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01/02/2024 | FRANCE | N°22MA01606

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 01 février 2024, 22MA01606


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. et Mme B... A... ont demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge, en droits et majorations, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contribution sur les hauts revenus et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2014.



Par un jugement n° 2100263 du 8 avril 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande.



Procédure devant la Cou

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Par une requête et des mémoires, enregistrés les 7 juin 2022, 23 novembre 2022, 6 février 2023...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme B... A... ont demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge, en droits et majorations, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contribution sur les hauts revenus et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2014.

Par un jugement n° 2100263 du 8 avril 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 7 juin 2022, 23 novembre 2022, 6 février 2023 et 26 avril 2023, M. et Mme A..., représentés par Me Philip, demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2100263 du 8 avril 2022 du tribunal administratif de Marseille ;

2°) de prononcer la décharge demandée au tribunal ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la proposition de rectification est insuffisamment motivée ;

- la société D... n'ayant commis aucun acte anormal de gestion en leur cédant une villa située à La Ciotat au prix stipulé, l'intention délibérée d'accorder une libéralité et de bénéficier d'un avantage occulte n'est pas établie ;

- les contributions sociales doivent être dégrevées par voie de conséquence ;

- l'administration ne justifie pas l'absence de majoration de l'assiette des contributions ;

- la majoration pour manquement délibéré n'est ni motivée ni fondée.

Par des mémoires en défense enregistrés les 12 octobre 2022, 12 janvier 2023 et 21 mars 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués par M. et Mme A... ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 17 octobre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 6 novembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Platillero,

- les conclusions de M. Ury, rapporteur public,

- et les observations de Me Chibout pour M. et Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme A... ont fait l'objet d'un contrôle sur pièces, à l'issue duquel une proposition de rectification du 15 septembre 2017 leur a été notifiée, tirant les conséquences dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers de la vérification de comptabilité de la société D..., qui exerce l'activité de marchand de biens et dont ils sont associés. Au terme de la procédure, ils ont été assujettis à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contribution sur les hauts revenus et de contributions sociales, assorties des intérêts de retard et de la majoration pour manquement délibéré, au titre de l'année 2014. M. et Mme A... relèvent appel du jugement du 8 avril 2022 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande tendant à la décharge, en droits et majorations, de ces impositions.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

2. Aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation ". Aux termes de l'article R. 57-1 du même livre : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée. L'administration invite, en même temps, le contribuable à faire parvenir son acceptation ou ses observations dans un délai de trente jours à compter de la réception de la proposition, prorogé, le cas échéant (...) ". Il résulte de ces dispositions que, pour être régulière, une proposition de rectification doit comporter la désignation de l'impôt concerné, de l'année d'imposition et de la base d'imposition et énoncer les motifs sur lesquels l'administration entend se fonder pour justifier les redressements envisagés de façon à permettre au contribuable de formuler utilement ses observations. En revanche, sa régularité ne dépend pas du bien-fondé de ces motifs.

3. Il résulte de l'instruction que la proposition de rectification du 15 septembre 2017, à laquelle était annexée la proposition de rectification du même jour adressée à la société D..., comporte l'ensemble des éléments permettant à M. et Mme A... de formuler leurs observations de façon entièrement utile. En effet, elle mentionne les motifs et le montant des rehaussements envisagés, leur fondement légal et la catégorie de revenus dans laquelle ils sont opérés, ainsi que l'année d'imposition concernée, le document annexé comportant l'ensemble des motifs de fait qui ont permis de révéler une insuffisance d'imposition. La proposition de rectification est ainsi suffisamment motivée, sans que les requérants puissent utilement soutenir que l'administration n'apporterait pas la preuve qui lui incombe, motif qui relève du bien-fondé de l'imposition.

Sur le bien-fondé des impositions :

4. Aux termes de l'article 111 du code général des impôts : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : (...) c) les rémunérations et avantages occultes ".

5. En cas d'acquisition par une société à un prix que les parties ont délibérément majoré par rapport à la valeur vénale de l'objet de la transaction, ou, s'il s'agit d'une vente, délibérément minoré, sans que cet écart de prix comporte de contrepartie, l'avantage ainsi octroyé doit être requalifié comme une libéralité représentant un avantage occulte constitutif d'une distribution de bénéfices au sens des dispositions précitées du c de l'article 111 du code général des impôts, alors même que l'opération est portée en comptabilité et y est assortie de toutes les justifications concernant son objet et l'identité du co-contractant, dès lors que cette comptabilisation ne révèle pas, par elle-même, la libéralité en cause. La preuve d'une telle distribution occulte doit être regardée comme apportée par l'administration lorsqu'est établie l'existence, d'une part, d'un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé, d'autre part, d'une intention, pour la société, d'octroyer, et, pour le co-contractant, de recevoir, une libéralité du fait des conditions de la cession. Cette intention est présumée lorsque les parties sont en relation d'intérêts.

