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12/04/2024 | FRANCE | N°22MA02414

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 5ème chambre, 12 avril 2024, 22MA02414


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulon de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2015 à 2017.



Par un jugement n° 2002037 du 4 juillet 2022, le tribunal administratif de Toulon a, d'une part, constaté qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête concernant l'année

2017 à concurrence de la somme, en droits et pénalités, de 21 249 euros, d'autre part, rejeté le su...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulon de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2015 à 2017.

Par un jugement n° 2002037 du 4 juillet 2022, le tribunal administratif de Toulon a, d'une part, constaté qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête concernant l'année 2017 à concurrence de la somme, en droits et pénalités, de 21 249 euros, d'autre part, rejeté le surplus des conclusions de Mme A....

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 5 septembre 2022, Mme A..., représentée par Me Peltier-Feat, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 4 juillet 2022 ;

2°) de prononcer la décharge de l'intégralité des impositions en litige ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la charge de la preuve incombe à l'administration s'agissant de l'exercice 2017 dès lors que, la société n'ayant pas reçu de mise en demeure de déposer, la procédure de taxation d'office a été utilisée indûment ;

- l'EURL MB a fourni des éléments qui étaient de nature à justifier sa comptabilité, et qui ont d'ailleurs été utilisés par l'administration ; dès lors, le service ne pouvait rejeter cette comptabilité comme irrégulière ;

- la méthode de reconstitution retenue par l'administration est excessivement sommaire et viciée dans son principe ; les coefficients moyens de remise pris en compte sont erronés, de même que les coefficients de fixation des prix de vente déterminés avec un échantillonnage insuffisant ; les stocks ne sont pas pris en compte, ni les soldes et les pertes diverses ; l'administration n'a pas non plus tiré les conséquences des rétrocessions réalisées au profit de l'EURL NT, ce qui aboutit à comptabiliser doublement certaines opérations ;

- les propositions de rectification sont insuffisamment motivées quant au rejet de certaines charges que l'administration ne justifie pas ;

- celles-ci correspondent au paiement d'un fournisseur et à des rétrocessions à l'EURL NT, engagées dans l'intérêt de l'entreprise ; ces montants, qui n'ont, en tout état de cause, pas été désinvestis, ne peuvent constituer des revenus de capitaux mobiliers ;

- il n'y a pas d'intention délibérée d'éluder l'impôt.

Par mémoire en défense, enregistré le 16 décembre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que la requête est non fondée dans les moyens qu'elle soulève.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné Mme Aurélia Vincent, présidente assesseure, pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Poullain,

- et les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... est gérante et associée unique de L'EURL MB, qui exploite un commerce de vêtements dans la ville de Toulon. L'administration a mis à sa charge, notamment à la suite de rectifications portées aux résultats de la société, regardées comme des sommes distribuées à son profit, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre des années 2015 à 2017. Mme A... relève appel du jugement du tribunal administratif de Toulon du 4 juillet 2022 qui, après constaté un non-lieu sur une partie du litige à la suite d'un dégrèvement prononcé en cours d'instance, le 15 décembre 2020, par l'administration fiscale, a rejeté le surplus de ses conclusions tendant à obtenir la décharge, en droits et pénalités, de ces impositions, d'un montant total de 281 842 euros.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

2. Aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation (...) ". Selon l'article R. 57-1 du même livre : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée (...) ". Il résulte de ces dispositions que l'administration doit indiquer au contribuable, dans la proposition de rectification, les motifs et le montant des rehaussements envisagés, leur fondement légal et la catégorie de revenus dans laquelle ils sont opérés, ainsi que les années d'imposition concernées. Hormis le cas où elle se réfère à un document qu'elle joint à la proposition de rectification ou à la réponse aux observations du contribuable, l'administration peut satisfaire cette obligation en se bornant à se référer aux motifs retenus dans une proposition de rectification, ou une réponse aux observations du contribuable, consécutive à un autre contrôle et qui lui a été régulièrement notifiée, à la condition qu'elle identifie précisément la proposition ou la réponse en cause et que celle-ci soit elle-même suffisamment motivée.

3. Les propositions de rectification adressées à Mme A... reproduisent, en ce qui concerne les charges non admises en déduction des résultats de l'entreprise, celles du 14 décembre 2018 et 12 avril 2019, adressées à l'EURL MB, exposant que certaines charges n'ont pas été assorties de justificatif ou n'ont pas été exposées dans l'intérêt de l'entreprise. Si la partie reproduite de la proposition de rectification du 12 avril 2019 renvoie à la liste des opérations détaillées à son paragraphe 7 3 2, la requérante a dûment été destinataire, en sa qualité de gérante de la société, de ladite proposition de rectification qui liste effectivement, en son paragraphe 7 3 2, l'ensemble des opérations concernées et les motifs de leur non admission en charge. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'obligation de motivation telle qu'elle résulte des articles L. 57 et R. 57-1 du livre des procédures fiscales doit, dès lors, être écarté.

