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06/02/2024 | FRANCE | N°22TL21020

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 06 février 2024, 22TL21020


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 288 093,45 euros en réparation des préjudices résultant de l'illégalité de la décision du 15 septembre 2011 par laquelle le ministre de la défense a confirmé sa mutation au 9ème bataillon de soutien aéromobile à Montauban pour y exercer les fonctions de pilote d'avion et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1

du code de justice administrative.

Par un jugement n°1904263 du 17 février 2022,...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 288 093,45 euros en réparation des préjudices résultant de l'illégalité de la décision du 15 septembre 2011 par laquelle le ministre de la défense a confirmé sa mutation au 9ème bataillon de soutien aéromobile à Montauban pour y exercer les fonctions de pilote d'avion et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n°1904263 du 17 février 2022, le tribunal administratif de Toulouse a condamné l'Etat à verser à M. C... une indemnité de 3 000 euros en réparation de ses préjudices, mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à M. C... en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative et rejeté les surplus de ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 16 avril 2022 sous le n°22TL21020 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, M. A... C..., représenté par Me Dassa-Le Deist, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 17 février 2022 du tribunal administratif de Toulouse ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 288 093,45 euros en réparation de ses préjudices résultant de l'illégalité de la décision du 15 septembre 2011 ainsi qu'une somme de 5 000 euros au titre des frais engagés devant le tribunal administratif de Toulouse ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'administration a commis une faute en estimant que sa mutation est justifiée par des nécessités de service, de sorte que les conséquences qui en découlent incombent à l'administration et que son préjudice matériel et moral est incontestable ;

- aucun motif d'ordre personnel, ni aucun besoin en effectifs n'était de nature à justifier l'intérêt du service invoqué pour justifier sa mutation ;

- la décision a été prise dans l'intention de lui nuire, elle s'inscrit dans un contexte de harcèlement moral et de dénigrement systématique de son travail ;

- il a subi un préjudice matériel correspondant aux dépenses engagées pour les trajets, l'hébergement et les frais de nourriture entre son domicile familial et son lieu de travail à Montauban pour un montant de 12 636,82 euros, aux frais d'avocat d'un montant de 9 594,76 euros qu'il a été amené à engager devant le tribunal administratif de Toulouse ;

- l'illégalité de la décision de mutation était si manifeste qu'il n'était pas envisageable de faire déménager toute sa famille à Montauban et que son épouse démissionne ;

- il ne peut lui être reproché de ne pas avoir demandé les aides au déménagement alors que la décision de mutation était manifestement illégale ;

- la situation de fatigue et de stress liée à l'éloignement de sa famille l'a amené à quitter le service, il est resté deux ans au chômage ou avec un salaire très réduit correspondant à un manque à gagner de 29 616,58 euros et 3 000 euros de préjudice moral ;

- le couple a vendu son appartement non adapté pour son épouse qui vivait seule avec des enfants en bas âge pour s'installer dans un autre logement, ce qui est à l'origine d'une perte financière de 37 030,40 euros, outre un préjudice moral de 15 000 euros ;

- il a été amené à suivre une formation payante pour se réorienter dans l'aviation civile et à multiplier les déplacements pour trouver un emploi, ce qui a généré des dépenses de 65 060,11 euros et 30 000 euros de préjudice moral ;

- il a subi un préjudice personnel en raison de l'atteinte portée à sa vie privée et familiale qui peut être évalué à 40 000 euros, puisqu'il a été muté alors que l'administration avait connaissance de son désir de quitter l'administration à court terme, de l'emploi de son épouse, de la naissance d'un enfant et des difficultés qu'ils avaient pour vendre leur appartement ainsi que l'absence de besoins en pilotes d'avion à Montauban et le manque de pilotes à B... ;

- il a été victime de harcèlement moral dont la mutation illégale est la dernière illustration qui peut être réparé par le versement de 20 000 euros ;

- son déclassement professionnel est à l'origine d'un préjudice moral de 10 000 euros ;

- son préjudice moral ainsi que celui de son épouse et leurs enfants doit être réévalué à 10 000 euros dès lors qu'il a été muté alors même qu'il était conscient qu'il n'y avait aucun besoin en pilote ni de nécessité de service.

Par un mémoire en défense enregistré le 15 juin 2023, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés, et s'en rapporte à ses écritures de première instance.

Par une ordonnance du 19 octobre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 14 novembre 2023 à 12h.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la défense ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Céline Arquié, première conseillère,

- les conclusions de Mme Michèle Torelli, rapporteure publique,

- et les observations de M. C....

