, dans un compte rendu d'électromyogramme périnéal du 8 novembre 2011, de l'intervention du 19 août 2009, ne permet pas de lier à cette dernière la survenue de tels troubles. Le requérant ne produit aucune pièce médicale susceptible d'établir que ces troubles sphinctériens seraient apparus plus précocement, au plus près de l'intervention du 19 août 2009, alors que le compte rendu de consultation du 1er avril 2010 auprès du chirurgien opérateur rapporte l'existence de troubles sexuels sans troubles sphinctériens, pas davantage évoqués lors de la consultation urologique du 19 mars 2010. Dans ces conditions, ces troubles n'apparaissant pas directement imputables à un acte de prévention, de diagnostic ou de soins, les conditions d'engagement de la solidarité nationale ne sont pas davantage réunies pour l'indemnisation de préjudices correspondants.

Sur les préjudices :

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux de M. A... et les droits de la CPAM du Rhône :

Quant aux dépenses de santé :

9. Si M. A... demande une somme de 48 462,60 euros au titre de dépenses de santé non remboursées pour le traitement de ses problèmes érectiles, il ne justifie pas de dépenses restées à sa charge pour l'achat du médicament Cialis, non remboursé par la sécurité sociale, ses troubles érectiles étant traités par un autre médicament, remboursé par la sécurité sociale. En conséquence, les chefs de préjudice actuels et futurs liés à l'achat de Cialis ne peuvent qu'être écartés.

10. La caisse primaire d'assurance maladie du Rhône, qui demande une somme de 50 560,92 euros au titre des seules dépenses de santé actuelles et futures liées aux problèmes d'érection dont souffre le requérant, justifie avoir exposé des débours d'un montant de 3 716,67 euros, correspondant à des consultations médicales et à l'achat de 88 boîtes du médicament Vitaros prescrit au requérant pour ses troubles sexuels. Eu égard au taux de perte de chance retenu de 30 %, le montant de l'indemnité due par le CHU s'élève à la somme de 1 115 euros, à verser intégralement à la caisse primaire d'assurance maladie en l'absence de frais restés à charge de la victime. Pour le futur, les débours de la caisse peuvent être évalués à un montant annuel de 1 775,04 euros, correspondant au coût de quatre boîtes de Vitaros par mois, et, en l'absence d'accord de l'établissement de soins pour le versement immédiat d'un capital représentatif, la caisse a droit, après application du taux de perte de chance, à une rente annuelle de 532,51 euros, qui sera revalorisée par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale.

Quant à la perte de gains professionnels et à l'incidence professionnelle :

11. Il ne résulte pas de l'instruction que le licenciement de M. A..., qui lui occasionne une perte de gains professionnels, trouve son origine dans les troubles sexuels du requérant imputables à l'intervention chirurgicale du 19 août 2009. En l'absence de lien entre ce licenciement et de tels troubles, le chef de préjudice reposant sur une perte actuelle et future de gains professionnels ne peut qu'être écarté. Il ne résulte pas davantage de l'instruction que l'employabilité de M. A... serait réduite par ses troubles sexuels.

En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux de M. A... :

Quant au déficit fonctionnel temporaire :

12. Il résulte du rapport d'expertise que M. A... a subi un déficit fonctionnel temporaire, imputable à ses troubles sexuels, de 10 %, du 1er septembre 2009 au 19 mars 2010, date de consolidation retenue par l'expert. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en le fixant à la somme de 280 euros, avant application du taux de perte de chance.

Quant aux souffrances endurées :

13. Les souffrances morales endurées par M. A..., que l'expert a placées à 3 sur une échelle de 1 à 7, doivent être évaluées à la somme de 4 000 euros, avant application du taux de perte de chance.

Quant au déficit fonctionnel permanent :

14. Le déficit fonctionnel permanent de M. A..., âgé de 42 ans à la date de la consolidation de ses troubles sexuels, le 19 mars 2010, a été évalué à 10 % par l'expert. Il y a lieu d'évaluer son préjudice à ce titre à la somme de 15 000 euros, avant application du taux de perte de chance.

Quant au préjudice d'agrément :

15. Le requérant ne justifie pas d'un préjudice d'agrément distinct des troubles de toute nature dans les conditions d'existence réparés par l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent.

Quant au préjudice sexuel :

16. L'expert a retenu l'existence d'un préjudice sexuel qu'il qualifie de majeur et qui doit ainsi être évalué à la somme de 6 000 euros, avant application du taux de perte de chance.

Quant au préjudice d'établissement :

17. Il ne résulte pas de l'instruction que les troubles sexuels du requérant, caractérisés par un dysfonctionnement érectile, corrigé par des médicaments, serait-ce imparfaitement selon l'expert, auraient fait obstacle à la naissance d'un troisième enfant, souhaité par le couple. Ce chef de préjudice doit donc être écarté.

