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12/03/2024 | FRANCE | N°23NT00203

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 12 mars 2024, 23NT00203


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner le préfet du ... à lui verser une somme totale de 380 930 euros en réparation des préjudices résultant de l'illégalité de l'arrêté du 14 janvier 2020, assortie des intérêts au taux légal à compter du 9 juin 2021 ou de l'enregistrement de la requête.



Par un jugement nos 2000675, 2105033 du 24 novembre 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté les conclusions indemnitair

es de Mme A....



Procédure devant la cour :



Par une requête et des mémoires, enregis...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner le préfet du ... à lui verser une somme totale de 380 930 euros en réparation des préjudices résultant de l'illégalité de l'arrêté du 14 janvier 2020, assortie des intérêts au taux légal à compter du 9 juin 2021 ou de l'enregistrement de la requête.

Par un jugement nos 2000675, 2105033 du 24 novembre 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté les conclusions indemnitaires de Mme A....

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 24 janvier, 21 juillet et 23 août 2023, Mme A..., représentée par Me Deleurme-Tannoury, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 24 novembre 2022, en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à réparer ses préjudices résultant de l'illégalité de l'arrêté du 14 janvier 2020 portant retrait d'agrément de mandataire judiciaire à la protection des majeurs, avec intérêts au taux légal à compter de sa demande indemnitaire préalable du 9 juin 2021 ou, à défaut, de l'enregistrement de la requête en première instance ;

2°) de condamner de l'Etat à lui verser la somme de 456 784,70 euros en réparation de ses préjudices en lien avec les illégalités fautives entachant la décision préfectorale du 14 janvier 2020 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi de 1991 sur l'aide juridictionnelle.

Elle soutient que :

- le retrait d'agrément ne se justifiait pas au fond, quand bien même la procédure prévue à l'article L.472-10 du code de l'action sociale et des familles aurait été respectée :

* elle a été privée de la possibilité d'exercer sa profession de mandataire judiciaire à la protection des majeurs ;

* elle a été sanctionnée deux fois pour les mêmes faits, par l'autorité administrative ;

* elle n'a reçu aucune convocation, préalablement à l'édiction de l'arrêté préfectoral de retrait de son agrément ;

* elle n'a reçu aucune injonction du préfet assortie d'un délai circonstancié comme le prévoit l'article L. 472-10 du code de l'action sociale et des familles et elle n'a bénéficié d'aucun délai pour faire valoir ses observations en réponse ;

* elle a été victime d'une sanction déguisée sans que celle-ci ne soit assortie des garanties procédurales prévues en pareille circonstance ;

- l'absence de l'injonction du préfet, prévue par les dispositions de l'article L. 472-10 du code de l'action sociale et des familles, s'analyse en l'espèce comme un vice de légalité interne, dès lors qu'elle n'a pas été mise en mesure d'identifier et de corriger, le cas échéant, une éventuelle faute qu'elle aurait pu commettre, faute qui aurait été clairement identifiée dans le cadre d'une injonction préalable ;

- la procédure de dessaisissement mise en œuvre en 2016 ne saurait servir de fondement à la procédure de retrait d'agrément ;

- parmi les 25 majeurs protégés dont elle avait la charge, aucun ne s'est plaint de la qualité de son travail ;

- la décision de retrait d'agrément est disproportionnée ;

- il appartenait au tribunal de mesurer, au regard de la nature et de la gravité de l'irrégularité procédurale, l'influence de cette illégalité tant sur le principe de la sanction que sur son quantum ;

- elle est fondée à demander la condamnation de l'Etat à lui verser la somme totale de 435 208 euros en réparation de ses entiers préjudices.

La requête a été communiquée le 24 janvier 2023 au préfet du ..., qui n'a pas produit d'observations.

