La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/01/2024 | FRANCE | N°22MA00818

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 23 janvier 2024, 22MA00818


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :



Mme G... B..., son époux, M. C... A... et, sa mère, Mme D... B..., ont demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, de condamner la commune d'Aix-en-Provence à leur verser respectivement les sommes de 244 538,10 euros, 15 000 euros et 15 000 euros, au titre des préjudices qu'ils estiment avoir subis en raison de l'état de santé de Mme G... B... et de la gestion de sa situation administrative, et, d'autre part, de mettre à la charge de cette commune une somme de 4 500 eur

os à verser à Mme G... B... en application des dispositions de l'article L. ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G... B..., son époux, M. C... A... et, sa mère, Mme D... B..., ont demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, de condamner la commune d'Aix-en-Provence à leur verser respectivement les sommes de 244 538,10 euros, 15 000 euros et 15 000 euros, au titre des préjudices qu'ils estiment avoir subis en raison de l'état de santé de Mme G... B... et de la gestion de sa situation administrative, et, d'autre part, de mettre à la charge de cette commune une somme de 4 500 euros à verser à Mme G... B... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2003254 du 12 janvier 2022, le tribunal administratif de Marseille a condamné la commune d'Aix-en-Provence à verser à Mme G... B... une somme de 3 500 euros en réparation de son préjudice moral et de ses troubles dans ses conditions d'existence, ainsi qu'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, avant de rejeter le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés le 11 mars 2022, et les 8 février et 11 février 2023, Mme G... B... et M. C... A..., représentés par Me Faure-Tronche, demandent à la Cour :

1°) d'annuler les articles 1er et 3 de ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 12 janvier 2022 ;

2°) de condamner la commune d'Aix-en-Provence à verser à Mme B... :

- au titre de sa responsabilité pour faute :

. la somme de 15 000 euros, en réparation de son préjudice moral ;

. la somme de 6 000 euros, en réparation de son préjudice matériel ;

. la somme de 9 000 euros, en réparation de son préjudice matériel lié à la perte de revenus ;

. la somme de 90 000 euros, en réparation de son préjudice lié à la perte de chance ;

- au titre de la responsabilité sans faute :

. la somme de 50 000 euros, en réparation de son préjudice moral ;

. la somme de 5 038,10 euros, en réparation de son préjudice matériel ;

. la somme de 69 500 euros, en réparation de son préjudice lié aux troubles dans ses conditions d'existence ;

3°) de condamner la commune d'Aix-en-Provence à verser à M. A... la somme à parfaire de 15 000 euros, en réparation de son préjudice moral ;

4°) de mettre à la charge de la commune d'Aix-en-Provence la somme de 4 500 euros à verser à Mme B... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

Sur la critique du jugement attaqué :

- le tribunal administratif de Marseille a commis une erreur de droit en considérant que dès lors que le préjudice moral de Mme B... était réparé sur le fondement de la responsabilité pour faute, il ne pouvait l'être sur le fondement de la responsabilité sans faute ;

- le tribunal administratif de Marseille a commis une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'il a considéré que les préjudices de Mme B... n'étaient pas suffisamment justifiés et en lui allouant seulement la somme de 3 500 euros en réparation de son préjudice moral ;

- une nouvelle erreur manifeste d'appréciation commise par le tribunal administratif de Marseille s'évince du fait que, pour dénier à Mme B..., le droit à être remboursée de ses frais médicaux, il n'a pas tenu compte de son changement de statut ;

- une telle erreur s'évince encore de la dénégation du lien de causalité entre l'état de santé de Mme B..., qui est imputable au service, et l'impératif vital pour elle de ne pas se retrouver au sein du milieu professionnel ayant généré directement cet état ;

Sur la responsabilité pour faute de la commune d'Aix-en-Provence :

- sur la réticence fautive et abusive de la commune d'Aix-en-Provence à reconnaître l'imputabilité au service de l'état de santé de Mme B... :