Quant au préjudice esthétique :

18. Les seuls troubles sexuels du requérant ne génèrent pas d'atteinte esthétique, susceptible d'être indemnisée.

Quant au préjudice spécifique d'impréparation :

19. Indépendamment de la perte d'une chance de refuser l'intervention, le manquement des médecins à leur obligation d'informer le patient des risques courus ouvre pour l'intéressé, lorsque ces risques se réalisent, le droit d'obtenir réparation des troubles qu'il a subis du fait qu'il n'a pas pu se préparer à cette éventualité. S'il appartient au patient d'établir la réalité et l'ampleur des préjudices qui résultent du fait qu'il n'a pas pu prendre certaines dispositions personnelles dans l'éventualité d'un accident, la souffrance morale qu'il a endurée lorsqu'il a découvert, sans y avoir été préparé, les conséquences de l'intervention doit, quant à elle, être présumée.

20. Eu égard à l'importance des troubles sexuels auxquels M. A... a été confronté dans les suites de l'intervention du 19 août 2009, sans y avoir été préparé, il y a lieu de lui allouer la somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice moral, sans qu'il y ait lieu d'y appliquer, eu égard à la nature particulière de ce préjudice, le taux de perte de chance de 30 % défini au point 6.

21. Il résulte de ce qui a été exposé aux points 9 à 18 que le montant des préjudices de M. A... s'élève, hors préjudice d'impréparation, à la somme de 25 280 euros et que l'indemnité mise à la charge du centre hospitalier pour ces préjudices doit être fixée à la somme de 7 584 euros, compte tenu du taux de perte de chance de 30 % retenu. L'indemnisation de l'ensemble des préjudices subis par M. A..., y compris le préjudice d'impréparation, s'élève, dès lors, à la somme de 8 584 euros. En faisant application du taux de perte de chance ci-dessus retenu, il y a lieu de mettre à la charge du CHU une somme de 1 115 euros à verser à la CPAM du Rhône, et, à compter du présent arrêt, une somme annuelle de 532,51 euros, revalorisée par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale.

22. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... et la CPAM du Rhône sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté en totalité leurs demandes.

Sur les intérêts et leur capitalisation :

23. M. A... peut demander que l'indemnité de 8 584 euros qui lui est due soit assortie d'intérêts au taux légal à compter du 24 février 2020, date de sa réclamation préalable. Il a par ailleurs demandé la capitalisation de ces intérêts dans sa requête enregistrée au greffe du tribunal le 25 juin 2020. Les intérêts, qui, à cette date, n'étaient pas dus depuis au moins une année, seront donc capitalisés au 24 février 2021 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur l'indemnité forfaitaire de gestion :

24. Aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " (...) / En contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement mentionné au troisième alinéa ci-dessus, la caisse d'assurance maladie à laquelle est affilié l'assuré social victime de l'accident recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l'organisme national d'assurance maladie. Le montant de cette indemnité est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un montant maximum (...) et d'un montant minimum (...) révisés chaque année, par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget (...). "

25. Le centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne étant condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône une somme de 1 115 euros et une rente viagère annuelle de 532,51 euros pour les débours qu'elle servira à la victime née en 1968, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, et de l'article 1er de l'arrêté du 18 décembre 2023 susvisé, de mettre à la charge du CHU de Saint-Etienne le versement à la CPAM du Rhône de l'indemnité forfaitaire de gestion, soit une somme de 1 191 euros.

Sur les frais liés au litige :

26. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. (...) ".

27. Par une ordonnance du président du tribunal du 26 mars 2019, les frais et honoraires de l'expertise ont été liquidés et taxés à la somme de 3 312 euros qu'il y a lieu de mettre à la charge définitive du centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne.

28. Dans les mêmes circonstances, il y a lieu de mettre à la charge du CHU de Saint-Etienne, la somme de 1 500 euros à verser à M. A... et la somme de 1 500 euros à verser à la CPAM du Rhône, au titre des frais qu'ils ont chacun exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2004178 du 3 mai 2022 du tribunal administratif de Lyon est annulé.

Article 2 : Le centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne versera à M. A... une indemnité d'un montant de 8 584 euros. Elle portera intérêts au taux légal à compter du 24 février 2020, avec capitalisation des intérêts au 24 février 2021 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Article 3 : Le centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne versera une somme de 1 115 euros à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône et, à compter du présent arrêt, une rente annuelle de 532,51 euros, revalorisée par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale.

Article 4 : Le centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne versera une somme de 1 191 euros à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône, au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Article 5 : Les dépens, correspondant aux frais de l'expertise taxés et liquidés à la somme de 3 312 euros, sont mis à la charge du centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne au titre de l'article R. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : En application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne versera une somme de 1 500 euros à M. A... et une somme de 1 500 euros à la CPAM du Rhône.

Article 7 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A..., à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône, au centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Copie en sera adressée au professeur C... B..., expert.

Délibéré après l'audience du 2 avril 2024, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Stillmunkes, président assesseur,

M. Gros, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 avril 2024.

Le rapporteur,

B. Gros

Le président,

F. Pourny

La greffière,

N. Lecouey

La République mande et ordonne au ministre du travail, de la santé et des solidarités, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

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N° 22LY01694


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY01694
Date de la décision : 30/04/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: M. Bernard GROS
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : SELARL AD JUSTITIAM

Origine de la décision
Date de l'import : 12/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-30;22ly01694 ?
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