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08/03/2024 | FRANCE | N°22NT03877

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 08 mars 2024, 22NT03877


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Le département du Morbihan a demandé au tribunal administratif de Rennes, d'une part, de prononcer la nullité du marché public n° 99 000 73 portant sur la fourniture et la pose de signalisation routière verticale conclu le 26 février 1999 avec la société Signature SA, aux droits de laquelle vient la société Signalisation France, et de condamner cette société à lui verser la somme de 254 906,31 euros correspondant aux sommes versées en exécution de ce marché entaché de

nullité, d'autre part, de condamner la même société à lui verser la somme de 81 570 euros e...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le département du Morbihan a demandé au tribunal administratif de Rennes, d'une part, de prononcer la nullité du marché public n° 99 000 73 portant sur la fourniture et la pose de signalisation routière verticale conclu le 26 février 1999 avec la société Signature SA, aux droits de laquelle vient la société Signalisation France, et de condamner cette société à lui verser la somme de 254 906,31 euros correspondant aux sommes versées en exécution de ce marché entaché de nullité, d'autre part, de condamner la même société à lui verser la somme de 81 570 euros en réparation du préjudice économique subi lors de la conclusion de ce marché public du fait de pratiques anticoncurrentielles.

Par un jugement n° s1502572 et 1502584 avant dire droit du 28 avril 2016, le tribunal administratif de Rennes a annulé le marché conclu le 26 février 1999 (article 1er) et a ordonné une expertise avec mission pour l'expert de fournir tous éléments permettant de déterminer le montant du préjudice subi par le département du Morbihan dans le cadre de l'exécution du marché litigieux et de donner son avis et transmettre tous éléments utiles au tribunal sur une éventuelle différence entre le prix payé par le département et le prix qui aurait dû être facturé s'il avait été déterminé par le libre jeu de la concurrence (article 2) et a réservé jusqu'en fin d'instance tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué (article 5).

Par un arrêt n° 16NT01778 du 10 mai 2017, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté la requête de la société Signalisation France tendant à l'annulation du jugement du 28 avril 2016 du tribunal administratif de Rennes.

Le rapport d'expertise a été enregistré au greffe du tribunal administratif de Rennes le 8 février 2020.

Par un jugement nos 1502572 et 1502584 du 13 octobre 2022, le tribunal administratif de Rennes a condamné la société Signalisation France à verser au département du Morbihan la somme de 76 476,91 euros (article 1er), a rejeté le surplus des conclusions du département du Morbihan (article 2), a mis à la charge de la société Signalisation France les frais d'expertise (article 3) ainsi que la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 4), enfin, a rejeté les conclusions présentées par la société Signalisation France sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 5).

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 12 décembre 2022, la société Signalisation France, représentée par Me Buès, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 13 octobre 2022 du tribunal administratif de Rennes et de rejeter la demande présentée par le département du Morbihan devant le tribunal administratif ;

2°) à titre subsidiaire, de diligenter une nouvelle expertise afin de pallier les irrégularités de la première expertise ;

3°) de mettre à la charge du département du Morbihan une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'expertise a été réalisée en méconnaissance du respect du contradictoire dès lors que l'expert n'a pas respecté le délai qui lui avait été imparti en méconnaissance des articles R. 621-2 et R. 621-4 du code de justice administrative ; l'expertise n'a donné lieu qu'à une seule réunion d'accedit organisée le 17 octobre 2016 ; l'expert a confondu et mélangé quatre procédures pour lesquelles il avait été désigné alors que seulement deux de celles-ci concernaient la société Signalisation France, ce qui a nui à la confidentialité des échanges ; l'expert a pu obtenir des informations afin de déposer une note complémentaire au rapport d'expertise du 20 février 2020 qui n'a pas été soumise au contradictoire durant l'expertise et cette circonstance n'a pu être régularisée dans le cadre de l'instance dans la mesure où l'expert n'a ni été invité ni souhaité répondre aux objections des parties ;

