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06/02/2024 | FRANCE | N°22MA02792

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 06 février 2024, 22MA02792


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal des pensions militaires d'invalidité de Marseille, qui a transmis sa demande au tribunal administratif de Marseille, d'une part, d'annuler la décision du 5 décembre 2017 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de pension militaire d'invalidité, d'autre part, d'ordonner une expertise avant dire droit aux fins d'évaluer ses infirmités, enfin, d'enjoindre au ministre des armées de réexaminer ses droits à pension et de mettre

la charge de l'État le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'art...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal des pensions militaires d'invalidité de Marseille, qui a transmis sa demande au tribunal administratif de Marseille, d'une part, d'annuler la décision du 5 décembre 2017 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de pension militaire d'invalidité, d'autre part, d'ordonner une expertise avant dire droit aux fins d'évaluer ses infirmités, enfin, d'enjoindre au ministre des armées de réexaminer ses droits à pension et de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2003838 du 27 septembre 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 15 novembre 2022 et le 20 octobre 2023, M. A..., représenté par Me Tierny, demande à la Cour :

1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 27 septembre 2022 ;

2°) d'annuler la décision de la ministre des armées du 5 décembre 2017 ;

3°) d'ordonner une expertise avant dire droit afin d'évaluer ses infirmités, outre l'infirmité psychiatrique ;

4°) d'ordonner le réexamen de ses droits à pension ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision en litige est entachée d'illégalités externes, dès lors qu'elle a été prise sans examen de l'atteinte à son état général ni du trouble psychiatrique dont il souffre, et que les avis du médecin chargé des pensions et de la commission médicale consultative des 16 juin et 6 septembre 2017 ne sont pas motivés, faute de porter sur ces mêmes points ;

- la ministre des armées a commis une erreur de fait en s'appuyant sur certaines conclusions d'expertise au détriment d'autres, alors que toutes se contredisent ;

- cette contradiction justifie que soit ordonnée une expertise médicale avant dire droit se prononçant sur l'ensemble des troubles fonctionnels et sur l'atteinte à l'état général, ainsi que sur l'infirmité psychiatrique.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 octobre 2023, le ministre des armées conclut au rejet de la requête, en faisant valoir que le moyen de l'insuffisance de motivation des avis d'experts est irrecevable, comme l'a jugé le tribunal, et que les autres moyens ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 18 octobre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 24 novembre 2023, à 12 heures, puis reportée au 21 décembre 2023 à 12 heures, par une ordonnance du 8 novembre 2023.

Par une lettre du 8 janvier 2024, la Cour a informé les parties, sur le fondement de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce qu'elle était susceptible de fonder son arrêt sur le moyen, relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité du moyen, présenté par le requérant dans son mémoire devant le tribunal le 4 avril 2022, soit après l'expiration du délai de recours contentieux, relevant d'une cause juridique distincte des moyens développés dans sa requête introductive d'instance, et tiré de l'irrégularité de la décision en litige liée à ce que les expertises dont sa demande de pension a fait l'objet n'ont pas tenu compte de l'ensemble des infirmités qu'il dit avoir invoquées.

Par une lettre du 8 janvier 2024, la Cour a demandé au ministre des armées, sur le fondement de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, de communiquer l'intégralité de la demande de pension présentée par M. A..., enregistrée le 15 décembre 2016, ainsi que les pièces qui l'accompagnaient, et toute pièce ou élément de nature à démontrer la réception effective de l'ensemble de la demande ainsi que la date de cette réception.

Le 15 janvier 2024, le ministre des armées a produit des pièces en réponse à la demande de la Cour, qui ont été communiquées à M. A....

Par une décision du 27 janvier 2023, M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Revert,

- et les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., né en 1939, qui a servi dans l'armée française du 1er décembre 1960 au 1er janvier 1962 en qualité de harki, a demandé le 15 décembre 2016 le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité au titre d'infirmités liées selon lui à l'accident de service survenu le 15 décembre 1960. Par une décision du 5 décembre 2017, prise après avis de la commission consultative médicale du 6 septembre 2017 et de la commission de réforme des pensions militaires d'invalidité du 16 novembre 2017, la ministre des armées a rejeté cette demande.

Par un jugement du 27 septembre 2022, dont M. A... relève appel, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision, à la désignation d'un expert et au réexamen de ses droits à pension.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la régularité de la procédure d'instruction de la demande de pension :

2. Lorsqu'il est saisi d'un litige en matière de pensions militaires d'invalidité, il appartient au juge administratif, en sa qualité de juge de plein contentieux, de se prononcer sur les droits de l'intéressé en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait qui résultent de l'instruction, et aussi, le cas échéant, d'apprécier, s'il est saisi de moyens en ce sens ou au vu de moyens d'ordre public, la régularité de la décision en litige.

