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21/03/2024 | FRANCE | N°20NC03819

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 1ère chambre, 21 mars 2024, 20NC03819


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, ainsi que des intérêts de retard et des pénalités correspondantes, mises à sa charge au titre de l'année 2010.



Par un jugement n° 1600738 du 6 février 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.



Par un arrêt n° 18NC01075 du 4 juillet 2019, l

a cour administrative d'appel de Nancy a déchargé M. A... des pénalités de 40 % dont ont été assorties les cotisa...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, ainsi que des intérêts de retard et des pénalités correspondantes, mises à sa charge au titre de l'année 2010.

Par un jugement n° 1600738 du 6 février 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 18NC01075 du 4 juillet 2019, la cour administrative d'appel de Nancy a déchargé M. A... des pénalités de 40 % dont ont été assorties les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales mises à sa charge au titre de l'année 2010 et a rejeté le surplus de ses conclusions.

Par une décision du 29 décembre 2020, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a, saisi d'un pourvoi présenté par M. A..., annulé l'article 3 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy en date du 4 juillet 2019 et a renvoyé l'affaire devant la même cour.

Procédure devant la cour :

Productions présentées avant le renvoi :

Par une requête et des mémoires, respectivement enregistrés les 3 avril 2018, 20 novembre 2018 et 22 mars 2019, M. A..., représenté par Mes Burg et Keller, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1600738 du tribunal administratif de Strasbourg du 6 février 2018 ;

2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, ainsi que des majorations correspondantes, mises à sa charge au titre de l'année 2010 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- dans la proposition de rectification du 10 décembre 2013, les rappels envisagés étaient fondés, à titre principal, sur les dispositions du f du I de l'article 164 B du code général des impôts et sur celles de l'article 244 bis B du même code et, à titre subsidiaire, sur la circonstance qu'il résidait fiscalement en France en 2010 ; ces motifs sont contradictoires et, de ce fait, leur articulation au sein d'une même proposition de rectification constitue une insuffisance de motivation de cette dernière ;

- son foyer, au sens de l'article 4 B du code général des impôts, n'était plus situé en France lors de la cession des parts de la société Travel Metal Search, puisqu'il a cédé le 23 février 2010 son appartement ; il a également cédé son véhicule, il a résilié ses abonnements téléphonique et à internet, ses assurances pour son logement et son véhicule, il a racheté son contrat d'assurance-vie et mis ses meubles dans un garde-meuble ; par courrier du 22 mars 2010, il a informé l'administration de son transfert de résidence ; il était séparé de fait de son épouse depuis 2008 ; le jugement de divorce du 19 janvier 2012, qui est revêtu de l'autorité de la chose jugée, fixe la date de la séparation au 1er janvier 2009 ; à compter de 2009, il se rendait régulièrement à Singapour et logeait chez sa sœur lors de ses passages à Strasbourg ; le fait qu'il a souscrit avec son épouse des déclarations de revenus en France en 2010 et 2011 ne saurait attester l'existence d'un foyer français, puisque ces déclarations étaient erronées ; n'étant pas imposables, ils n'ont pas pris la peine de modifier les déclarations préremplies ; ils ont, par ailleurs, déposé des déclarations rectificatives distinctes ;

- il a principalement séjourné à Singapour entre le 27 février 2010, date à laquelle il a quitté la France, et le 31 décembre 2010 ; il a été à Singapour pendant 174 jours au cours de l'année 2010 ;

- son activité professionnelle se trouvait à Singapour, puisque la société par actions simplifiée (SAS) Coelis a cessé de le rémunérer le 1er mars 2010 et que la société singapourienne Travel Metal Search est devenue son employeur à compter de cette date ; le simple exercice d'un mandat non rémunéré au sein de la SAS Coelis est sans incidence au regard de ce critère ;

- le centre de ses intérêts économiques se trouvait à Singapour, puisqu'il détenait 20,69 % du capital de la société singapourienne Travel Metal Search dont il était également salarié ; il ne possédait plus aucun actif en France ;

- il était considéré comme résident fiscal à Singapour, puisqu'il y a été soumis à l'impôt sur le revenu au titre de 2010 et il y disposait d'un foyer d'habitation permanent ; accessoirement, le centre de ses intérêts vitaux se trouvait en France ;

- l'application de la majoration de 40 % n'est pas justifiée.

Par deux mémoires en défense, enregistré les 24 septembre 2018 et 11 mars 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.