- les conclusions du rapport d'expertise sont " tronquées " ; il élude les conséquences commerciales, à savoir des pratiques de prix anormalement bas après le démantèlement de l'entente, qui ont accompagné la cession des activités de signalisation au groupe Eurovia en 2007 ; pour calculer le surcoût, l'expert aurait dû s'appuyer sur des marchés passés par des sociétés ne faisant pas partie du cartel d'entente et son analyse restrictive basée sur les marchés conclus par une autre société du cartel d'entente a nécessairement " tronqué " ses conclusions ; le prix des hauts mâts et potences devait être exclu pour calculer le taux de surprix ; seule une analyse in concreto des marchés aurait permis de déterminer l'existence d'un surprix ainsi que son quantum compte-tenu des écarts de prix entre les marchés ponctuels ; l'expert a comparé à tort des marchés conclus avec différentes entités sans tenir compte de l'existence ou non d'une similarité des produits proposés, de la durée et de la typologie des marchés, ce qui génère une confusion ; l'expert aurait dû tenir compte de la comparaison qu'il a effectuée avec une société ne faisant pas partie du cartel ; elle conteste les données des comparatifs effectués par l'expert ; la méthode de l'expertise est erronée ; l'évaluation du taux de surcoût est faussée par la prise en compte de comparatifs concernant les prix des balises plastiques ;

-l'expertise présente des lacunes en ce qu'elle ne tient pas compte de facteurs exogènes qui ont contribué à baisser les prix des produits de signalisation comme la baisse des coûts de production ;

- les conclusions du rapporteur public, qui ont été communiquées tardivement, étaient insuffisamment précises sur Télérecours, étaient parfois inaudibles en audience et ce dernier a refusé de les communiquer à la société après l'audience ; le jugement devra être annulé en ce qu'il n'est pas parvenu à une solution conforme à une bonne administration de la justice.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 mars 2023, le département du Morbihan, représenté par Me Karpenshif, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de la société Signalisation France ;

2°) de mettre à la charge de la société Signalisation France une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par la société Signalisation France ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code de commerce ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Chollet,

- les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteure publique ;

- et les observations de Me De la Ferté Sénectère, substituant Me Bues, représentant la société Signalisation France, et de Me Karpenschif, représentant le département du Morbihan.

Considérant ce qui suit :

1. Le 26 février 1999, le département du Morbihan a conclu avec la société Signature SA, devenue société Signalisation France, un marché de fourniture et de pose de panneaux de signalisation routière. Par une décision n° 10-D-39 du 22 décembre 2010, l'Autorité de la concurrence a infligé à la société Signature une sanction pécuniaire de 18,4 millions d'euros pour s'être entendue, avec sept autres sociétés, sur la répartition et le prix des marchés de signalisation routière entre 1997 et 2006. Par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 29 mars 2012, cette sanction a été ramenée à 10 millions d'euros. Le département du Morbihan a demandé au tribunal administratif de Rennes notamment de condamner la société Signalisation France à lui verser la somme de 81 570 euros en réparation du préjudice économique subi lors de la conclusion du marché public de signalisation routière verticale du fait de pratiques anticoncurrentielles. Par un jugement avant dire droit du 28 avril 2016, le tribunal administratif de Rennes, d'une part, a annulé le marché public de signalisation routière verticale conclu le 26 février 1999 par le département du Morbihan avec la société Signature SA, et d'autre part, avant de statuer sur les conclusions du département tendant à la condamnation de la société Signalisation France à lui verser la somme de 81 570 euros en réparation du préjudice subi lors de la conclusion de ce marché public, a ordonné une expertise. Sa présidente a désigné un expert pour évaluer le préjudice subi en raison des pratiques anticoncurrentielles de la société Signature, par une ordonnance du 9 mai 2016. Dans son rapport du 31 janvier 2020, l'expert a évalué le surcoût acquitté par le département à 101 969 euros pour le marché conclu le 26 février 1999 avec la société Signature. Par un jugement du 13 octobre 2022, le tribunal administratif de Rennes a condamné la société Signalisation France à verser au département la somme de 76 476,91 euros, et a mis à sa charge les frais d'expertise, taxés à un montant de 19 123, 75 euros toutes taxes comprises. La société Signalisation France relève appel du jugement du 13 octobre 2022.

Sur la régularité du jugement attaqué :

En ce qui concerne la régularité des opérations d'expertise :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 621-2 du code de justice administrative : " Il n'est commis qu'un seul expert à moins que la juridiction n'estime nécessaire d'en désigner plusieurs. Le président du tribunal administratif (...) fixe également le délai dans lequel l'expert sera tenu de déposer son rapport au greffe ". Aux termes de l'article R. 621-4 du même code : " Dans le cas où un expert n'accepte pas la mission qui lui a été confiée, il en est désigné un autre à sa place. / L'expert qui, après avoir accepté sa mission, ne la remplit pas ou celui qui ne dépose pas son rapport dans le délai fixé par la décision peut, après avoir été invité par le président de la juridiction à présenter ses observations, être remplacé par une décision de ce dernier. Il peut, en outre, être condamné par la juridiction, sur demande d'une partie, et au terme d'une procédure contradictoire, à tous les frais frustratoires et à des dommages-intérêts ".