Mme A... a été admise à l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 décembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles,

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pons,

- les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique,

- et les observations de Me Deleurme-Tannoury pour Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... s'est vu délivrer un agrément lui permettant d'exercer les fonctions de mandataire judiciaire à la protection des majeurs à titre individuel par un arrêté du préfet du ... du 23 février 2011. A la suite de difficultés survenues avec deux juges des tutelles du tribunal d'instance de ..., son agrément lui a été retiré par un arrêté du préfet du ... du 14 janvier 2020. Mme A... relève appel du jugement du tribunal administratif de Rennes du 24 novembre 2022, en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à réparer ses préjudices résultant de l'illégalité de l'arrêté du 14 janvier 2020 portant retrait d'agrément de mandataire judiciaire à la protection des majeurs, avec intérêts au taux légal à compter de sa demande indemnitaire préalable du 9 juin 2021 ou, à défaut, de l'enregistrement de la requête en première instance et la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 456 784,70 euros en réparation de ses préjudices en lien avec les illégalités fautives entachant la décision préfectorale du 14 janvier 2020.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 472-10 du code de l'action sociale et des familles : " Sans préjudice des dispositions des articles 416 et 417 du code civil, le représentant de l'Etat dans le département exerce un contrôle de l'activité des mandataires judiciaires à la protection des majeurs. (...) / En cas de violation par le mandataire judiciaire à la protection des majeurs des lois et règlements ou lorsque la santé, la sécurité ou le bien-être physique ou moral de la personne protégée est menacé ou compromis par les conditions d'exercice de la mesure de protection judiciaire, le représentant de l'Etat dans le département, après avoir entendu l'intéressé, lui adresse, d'office ou à la demande du procureur de la République, une injonction assortie d'un délai circonstancié qu'il fixe.(...) Les juges des tutelles du ressort en sont informés. / S'il n'est pas satisfait à l'injonction dans le délai fixé, le représentant de l'Etat dans le département, sur avis conforme du procureur de la République ou à la demande de celui-ci, retire l'agrément prévu à l'article L. 472-1 ou annule les effets de la déclaration prévue à l'article L. 472-6. / En cas d'urgence, l'agrément ou la déclaration peut être suspendu, sans injonction préalable et, au besoin, d'office, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. / Le procureur de la République et les juges des tutelles du premier ressort sont informés de la suspension, du retrait ou de l'annulation visés aux deux alinéas précédents. ".

3. Lorsqu'une personne sollicite le versement d'une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité d'une décision administrative intervenue au terme d'une procédure irrégulière, il appartient au juge administratif de rechercher, en forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, si la même décision aurait pu légalement intervenir et aurait été prise, dans les circonstances de l'espèce, par l'autorité compétente. Dans le cas où il juge qu'une même décision aurait été prise par l'autorité compétente, le préjudice allégué ne peut alors être regardé comme la conséquence directe du vice de procédure qui entachait la décision administrative illégale.

4. Il résulte de l'instruction que l'arrêté contesté a été annulé pour le vice de procédure résultant de la méconnaissance, par le préfet du ..., des dispositions de l'article L.472-10 du code de l'action sociale et des familles, dès lors qu'il n'a pas reçu l'intéressée pour l'entretien préalable au retrait d'agrément prévu par les dispositions précitées. Contrairement à ce qui est allégué par Mme A..., la circonstance qu'elle ait été privée de la possibilité d'exercer sa profession de mandataire judiciaire à la protection des majeurs résulte non de cette illégalité, mais de son propre comportement, la Cour de cassation ayant relevé dans un arrêt du 4 décembre 2019 que la requérante : " avait non seulement adopté des comportements et tenu des propos inadaptés auprès des majeurs protégés, mais encore exprimé des critiques ouvertes, injustifiées et outrancières à l'encontre du juge des tutelles, ce qui avait nécessairement conduit à une perte de confiance dans la capacité de celle-ci à remplir ses fonctions de curatrice et de tutrice auprès des majeurs protégés concernés ". En prenant en compte ces éléments, les premiers juges n'ont nullement méconnu le principe général du droit interdisant à l'autorité administrative de prendre deux ou plusieurs sanctions à l'égard d'un même agent, pour des mêmes faits. La circonstance que Mme A... ne se soit vu confier aucune mesure de protection entre 2016 et le retrait de son agrément en 2020 résultent exclusivement de la perte de confiance de l'administration dans la capacité de la requérante à remplir ses fonctions de curatrice et de tutrice auprès des majeurs protégés concernés et ne saurait, en tout état de cause, être assimilée à une sanction disciplinaire déguisée.