3. Pour écarter le moyen, soulevé par M. A... dans son mémoire du 4 avril 2022, et tiré de l'insuffisante motivation des avis du médecin chargé des pensions militaires d'invalidité du 14 juin 2017 et de la commission consultative médicale du 6 septembre 2017, le tribunal a relevé, au point 3 de son jugement, que ce moyen, qui relève d'une cause juridique distincte de celle des moyens présentés dans sa requête introductive, avait été articulé après l'expiration du délai de recours contentieux. Si M. A... reprend ce moyen en cause d'appel, il ne remet pas en cause le motif du point 3 du jugement qu'il attaque. Son moyen d'appel ne peut, dès lors, qu'être écarté.

4. Par ailleurs, l'argumentation de M. A... consistant, depuis son mémoire du 4 avril 2022, à affirmer, au titre des illégalités externes qui entacheraient selon lui la décision en litige, que les expertises médicales auxquelles sa demande a été soumise n'ont pas porté sur toutes les infirmités qu'il a invoquées, relève elle aussi d'une cause juridique distincte de celle invoquée dans sa requête introductive d'instance devant le tribunal, qui ne portait que sur le bien-fondé de cette décision et sur ses droits à pension. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 3 du jugement attaqué, une telle argumentation est tardive et doit être écartée comme telle.

En ce qui concerne l'objet de la demande de pension :

5. En vertu de l'article R. 731-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, dans sa rédaction applicable à la date de la décision en litige, les juridictions des pensions, alors compétentes pour connaître des litiges des pensions militaires d'invalidité, ne peuvent être saisies que d'une décision administrative rejetant une demande de pension.

6. Or, il résulte de l'instruction, et plus particulièrement du dossier de demande de pension, produit par le ministre des armées en réponse à la mesure d'instruction décidée par la Cour sur le fondement de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, non seulement que M. A... n'avait pas mentionné un syndrome subjectif lié à un traumatisme du crâne, à des troubles de l'anxiété, d'affaissement thymique et du sommeil, dans la demande de pension qu'il a présentée au ministre de la défense le 3 octobre 2016 et qui a été enregistrée le 15 décembre 2016, mais encore qu'il n'avait pas accompagné celle-ci du certificat de son psychiatre du 27 janvier 2016 mentionnant de tels troubles.

7. Il suit de là, d'une part, que faute d'avoir lié le contentieux porté d'abord devant le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Marseille, puis devant le tribunal administratif de Marseille, M. A... n'est pas recevable à demander l'octroi de droits à pension au titre de ces troubles, ainsi que le fait valoir le ministre des armées, et d'autre part, qu'il n'est pas fondé à critiquer la décision litigieuse en soutenant, sur le fondement de l'article L. 10 du code des pensions militaires d'invalidité et de victimes de la guerre, qu'elle aurait été prise sans examen de l'atteinte portée à son état général du fait de cette prétendue infirmité.

En ce qui concerne les droits à pension de M. A... :

8. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, en vigueur à la date de la demande de M. A... : " Ouvrent droit à pension : 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ; 4° Les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'accidents éprouvés entre le début et la fin d'une mission opérationnelle, y compris les opérations d'expertise ou d'essai, ou d'entraînement ou en escale, sauf faute de la victime détachable du service. ". Aux termes de l'article L.4 de ce code : " Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. / Sont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 %. / Il est concédé une pension: / 1° Au titre des infirmités résultant de blessures, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse 10 % / 2° Au titre d'infirmités résultant de maladies associées à des infirmités résultant de blessures, si le degré total d'invalidité atteint ou dépasse 30 % ; / 3° Au titre d'infirmité résultant exclusivement de maladie, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse : 30 % en cas d'infirmité unique ; 40 % en cas d'infirmités multiples (...) ". Aux termes de l'article L. 10 du même code : " Les degrés de pourcentage d'invalidité figurant aux barèmes prévus par le quatrième alinéa de l'article L. 9 sont : / a) Impératifs, en ce qui concerne les amputations et les exérèses d'organe ; / b) Indicatifs dans les autres cas. Ils correspondent à l'ensemble des troubles fonctionnels et tiennent compte, quand il y a lieu, de l'atteinte de l'état général. ". Aux termes de l'article L. 26 du même code : " Toute décision administrative ou judiciaire relative à l'évaluation de l'invalidité doit être motivée par des raisons médicales et comporter, avec le diagnostic de l'infirmité, une description complète faisant ressortir la gêne fonctionnelle et, s'il y a lieu, l'atteinte de l'état général qui justifient le pourcentage attribué. ".

