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07/03/2024 | FRANCE | N°22MA02066

France | France, Cour administrative d'appel, 1ère chambre, 07 mars 2024, 22MA02066


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société civile immobilière (SCI) Monceau Capelette a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la commune de Marseille à lui verser la somme de 60 000 euros au titre de la perte de l'indemnité d'immobilisation ainsi que la somme, à titre principal, de 980 000 euros si l'on se réfère à l'année 2014, à titre subsidiaire, de 605 000 euros si l'on se réfère à l'année 2016, au titre de la perte de chance de percevoir les loyers prévus dans le cadre de

la réalisation d'un commerce alimentaire, à la suite de l'annulation par le tribunal du cer...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière (SCI) Monceau Capelette a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la commune de Marseille à lui verser la somme de 60 000 euros au titre de la perte de l'indemnité d'immobilisation ainsi que la somme, à titre principal, de 980 000 euros si l'on se réfère à l'année 2014, à titre subsidiaire, de 605 000 euros si l'on se réfère à l'année 2016, au titre de la perte de chance de percevoir les loyers prévus dans le cadre de la réalisation d'un commerce alimentaire, à la suite de l'annulation par le tribunal du certificat d'urbanisme négatif opposé le 28 octobre 2015 par le maire de Marseille à la société ATAC SAS.

Par un jugement n° 1909986 du 24 mai 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa requête.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 22 juillet 2022, et un mémoire enregistré le 30 juin 2023, la SCI Monceau Capelette et M. A... B..., représentés par Me Susini, demandent à la Cour, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille du 24 mai 2022 ;

2°) de condamner la commune de Marseille à leur verser les sommes de 60 000 euros au titre de la perte de l'indemnité d'immobilisation qui aurait été due en cas de délivrance d'un certificat d'urbanisme positif à titre d'indemnisation des préjudices qu'ils ont subis, et de 1 135 000 euros au titre de l'indemnisation d'une perte de chance de percevoir le loyer à provenir de la SAS ATAC en retenant l'année 2014 comme point de départ de ce préjudice ou de 760 000 euros en retenant l'année 2016 comme point de départ de ce préjudice ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Marseille la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la commune de Marseille a commis une faute en délivrant à la société ATAC un certificat d'urbanisme négatif ;

- cette faute a fait obstacle au versement de l'indemnité d'immobilisation de 60 000 euros prévue par l'offre de prise à bail commercial du local en cause émise par la société Simply Market du 6 juin 2012 ;

- ils ont également subi un préjudice résultant de la perte de chance de percevoir les loyers prévus par cette offre dont il sera fait une juste appréciation en fixant son indemnisation à hauteur de 50 % du montant de ces loyers.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 février 2023, la commune de Marseille, représentée par Me Phelip, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 500 euros soit mise à la charge des appelants en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Claudé-Mougel,

- les conclusions de M. Quenette, rapporteur public,

- et les observations de Me Suart, représentant la SCI Monceau Capelette et M. A... B....

Considérant ce qui suit :

1. La société civile immobilière (SCI) Monceau Capelette est propriétaire d'un local commercial situé au 305 avenue de la Capelette à Marseille (13010). Par une lettre datée du 6 juin 2012, la société ATAC lui a offert de louer ce local sur le fondement d'un bail commercial afin d'y installer un supermarché, en contrepartie d'un loyer annuel de 260 000 euros les trois premières années et de 310 000 euros les années suivantes, assortie d'une indemnité d'immobilisation de 60 000 euros, subordonnée à l'obtention d'un certificat d'urbanisme positif. Par un arrêté du 28 octobre 2015, le maire de Marseille a refusé de délivrer ce certificat à la société ATAC. Le tribunal administratif de Marseille a annulé cet arrêté par un jugement du 2 mai 2019, devenu définitif. La SCI Monceau Capellette et M. B..., son gérant, demandent l'annulation du jugement du 24 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté la requête de cette société tendant à la condamnation de la commune de Marseille à l'indemniser de ses préjudices résultant de la perte de chance de percevoir l'indemnité d'immobilisation et les loyers proposés par cette lettre du 6 juin 2012.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la faute :