5. Toutefois, Mme A... soutient précisément que l'absence de l'injonction du préfet, prévue par les dispositions de l'article L. 472-10 du code de l'action sociale et des familles, constitue une illégalité fautive lui ouvrant droit à indemnisation. Le défaut d'injonction constitue, contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, un vice de légalité interne, dès lors que cette injonction avec délai poursuit un but réformateur du comportement du mandataire et doit tenir compte des circonstances de l'espèce, en cas notamment de méconnaissance par le mandataire judiciaire à la protection des majeurs des lois et règlements ou de menace pour la santé, la sécurité ou le bien-être physique ou moral de la personne protégée. Dans ces conditions, la même décision n'aurait pu être prise légalement dès lors que cette illégalité de fond rendait également illégal l'arrêté du 14 janvier 2020.

6. Il résulte de ce qui précède que l'illégalité de l'arrêté du 14 janvier 2020 a constitué une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat. Mme A... est donc en droit d'obtenir réparation du préjudice direct et certain en lien avec cette décision illégale.

Sur les préjudices :

7. Mme A... soutient qu'elle a subi un préjudice moral à l'origine d'un syndrome anxio-dépressif. Toutefois, elle se borne à produire le certificat d'un médecin généraliste du 12 février 2020 attestant d'un état anxio-dépressif avec troubles du sommeil, qui n'établit aucun lien de causalité avec l'illégalité de l'arrêté du 14 janvier 2020.

8. Mme A... soutient ensuite qu'elle a subi un préjudice de notoriété lié au fait que l'arrêté préfectoral du 14 janvier 2020 a fait l'objet d'une publication officielle. Toutefois, ainsi qu'il a été dit, la circonstance qu'elle ait été privée de la possibilité d'exercer sa profession de mandataire judiciaire à la protection des majeurs résulte non de cette illégalité, mais de son propre comportement, induisant le retrait des mesures de protection et l'absence de nouvelles mesures confiées. Par ces seules allégations dénuées de fondement, Mme A... n'établit pas que l'impossibilité d'exercer son métier soit liée à l'illégalité de l'arrêté du 14 janvier 2020.

9. Mme A... soutient enfin qu'elle a subi un préjudice financier constitué de la perte totale des émoluments qu'elle était en droit de percevoir depuis le 14 janvier 2020 et ce, jusqu'à la date de sa réintégration effective sur la liste des mandataires judiciaires à la protection des majeurs, soit par arrêté préfectoral du 13 mars 2023. Toutefois, être titulaire d'un agrément ne confère aucun droit à se voir confier des mesures de protection. Quant aux préjudices qui seraient liés à la perte de droits à la retraite, ces derniers ne sont qu'éventuels et ne sauraient ouvrir droit à une quelconque indemnisation.

10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté ses conclusions indemnitaires.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au préfet du ....

Délibéré après l'audience du 16 février 2024 à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président,

- M.Coiffet, président-assesseur,

- M. Pons, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 mars 2024.

Le rapporteur,

F. PONSLe président,

O. GASPON

Le président-rapporteur

O. COIFFET La greffière,

I.PETTON

La greffière,

E. HAUBOIS

La République mande et ordonne au ministre de la justice en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT00203
Date de la décision : 12/03/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. François PONS
Rapporteur public ?: Mme BOUGRINE
Avocat(s) : DELEURME-TANNOURY

Origine de la décision
Date de l'import : 17/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-12;23nt00203 ?
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