Sur le bien-fondé des impositions :

4. Aux termes de l'article 109 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme revenus distribués : / 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital ; / 2° Toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices. / (...) ". Aux termes du 1er alinéa de l'article 110 du même code : " Pour l'application du 1° du 1 de l'article 109 les bénéfices s'entendent de ceux qui ont été retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés ". Le contribuable qui, disposant seul des pouvoirs les plus étendus au sein de la société, est en mesure d'user sans contrôle de ses biens comme de biens qui lui sont propres, doit être regardé comme le seul maître de l'affaire. Il est en conséquence regardé comme bénéficiaire des distributions effectuées par la société qu'il contrôle.

5. En premier lieu, Mme A..., qui ne conteste pas être maître de l'affaire pour l'application de ces dispositions, conteste le bien-fondé des rectifications portées aux résultats de l'EURL MB du fait de la reconstitution de ses recettes.

6. Aux termes de l'article 54 du code général des impôts : " Les contribuables mentionnés à l'article 53 A sont tenus de représenter à toute réquisition de l'administration tous documents comptables, inventaires, copies de lettres, pièces de recettes et de dépenses de nature à justifier l'exactitude des résultats indiqués dans leur déclaration ". Il est toujours loisible à l'administration de justifier le rejet de la comptabilité du contribuable vérifié, même si elle est régulière en la forme, en se fondant sur des motifs pertinents tirés du manque de valeur probante de cette comptabilité, accompagnés de tous éléments de fait permettant de présumer que les résultats déclarés ont été minorés.

7. Il ressort des propositions de rectification que l'EURL MB, qui ne délivre pas de facture ou de note à ses clients, n'a pas été en mesure de présenter les pièces susceptibles de justifier ses écritures comptables, dès lors qu'elle s'est bornée à fournir des enveloppes, contenant des étiquettes d'articles vendus et mentionnant le type global de règlement, ainsi que des cahiers retraçant pour partie la date, les produits vendus sans référence précise et le mode de règlement. Le service a notamment relevé que le total des ventes figurant sur ces étiquettes ne correspondait pas au chiffre d'affaires comptabilisé et qu'il existait des discordances entre les recettes, les mentions desdites étiquettes et celles portées sur les cahiers. Par ailleurs, l'achat de certains articles vendus n'a pas été comptabilisé. En outre, la requérante ne conteste pas qu'aucun état des stocks n'a été fourni au 31 décembre 2016 et que ceux fournis au 31 décembre 2015 et au 31 décembre 2017 ne présentaient aucune cohérence avec les montants portés en comptabilité à cet égard, ni d'ailleurs avec les reconstitutions théoriques effectuées par le vérificateur en nombre, par soustraction des produits vendus aux produits acquis. Dans ces circonstances, quand bien même elle a utilisé les informations figurant sur les étiquettes pour reconstituer les recettes de l'entreprise, l'administration établit que la comptabilité de l'EURL MB était non sincère et entachée d'insuffisances de nature à lui enlever toute valeur probante.

8. Pour reconstituer le chiffre d'affaires de la société, le service a, dans un premier temps, reconstitué les ventes correspondant à chaque fournisseur à partir des achats figurant en comptabilité. Il a déterminé, pour chaque marque concernée, un coefficient de fixation des prix de vente TTC au regard des prix d'achat HT et un taux de remise moyen grâce aux informations figurant sur les étiquettes des produits vendus, prises en compte de façon exhaustive lorsque celles-ci étaient suffisamment précises quant à l'identification des marchandises. Dans un second temps, s'agissant des produits vendus sans comptabilisation d'achats correspondants, il a simplement utilisé les données figurant sur ces mêmes étiquettes.