. l'absence de reconnaissance de l'imputabilité au service de la maladie de Mme B... est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de la commune d'Aix-en-Provence et ils demandent la confirmation du jugement attaqué sur ce point ;

. ils sollicitent la réformation de ce même jugement quant au quantum de l'évaluation du préjudice moral de Mme B... et de l'absence d'indemnisation de leurs autres préjudices ;

- sur la faute tenant au manquement par la commune d'Aix-en-Provence à son obligation de résultat en termes de sécurité et à ses conditions de travail :

. la commune d'Aix-en-Provence ne lui a pas garanti des conditions de travail sereines et, ce faisant, elle a manqué à cette obligation à l'égard de Mme B... ; en refusant de l'indemniser pour cette faute, le tribunal administratif de Marseille a entaché son jugement d'une erreur de droit ;

. le préjudice de Mme B... lié à sa perte de chance d'accéder au grade d'ingénieur en chef et de bénéficier ainsi d'un traitement et d'un régime de retraite plus favorables s'établit à la somme de 90 000 euros ;

. la survenance de l'affection subie par Mme B... est imputable aux conditions de travail et relève un manquement grave de la commune ; elle ne constitue pas un moyen nouveau mais qui justifie l'évocation de la responsabilité sans faute ;

Sur la responsabilité sans faute de la commune d'Aix-en-Provence :

- victime d'une maladie professionnelle reconnue imputable au service le 22 février 2018, par une décision définitive, Mme B... est éligible, même en l'absence de faute de la commune d'Aix-en-Provence, à l'indemnisation des chefs de préjudice, distincts de l'atteinte à son intégrité physique ; le jugement attaqué doit donc être confirmé sur ce point ;

- Mme B... est bien fondée à solliciter une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, distincts de l'atteinte à l'intégrité physique, et tenant au préjudice moral, à la perte de chance et aux troubles dans les conditions d'existence :

. le jugement du tribunal administratif de Marseille est entaché d'une erreur de droit en tant qu'il a rejeté la demande de réparation du préjudice moral formulée par Mme B... au motif que ce dernier n'était pas distinct de celui qu'elle arguait dans le cadre de la responsabilité pour faute de la commune d'Aix-en-Provence ; Mme B... a droit, au titre de sa responsabilité sans faute, à la réparation de son préjudice moral à hauteur de 50 000 euros ;

. Mme B... a également droit à la réparation de son préjudice matériel et elle est fondée, à ce titre, à solliciter la somme de 500,22 euros, en ce qui concerne le reste à charge des honoraires médicaux, et celle de 4 537,88 euros, en ce qui concerne les frais supportés directement pour la prise en charge médicale ; dans cette mesure, le jugement attaqué est encore entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;

. s'agissant des troubles dans les conditions d'existence de Mme B..., le tribunal administratif de Marseille a entaché son jugement d'une erreur de fait et d'une erreur manifeste d'appréciation ; Mme B... a droit au versement de la somme de 30 000 euros, au titre du préjudice moral subi du fait de l'éloignement de son domicile familial, de la somme de 36 000 euros au titre de son préjudice matériel lié aux frais engendrés par une double domiciliation, et de la somme de 3 500 euros, au titre des frais liés à la recherche d'un emploi ;

- Mme B... est enfin bien fondée à solliciter une indemnité, au titre de son époux et de sa mère, victimes par ricochet ; en refusant, l'indemnisation de ces postes de préjudices, le tribunal administratif de Marseille a commis une erreur manifeste d'appréciation.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 11 juillet 2022 et 7 mars 2023, la commune d'Aix-en-Provence, représentée par Me Bazin, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de Mme B... au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- à titre liminaire, la Cour relèvera que Mme B... et M. A... ne soulèvent que des moyens relatifs au bien-fondé du jugement attaqué du 12 janvier 2022 et qu'elle n'est, en conséquence, plus fondée à attaquer sa régularité ;

- les prétentions indemnitaires de Mme B... et de M. A... ne sont pas fondées ;

- sur les nouvelles conclusions présentées en appel :

