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23/04/2024 | FRANCE | N°23MA00458

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 4ème chambre, 23 avril 2024, 23MA00458


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bastia, à titre principal, de condamner la commune de Tallone à lui verser une somme de 295 948,40 euros, au titre du coût estimé pour la réfection des murs clôturant sa parcelle, y compris celui qu'il qualifie

" de soutènement ", et des murs intérieurs, qui se seraient effondrés du fait d'un défaut d'entretien de ce mur " de soutènement " qui appartiendrait à cette commune et de la divagation de bovins, ainsi qu'une somme de 10

000 euros en réparation du préjudice moral qu'il estime avoir consécutivement sub...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bastia, à titre principal, de condamner la commune de Tallone à lui verser une somme de 295 948,40 euros, au titre du coût estimé pour la réfection des murs clôturant sa parcelle, y compris celui qu'il qualifie

" de soutènement ", et des murs intérieurs, qui se seraient effondrés du fait d'un défaut d'entretien de ce mur " de soutènement " qui appartiendrait à cette commune et de la divagation de bovins, ainsi qu'une somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral qu'il estime avoir consécutivement subi, à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise avant dire droit et, en tout état de cause, de mettre à la charge de la commune de Tallone les frais d'expertise ainsi qu'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2001111 du 31 janvier 2023, le tribunal administratif de Bastia a rejeté cette demande et mis à la charge de M. B... la somme de 1 500 euros à verser à la commune de Tallone au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 24 février et 22 novembre 2023, M. B..., représenté par Me Caporossi-Poletti, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 31 janvier 2023 ;

2°) à titre principal, de condamner la commune de Tallone à lui verser ces sommes de 295 948,40 et de 10 000 euros en réparation de ses préjudices ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise, aux frais avancés par la commune de Tallone, à l'effet de vérifier si la divagation des vaches est la seule cause des dommages affectant son bien et de les chiffrer ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Tallone la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Il soutient que :

- en qualité d'usufruitier de la parcelle en cause, il a un intérêt pour agir ;

- c'est à tort que, dans son mémoire en défense, la commune de Tallone se prévaut de la prescription quadriennale :

. conformément à l'alinéa 1er de l'article 7 de la loi de 1968, cette prescription ne peut être invoquée pour la première fois en appel ;

. le mémoire de la commune de Tallone lui opposant cette prescription n'est pas signé par l'autorité compétente :

. la prescription n'est pas acquise ;

- s'agissant de la carence du maire de Tallone dans l'exercice de son pouvoir de police, il satisfait à la charge de la preuve et le maire a, au vu de l'article L. 2111-2 du code général des collectivités territoriales, commis une faute dans l'exercice de son pouvoir de police engageant la responsabilité de sa commune ;

- sur le mur longeant le chemin communal :

. le rapport du cabinet Pozzo di Borgo n'ayant pas été dressé contradictoirement, il aurait dû être écarté des débats et, au surplus, il ne permet pas de conclure que ce mur serait privé ;

. ce mur est un ouvrage non seulement utile mais indispensable qui soutient un ouvrage public ; par conséquent, la commune de Tallone est responsable du défaut d'entretien de cet ouvrage public, dont ce mur est l'accessoire, et dont elle a la garde ; le régime qui pèse sur elle est, en sa qualité de tiers, celui de la responsabilité sans faute ;

. en tout état de cause, à supposer que ce mur n'appartienne pas à la commune de Tallone, cette circonstance n'exonère pas cette dernière de sa responsabilité pour faute, au titre de la carence de son maire dans l'exercice de ses pouvoirs de police ;

- il supporte un préjudice spécial et anormal ;

- si la commune de Tallone conteste l'évaluation de son préjudice ou persiste à soutenir que la divagation de vaches n'est que la cause partielle de l'effondrement des murs, une mesure d'investigation pourrait être organisée aux frais avancés par cette dernière.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 16 novembre et 15 décembre 2023, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la commune de Tallone, représentée par Me Muscatelli, conclut, à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à ce que la Cour désigne un expert de justice aux fins d'établir et de chiffrer le préjudice prétendument subi par M. B..., et, en tout état de cause, de mettre à la charge de ce dernier, outre au titre des dépens, les frais induit par le rapport établi par le cabinet Pozzo di Borgo, la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- l'intérêt pour agir de M. B... n'est pas démontré dès lors qu'il n'est que l'usufruitier de deux tiers indivis de la parcelle en cause et qu'en méconnaissance des dispositions de l'article 815-2 du code civil, il ne justifie d'aucun mandat ;