9. Ainsi que le fait valoir la requérante, l'administration a considéré, s'agissant des achats figurant en comptabilité, qu'ils avaient tous donné lieu à une vente au cours du même exercice. Si Mme A... soutient toutefois que certains achats n'ont pas été vendus et sont venus alimenter le stock, il est constant, ainsi qu'il a été dit précédemment, que les états de stocks n'ont pas été établis ou l'ont été sans aucune cohérence, de telle sorte qu'il ne saurait être fait grief à l'administration de ne pas les avoir pris en compte. Si la requérante prétend également que certains produits n'ont pas été vendus à des clients mais rétrocédés à prix coûtant à l'EURL NT, qui exploite un magasin similaire à Hyères et dont elle est également gérante et associée unique, elle ne produit à cet égard qu'un cahier de rétrocession tenu à la main, comportant des rajouts et surcharges, qui n'a pas été fourni à l'occasion du contrôle et n'identifie pas toujours précisément les produits concernés, leur prix, ou même le sens du prétendu transfert effectué d'un magasin à l'autre. Ces rétrocessions n'ont, en outre, donné lieu à aucune facturation et l'administration établit qu'elles ont été comptabilisées de façon discordante par chacune des sociétés. En tout état de cause, la prise en compte de telles rétrocessions vers l'EURL NT serait compensée par celle, en sens inverse, des transferts ayant été opérés du magasin de Hyères vers celui de Toulon, qui ne correspondent pas aux ventes pour lesquelles aucune comptabilisation d'achat n'a été effectuée.

10. La requérante ne saurait, par ailleurs, faire grief à l'administration d'avoir retenu, par marque, un échantillonnage trop réduit alors, qu'ainsi qu'il a été dit précédemment, le service a pris en compte l'intégralité des étiquettes comportant les informations nécessaires à la comparaison du prix de vente TTC au prix d'achat HT et à la détermination d'un taux de remise. Cette façon de procéder a nécessairement inclus les remises pratiquées à l'occasion des soldes, tandis que la requérante ne donne aucune indication quant à de prétendus vols, pertes ou autres destructions. Si elle soutient enfin qu'en effectuant le même travail que le vérificateur, elle a obtenu des coefficients de prix de vente et des taux moyens de remise différents, ceux-ci demeurent, en tout état de cause, approchants de ceux obtenus par le service.

11. Il résulte de ce qui précède que l'administration établit que sa méthode de reconstitution de recettes n'est ni radicalement viciée dans son principe, ni excessivement sommaire.

12. Dès lors, Mme A... n'est pas fondée à critiquer les rectifications portées aux résultats de l'EURL MB du fait de la reconstitution de ses recettes, alors au demeurant que, n'ayant pas répondu aux propositions de rectification qui lui ont été adressées, elle supporte la charge de la preuve du caractère exagéré de l'imposition en application de l'article R. 194-1 du livre des procédures fiscales quelle que soit la dévolution de cette charge dans le litige qui oppose l'EURL MB à l'administration fiscale.

13. En deuxième lieu, si Mme A... soutient que les montants correspondant aux charges dont l'administration a refusé la déduction n'ont pas été désinvestis de l'entreprise et ne peuvent, par suite, être regardés comme des revenus distribués, aucune justification n'a été apportée quant aux dépenses auxquelles la requérante fait référence, comptabilisées au cours de l'exercice clos en 2015, à hauteur de 2 162 euros au profit d'un fournisseur, et de 24 290,70 euros au profit de l'EURL NT. Dès lors, c'est à bon droit que l'administration a regardé ces sommes, qui n'ont ni été mises en réserve ni incorporées au capital, comme des revenus distribués.

14. En troisième lieu, aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt (...) entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré ; / (...) ".

15. Ainsi que l'a relevé le vérificateur, d'une part, la nature des incohérences constatées au terme de l'analyse des étiquettes de vente, des achats, des recettes et des stocks comme l'importance substantielle des omissions de recettes au regard du chiffre d'affaires déclaré, établissent la volonté de la requérante, en tant que gérante et associée unique de l'EURL MB, d'éluder l'impôt. D'autre part, Mme A... ne conteste pas qu'elle a revendiqué et obtenu à tort, alors qu'elle vit en concubinage depuis de nombreuses années, le bénéfice d'une majoration de part fiscale en tant que parent isolé. L'administration établit, dès lors, le caractère délibéré du manquement.

16. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est.

Délibéré après l'audience du 29 mars 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Vincent, présidente assesseure, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Marchessaux, première conseillère,

- Mme Poullain, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 avril 2024.

N° 22MA02414 2

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA02414
Date de la décision : 12/04/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-02-03-01 Contributions et taxes. - Impôts sur les revenus et bénéfices. - Revenus et bénéfices imposables - règles particulières. - Revenus des capitaux mobiliers et assimilables. - Revenus distribués.


Composition du Tribunal
Président : Mme VINCENT
Rapporteur ?: Mme Caroline POULLAIN
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : FEAT SOCIETE D'AVOCAT

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-12;22ma02414 ?
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