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30/04/2024 | FRANCE | N°20NC01554

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 4ème chambre, 30 avril 2024, 20NC01554


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Grenke Location a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, à titre principal, de condamner la commune d'Arronville à lui verser, d'une part, une somme de 285,91 euros au titre des intérêts échus au 16 mars 2018, d'autre part, une somme de 496,34 euros au titre des intérêts échus, au taux légal majoré de cinq points, sur la somme de 12 661,91 euros pour la période du 16 mars au 15 novembre 2018 et, enfin, une somme de 74 100 euros, sur le fondement de l'

article 11 du contrat signé le 28 juillet 2017 ou à titre de dommages et intérêts en rép...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Grenke Location a demandé au tribunal administratif de Strasbourg, à titre principal, de condamner la commune d'Arronville à lui verser, d'une part, une somme de 285,91 euros au titre des intérêts échus au 16 mars 2018, d'autre part, une somme de 496,34 euros au titre des intérêts échus, au taux légal majoré de cinq points, sur la somme de 12 661,91 euros pour la période du 16 mars au 15 novembre 2018 et, enfin, une somme de 74 100 euros, sur le fondement de l'article 11 du contrat signé le 28 juillet 2017 ou à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la résiliation du contrat ou, à titre subsidiaire, de condamner la commune d'Arronville à lui verser, sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle, une somme de 10 313 euros au titre de l'indemnisation de la dépense utile et une somme de 74 100,38 euros au titre de l'indemnisation des pertes subies et du gain manqué, ainsi que, dans tous les cas, soit mis à la charge de la commune d'Arronville une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1806011 du 19 mars 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande et mis à sa charge une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 13 juillet 2020, 30 mars 2021, 23 août 2021 et 24 juin 2022, la société Grenke Location, représentée par Me Thiery, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) à titre principal, sur un fondement contractuel, de condamner la commune d'Arronville à lui verser une somme de 285,91 euros au titre des intérêts échus au 16 mars 2018 et une somme de 74 100 euros à titre d'indemnité de résiliation ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner la commune d'Arronville à lui verser une somme de 74 098,96 euros HT, sur le fondement de sa responsabilité extracontractuelle, à titre d'indemnité ;

4°) de mettre à la charge de la commune d'Arronville la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa requête d'appel est recevable ;

- la commune ne peut se prévaloir, à l'appui de la contestation de la validité du contrat, de la méconnaissance des règles de publicité et de mise en concurrence ;

- l'adjoint au maire était compétent pour signer le contrat et, en tout état de cause, la commune doit être regardée comme ayant donné a posteriori son accord à la conclusion du contrat en l'exécutant pendant plusieurs mois de sorte que l'incompétence du signataire du contrat ne saurait être regardée comme un vice d'une gravité telle que le contrat doive être écarté ; la commune en prenant possession du matériel et en l'utilisant, a en outre manifesté sa volonté de poursuivre l'exécution du contrat de location ;

- c'est à tort qu'il a été jugé qu'elle ne peut se prévaloir des règles de loyauté des relations contractuelles eu égard à ses " pratiques commerciales agressives " et à ses clauses financières particulièrement préjudiciables ;

- le défaut d'inscription au budget des crédits nécessaires ne peut être opposé au cocontractant de bonne foi ;

- comme l'a jugé le tribunal, le consentement de la commune n'a pas été vicié par dol ou par erreur ;

- elle a le droit, en application de l'article 4.3 du contrat, au paiement de intérêts sur les loyers échus impayés ;

- elle a le droit, en application de l'article 11 du contrat qui ne saurait être écarté, au paiement d'une indemnité de résiliation de 74 100 euros correspondant au montant des loyers à échoir à la date de résiliation ; cette indemnité n'est pas excessive dès lors qu'elle n'excède pas la rémunération qu'elle aurait perçue si le contrat avait été exécuté ; si cette clause est écartée, elle a droit à la même somme sur un fondement extracontractuel ;

- à titre subsidiaire, si le contrat était écarté, elle a le droit à la réparation intégrale de son préjudice sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle de la commune, soit 12 376,00 euros TTC au titre de la dépense utile, qui a été encaissée, et 74 098,96 euros au titre du gain manqué ;

- il est dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice de mettre en cause la société Euroland, fournisseur du matériel.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 20 avril 2021 et le 21 janvier 2022, la commune d'Arronville, représentée par Me Henochsberg, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à titre subsidiaire, à la réduction de l'indemnité sollicitée ;

