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26/03/2024 | FRANCE | N°22MA02306

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 4ème chambre, 26 mars 2024, 22MA02306


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société à responsabilité limitée (SARL) Lihana a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner solidairement l'Etat et la société de la rocade L2 de Marseille à lui verser la somme, à parfaire, de 120 000 euros en réparation des préjudices qu'elle dit avoir subis du fait des travaux de création de la rocade L2, avec intérêts au taux légal à compter de la notification de sa demande indemnitaire du 23 décembre 2019 et de mettre à la charge solidaire d

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) Lihana a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner solidairement l'Etat et la société de la rocade L2 de Marseille à lui verser la somme, à parfaire, de 120 000 euros en réparation des préjudices qu'elle dit avoir subis du fait des travaux de création de la rocade L2, avec intérêts au taux légal à compter de la notification de sa demande indemnitaire du 23 décembre 2019 et de mettre à la charge solidaire de l'Etat et de la société de la rocade L2 de Marseille les dépens de l'instance et la somme de

3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2003390 du 24 juin 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande ainsi que les conclusions de la société de la rocade L 2 de Marseille présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 19 août 2022, la SARL Lihana, représentée par

Me Bordet du cabinet Bordet-Keusseyan Bonacina-Mouillac-Collet, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 24 juin 2022 ;

2°) de condamner la société de la rocade L2 de Marseille à lui verser la somme de

120 000 euros à parfaire en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait des travaux de la rocade L2-A 507 à Marseille, avec intérêts au taux légal à compter de la notification de sa demande indemnitaire préalable ;

3°) subsidiairement, de condamner solidairement l'Etat et cette société à lui verser cette même somme, augmentée des mêmes intérêts ;

4°) en tout état de cause, de mettre à la charge de la société de la Rocade L2

de Marseille une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'insuffisance de motivation au regard de l'article L. 9 du code de justice administrative, faute d'avoir suffisamment analysé ses demandes, et exploité les pièces justificatives produites, et pour s'être borné à reprendre l'argumentation de la défense ;

- en écartant son argumentation au seul motif que l'accès au centre commercial n'était pas complètement impossible et que les travaux en litige ont concouru à l'amélioration de la desserte du centre, alors que ces travaux ont généré des difficultés d'accès à ce centre et causé la désertification progressive de la galerie marchande, entraînant la disparition de nombre de commerces installés au sein de cette galerie, et de graves préjudices pour elle, le tribunal a commis une erreur de droit et une erreur d'appréciation ;

- les travaux litigieux, qui constituent des travaux publics, ont produit par leur durée des conséquences anormales et spéciales sur l'exploitation de son fonds de commerce, qui dépassent largement les sujétions normales imposées aux riverains des voies publiques dans un but d'intérêt général ;

- le lien de causalité entre ces travaux et ses préjudices est établi et étranger aux différends avec son bailleur ainsi qu'à sa gestion du fonds ;

- ses préjudices consistent en une perte de clientèle et une perte de chiffre d'affaires.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 octobre 2022, la société de la rocade L2 de Marseille, représentée par Me Teboul, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de son auteur la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, en faisant valoir que les moyens d'appel ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 janvier 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête, en renvoyant à ses écritures de première instance.

Par une ordonnance du 16 août 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au

5 septembre 2023 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné M. Revert, président assesseur, pour présider la formation de jugement de la 4ème chambre, en application des dispositions de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Revert,

- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,

- et les observations de Me Bordet, représentant la SARL Lihana et de Me Dech, substituant Me Teboul, représentant la société de la rocade L2 de Marseille.

Une note en délibéré a été enregistrée le 13 mars 2024 pour la SARL Lihana.

Considérant ce qui suit :

1. La SARL Lihana exploite depuis le 15 février 2013 un point presse avec licence de compostage pour les jeux de hasard, au sein du centre commercial le Merlan à Marseille.