M. A... a présenté une note en délibéré le 25 juin 2019 qui n'a pas été communiquée.

Productions présentées après le renvoi :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 29 décembre 2020, 27 janvier 2021, 24 août 2021, 5 mai 2022 et 7 juillet 2023 M. A..., représenté par Me Gérardin et Me Burg, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1600738 du tribunal administratif de Strasbourg du 6 février 2018 ;

2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, ainsi que des majorations correspondantes, mises à sa charge au titre de l'année 2010 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est par erreur qu'une déclaration de revenus commune avec son ex-épouse a été effectuée en France au titre des revenus 2010 et 2011 et cette déclaration ne saurait avoir pour effet d'établir qu'il résidait en France à la date de la cession de parts ayant donné lieu à l'imposition en litige ; il a déposé une déclaration rectificative en novembre 2013 ;

- le domicile fiscal d'un contribuable ne saurait être apprécié au regard de sa déclaration de revenus mais doit être apprécié au regard de sa situation réelle ; il ne disposait plus d'un foyer fiscal en France en 2010 au sens de l'article 4B du code général des impôts et il était séparé de fait de son ex-épouse ; la seule circonstance qu'il recevait son courrier chez sa sœur domiciliée en France ne saurait établir qu'il résidait fiscalement en France et cette adresse ne constituait pas son foyer fiscal permanent au sens du code général des impôts ; il disposait d'un foyer d'habitation permanent à Singapour dès lors que le logement de fonction dont il disposait était mis à sa disposition de façon durable à compter du 4 avril 2010 et il avait déménagé à Singapour depuis le mois de février 2010 ;

- il n'exerçait pas son activité principale en France à la date de la cession en litige le 11 mai 2010, dès lors qu'il était déjà rémunéré par la société Sprice à Singapour à cette date et son activité bénévole de président de la société Coelis en 2010 était purement accessoire depuis le 1er mars 2010 ;

- le centre de ses intérêts économiques n'était plus situé en France, même s'il y disposait encore d'un compte bancaire ; le centre de ses intérêts vitaux était situé à Singapour et alors même qu'il conservait des liens familiaux en France, il ne vivait plus avec son ex épouse depuis 2009 ; la totalité de ses revenus était de source singapourienne et la quasi-totalité de son patrimoine était située à Singapour ;

- aux termes de l'article 4 de la convention fiscale franco-singapourienne, il doit être regardé comme résidant à Singapour où il dispose d'un foyer d'habitation permanent ;

- il ne résidait pas en France à titre habituel en 2010 ; alors même qu'il y a effectué des séjours pour un total de 118 jours, il a passé 161 jours à Singapour en 2010 ;

- à supposer que les critères précédents ne permettent pas de trancher le conflit de résidence, il convient de faire application du c du 2 de l'article 4 de la convention fiscale franco-singapourienne selon lequel si le contribuable séjourne de façon habituelle dans chacun des deux états contractants, les autorités compétentes tranchent la question d'un commun accord et il conviendrait alors d'enjoindre à l'administration fiscale française d'engager une procédure amiable afin de trouver un accord avec les autorités singapouriennes ;

- l'administration donne au jugement de divorce du 19 janvier 2012 une portée qu'il n'a pas en tirant de la mention de sa présence fréquente en France pour le suivi et le dépôt du dossier de demande d'invalidité de son ex épouse une preuve de ce qu'il aurait un foyer principal d'habitation en France.

Par des mémoires, enregistré le 4 juin 2021, le 22 février 2022 et le 3 juillet 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention fiscale conclue entre la France et Singapour le 9 septembre 1974,

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Guidi, présidente,

- les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique,

- et les observations de Me Burg, pour M. B... A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., qui a exercé de 2001 à 2006 les fonctions de président directeur général de la société par actions simplifiée (SAS) Coelis, a apporté, le 29 juin 2006, les 1 625 parts qu'il détenait dans le capital de cette société à la société singapourienne Travel Metal Search, devenue par la suite société Sprice PTE Limited (Ltd). M. A... a reçu en échange de cette cession 7 865 000 parts du capital de la société Travel Metal Search et réalisé, à cette occasion, une plus-value de 3 900 414 euros qui a été placée sous le régime du sursis d'imposition prévu par l'article 150-0 B du code général des impôts. Le 11 mai 2010, M. A... a cédé ses parts de la société Travel Metal Search à la société bermudoise Travelport. A l'issue d'un contrôle sur pièces ayant débouché sur des rectifications effectuées dans le cadre de la procédure contradictoire, l'administration a notamment estimé que M. A... était fiscalement domicilié en France et que le sursis d'imposition avait pris en fin en 2010. En conséquence, M. A... a été assujetti à des rappels d'impôt sur le revenu et de contributions sociales à raison de la plus-value qu'il a réalisée le 11 mai 2010. M. A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg la décharge de ces rappels. Par un jugement rendu le 6 février 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Par un arrêt du 4 juillet 2019, la cour administrative de Nancy a prononcé la décharge des pénalités de 40 % pour manquement délibéré infligées à M. A... et a rejeté le surplus de ses conclusions. Sur pourvoi introduit par M. A..., le Conseil d'Etat a annulé l'article 3 de l'arrêt de la cour du 4 juillet 2019 et a renvoyé l'affaire devant cette même cour.