. si Mme B... et M. A... invoquent pour la première fois en appel, l'existence de la faute qu'elle aurait commise en ne satisfaisant pas à son obligation de résultat de sécurité, elle invoque en réalité l'existence d'une faute qui tiendrait à l'illégalité de la décision d'affectation et aux conditions de son affectation ; or, par le jugement nos 1503595, 1504552 du 6 février 2018, le tribunal administratif de Marseille a conclu à la légalité de la décision portant changement d'affectation du 13 avril 2015 et, dès lors, en l'absence de faute, sa responsabilité ne saurait être engagée à ce titre ;

. si, par extraordinaire, la Cour retenait l'existence d'une telle faute, elle devra rejeter l'indemnisation de la prétendue perte de chance ;

- Mme B... ne reprenant pas les conclusions tendant à obtenir une réparation pour sa mère qui est décédée depuis le jugement de première instance, celles-ci sont réputées être abandonnées.

La procédure a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Bouches-du-Rhône qui n'a pas produit de mémoire.

Par une ordonnance du 27 novembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 11 décembre 2023, à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général de la fonction publique ;

- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 82-453 du 28 mai 1982 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lombart,

- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,

- et les observations de Mme B....

Une note en délibéré, présentée pour Mme B..., par Me Faure-Tronche, a été enregistrée le 9 janvier 2024.

Considérant ce qui suit :

1. Titulaire du grade d'ingénieur territorial principal, Mme B... a été recrutée au sein des services de la commune d'Aix-en-Provence, le 1er février 2009, en qualité de directrice de l'urbanisme. A compter du 13 avril 2015, alors qu'elle venait d'être affectée, le 10 avril 2015, sur un poste de chargée de mission de la coordination des instructeurs du droit des sols des communes du Pays d'Aix, Mme B... a fait l'objet d'arrêts de travail pour état dépressif réactionnel. Par une décision du 1er juin et un arrêté du 5 novembre 2015, la maire

d'Aix-en-Provence a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de cet état dépressif réactionnel et l'a placée, par un arrêté du 20 novembre 2015, en congé de maladie ordinaire à compter du 13 avril 2015. Toutefois, en exécution du jugement nos 1505129, 1600057, 1600470 du 6 février 2018, devenu définitif, par lequel le tribunal administratif de Marseille a annulé cette décision du 1er juin 2015 et ces arrêtés des 5 et 20 novembre 2015, la maire d'Aix-en-Provence a, par un arrêté du 22 février 2018, placé Mme B... en congé de maladie professionnelle à compter du 13 avril 2015. Par une lettre du 5 décembre 2019, Mme B... a présenté une réclamation indemnitaire préalable sollicitant la réparation des préjudices qu'elle-même mais aussi son époux, M. C... A..., et sa mère, Mme D... B..., estimaient avoir subis en raison de cette situation. Sans réponse de la maire d'Aix-en-Provence, Mmes B... et M. A... ont saisi le tribunal administratif de Marseille, lequel, par un jugement du 12 janvier 2022, a, après avoir reconnu la responsabilité pour faute de la commune

d'Aix-en-Provence du fait de l'illégalité entachant la décision du 1er juin 2015 et les arrêtés des

5 et 20 novembre 2015, mais aussi sa responsabilité sans faute, condamné cette commune à verser à Mme G... B... une somme de 3 500 euros en réparation de son préjudice moral et de ses troubles dans ses conditions d'existence, avant de rejeter le surplus des conclusions indemnitaires présentées par les requérants. Dans la présente instance,

Mme G... B... et M. A..., Mme D... B... étant depuis lors décédée, relèvent appel de ce jugement du 12 janvier 2022 en tant qu'il ne fait ainsi que partiellement droit aux conclusions indemnitaires présentées par Mme G... B... et qu'il rejette celles formulées par M. A.... A ce titre, ils sollicitent donc de la Cour l'annulation des articles 1er et 3 de cette décision juridictionnelle.