3. Si l'expert désigné par le tribunal administratif a remis son rapport avec un retard de plus de quatre ans, il ne résulte pas de l'instruction que la société Signalisation France, qui au demeurant ne fait état d'aucun préjudice, ait sollicité la condamnation de ce dernier au versement de dommages et intérêts. Aucune disposition législative ou règlementaire n'impose aux juridictions administratives de déclarer " défaillant " un expert pour le dépassement du délai qui lui a été imparti pour procéder à son expertise, contrairement à ce que soutient la société Signalisation France.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 621-7 du code de justice administrative : " Les parties sont averties par le ou les experts des jours et heures auxquels il sera procédé à l'expertise ; cet avis leur est adressé quatre jours au moins à l'avance, par lettre recommandée. / Les observations faites par les parties, dans le cours des opérations, sont consignées dans le rapport. ". Si ces dispositions fixent les modalités selon lesquelles un expert désigné par le tribunal doit avertir les parties des réunions ou visites qu'il organise, elles n'ont ni pour objet ni pour effet de lui imposer d'en organiser. Il suit de là que ni ces dispositions ni les termes de la mission définie par le tribunal administratif de Rennes par un jugement du 2 juin 2016, qui visait à l'évaluation du préjudice subi par le département des Côtes-d'Armor dans le cadre de l'exécution du marché litigieux, n'imposaient à l'expert désigné par ce jugement d'organiser une réunion des parties avant de remettre son rapport. La société Signalisation France n'est par suite pas fondée à soutenir que l'expert aurait dû échanger davantage avec les parties et ne pouvait se borner à organiser une seule réunion d'accedit le 17 octobre 2016.

5. En troisième lieu, le respect du caractère contradictoire de la procédure d'expertise implique que les parties soient mises à même de discuter devant l'expert des éléments de nature à exercer une influence sur la réponse aux questions posées par la juridiction saisie du litige. Lorsqu'une expertise est entachée d'une méconnaissance de ce principe ou lorsqu'elle a été ordonnée dans le cadre d'un litige distinct, ses éléments peuvent néanmoins, s'ils sont soumis au débat contradictoire en cours d'instance, être régulièrement pris en compte par le juge, soit lorsqu'ils ont le caractère d'éléments de pur fait non contestés par les parties, soit à titre d'éléments d'information dès lors qu'ils sont corroborés par d'autres éléments du dossier.

6. Il résulte de l'instruction que l'expert a soumis au contradictoire les pièces ayant servi au rapport définitif d'expertise déposé le 8 février 2020, de sorte que la société Signalisation France a été mise à même de discuter des éléments susceptibles d'avoir une influence sur la réponse aux questions posées à l'expert avant qu'il ne rende ses conclusions.

7. En quatrième lieu, si la société Signalisation France soutient que l'expert a confondu et mélangé quatre procédures pour lesquelles il avait été désigné alors que deux de celles-ci concernaient la société Lacroix Signalisation, ce qui a " nui à la confidentialité des échanges ", elle n'assortit pas ces affirmations des précisions permettant d'en apprécier la portée et le bien-fondé.

8. En dernier lieu, si la société Signalisation France soutient que " cette expertise brouillonne s'est déroulée avec un expert isolé qui a travaillé avec une ornière sans interaction avec les parties et qui n'a jamais pris le temps en presque 4 ans de soumettre ses constats et conclusions à une discussion sereine et contradictoire ", elle n'assortit pas son moyen de précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé.

9. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 8 que les opérations d'expertise sont régulières et que, par suite, le jugement pouvait se fonder sur celles-ci sans être irrégulier.

En ce qui concerne les autres irrégularités alléguées :

10. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 711-3 du code de justice administrative : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne ". La communication aux parties du sens des conclusions, prévue par ces dispositions, a pour objet de mettre les parties en mesure d'apprécier l'opportunité d'assister à l'audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu'elles peuvent y présenter après les conclusions du rapporteur public à l'appui de leur argumentation écrite et d'envisager, si elles l'estiment utile, la production, après la séance publique, d'une note en délibéré. En conséquence, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, l'ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d'adopter, à l'exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire, notamment celles qui sont relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Cette exigence s'impose à peine d'irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public.