Sur les conclusions à fin de décharge relatives aux impositions supplémentaires :

En ce qui concerne le principe de l'imposition en France :

2. Si une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions peut, en vertu de l'article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition. Par suite, il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie et, dans l'affirmative, sur le fondement de quelle qualification. Il lui appartient ensuite, le cas échéant, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer en fonction des moyens invoqués devant lui ou même, s'agissant de déterminer le champ d'application de la loi, d'office si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale.

S'agissant de la loi fiscale nationale :

3. D'une part, aux termes de l'article 4 A du code général des impôts : " Les personnes qui ont en France leur domicile fiscal sont passibles de l'impôt sur le revenu en raison de l'ensemble de leurs revenus (...) ". Aux termes de l'article 4 B du même code : " 1. Sont considérées comme ayant leur domicile fiscal en France au sens de l'article 4 A : a. Les personnes qui ont en France leur foyer ou le lieu de leur séjour principal ; b. Celles qui exercent en France une activité professionnelle, salariée ou non, à moins qu'elles ne justifient que cette activité y est exercée à titre accessoire ; c. Celles qui ont en France le centre de leurs intérêts économiques (...) ".

4. D'autre part, aux termes de l'article 150-0 A du code général des impôts : " I.-1. Sous réserve des dispositions propres aux bénéfices industriels et commerciaux, aux bénéfices non commerciaux et aux bénéfices agricoles ainsi que des articles 150 UB et 150 UC, les gains nets retirés des cessions à titre onéreux, effectuées directement, par personne interposée ou par l'intermédiaire d'une fiducie, de valeurs mobilières, de droits sociaux, de titres mentionnés au 1° de l'article 118 et aux 6° et 7° de l'article 120, de droits portant sur ces valeurs, droits ou titres ou de titres représentatifs des mêmes valeurs, droits ou titres, sont soumis à l'impôt sur le revenu lorsque le montant de ces cessions excède, par foyer fiscal, 25 730 € pour l'imposition des revenus de l'année 2009 et 25 830 € pour l'imposition des revenus de l'année 2010 (...) ". Aux termes de l'article 150-0 B du même code : " Les dispositions de l'article 150-0 A ne sont pas applicables, au titre de l'année de l'échange des titres, aux plus-values réalisées dans le cadre d'une opération d'offre publique, de fusion, de scission, d'absorption d'un fonds commun de placement par une société d'investissement à capital variable, de conversion, de division, ou de regroupement, réalisée conformément à la réglementation en vigueur ou d'un apport de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés. Ces dispositions s'appliquent aux opérations d'échange ou d'apport de titres mentionnées au premier alinéa réalisées en France, dans un autre Etat membre de la Communauté européenne ou dans un Etat ou territoire ayant conclu avec la France une convention fiscale contenant une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales, ainsi qu'aux opérations, autres que les opérations d'apport de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés, pour lesquelles le dépositaire des titres échangés est établi en France, dans un autre Etat membre de la Communauté européenne ou dans un Etat ou territoire ayant conclu avec la France une convention fiscale contenant une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales (...) ".

5. Pour l'application de ces dispositions, le foyer s'entend du lieu où le contribuable habite normalement et a le centre de ses intérêts familiaux sans qu'il soit tenu compte des séjours effectués temporairement ailleurs en raison des nécessités de la profession ou de circonstances exceptionnelles, le lieu du séjour principal de l'intéressé ne pouvant déterminer son domicile fiscal que dans l'hypothèse où celui-ci ne dispose pas de foyer. Sauf stipulation contraire, pour l'application des conventions fiscales bilatérales conclues en vue de prévenir les doubles impositions, la résidence fiscale du contribuable prise en compte pour répartir entre les Etats contractants le droit d'imposer ses revenus s'apprécie, en cas de sursis d'imposition, lorsque celui-ci prend fin c'est-à-dire à la date à laquelle intervient l'événement qui met fin à ce sursis d'imposition, lequel peut notamment être la cession des titres reçus au moment de l'échange.