3°) à ce que soit mis à la charge de la société Grenke Location le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête d'appel de la société Grenke Location est irrecevable dès lors qu'elle se borne à reprendre la demande de première instance sans critiquer le jugement attaqué ;

- le litige ne peut être réglé sur le terrain contractuel dès lors que le contrat est entaché de plusieurs vices d'une particulière gravité ; le contrat a été signé sans le consentement du conseil municipal dès lors que les crédits correspondants n'avaient pas été inscrits au budget de la commune, en méconnaissance du 4° de l'article L. 2122-4 du code général des collectivités territoriales, et en application d'une délégation trop générale consentie à l'adjoint au maire signataire du contrat ; la société Grenke Location ne justifie pas de la qualité du signataire de la convention ; le consentement de la collectivité a également été vicié par dol et par erreur ;

- le contrat a été signé en méconnaissance des règles de la commande publique ;

- au regard des nombreux vices d'une particulière gravité dont est entaché le contrat, il devra être écarté ;

- la société Grenke Location ne peut davantage obtenir une indemnisation sur un fondement extra contractuel dès lors qu'elle a commis une faute d'une particulière gravité en signant le contrat ;

- à titre infiniment subsidiaire, les montants demandés ne sont pas justifiés et sont hors de proportion avec la réalité du préjudice subi : la clause indemnitaire est en tout état de cause illicite puisqu'elle prévoit une indemnité disproportionnée et le montant de l'indemnité sollicitée sur les principes de droit commun de la responsabilité contractuelle est non justifié et excessif.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Ghisu-Deparis, présidente,

- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,

- et les observations de Me Soucat, pour la commune d'Arronville.

Considérant ce qui suit :

1. La société Grenke Location et la commune d'Arronville ont conclu le 28 juillet 2017 un contrat de location de longue durée portant sur trois copieurs pour une durée de 21 trimestres moyennant le règlement d'un loyer trimestriel de 3 900 euros hors taxe (HT). Le 30 janvier 2018, la commune d'Arronville a résilié le contrat de location pour un motif d'intérêt général. Par un jugement du 19 mars 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande de la société Grenke Location tendant principalement au versement des intérêts à payer sur les loyers échus et d'une somme de 74 100 euros, correspondant au montant des loyers à échoir, sur le fondement de l'article 11 du contrat prévoyant une indemnité de résiliation ou sur le fondement extracontractuel. La société Grenke Location relève appel de ce jugement.

Sur la demande indemnitaire sur le fondement contractuel :

2. Lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat. Toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contrat ou à un vice d'une particulière gravité, relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel. Ainsi, lorsque le juge est saisi d'un litige relatif à l'exécution d'un contrat, les parties à ce contrat ne peuvent invoquer un manquement aux règles de passation, ni le juge le relever d'office, aux fins d'écarter le contrat pour le règlement du litige. Par exception, il en va autrement lorsque, eu égard, d'une part, à la gravité de l'illégalité et, d'autre part, aux circonstances dans lesquelles elle a été commise, le litige ne peut être réglé sur le fondement de ce contrat. Ces circonstances doivent ainsi être directement liées au vice de passation retenu.

3. Aux termes de l'article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales : " Le maire peut, en outre, par délégation du conseil municipal, être chargé, en tout ou partie, et pour la durée de son mandat : (...) 4° De prendre toute décision concernant la préparation, la passation, l'exécution et le règlement des marchés et des accords-cadres ainsi que toute décision concernant leurs avenants, lorsque les crédits sont inscrits au budget ; (...) ".