Sur la responsabilité pour faute de la commune d'Aix-en-Provence pour manquement à son obligation d'assurer la sécurité de Mme B... et de protéger sa santé :

2. Aux termes des dispositions de l'article 23 de la loi susvisée du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, reprises à l'article L. 136-1 du code général de la fonction publique : " Des conditions d'hygiène et de sécurité de nature à préserver leur santé et leur intégrité physique sont assurées aux agents publics durant leur travail. " L'article 2-1 du décret susvisé du 28 mai 1982 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la prévention médicale dans la fonction publique précise que : " Les chefs de service sont chargés, dans la limite de leurs attributions et dans le cadre des délégations qui leur sont consenties, de veiller à la sécurité et à la protection de la santé des agents placés sous leur autorité. "

3. Les autorités administratives ont l'obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et morale de leurs agents. Il leur appartient à ce titre, sauf à commettre une faute de service, d'assurer la bonne exécution des dispositions législatives et réglementaires qui ont cet objet, ainsi que le précise l'article 3 du décret du 28 mai 1982.

4. Il ressort de la lecture de ses écritures de première instance que Mme B... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la commune d'Aix-en-Provence, à réparer le préjudice lié à sa perte de chance d'être nommée dans le grade d'ingénieur en chef, au titre de sa responsabilité résultant de l'illégalité fautive entachant la décision de la maire

d'Aix-en-Provence du 1er juin 2015 ainsi que ses deux arrêtés des 5 et 20 novembre 2015.

Par leur jugement attaqué, les premiers juges ont estimé que cette perte de chance, qui était au demeurant éventuelle, n'était, en tout état de cause, pas liée à cette faute, pour en conclure qu'en l'absence de lien de causalité direct et certain, la demande afférente de Mme B... ne pouvait qu'être rejetée. Pour la première fois devant la Cour, Mme B... recherche à être indemnisée de ce même chef de préjudice en invoquant la responsabilité pour faute de la commune

d'Aix-en-Provence, cette fois-ci, pour méconnaissance de son obligation d'assurer la sécurité de ses agents et de protéger leur santé. A ce titre, l'appelante soutient que, dans un contexte vexatoire et d'humiliation, la dégradation de ses conditions de travail a eu de graves incidences sur son état de santé. Toutefois, par les pièces qu'elle produit, et alors que le cabinet Algoé, chargé, par la commune d'Aix-en-Provence, de l'audit de la direction de l'urbanisme dont

Mme B... avait la responsabilité, a identifié une " fonction Management défaillante " qui a justifié, que, dans l'intérêt du service, lequel a été reconnu par le jugement nos 1503595, 1504552, devenu définitif, du tribunal administratif de Marseille du 6 février 2018,

Mme B... soit mutée sur un autre poste, cette dernière ne démontre ni la réalité de ce préjudice, ni qu'à le supposer même établi, il soit en lien direct avec cette faute nouvellement alléguée. Par ailleurs, par les pièces écrites qu'elle produit, l'appelante n'apporte pas d'éléments précis et concordants de nature à faire présumer l'existence d'agissements constitutifs de harcèlement moral à son encontre. Au demeurant, par ce même jugement nos 1503595, 1504552 du 6 février 2018, le tribunal administratif de Marseille a jugé que Mme B... n'établissait pas un tel harcèlement moral. Dans ces conditions, les conclusions indemnitaires présentées à ce titre par Mme B... doivent être rejetées, sans qu'il soit besoin d'examiner leur recevabilité dans cette même mesure.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne l'indemnisation de Mme B... :

5. Les dispositions des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite et de la loi susvisée du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente viagère d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle.

Les dispositions instituant ces prestations déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Ces dispositions ne font en revanche obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager sa responsabilité. Toutefois, la circonstance que le fonctionnaire victime d'un accident de service ou d'une maladie professionnelle ne remplit pas les conditions auxquelles les dispositions mentionnées ci-dessus subordonnent l'obtention d'une rente ou d'une allocation temporaire d'invalidité fait obstacle à ce qu'il prétende, au titre de l'obligation de la collectivité qui l'emploie de le garantir contre les risques courus dans l'exercice de ses fonctions, à une indemnité réparant des pertes de revenus ou une incidence professionnelle. En revanche, elle ne saurait le priver de la possibilité d'obtenir de cette collectivité la réparation de préjudices d'une autre nature, dès lors qu'ils sont directement liés à l'accident ou à la maladie.