6. Il résulte de l'instruction que dans le cadre de son activité de marchand de biens, la société D..., constituée entre M. et Mme A..., a acquis le 25 juin 2009 par adjudication une villa d'un étage et son terrain attenant au sein du Parc privé du Cap C... à La Ciotat (Bouches-du-Rhône), ainsi que les millièmes correspondants des choses et parties communes de l'ensemble immobilier, au prix de 447 000 euros. Par un acte du 16 décembre 2014, elle a vendu ce bien à M. A..., associé de la société, au prix de 515 000 euros. D'après la déclaration du premier propriétaire, la villa comprenait une surface affectée à l'habitation de 93 m², un garage de 30 m², une cave et une terrasse de 60 m² chacune et un terrain de 2 000 m². Une déclaration rectificative a toutefois été déposée en 2013 pour déclarer une piscine de 32 m². En outre, M. A... ayant indiqué au cours de la vérification de comptabilité qu'une demande de permis de construire avait été déposée en juillet 2015 en vue de régulariser des additions de constructions qui n'avaient pas été déclarées, l'administration fiscale a exercé son droit de communication auprès du service de l'urbanisme de la commune de La Ciotat, le dossier de permis de construire ayant révélé une surface affectée à l'habitation de 236,50 m² à la date de la cession. Estimant que le prix de la cession du bien ne reflétait pas sa valeur vénale réelle, l'administration a procédé à une comparaison avec le prix de la cession de quatre biens immobiliers situés au sein du Parc privé du Cap C..., ventes intervenues entre le 19 juillet 2013 et le 3 avril 2014, portant sur des constructions datant de 1958 à 1975 d'une superficie habitable comprise entre 91 et 300 m² sur des terrains d'une superficie comprise entre 1 275 et 2 510 m², dont l'une dotée d'une piscine. Elle a ainsi abouti à un prix de vente total moyen au m² de 5 230,87 euros, alors que la villa en litige a été cédée par la société D... à son associé au prix au m² de 2 177, 58 euros. Elle a alors déterminé une valeur vénale de 1 234 280 euros, en appliquant à la superficie habitable de 236 m² le prix moyen au m² retenu de 5 230 euros, puis a admis un abattement de 35 % pour fixer une valeur de 802 282 euros, le montant de la rectification s'élevant ainsi à 287 282 euros. L'administration a imposé l'avantage ainsi consenti dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers au nom de M. et Mme A..., sur le fondement du c) de l'article 111 du code général des impôts.

7. M. et Mme A... ne contestent pas sérieusement que, pour procéder à l'évaluation de la valeur vénale de l'immeuble en litige, l'administration s'est référée à des transactions portant sur des biens similaires situés à proximité, intervenues à des dates proches de celle du fait générateur de l'impôt. En effet, s'ils font état d'une cession intervenue en avril 2014 d'une villa de 300 m² au sein du Parc privé du C... au prix de 140 000 euros, il est constant que ce bien a été retenu comme comparable et que le prix invoqué ne porte que sur la cession après licitation d'une partie du bien indivis, le prix total s'élevant à 1 400 000 euros, ne remettant ainsi pas en cause le prix moyen au m² retenu par l'administration.

8. M. et Mme A... font néanmoins valoir que, à la différence du bien dont la société D... était propriétaire, les biens retenus à titre de comparables ont une vue sur la mer, alors que l'immeuble en cause est situé en bordure d'une route nationale empruntée, et sont en bon état, alors que le bien en litige n'était pas habitable sans l'engagement de travaux d'un montant important. Toutefois, outre que les devis produits sont datés du 15 juin 2020 et que les photographies jointes au dossier, si elles montrent un bien en travaux, ne sont pas datées, ne permettant ainsi pas d'apprécier l'état du bien à la date de la cession, l'administration a admis de pratiquer un abattement de 35 %, dont aucun élément ne permet de supposer qu'il serait insuffisant pour tenir compte des différences précédemment décrites, alors que la villa à évaluer dispose au demeurant d'une piscine, à la différence de trois des comparables retenus. Par ailleurs, si M. et Mme A... font valoir qu'une partie des constructions n'avait pas été régulièrement déclarée à la date de la cession, il est constant qu'une demande de permis de construire a été déposée le 7 juillet 2015 pour régulariser les additions de constructions réalisées sans autorisation, sans qu'il soit allégué qu'au regard de la législation d'urbanisme, ces constructions n'étaient pas dès l'origine conformes aux documents d'urbanisme, les requérants n'alléguant au demeurant pas plus que ce permis de construire de régularisation aurait été refusé. Il ne résulte ainsi pas de l'instruction que l'abattement précédemment cité serait insuffisant pour tenir compte également de l'absence de déclaration des additions de construction à la date de la cession. Enfin, si M. et Mme A... produisent un avis de valeur établi par une agence immobilière qui fait état d'un prix compris entre 580 000 et 600 000 euros, cet avis, qui mentionne la réalisation d'une étude comparative de marché sans qu'aucune information relative aux biens qui auraient été retenus à titre de comparaison ne soit fournie, a été émis le 6 septembre 2022 en mentionnant une maison à l'abandon, aucun élément ne permettant de supposer que, compte tenu de sa date et de l'évolution de l'état du bien, il reflèterait de manière fiable le prix du bien à la date de la cession, ce qui ne saurait résulter du seul exposé de la hausse générale des prix de l'immobilier entre 2014 et 2022. Dans ces conditions, l'administration établit l'existence d'un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé.