4. Par une délibération du 7 mars 2017, le conseil municipal d'Arronville a délégué au maire le pouvoir de prendre toute décision concernant la passation de marchés lorsque les crédits sont inscrits au budget. Il résulte de l'instruction qu'un montant de crédits de 5 700 euros avait été inscrit au budget " crédit-bail mobilier " de l'année 2017 par le conseil municipal. Ainsi, en application des dispositions citées au point 3, le maire de la commune, ou, comme en l'espèce, son deuxième adjoint, par intérim, ne pouvait engager les dépenses que représentait la signature des contrats de crédit-bail mobilier que dans la limite de cette somme. Or, le contrat dit de " location longue durée " en litige, rattaché à cette ligne budgétaire dans les documents comptables produits par la commune, représente un montant de 7 800 euros HT pour les deux trimestres de l'année 2017 et un montant total de 81 900 euros HT sur vingt-et-un trimestres. Par conséquent, la signature du contrat en litige n'entrait pas dans le champ d'application de la délégation consentie par le conseil municipal. Il en résulte que sa signature, par le deuxième adjoint au maire par intérim, est entachée d'un vice d'incompétence. Le contrat a par ailleurs été résilié seulement six mois après sa conclusion et aucun élément versé à l'instance ne permet de conclure que le conseil municipal, par une décision ou par son comportement, aurait émis son accord, à posteriori, à la conclusion de ce contrat. Le vice ainsi constitué étant d'une particulière gravité, il y a lieu d'écarter le contrat ce qui fait obstacle à toute indemnisation sur son fondement.

Sur la demande indemnitaire sur le fondement extracontractuel :

5. En vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs, la personne publique cocontractante peut toujours, pour un motif d'intérêt général, résilier unilatéralement un tel contrat, sous réserve des droits à indemnité de son cocontractant. Dans le cas particulier d'un contrat entaché d'une irrégularité d'une gravité telle que, s'il était saisi, le juge du contrat pourrait en prononcer l'annulation ou la résiliation, la personne publique peut, sous réserve de l'exigence de loyauté des relations contractuelles, résilier unilatéralement le contrat sans qu'il soit besoin qu'elle saisisse au préalable le juge. Après une telle résiliation unilatéralement décidée pour ce motif par la personne publique, le cocontractant peut prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, pour la période postérieure à la date d'effet de la résiliation, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s'était engagé. Si l'irrégularité du contrat résulte d'une faute de l'administration, le cocontractant peut, en outre, sous réserve du partage de responsabilités découlant le cas échéant de ses propres fautes, prétendre à la réparation du dommage imputable à la faute de l'administration. Saisi d'une demande d'indemnité sur ce second fondement, il appartient au juge d'apprécier si le préjudice allégué présente un caractère certain et s'il existe un lien de causalité direct entre la faute de l'administration et le préjudice.

6. D'une part, à supposer que la société Grenke Location ait entendu fonder ses conclusions indemnitaires sur le fondement quasi-contractuel, il résulte de ce qui précède qu'elle ne peut prétendre pour la période postérieure à la date d'effet de la résiliation, qu'au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle elle s'était engagée. Alors qu'il incombe à celui qui prétend, sur un terrain quasi-contractuel, d'établir l'utilité des dépenses exposées pour la collectivité, la société requérante, qui est toujours restée propriétaire de son matériel qui lui a été restitué, n'invoque au titre de ses dépenses utiles que les loyers dus antérieurement à la résiliation dont il est constant que la commune s'est acquittée. Elle ne justifie ainsi en tout état de cause pas de la réalité d'un préjudice sur ce fondement.

7. D'autre part, pas plus qu'en première instance, la société Grenke Location ne se prévaut d'une faute qu'aurait commise la commune de nature à lui ouvrir un droit à indemnisation de son manque à gagner sur le fondement quasi-délictuel.

8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la commune d'Arronville, que la société Grenke Location n'est pas fondée à se plaindre du rejet par le tribunal administratif de Strasbourg de sa demande indemnitaire sur les fondements contractuel, quasi-contractuel et quasi-délictuel.

Sur les frais liés à l'instance :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Grenke Location le versement de la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par commune d'Arronville et non compris dans les dépens. En revanche, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à qu'une somme soit mise à la charge de la commune d'Arronville qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance.

D E C I D E:

Article 1er : La requête de la société Grenke Location est rejetée.

Article 2 : La société Grenke Location versera à la commune d'Arronville une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Grenke Location et à la commune d'Arronville.

Délibéré après l'audience du 2 avril 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente,

- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,

- M. Denizot, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 avril 2024.

La présidente rapporteure,

Signé : V. Ghisu-Deparis

L'assesseure la plus ancienne,

Signé : A. Samson-Dye

La greffière,

Signé : N. Basso

La République mande et ordonne au préfet du Val d'Oise en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N. Basso

2

N° 20NC01554


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NC01554
Date de la décision : 30/04/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Véronique GHISU-DEPARIS
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : LOIRÉ - HENOCHSBERG

Origine de la décision
Date de l'import : 05/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-30;20nc01554 ?
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