S'agissant de la réparation de ses préjudices au titre de la responsabilité pour faute de la commune d'Aix-en-Provence :

6. Ainsi que l'a jugé le tribunal administratif de Marseille, sans que son jugement attaqué soit contesté sur ce point devant la Cour, compte tenu de l'exposé des faits ci-dessus opéré au point 1 ci-dessus du présent arrêt, Mme B... et M. A... sont fondés à soutenir qu'en refusant, jusqu'au 22 février 2018, de reconnaître l'imputabilité au service de la maladie de Mme B..., la maire d'Aix-en-Provence a commis une faute de nature à engager la responsabilité de sa commune.

7. En premier lieu, et au titre des préjudices résultant de cette illégalité fautive dont Mme B... recherche l'indemnisation, cette dernière sollicite, tout d'abord, le versement par la commune d'Aix-en-Provence d'une somme de 9 000 euros, en réparation de la perte de rémunération qu'elle estime avoir subie en raison de la décision initiale de la maire

d'Aix-en-Provence de ne pas reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie et du versement consécutif d'un demi-traitement. Toutefois, ce préjudice n'est pas davantage précisé devant la Cour que devant le tribunal administratif de Marseille. Le préjudice qu'elle allègue n'est ainsi pas établi d'autant que, comme l'ont rappelé à juste titre les premiers juges dans leur jugement attaqué du 12 janvier 2022, l'appelante s'est vue rétroactivement octroyer un plein traitement, à compter du 13 avril 2015, par l'arrêté de la maire d'Aix-en-Provence du 22 février 2018 qui a été pris en exécution du jugement nos 1505129, 1600057, 1600470 du tribunal administratif de Marseille du 6 février 2018.

8. En deuxième lieu, Mme B... sollicite l'indemnisation de frais de conseil et d'assistance qu'elle a engagés tant devant la commission de réforme que devant le tribunal administratif de Marseille afin de faire reconnaître sa maladie comme étant imputable au service. A ce titre, elle produit, pour la première fois devant la Cour, plusieurs factures d'avocat pour un montant total de 5 692,07 euros toutes taxes comprises (TTC). Il n'est pas contesté par la commune intimée que Mme B... a eu recours à un conseil pour l'assister au cours de la procédure devant la commission de réforme. Celle-ci s'est réunie à trois reprises pour se prononcer sur sa situation : les 24 septembre et 15 décembre 2015, et le 7 juin 2016. Parmi les factures versées aux débats devant la Cour, seules celle d'un montant de 917,80 euros toutes taxes comprises (TTC) dressée, le 29 août 2016, pour les besoins de la préparation et de l'assistance à la réunion de cette commission de réforme du 7 juin 2016 ainsi que la partie de celle établie, le 17 décembre 2015, dans le cadre de sa réunion du 15 décembre 2015, soit les frais de déplacement d'un montant de 83,70 euros hors taxe et ceux relatifs à l'" assistance devant la commission de réforme " d'un montant de 700 euros hors taxe, peuvent donner lieu à une indemnisation au titre de la responsabilité de la commune d'Aix-en-Provence dès lors qu'il est constant qu'elles ont présenté un caractère d'utilité dans le litige opposant l'appelante à l'intimée afin que la première fasse reconnaître à la seconde l'imputabilité au service de sa pathologie. Il en sera fait une exacte appréciation en allouant à Mme B... la somme de 1 858,24 euros TTC. En revanche, le reste de cette facture du 17 décembre 2015 et l'autre facture produite, datée du 27 juillet 2015, ont trait aux nombreuses instances engagées devant le tribunal administratif de Marseille par Mme B... et ne concernent pas seulement celle initiée pour faire reconnaître l'imputabilité au service de la maladie dont elle souffre. Or, les frais d'avocat relatifs à l'engagement d'une instance contentieuse ont vocation à être remboursés au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il résulte d'ailleurs de l'instruction qu'en l'espèce, et sur le fondement de ces dernières dispositions, la commune d'Aix-en-Provence a été condamnée à verser à Mme B..., par le jugement du tribunal administratif de Marseille du 6 février 2018, une somme de 1 200 euros et, comme l'ont, là encore, retenu à juste titre les premiers juges, l'appelante ne justifie pas avoir exposé de frais spécifiques à raison de son recours contentieux non couverts par la somme qui lui a été ainsi allouée.