11. D'une part, il est constant que le rapporteur public a mis en ligne sur Sagace le sens de ses conclusions le 15 septembre 2022 à 14h pour une audience fixée le lendemain à 14h20. La société Signalisation France peut, dans les circonstances de l'espèce, être regardée comme ayant été mise en mesure de connaître, dans un délai suffisant avant l'audience, le sens des conclusions du rapporteur public.

12. D'autre part, il résulte de l'instruction qu'avant la tenue de l'audience de la cour, le rapporteur public a porté à la connaissance des parties le sens des conclusions qu'il envisageait de prononcer dans les termes suivants : " Satisfaction totale ou partielle " et " 76 K€ ". Une telle mention permettait de connaître la position du rapporteur public sur le montant de l'indemnisation qu'il proposait de mettre à la charge de la société Signalisation France et satisfaisait aux prescriptions de l'article R. 711-3 du code de justice administrative.

13. Enfin, la société Signalisation France ne justifie pas que les conclusions du rapporteur public lues lors de l'audience étaient " peu audibles " et ne peut utilement soutenir que ces conclusions doivent être " systématiquement adressées à l'ensemble des parties lors de la notification du jugement " dans " un objectif de bonne administration de la justice ".

14. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que le jugement aurait été rendu au terme d'une procédure irrégulière doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

15. Il résulte de l'instruction que le préjudice subi par le département du Morbihan représente le montant des surcoûts générés par les agissements dolosifs constitués par les pratiques anticoncurrentielles de la société Signature SA et non seulement une perte de chance d'obtenir, en l'absence de pratiques anticoncurrentielles, des marchés à un moindre prix. Si l'expert fait état dans son rapport des difficultés inhérentes à l'exercice qui consiste à établir quel aurait été le prix d'un marché passé dans le respect de la concurrence, il explique la méthode retenue, basée sur une analyse contrefactuelle qui prend notamment en compte les prix observés et les coûts. Il résulte également de ce rapport que l'expert a mené une étude des causes extérieures à l'entente susceptibles d'expliquer le niveau des prix à l'époque des marchés. L'expert a précisé qu'il a exploité les pièces communiquées par les départements des Côtes-d'Armor et du Morbihan qui ont passé des marchés avec la société Signature Signalisation et la société Lacroix Signalisation, une société concurrente faisant partie de l'entente, dès lors qu'il a estimé que les pratiques étaient communes à tous les membres de l'entente et que la société Signalisation France n'a communiqué aucune des pièces demandées. Il a alors repéré dans les différents marchés des articles communs, vendus à des périodes différentes par la société Lacroix Signalisation et par d'autres sociétés et son analyse a porté sur les 51 articles les plus significatifs vendus.

16. L'expert a ainsi comparé les prix des marchés entre 1999 et 2006 de la société Lacroix Signalisation et de la société Signature SA participant à l'entente, mais aussi les quelques données d'une société hors entente, avec ceux de 2010 de la société Lacroix Signalisation, ainsi qu'avec ceux de 2011 et 2014 d'autres sociétés concurrentes dans cette période hors entente. En complément de cette étude et pour vérifier la cohérence des résultats de la première méthode, l'expert a également examiné l'évolution des prix catalogues de la société Lacroix Signalisation de 2003 et 2008, et ceux de la société Signalisation France de 2006 et 2010, étant précisé que pour répondre de façon compétitive aux appels d'offres la société Signature SA et ses concurrents appliquaient un taux de remise plus ou moins fort selon les circonstances. Enfin, il a comparé les tarifs catalogues pratiqués par la société Signature SA de 1999 à 2005 sur les factures de trois marchés avec le tarif de 2010 remisé selon les conditions du marché de 2011. L'expert a par suite évalué le surcoût payé par le département du Morbihan pendant la période de l'entente à un taux de 40 %.

17. En premier lieu, si l'activité de signalisation routière de la requérante a été reprise en 2007 par le groupe Eurovia et si la société Signalisation France n'a plus d'activité de vente de panneaux de signalisation routière, cette circonstance n'a pas d'incidence sur l'évaluation du surcoût, dans la mesure où l'expert s'est fondé sur la comparaison entre les marchés passés pendant l'entente et une estimation des prix qui auraient dû être pratiqués sans cette entente, à partir d'une analyse prenant notamment en compte la chute des prix postérieurement à la dissolution du " cartel ", qui ne résultait pas de l'augmentation de la pondération du critère du prix dans les marchés postérieurs ou de la réduction des marges bénéficiaires des entreprises concernées, et les facteurs de prix exogènes à l'impact de l'entente tenant en particulier à la variation des coûts de production.