- elle est fondée à opposer la prescription quadriennale ;

- comme l'a jugé le tribunal administratif de Bastia, sa responsabilité ne saurait être engagée ;

- pour solliciter une condamnation avoisinant la somme de 300 000 euros, M. B... se borne à verser aux débats un simple devis ;

- si, par extraordinaire, la Cour devait retenir sa responsabilité, elle devra ordonner, avant dire droit, une expertise afin d'établir et de chiffrer contradictoirement le prétendu préjudice de M. B....

Par une ordonnance du 13 novembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 décembre 2023, à 12 heures.

En application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, le conseil de M. B... a été invité, par un courrier du 4 mars 2024, à produire :

- des copies entièrement lisibles de ses pièces jointes nos 9 et 11 ;

- sa pièce jointe n° 18 intitulée : " constat d'huissier du 24 février 2023 ".

En réponse, des pièces ont été produites, le 4 mars 2024, par M. B..., représenté par Me Caporossi-Poletti.

En réponse à la communication de ces pièces, la commune de Tallone, représentée par Me Muscatelli a présenté des observations les 19 et 22 mars 2024, auxquelles M. B..., représenté par Me Caporossi-Poletti, a répliqué par des observations, enregistrées le 22 mars 2024, qui n'ont pas été communiquées.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lombart,

- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,

- et les observations de Me Caporossi-Poletti, représentant M. B..., et

de Me De Casalta-Bravo, substituant Me Muscatelli, représentant la commune de Tallone.

Considérant ce qui suit :

1. Usufruitier de la parcelle cadastrée section A n° 317, située au lieu-dit Castellu, sur le territoire de la commune de Tallone, M. B... relève appel du jugement du 31 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande tendant à ce que cette commune soit condamnée à lui verser une somme de 295 948,40 euros, au titre du coût estimé pour la réfection tant des murs clôturant cette parcelle, y compris celui qu'il qualifie

" de soutènement ", que des murs intérieurs, lesquels se seraient effondrés, et une somme de

10 000 euros en réparation du préjudice moral qu'il estime avoir ainsi subi.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la responsabilité de la commune de Tallone au titre des carences du maire de Tallone dans l'exercice de ses pouvoirs de police :

2. Aux termes de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : / (...) / 7° Le soin d'obvier ou de remédier aux événements fâcheux qui pourraient être occasionnés par la divagation des animaux malfaisants ou féroces. " Ces dispositions, ainsi que celles contenues aux articles L. 211-11 et suivants du code rural et de la pêche maritime, confient à l'autorité de police municipale le soin de prendre et de mettre en œuvre les mesures nécessaires pour faire cesser les troubles à l'ordre public et les dommages résultant de l'errance d'animaux sur le territoire de la commune.

3. M. B... soutient que la divagation d'animaux pacageant sur la parcelle cadastrée section A n° 317 dont il est usufruitier occasionne des dommages aux murs de clôtures ainsi qu'aux murs intérieurs en pierres sèches qui y sont implantés. A l'occasion de l'expertise diligentée par son assureur le 28 août 2018, M. B... précisait que ces nuisances duraient depuis " environ une quinzaine d'années ". Toutefois, et alors même que la présence d'animaux errants a pu être observée sur le territoire de la commune de Tallone, ni les pièces que M. B... a produit en première instance, ni celles qu'il verse aux débats devant la Cour, dont le procès-verbal de constat de commissaire de justice du 24 février 2023, ne démontrent, en l'absence notamment de précisions quant à la localisation exacte et à la fréquence de ces passages, et au nombre d'animaux errants, un lien de causalité direct et certain entre les dégradations dont l'appelant se plaint, dont, au demeurant ni l'étendue exacte, ni l'ancienneté ne sont clairement établies au vu des quelques éléments imprécis du dossier sur ces points, et le passage de bovins en état de divagation. Dans ces conditions, et ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal administratif de Bastia, M. B... n'est pas fondé à rechercher la responsabilité pour faute de la commune de Tallone en raison d'une carence de son maire dans l'exercice de ses pouvoirs de police.