9. En troisième et dernier lieu, il ressort des pièces du dossier, telles qu'éclairées par les observations présentées à la barre par Mme B... lors de l'audience publique, qu'il sera fait une juste évaluation du préjudice moral subi par cette dernière et de ses troubles dans ses conditions d'existence du fait de la faute commise par la maire d'Aix-en-Provence, en portant la somme de 3 500 euros allouée par les premiers juges à 6 000 euros.

S'agissant de la réparation de ses préjudices au titre de la responsabilité sans faute de la commune d'Aix-en-Provence :

10. Comme l'a jugé le tribunal administratif de Marseille au point 10 de son jugement attaqué, sans que celui-ci soit discuté en cause d'appel, son état dépressif ayant été finalement reconnu par la maire d'Aix-en-Provence comme étant imputable au service, Mme B... est fondée à prétendre, au titre de la responsabilité sans faute, à l'indemnisation de l'ensemble des préjudices patrimoniaux d'une autre nature que ceux liés aux pertes de revenus et l'incidence professionnelle ou des préjudices personnels liés à l'affection dont elle est atteinte du fait de sa maladie.

11. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la commune d'Aix-en-Provence s'est engagée à rembourser à Mme B... les honoraires et les frais médicaux en lien avec sa maladie reconnue comme étant imputable au service. En effet, il est expressément prévu, à l'article 2 de l'arrêté de la maire d'Aix-en-Provence du 22 février 2018, que " [l]es honoraires médicaux et les frais directement entraînés par la maladie professionnelle sont pris en charge par la collectivité sur présentation des justificatifs ". Dans ces conditions, et alors qu'au demeurant, elle ne démontre pas avoir adressé de tels justificatifs aux services de la commune intimée, ni ne justifie des sommes exactes qui auraient été effectivement laissées à sa charge, l'appelante n'établit pas la réalité du préjudice qu'elle allègue à cet égard.

12. En deuxième lieu, Mme B... sollicite l'indemnisation de ses troubles dans les conditions d'existence pour un montant total de 69 500 euros qu'elle décline en le versement de la somme de 30 000 euros, au titre du préjudice moral qu'elle aurait subi du fait de l'éloignement de son domicile familial consécutivement à sa mutation auprès des services de la commune de Carcassonne, de la somme de 36 000 euros au titre de son préjudice matériel lié aux frais engendrés par sa double domiciliation, et de la somme de 3 500 euros, au titre des frais liés à la recherche d'un emploi. Mais, comme l'a jugé à bon droit le tribunal administratif de Marseille, Mme B... n'établit pas, par ces seules allégations, que ces préjudices présenteraient un lien direct et certain avec sa pathologie et ne peuvent, dès lors, être réparés à ce titre.

13. En troisième et dernier lieu, s'il résulte de l'instruction qu'elle a développé un syndrome dépressif, Mme B... ne donne, dans ses écritures, aucune précision utile sur le degré de gravité et sur les manifestations de sa maladie, sur son suivi médicamenteux ou encore sur les difficultés que son état de santé a pu causer dans sa vie courante. Ces précisions ne ressortent pas davantage des pièces médicales versées aux débats avant la clôture de l'instruction, dont le certificat du docteur E... du 20 mai 2015, le rapport d'expertise dressé par le docteur F... le 24 juin 2015 ou encore celui du docteur H... daté du