18. En deuxième lieu, l'estimation du surprix global par l'Autorité de la concurrence, qui n'est au demeurant fondée que sur des témoignages et sur une étude réalisée à la demande de la société Signature SA, n'a servi qu'à qualifier l'importance du dommage à l'économie et ne pouvait permettre d'évaluer avec une précision suffisante le surcoût résultant des pratiques anticoncurrentielles ayant affecté des marchés publics déterminés. L'Autorité de la concurrence précise d'ailleurs dans les motifs de sa décision que le surprix vraisemblable de 5 à 10% est seulement un ordre de grandeur minimum. Si la société Signalisation France soutient que les produits correspondant à la catégorie de la signalisation plastique ne pouvaient être inclus dans l'échantillon parce qu'elle n'aurait pas été condamnée pour des pratiques anticoncurrentielles sur le marché de la signalisation plastique, la décision de l'Autorité de la concurrence du 22 décembre 2010 indique que les pratiques anticoncurrentielles pour lesquelles elle l'a sanctionnée portaient sur " la signalisation routière verticale au sens large, laquelle concerne tant la signalisation verticale permanente et temporaire (panneaux métalliques) que la signalisation dite plastique (équipements de sécurité et de balisage en matière plastique) ". La prise en compte de ces produits plastiques n'entache ainsi pas la représentativité de l'échantillon retenu par l'expert, contrairement à ce que la société Signalisation France soutient.

19. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que les moyens tirés de ce que l'expert a inclus à tort dans son calcul du taux de surprix le prix des potences et celui du prix de pose de la signalisation manquent en fait.

20. En quatrième lieu, si la société soutient que seule une analyse in concreto des marchés aurait permis de déterminer l'existence d'un surprix ainsi que son quantum compte-tenu des écarts de prix entre les marchés ponctuels, elle n'indique pas, en tout état de cause, les raisons pour lesquelles une telle méthode aurait permis de déterminer un taux de surprix différent de celui retenu par l'expert.

21. En cinquième lieu, il résulte de l'instruction que l'expert a estimé que " si les prix des matières premières et des coûts de production ont chuté à compter de 2008, les entreprises n'ont pas répercuté cette baisse sur leur prix catalogue " et que " la baisse des coûts de matières premières est couverte par la hausse de la main d'œuvre et de la structure ". La société Signalisation France n'est pas fondée à se prévaloir d'une étude réalisée à la demande de la société Lacroix Signalisation pour justifier du contraire, au demeurant non soumise au contradictoire et qui n'est assortie d'aucune pièce justificative. Dès lors, contrairement à ce que soutient la société Signalisation France, l'expert doit être regardé comme ayant tenu compte du facteur exogène tenant à la baisse des coûts de production.

22. En dernier lieu, la société Signalisation France, qui n'a communiqué aucune des pièces demandées par l'expert lors des opérations d'expertise ainsi qu'il a été dit au point 15, ne présente aucune autre méthode chiffrée permettant d'obtenir une autre évaluation du préjudice du département du Morbihan, se bornant à contester les données des comparaisons opérées par l'expert, et ne justifie ainsi pas que l'évaluation du préjudice par l'expert aboutit à un résultat exagéré.

23. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise, que la requête de la société Signalisation France doit être rejetée.

Sur les frais liés au litige :

24. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du département du Morbihan la somme demandée par la société Signalisation France. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Signalisation France la somme de 1 500 euros à verser au département du Morbihan sur le fondement de ces dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Signalisation France est rejetée.

Article 2 : Il est mis à la charge de la société Signalisation France une somme de 1 500 euros à verser au département du Morbihan en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Signalisation France et au département du Morbihan.

Délibéré après l'audience du 13 février 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Chollet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 mars 2024.

La rapporteure,

L. CHOLLET

Le président,

L. LAINÉ

Le greffier,

C. WOLF

La République mande et ordonne au préfet du Morbihan en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT03877


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT03877
Date de la décision : 08/03/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINÉ
Rapporteur ?: Mme Laure CHOLLET
Rapporteur public ?: Mme ROSEMBERG
Avocat(s) : CABINET BUES & ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 17/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-08;22nt03877 ?
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