Le 23 décembre 2019, la société, placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Marseille du 14 mai 2018, a demandé au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, au préfet des Bouches-du-Rhône et à la société la Rocade L2 de Marseille, titulaire d'un contrat de partenariat avec l'Etat pour la construction et la maintenance de la portion d'autoroute devant relier les quartiers nord aux quartiers sud de Marseille, la réparation des préjudices économiques et commerciaux qu'elle estime avoir subis du fait de ces travaux. Par un jugement du 24 juin 2022, dont la SARL Lihana relève appel, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire de l'Etat et de la société la Rocade L2 de Marseille à lui verser la somme de 120 000 euros en réparation de ces préjudices.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Contrairement à ce que soutient l'appelante, le tribunal, après avoir correctement et précisément analysé le moyen dont il était saisi, au point 5 de son jugement, et qui consistait à prétendre que les travaux en litige avaient causé des difficultés d'accès au centre commercial le Merlan, y a répondu tout aussi précisément au point 6 de sa décision, sans se borner à se prononcer sur l'impossibilité de tout accès à cette installation, ni à reprendre l'argumentation présentée en défense par la société la Rocade L2 de Marseille. Par suite le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du jugement attaqué ne peut être accueilli.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la détermination de la personne responsable :

3. Aux termes de l'article 1er de l'ordonnance du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat, applicable au litige : " I. - Le contrat de partenariat est un contrat administratif par lequel l'Etat ou un établissement public de l'Etat confie à un tiers, pour une période déterminée en fonction de la durée d'amortissement des investissements ou des modalités de financement retenues, une mission globale ayant pour objet la construction ou la transformation, l'entretien, la maintenance, l'exploitation ou la gestion d'ouvrages, d'équipements ou de biens immatériels nécessaires au service public, ainsi que tout ou partie de leur financement à l'exception de toute participation au capital. / Il peut également avoir pour objet tout ou partie de la conception de ces ouvrages, équipements ou biens immatériels ainsi que des prestations de services concourant à l'exercice, par la personne publique, de la mission de service public dont elle est chargée. / II. - Le cocontractant de la personne publique assure la maîtrise d'ouvrage des travaux à réaliser. Après décision de l'Etat, il peut être chargé d'acquérir les biens nécessaires à la réalisation de l'opération, y compris, le cas échéant, par voie d'expropriation. (...) La rémunération du cocontractant fait l'objet d'un paiement par la personne publique pendant toute la durée du contrat. Elle est liée à des objectifs de performance assignés au cocontractant. (...) ".

Aux termes de l'article 11 de cette ordonnance : " Un contrat de partenariat comporte nécessairement des clauses relatives : / a) A sa durée ; / b) Aux conditions dans lesquelles est établi le partage des risques entre la personne publique et son cocontractant ; / c) Aux objectifs de performance assignés au cocontractant, (...) / d) A la rémunération du cocontractant, (...) ".

4. Il résulte des dispositions citées au point 3 qu'un contrat de partenariat conclu sur le fondement des dispositions de l'ordonnance du 17 juin 2004, d'une part, a pour effet de confier la maîtrise d'ouvrage des travaux à réaliser au titulaire de ce contrat, d'autre part, détermine le partage des risques liés à cette opération entre ce titulaire et la personne publique.

5. En vertu de l'article 8-1 du contrat de partenariat conclu entre l'Etat et la société la Rocade L2 de Marseille le 7 octobre 2013, relatif aux risques de conception et de construction de l'autoroute, le titulaire du contrat, en sa qualité de maître de l'ouvrage, prend à sa charge l'intégralité de ces risques, y compris les indemnités qui pourraient être dues à des tiers du fait de la réalisation des travaux ou de l'existence de l'autoroute, à l'exception de celles dues en réparation des dommages permanents liés à l'existence même de cet ouvrage, qui incombe à l'Etat si ces dommages ne sont pas aggravés par les travaux réalisés par la société.

6. Ainsi, compte tenu du partage des risques liés à l'opération de construction de l'autoroute L2, opéré par cette convention entre la société la Rocade L2 de Marseille et l'Etat, et du transfert à cette société de la maîtrise d'ouvrage pour les besoins de cette opération, seule la responsabilité de la société peut être recherchée par les tiers du fait des dommages causés par les travaux. C'est par conséquent à bon droit que le tribunal administratif de Marseille, saisi par la SARL Lihana d'une demande de condamnation solidaire de l'Etat et de la société la Rocade L2 de Marseille, a mis hors de cause l'Etat.

En ce qui concerne les conclusions de la SARL Lihana tendant à l'engagement de la responsabilité sans faute de la société la Rocade L2 de Marseille :

7. Si, en principe, les modifications apportées à la circulation générale et résultant soit de changements effectués dans l'assiette, la direction ou l'aménagement des voies publiques, soit de la création de voies nouvelles, ne sont pas de nature à ouvrir droit à indemnité, il en va autrement dans le cas où ces modifications ont pour conséquence d'interdire ou de rendre excessivement difficile l'accès des riverains à la voie publique.