14 mars 2016. Par suite, si, ainsi que l'ont jugé à bon droit les premiers juges, Mme B... a subi, du fait de sa maladie professionnelle dont la commune d'Aix-en-Provence doit assurer la réparation au titre tant de sa responsabilité pour faute du fait de l'illégalité fautive des décisions de refus de reconnaissance de l'imputabilité au service de cette même maladie que de sa responsabilité sans faute pour risque, un préjudice moral, par son argumentation et les pièces qu'elle verse à leur soutien, l'appelante ne justifie pas davantage devant la Cour que devant le tribunal administratif de Marseille, d'un préjudice moral, au titre de cette responsabilité sans faute, distinct de celui déjà indemnisé plus haut au point 9 du présent arrêt.

En ce qui concerne l'indemnisation de M. A... :

14. D'une part, par leur jugement attaqué du 12 janvier 2022, les premiers juges ont rejeté les conclusions indemnitaires présentées par M. A..., époux de Mme B..., en estimant que si ce dernier estimait avoir subi un préjudice moral, " par ricochet ", en raison de l'éloignement de son épouse du domicile familial, celle-ci ayant intégré les services de la commune de Carcassonne, ce préjudice, qui est ainsi lié à la mutation obtenu par cette dernière, à sa demande, ne présente pas de lien de causalité direct avec son état de santé. En l'absence devant la Cour de toute justification ou argumentation nouvelle, il y a lieu d'adopter ces motifs opposés à bon droit par les premiers juges aux prétentions de M. A..., au point 14 du jugement attaqué.

15. D'autre part, M. A... soutient, pour la première fois devant la Cour, avoir subi un préjudice moral en raison de la pathologie de son épouse. Toutefois, il ne donne pas davantage que son épouse d'éléments sur le degré de gravité de l'état de santé de cette dernière et de précisions quant aux répercussions de cet état de santé sur leur vie courante. Ainsi, M. A... n'assortit pas des justifications utiles ses prétentions, lesquelles, dans ces conditions, ne peuvent qu'être rejetées.

16. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... et M. A... sont seulement fondés à demander que l'indemnité que la commune d'Aix-en-Provence a été condamnée à verser à Mme B... soit portée de 3 500 à 7 858,24 euros et donc à la réformation, dans cette même mesure, du jugement attaqué du tribunal administratif de Marseille du 12 janvier 2022.

Sur les frais liés au litige :

17. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. "

18. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme B..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une quelconque somme au titre des frais exposés par la commune d'Aix-en-Provence et non compris dans les dépens.

19. En revanche, dans les circonstances très particulières de l'espèce, et sur le fondement de ces mêmes dispositions, il y a lieu de mettre à la charge de la commune

d'Aix-en-Provence une somme de 3 000 euros à verser à Mme B....

D E C I D E :

Article 1er : L'indemnité de 3 500 euros que la commune d'Aix-en-Provence a été condamnée à verser à Mme B... par le jugement n° 2003254 du tribunal administratif de Marseille du 12 janvier 2022 est portée à la somme de 7 858,24 euros.

Article 2 : L'article 1er de ce jugement n° 2003254 du tribunal administratif de Marseille du 12 janvier 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.

Article 3 : La commune d'Aix-en-Provence versera une somme de 3 000 euros à Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de la commune d'Aix-en-Provence tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... B..., à M. C... A..., à la commune d'Aix-en-Provence et à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Bouches-du-Rhône.

Délibéré après l'audience du 9 janvier 2024, où siégeaient :

- M. Marcovici, président,

- M. Revert, président assesseur,

- M. Lombart, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 janvier 2024.

2

No 22MA00818


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA00818
Date de la décision : 23/01/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Positions - Congés - Congés de maladie - Accidents de service.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité.


Composition du Tribunal
Président : M. MARCOVICI
Rapporteur ?: M. Laurent LOMBART
Rapporteur public ?: Mme BALARESQUE
Avocat(s) : FAURE-TRONCHE

Origine de la décision
Date de l'import : 28/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-23;22ma00818 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award