En ce qui concerne la responsabilité de la commune de Tallone pour défaut d'entretien d'un ouvrage public :

4. D'une part, le maître de l'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage présente un caractère accidentel.

5. D'autre part, la circonstance qu'un ouvrage n'appartienne pas à une personne publique ne fait pas obstacle à ce qu'il soit regardé comme une dépendance d'un ouvrage public s'il présente, avec ce dernier, un lien physique ou fonctionnel tel qu'il doive être regardé comme un accessoire indispensable de l'ouvrage. Si tel est le cas, la collectivité propriétaire de l'ouvrage public est responsable des conséquences dommageables causées par cet élément de l'ouvrage public. Un mur destiné à soutenir une voie publique, qui passe en surplomb d'un terrain privé, constitue l'accessoire de la voie publique et présente le caractère d'un ouvrage public, alors même qu'il serait implanté dans sa totalité sur ce terrain privé. Est sans incidence sur cette qualification la circonstance que ce mur ait été édifié aux frais et sous le contrôle d'un particulier dans le cadre de travaux privés.

6. M. B... expose également que le mur qui longe le chemin communal situé en amont de la parcelle cadastrée section A n° 317, qui selon lui le soutient, ne serait pas entretenu et que ce défaut d'entretien occasionnerait des écoulements de boue et de terre qui auraient contribué à provoquer l'effondrement des murs de pierres sèches des terrasses situées sur cette parcelle. Il ne résulte toutefois pas de l'instruction que ce mur, que l'appelant présente lui-même comme le " mur d'enceinte de son terrain " appartiendrait à la commune de Tallone. Il ne résulte pas davantage de l'instruction que ce mur aurait vocation à soutenir le chemin communal qui le borde et qu'il présenterait avec celui-ci un lien physique ou fonctionnel tel qu'il doive être regardé comme un accessoire indispensable. A cet égard, M. B... ne peut utilement, pour soutenir que le rapport du cabinet Pozzo di Borgo, établi à la demande de la commune intimée et qui conclut à ce que ce " muret ne joue pas un rôle de soutènement par rapport au chemin communal en amont ", devrait être écarté des débats, se borner à faire état de ce que celui-ci n'a pas été dressé contradictoirement alors que les éléments qui ressortent de cette expertise ont été soumis au débat contradictoire en cours d'instance devant le tribunal administratif de Bastia comme devant la Cour, qu'ils peuvent donc être régulièrement pris en compte et que l'appelant ne les discute pas sérieusement. Il suit de là que la responsabilité de la commune de Tallone ne saurait être engagée à raison du défaut d'entretien d'un ouvrage public.

7. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de

non-recevoir et l'exception de prescription quadriennale opposées en défense par la commune de Tallone, ni qu'il soit utile d'ordonner une expertise avant dire droit, M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande.

Sur les dépens :

8. Selon l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. (...) ".

9. D'une part, les frais engagés pour la réalisation de l'expertise diligentée à la seule initiative de la commune de Tallone ne constituent pas des dépens au sens des dispositions précitées de l'article R. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions afférentes présentées par l'intimée doivent donc être rejetées.

10. D'autre part, la présente instance n'ayant pas donné lieu à de tels dépens, doivent également être rejetées les conclusions présentées à ce titre par M. B....

Sur les frais liés au litige :

11. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. "

12. D'une part, ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Tallone, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. B... sollicite au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

13. D'autre part, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées sur le fondement de ces mêmes dispositions par la commune intimée.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Tallone tendant au bénéfice des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la commune de Tallone.

Délibéré après l'audience du 9 avril 2024, où siégeaient :

- M. Marcovici, président,

- M. Revert, président assesseur,

- M. Lombart, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 avril 2024.

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No 23MA00458


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