8. En premier lieu, il ne résulte pas de l'instruction, notamment pas du procès-verbal de constat d'huissier établi le 15 février 2018, que les travaux de réalisation de la rocade, entamés en 2014, auraient rendu impossible l'accès au centre commercial le Merlan et, de la sorte, au commerce de la SARL Lihana, au cours de la période de 2015 à 2019 qu'elle invoque pour solliciter l'indemnisation de ses préjudices.

9. En deuxième lieu et d'une part, ce même procès-verbal de constat d'huissier montre qu'en 2018, date de son établissement, l'accès au centre commercial par l'avenue Allende, située au sud, elle-même accessible depuis le rond-point Pierre Paraf, se caractérisait par la présence dans l'axe médian de cette avenue de glissières de sécurité, par la matérialisation en jaune d'une signalisation au sol et une circulation à double sens ainsi que par des panneaux de signalisation indiquant la présence du centre commercial comme du supermarché en son sein. S'il résulte également de ce constat que cette voie d'accès ne comportait alors pas de couloir de circulation pour les piétons ni de trottoir, il ne résulte pas de l'instruction que ses usagers ont été privés de tout accès sécurisé pendant toute la durée des travaux. D'autre part, il ne résulte pas davantage de ce procès-verbal que les difficultés plus importantes d'accès au centre commercial par l'avenue Mérimée, du fait de la fermeture, au jour de l'établissement du constat d'huissier, de la voie d'accès située au nord de l'ensemble commercial, et de l'absence de couloir de circulation pour piétons et de trottoir, auraient rendu excessivement compliquée la circulation vers et depuis cette installation. Ainsi ni ce document ni aucune autre pièce du dossier, pas même les photographies de commerces vacants dans la galerie marchande du centre commercial et les appréciations de l'administrateur judiciaire dans son rapport du 12 novembre 2018, ne démontrent qu'en dépit de leur durée importante, de juillet 2014 à 2019, les travaux de construction de la rocade L2 ont rendu excessivement difficile l'accès au centre commercial depuis l'ensemble des voies publiques dont il est riverain, ni par voie de conséquence, au commerce exploité par la société requérante.

10. En troisième lieu, il résulte certes de l'instruction qu'au titre de la période de 2015 à 2019, le chiffre d'affaires réalisé par le commerce de la SARL Lihana a accusé une baisse importante entre 2014 et 2016, qui s'est confirmée entre 2017 et 2018. Mais si l'administrateur judiciaire a estimé dans son rapport du 12 novembre 2018 que la baisse significative de son chiffre d'affaires faisait suite aux travaux de la rocade, ce même rapport, qui qualifie l'activité de ce commerce de " confortablement rentable ", attribue les difficultés rencontrées également, d'une part à la " désertification " de la galerie marchande et à un différend entre la société et son bailleur relatif au montrant trop élevé du bail commercial, dont il n'est pas établi qu'ils seraient directement imputables aux travaux, contrairement à ce que soutient la société, et d'autre part " très probablement " à des insuffisances de gestion de sa dirigeante. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que, malgré leur durée, les travaux en litige aient été la cause déterminante du préjudice économique et du préjudice commercial dont la société requérante demande la réparation.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Lihana n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande. Ses conclusions principales tendant à la condamnation de la société la Rocade L2 de Marseille à réparer ses préjudices ainsi que, en tout état de cause, ses conclusions subsidiaires tendant à la condamnation solidaire de cette société et de l'Etat présentées aux mêmes fins, ne peuvent donc qu'être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

12. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de laisser à chaque partie la charge de ses frais d'instance.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la SARL Lihana est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la société la Rocade L2 de Marseille au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Lihana, à la société de la Rocade L2 de Marseille et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Délibéré après l'audience du 12 mars 2024, où siégeaient :

- M. Revert, président,

- M. Martin, premier conseiller,

- M. Lombart, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 mars 2024.

N° 22MA023062


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA02306
Date de la décision : 26/03/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

67-03-04 Travaux publics. - Différentes catégories de dommages. - Dommages créés par l'exécution des travaux publics.


Composition du Tribunal
Président : M. REVERT
Rapporteur ?: M. Michaël REVERT
Rapporteur public ?: Mme BALARESQUE
Avocat(s) : SELARL MICHEL TEBOUL

Origine de la décision
Date de l'import : 07/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-26;22ma02306 ?
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