6. Pour soutenir que M. A... résidait fiscalement en France lorsqu'il a cédé les parts qu'il détenait dans le capital de la société Travel Metal Search, l'administration fait notamment valoir que le requérant a souscrit une déclaration de revenus de l'année 2010 commune avec son épouse et qu'il n'a effectué que des déplacements professionnels à Singapour au cours de la période considérée. Elle relève également que, dans l'acte de cession de l'appartement qu'il détenait avec son ancienne épouse au 3, Petite rue de l'église à Strasbourg du 23 février 2010, il est indiqué que celui-ci constituait sa résidence principale et que, dans la requête aux fins de divorce du 8 mars 2011, il est mentionné que M. A... habitait au 3 Petite rue de l'église à Strasbourg.

7. Pour sa part, M. A... fait valoir qu'il était séparé de son épouse depuis décembre 2008, date à laquelle il a quitté le domicile conjugal, pour s'installer dans un appartement situé à une autre adresse à Strasbourg, que des attestations corroborent cette séparation, qu'il a pris toutes les dispositions nécessaires entre le 3 février 2010 et le 30 avril 2010 pour transférer sa résidence à Singapour en vendant l'appartement qui constituait son domicile conjugal, en cédant son véhicule, en résiliant ses abonnements téléphonique et à internet, ses assurances pour son logement et son véhicule, en rachetant son contrat d'assurance-vie et en mettant ses meubles dans un garde-meuble. M. A... fait également valoir que s'il a souscrit des déclarations d'impôt sur le revenu en France au titre des années 2010 et 2011 avec son ancienne épouse, il s'agit d'une erreur qui a été ensuite rectifiée. Le requérant produit également un jugement du 19 janvier 2012 homologuant une convention du 18 janvier 2012 portant règlement des effets du divorce et qui fixe la séparation de M. et Mme A... au 1er janvier 2009, un bail d'habitation et un contrat de travail conclus avec la société Sprice PTE Ltd les 28 février et 28 avril 2010, des déclarations de revenus souscrites à Singapour, notamment en 2010, et des avis d'imposition singapouriens.

8. Si le jugement précité du 19 janvier 2012, portant règlement des effets du divorce, indique que M. A... est séparé de son épouse depuis le 1er janvier 2009, le choix de cette date résulte de la seule volonté des époux exprimée par la convention qu'ils ont conclue la veille de ce jugement. Il résulte de l'instruction que, lors de la cession de leur appartement de Strasbourg intervenue le 23 février 2010, M. et Mme A... ont déclaré que celui-ci constituait à cette date leur résidence principale. En outre, M. et Mme A... ont souscrit des déclarations de revenu en France au titre des années 2010 et 2011, ainsi qu'il vient d'être dit, et leurs déclarations rectificatives n'ont été déposées qu'après que l'administration eut interrogé M. A... sur sa situation fiscale. Le requérant a résidé chez sa sœur au moins jusqu'au 27 avril 2010, date à laquelle son assureur lui a envoyé un courrier à cette adresse et il a introduit une requête à fin de divorce le 8 mars 2011 en faisant toujours état d'une adresse à Strasbourg. L'administration a produit en annexe de la proposition de rectification une liste des appels téléphoniques et des achats effectués par M. A..., dont l'existence n'est pas contestée, qui établit qu'il se trouvait de manière habituelle en France lorsque le sursis d'imposition dont il bénéficiait a pris fin et, au surplus, il ressort des propres écritures du requérant que celui-ci n'était présent à Singapour que pendant 174 jours au cours de l'année en cause. Dans ces conditions, à la date du 11 mai 2010, date de la cession des titres reçus au moment de l'échange, et quand bien même M. A... a effectué de nombreux séjours à Singapour au cours de cette année, il doit être regardé comme ayant eu son foyer en France, au sens des dispositions précitées du a du 1 de l'article 4 B du code général des impôts. Par suite, M. A... était passible de l'impôt sur le revenu en France, à moins qu'il n'établisse son droit à se prévaloir de la convention conclue entre la France et Singapour en vue d'éviter les doubles impositions.