2. Aux termes de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations ".

3. En vertu de l'article L. 562-1 du code de l'environnement, l'Etat élabore et met en application des plans de prévention des risques naturels prévisibles, tels que les inondations, qui ont notamment pour objet de délimiter les zones exposées aux risques, en tenant compte de leur nature et de leur intensité, d'y interdire les constructions ou la réalisation d'aménagements ou d'ouvrages ou de prescrire les conditions dans lesquelles ils doivent être réalisés, utilisés ou exploités.

4. Les prescriptions d'un plan de prévention des risques naturels prévisibles, élaboré par l'Etat conformément aux articles L. 562-1 et suivants du code de l'environnement, destinées notamment à assurer la sécurité des personnes et des biens exposés à certains risques naturels et valant servitude d'utilité publique, s'imposent directement aux autorisations de construire, sans que l'autorité administrative ne soit tenue de reprendre ces prescriptions dans le cadre de la délivrance du permis de construire. Il appartient toutefois à l'autorité compétente pour délivrer une autorisation d'urbanisme, si les particularités de la situation l'exigent, de préciser dans l'autorisation, le cas échéant, les conditions d'application d'une prescription générale contenue dans le plan ou de subordonner, en application des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, la délivrance du permis de construire sollicité à d'autres prescriptions spéciales, si elles lui apparaissent nécessaires, que celles qui résultent du plan de prévention des risques naturels prévisibles. L'autorité compétente pour délivrer l'autorisation d'urbanisme peut aussi, si elle estime, au vu d'une appréciation concrète de l'ensemble des caractéristiques de la situation d'espèce qui lui est soumise et du projet pour lequel l'autorisation de construire est sollicitée, y compris d'éléments déjà connus lors de l'élaboration du plan de prévention des risques naturels, que les risques d'atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique le justifient, refuser, sur le fondement de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme et sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de délivrer un permis de construire, alors même que le plan n'aurait pas classé le terrain d'assiette du projet en zone à risques ni prévu de prescriptions particulières qui lui soient applicables.

5. Il résulte de ce qui précède qu'il appartient au maire, agissant au nom de la commune, d'apprécier si un projet de construction pour lequel un certificat d'urbanisme ou un permis de construire est sollicité est de nature à porter atteinte à la sécurité publique et, le cas échéant, délivrer un certificat négatif ou d'opposer un refus de permis de construire en se fondant sur les dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme.

6. Le tribunal administratif de Marseille a annulé le certificat d'urbanisme négatif délivré par le maire de Marseille à la société ATAC par un jugement du 2 mai 2019 devenu définitif, au motif que le maire s'est fondé sur la non-conformité du projet aux dispositions du " porter à connaissance " émis par le préfet des Bouches-du-Rhône, et non sur sa propre appréciation, sur le fondement de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, du risque d'inondation souligné par ce " porter à connaissance ", en méconnaissance du principe rappelé aux points 2 à 5. Cette illégalité est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de la commune.

S'agissant du lien de causalité entre la faute et les préjudices allégués :

7. D'une part, comme l'a rappelé à juste titre le jugement attaqué, l'annulation par une décision juridictionnelle d'un certificat d'urbanisme négatif ne rend pas le demandeur titulaire d'un certificat positif et ne crée aucun droit à son profit et, par ailleurs, les dispositions de l'article L. 410-1 du code de l'urbanisme ont uniquement pour effet de garantir à la personne à laquelle a été délivré un certificat d'urbanisme, quel que soit son contenu, un droit à voir sa demande de permis de construire déposée durant les dix-huit mois qui suivent examinée au regard des dispositions d'urbanisme applicables à la date de ce certificat, à la seule exception de celles qui ont pour objet la préservation de la sécurité ou de la salubrité publique.