9. A cet égard, M. et Mme A... font valoir que la société D... avait acquis le bien en litige dans le cadre du régime des marchands de biens défini au 6 de l'article 257 du code général des impôts, en prenant l'engagement de le revendre dans les cinq ans en application de l'article 1115 du même code afin de bénéficier d'une exonération sur les droits de mutation, la cession lui ayant permis de respecter l'engagement légal de revente qui expirait en juin 2014. Toutefois, outre qu'il est constant que la société D... n'a pas mis le bien en litige sur le marché en vue de trouver un acquéreur dans des conditions de prix normales, il n'est pas contesté que le montant des contreparties invoquées s'élève à 19 002 euros en ce qui concerne l'imposition de la plus-value, déduction faite des charges, et à 26 000 euros en ce qui concerne les droits de mutation, sans commune mesure avec l'importance de la minoration de prix mise en évidence par l'administration à hauteur de 287 282 euros. Par ailleurs, si la société D... a réalisé une marge lors de la revente du bien inscrit à son actif circulant à une partie avec laquelle elle est liée par des liens d'intérêts, cette circonstance est sans incidence sur l'existence d'une libéralité.

10. Il résulte de ce qui précède que la preuve d'une distribution occulte imposable sur le fondement du c) de l'article 111 du code général des impôts doit être regardée comme apportée par l'administration, dès lors qu'est établie l'existence, d'une part, d'un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé, et, d'autre part, d'une intention, pour la société, d'octroyer, et, pour le co-contractant, de recevoir, une libéralité du fait des conditions de la cession, cette intention, présumée dans la mesure où les parties sont en relation d'intérêts, n'étant pas remise en cause par les éléments invoqués.

11. Par ailleurs, en ce qui concerne les contributions sociales, M. et Mme A... soutiennent qu'elles doivent être dégrevées par voie de conséquence et que l'administration ne justifie pas l'absence de majoration de leur assiette. En l'absence d'éléments nouveaux, il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus à bon droit par le tribunal au point 11 du jugement attaqué.

Sur les pénalités :

12. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration (...) entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ". Aux termes de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales : " Les décisions mettant à la charge des contribuables des sanctions fiscales sont motivées au sens des articles L. 211-2 à L. 211-7 du code des relations entre le public et l'administration, quand un document ou une décision adressés au plus tard lors de la notification du titre exécutoire ou de son extrait en a porté la motivation à la connaissance du contribuable (...) ".

13. Pour justifier l'application de la majoration pour manquement délibéré, l'administration a notamment relevé que le bien en litige a été acquis en 2009 par la société D... en sa qualité de marchand de biens et qu'en tant que professionnel de l'immobilier, la société, ainsi que son associé bénéficiaire de la vente, M. A..., avaient une connaissance précise du marché et ne pouvaient ignorer que la cession en cause à un prix largement inférieur au prix du marché constituait un acte étranger à l'intérêt de l'exploitation de la société traduisant une libéralité consentie à l'acquéreur. Elle a également relevé que l'importance de l'écart relevé entre la valeur vénale du bien et le prix mentionné dans l'acte traduisait l'intention délibérée d'éluder l'impôt. L'administration a ainsi suffisamment motivé cette pénalité et justifie, compte tenu de ce qui a été dit précédemment, de son bien-fondé.

14. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande. Leurs conclusions tendant à l'annulation de ce jugement et à la décharge, en droits et majorations, des impositions en litige doivent dès lors être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. et Mme A... demandent au titre des frais qu'ils ont exposés.

D E C I D E :

Article 1 : La requête de M. et Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme B... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.

Délibéré après l'audience du 18 janvier 2024, où siégeaient :

- Mme Paix, présidente,

- M. Platillero, président assesseur,

- Mme Mastrantuono, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 1er février 2024.

2

N° 22MA01606


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA01606
Date de la décision : 01/02/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-02-03-01 Contributions et taxes. - Impôts sur les revenus et bénéfices. - Revenus et bénéfices imposables - règles particulières. - Revenus des capitaux mobiliers et assimilables. - Revenus distribués.


Composition du Tribunal
Président : Mme PAIX
Rapporteur ?: M. Fabien PLATILLERO
Rapporteur public ?: M. URY
Avocat(s) : PHILIP

Origine de la décision
Date de l'import : 10/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-01;22ma01606 ?
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