S'agissant de la convention fiscale franco-singapourienne :

9. Aux termes des stipulations de l'article 4 de la convention fiscale franco-singapourienne du 9 septembre 1974, dans leur rédaction applicable au litige : " 1. Au sens de la présente convention, l'expression " résident d'un Etat contractant " désigne toute personne qui est résident d'un Etat contractant pour l'application de l'impôt dudit Etat. 2. Lorsque, selon la disposition du paragraphe 1, une personne physique est considérée comme résident de chacun des Etats contractants, le cas est résolu d'après les règles suivantes : a) Cette personne est considérée comme résident de l'Etat contractant où elle dispose d'un foyer d'habitation permanent. Lorsqu'elle dispose d'un foyer d'habitation permanent dans chacun des Etats contractants, elle est considérée comme résident de l'Etat contractant avec lequel ses liens personnels et économiques sont les plus étroits (centre des intérêts vitaux) ; b) Si l'Etat contractant où cette personne a le centre de ses intérêts vitaux ne peut pas être déterminé ou si elle ne dispose d'un foyer d'habitation permanent dans aucun des Etats contractants, elle est considérée comme résident de l'Etat contractant où elle séjourne de façon habituelle ; c) Si cette personne séjourne de façon habituelle dans chacun des Etats contractants ou si elle ne séjourne de façon habituelle dans aucun d'eux, les autorités compétentes des Etats contractants tranchent la question d'un commun accord. (...) ". Aux termes de l'article 14 de la convention, dans sa rédaction applicable au présent litige : " 1. Les gains provenant de l'aliénation de biens immobiliers (...) sont imposables dans l'Etat contractant où ces biens sont situés. 2. Les gains provenant de l'aliénation de biens mobiliers faisant partie de l'actif d'un établissement stable qu'une entreprise d'un Etat contractant a dans l'autre Etat contractant (...) sont imposables dans l'autre Etat (...) 3. Les gains provenant de l'aliénation de tous biens autres que ceux mentionnés aux paragraphes 1 et 2 ne sont imposables que dans l'Etat contractant dont le cédant est un résident (...) ".

10. En premier lieu, si M. A... était résident fiscal en France le 11 mai 2010 au sens de l'article 4 B du code général des impôts, il n'est pas contesté qu'il était également résident fiscal à Singapour à cette date et qu'il y a été assujetti à l'impôt sur le revenu au titre de l'année 2010. Il résulte de l'instruction que si M. A... disposait d'un hébergement chez sa sœur en France depuis la vente le 23 février 2010 de l'appartement qu'il détenait avec son ex-épouse, il avait conclu le 28 février 2010 un bail d'habitation à Singapour, lequel avait pris effet le 4 avril 2010. M. A... a été en outre rémunéré à compter du mois de mars 2010 par la société Sprice PTE Ltd et son patrimoine était géré par une banque à Singapour. La séparation de fait d'avec son épouse était intervenue le 1er janvier 2009 ainsi que le mentionne le jugement de divorce du 19 janvier 2012, alors même que la requête aux fins de divorce introduite par M. A... en 2011, soit postérieurement à la vente de cet appartement mentionnait encore cette adresse erronée. Si M. A... est demeuré président de la SAS Coelis après la cession de ses parts de la société Travel Metal Search, ces fonctions n'étaient pas rémunérées. Ni la présence en France de sa sœur chez qui il a été hébergé temporairement et où il a reçu en avril 2011 un courrier de son assureur avant son départ pour Singapour, ni la conservation de comptes bancaires en France après le 11 mai 2010 ne sauraient suffire à établir que l'intéressé avait conservé un foyer d'habitation permanent en France au sens des stipulations de la convention fiscale franco-singapourienne à la date du 11 mai 2010.

11. Il résulte de ce qui précède que la convention fiscale franco-singapourienne fait obstacle à l'application des dispositions précitées de l'article 4 B et de l'article 150-0 A et 150-0 B du code général des impôts et que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, M. A... est fondé à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 6 février 2018 ainsi que la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2010.

Sur les frais liés au litige :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. A... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 6 février 2018 est annulé en tant qu'il a rejeté la requête de M. A....

Article 2 : M. A... est déchargé des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2010.

Article 3 : L'Etat versera à M. A... une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à M. B... A....

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Est.

Délibéré après l'audience du 21 février 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Wallerich, président de chambre,

- Mme Guidi, présidente-assesseure,

- M. Sibileau, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 mars 2024.

La rapporteure,

Signé : L. Guidi Le président,

Signé : M. Wallerich

La greffière,

Signé : S. Robinet

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

S. Robinet

N° 20NC03819 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20NC03819
Date de la décision : 21/03/2024
Type de recours : Autres

Composition du Tribunal
Président : M. WALLERICH
Rapporteur ?: Mme Laurie GUIDI
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-21;20nc03819 ?
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