8. D'autre part, il résulte de l'instruction que le local en cause est situé dans une zone inondable soumise à prescriptions simples et renforcées du plan local d'urbanisme de la commune applicables à la date de délivrance du certificat d'urbanisme annulé, et dans la zone d'aléa fort du " porter à connaissance " établi par les services de l'Etat, comme le relève l'avis émis le 10 juin 2015 par la direction de l'eau et de l'assainissement de la commune de Marseille sur la demande de certificat d'urbanisme sollicité par la société ATAC qui, contrairement à ce que soutiennent les appelants, n'était pas favorable au projet, mais renvoyait l'appréciation du risque d'inondation à un avis de la commission des risques urbains. Il en résulte également qu'un projet similaire tendant à la réalisation d'un supermarché avait fait l'objet d'un certificat d'urbanisme négatif le 4 mai 2012 au même motif qu'il était situé en zone inondable. A cet égard, les appelants ne peuvent utilement se prévaloir de la circonstance que le plan de prévention des risques d'inondation applicable à la commune de Marseille n'avait pas encore été établi par les services de l'Etat à la date de la délivrance du certificat d'urbanisme négatif en cause, ou que celui approuvé le 24 février 2017 n'interdisait, à l'article 1er de son titre 3, que la création d'établissements recevant du public, alors au demeurant qu'il interdisait également le changement de destination des bâtiments existants allant dans le sens d'une augmentation de la vulnérabilité d'usage de ces bâtiments due notamment à une augmentation de leur fréquentation. Ils ne peuvent davantage se prévaloir de la circonstance que le plan local d'urbanisme autorisait les travaux de réhabilitation sur les constructions existantes, lequel rappelait d'ailleurs, dans son point 20.3.4, au titre du risque d'inondation, que le projet pouvait être refusé en application des dispositions précitées de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme. Il résulte ainsi de l'instruction que non seulement le maire de la commune de Marseille aurait pu prendre, sans commettre d'erreur d'appréciation, la même décision de délivrer un certificat d'urbanisme négatif sur le fondement de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, mais également que, compte tenu de ce risque, le préjudice résultant de la perte de chance de percevoir l'indemnité d'immobilisation prévu dans l'offre du 6 juin 2012 de la société ATAC allégué par les requérants ne peut être regardé comme la conséquence directe du vice qui entachait le certificat délivré à cette société le 28 octobre 2015. Il en est de même du préjudice lié à la perte des loyers prévus par cette offre, subordonné à la délivrance d'un permis de construire dont la demande aurait été appréciée au regard d'un même risque et, en outre, à l'autorisation de la commission départementale d'aménagement commercial.

9. Il résulte de tout ce qui précède que les appelants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté la demande de la SCI Monceau Capelette.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Marseille la somme que les appelants demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à leur charge une somme de 2 000 euros sur le fondement des mêmes dispositions.

D É C I D E

Article 1er : La requête de la SCI Monceau Capelette et M. A... B... est rejetée.

Article 2 : La SCI Monceau Capelette et M. A... B... verseront ensemble la somme de 2 000 euros à la commune de Marseille en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI Monceau Capelette, première dénommée pour l'ensemble des requérants, et à la commune de Marseille.

Délibéré après l'audience du 15 février 2024, où siégeaient :

- M. Portail, président,

- M. C..., vice-président,

- M. Claudé-Mougel, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 mars 2024.

2

N° 22MA02066


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22MA02066
Date de la décision : 07/03/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

68-03-06 Urbanisme et aménagement du territoire. - Permis de construire. - Contentieux de la responsabilité (voir : Responsabilité de la puissance publique).


Composition du Tribunal
Président : M. PORTAIL
Rapporteur ?: M. Arnaud CLAUDÉ-MOUGEL
Rapporteur public ?: M. QUENETTE
Avocat(s) : SELARL PHELIP & ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 10/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-07;22ma02066 ?
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