9. Il résulte de l'instruction que M. A..., qui a été blessé le 15 décembre 1960 en Algérie, en récupérant un lot de munitions dans une cache, par une grenade au phosphore déjà dégoupillée, a demandé une pension militaire d'invalidité au titre, d'une part, de séquelles de brûlure au front, d'autre part, de séquelles de brûlure au niveau de la main gauche, et enfin, de séquelles de brûlure au niveau du poignet gauche

10. En premier lieu, si dans son certificat du 3 octobre 2016, le médecin expert en orthopédie et traumatologie, qui a examiné M. A..., a proposé de retenir un taux d'invalidité global de 40%, en constatant l'existence de séquelles esthétiques et fonctionnelles post-traumatiques, il ne résulte ni de ce document, ni de l'avis du médecin en charge des pensions militaires d'invalidité du 14 juin 2017 qui a proposé de retenir un taux d'invalidité de 10 % pour la première de ces infirmités mais qui a précisé qu'il n'en résultait que des séquelles minimes sans préjudice esthétique, ni d'aucune autre pièce du dossier d'instance, que les troubles de l'esthétique qui résultent de celles-ci, et qui ne correspondent à aucune des hypothèses visées dans le guide-barème d'indemnisation, se traduiraient par des gênes fonctionnelles propres. Par suite, ainsi que l'ont considéré le médecin en charge des pensions militaires d'invalidité le 14 juin 2017, la commission consultative médicale le 6 septembre 2017 et la commission de réforme le 16 novembre 2017, et en l'absence de toute contradiction entre les différentes pièces médicales contrairement à ce que soutient M. A..., ce dernier ne peut prétendre à l'allocation d'une pension militaire d'invalidité à raison des seules séquelles esthétiques de ses blessures. Il suit de là également que, en l'absence de troubles fonctionnels liés à ces séquelles de brûlure au front, il ne peut utilement soutenir que le taux d'invalidité à lui attribuer à ce titre aurait dû tenir compte de l'atteinte de l'état général comme le prévoit l'article L. 10 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre.

11. En deuxième lieu, bien que dans son certificat du 3 octobre 2016, l'expert en orthopédie et traumatologie ait indiqué, au titre des séquelles de brûlure au niveau de la main gauche, que M. A... présente une amyotrophie totale de la loge thénarienne sur un cals vicieux du premier métacarpe à l'origine d'une dégénérescence arthrosique du pouce gauche, sans pour autant en déduire de gêne fonctionnelle, le médecin conseil auprès du consulat de France à Alger a pour sa part considéré que cette " discrète amyotrophie " au niveau de la paume de la main, et la limitation des mouvements de flexion et d'extension, ne s'accompagnent d'aucun réel retentissement fonctionnel. Ainsi, alors même que ce médecin conseil a proposé d'attribuer au titre de cette infirmité un taux d'invalidité de 10 %, c'est sans commettre d'incohérence quant au droit à l'indemnisation de M. A... que la ministre de la défense, conformément à l'avis du médecin en charge des pensions et aux préconisations du

guide-barème en matière de blessures causées aux membres supérieurs, a considéré que cette infirmité, qui ne procure à l'intéressé aucune gêne fonctionnelle sensible et pour laquelle il n'y avait donc pas lieu de tenir compte de l'atteinte de l'état général du militaire, ne peut correspondre à un taux d'invalidité égal ou supérieur à 10 %. M. A... ne peut donc prétendre à ce titre à l'octroi de droits à pension.

12. En dernier lieu, il résulte de l'instruction, aussi bien du certificat médical du 3 octobre 2016, de l'avis du médecin conseil que de celui du médecin en charge des pensions, que les séquelles de brûlure au niveau du poignet gauche que présente M. A... ne se traduisent par aucune anomalie ou gêne fonctionnelle. Par conséquent, l'instruction ne démontrant pas à ce titre l'existence d'une infirmité et n'exigeant donc pas de tenir compte de l'atteinte de l'état général du militaire, M. A... n'est pas fondé à en réclamer une quelconque indemnisation.

13. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise avant dire droit, M. A... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande. Sa requête d'appel doit donc être rejetée, y comprises ses conclusions à fin d'injonction et les prétentions au titre des frais liés au litige.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Tierny et au ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 23 janvier 2024, où siégeaient :

- M. Marcovici, président,

- M. Revert, président assesseur,

- M. Martin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 février 2024.

N° 22MA027922


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA02792
Date de la décision : 06/02/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

48-01 Pensions. - Pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre.


Composition du Tribunal
Président : M. MARCOVICI
Rapporteur ?: M. Michaël REVERT
Rapporteur public ?: Mme BALARESQUE
Avocat(s) : SELARL HENRY TIERNY AVOCATS ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 18/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-06;22ma02792 ?
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