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., sous-officier de carrière de l'armée de terre affecté depuis 2002 à l'escadrille de l'armée de terre de B... en qualité de commandant de bord, a été muté au 9ème bataillon de soutien aéromobile à Montauban à compter du 1er août 2011 par ordre de mutation du 24 janvier 2011. L'intéressé a formé un recours préalable contre cette décision devant la commission des recours des militaires, rejeté par décision du 15 septembre 2011 du ministre de la défense. Par jugement n° 1105135 du 18 juin 2015, devenu définitif, le tribunal administratif de Toulouse a annulé la décision du 15 septembre 2011 au motif d'une erreur manifeste d'appréciation quant aux besoins du service. M. C... a sollicité, le 7 novembre 2018, la réparation des préjudices résultant de l'illégalité de cette décision. Sa demande ayant été implicitement rejetée, il a demandé au tribunal administratif de Toulouse de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 288 093,45 euros en réparation des préjudices résultant de l'illégalité fautive de la décision du 15 septembre 2011. Par un jugement du 17 février 2022, dont M. C... relève appel, le tribunal administratif de Toulouse a condamné l'Etat à lui verser une indemnité de 3 000 euros.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat :

2. Ainsi qu'il a été dit au point 1, par un jugement du 18 juin 2015 devenu définitif, le tribunal administratif de Toulouse a annulé la décision du 15 septembre 2011 au motif d'une erreur manifeste d'appréciation quant aux besoins du service.

3. M C... soutient que cette décision de mutation révèle également une volonté de lui nuire, en raison d'une animosité personnelle de son nouveau commandant d'unité arrivé en 2009 à l'escadrille de B... et de son adjoint. Toutefois, si les attestations d'anciens militaires ou militaires ou encore les deux mains courantes produites par l'intéressé établissent que les relations entre M. C... et son capitaine étaient conflictuelles, elles ne révèlent pas de volonté délibérée de lui nuire comme le soutient l'intéressé, alors même qu'il avait fait connaître des raisons personnelles et familiales pour demeurer dans son affectation à l'escadrille de B.... Il en est de même des avis contradictoires portés par sa hiérarchie sur ses deux demandes de mutations formées à un mois et demi d'intervalle ou encore de l'absence de possibilité d'exercer immédiatement des fonctions de commandant de bord sur la base de Montauban, qui démontrent la volonté de maintenir M. C... dans les effectifs de militaires en l'écartant de l'escadrille de B... sans révéler par eux même une volonté de nuire. Si l'intéressé soutient également qu'il avait toujours fait l'objet d'appréciation élogieuse et positive de la part de sa hiérarchie avant l'arrivée en 2009 de son nouveau commandant d'unité, il ressort de sa fiche de notation de l'année 2004-2005 produite que lui était reproché un manque de rigueur dans son comportement militaire, une absence de prise en compte des remarques et des critiques ainsi qu'une posture ne prenant pas en considération ses devoirs comme pilote de l'escadrille mais aussi en tant que cadre de l'armée de terre en général. La notation de l'année 2005-2006 relève des efforts en insistant toutefois sur le fait que M C... doit tirer parti de l'expérience passée pour ne plus jamais entamer la confiance qui doit-être de mise entre le commandement et un commandant de bord de l'escadrille. La notation 2008-2009 indique également que l'intéressé défend quelquefois son point de vue avec insistance et opiniâtreté. Si les notations établies au titre des années 2009-2010 et 2010-2011 par le nouveau commandant d'unité font état d'une perte temporaire de qualification, l'intéressé n'ayant pas obtenu la note minimale au test conduisant à une suspension de deux mois de sa qualification de commandant de bord et mentionnent qu'il est parfois opiniâtre dans sa vision des choses, elles font également état de son expérience et de ses compétences professionnelles et de ce qu'il a su mettre en œuvre les ressources nécessaires pour remédier à ses résultats insuffisants. Elles indiquent également que M. C... a su prendre en compte les remarques faites et a visiblement mené un travail de prise de recul, son comportement étant en réel progrès. S'il soutient enfin que depuis l'arrivée de ce nouveau capitaine d'unité en 2009, il a fait l'objet de pressions continues d'ordre réglementaires et techniques et que des responsabilités dépassant ses attributions lui ont été confiées, il n'apporte aucune précision, ni ne donne indication de nature à le justifier. Ces éléments ainsi que ceux tirés de l'absence de réel besoin du service en terme d'effectif, pris dans leur ensemble ou séparément, ne sont pas susceptibles de caractériser une intention de nuire, ni ne sont susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral.

4. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 et 3 que seule l'illégalité de la décision du 15 septembre 2011 en raison d'une erreur manifeste d'appréciation quant aux besoins du service, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat à raison des préjudices directs et certains qu'elle a pu causer à l'intéressé.

En ce qui concerne la réparation des préjudices :

5. M. C... demande l'indemnisation des trajets hebdomadaires qu'il a été amené à faire entre son lieu d'affectation à Montauban et la ville de B... où sont demeurés son épouse et leurs deux enfants en bas âge. S'il indique qu'il ne pouvait imposer à son épouse de renoncer à une situation stable de praticienne hospitalière en qualité de pharmacienne, il résulte de l'instruction que celle-ci exerçait son activité au centre hospitalier universitaire de B... sous couvert d'un contrat à durée déterminée à mi-temps de 36 mois. Les attestations relatives à la situation professionnelle de son épouse ne démontrent pas par ailleurs une impossibilité d'être recrutée au centre hospitalier universitaire de Toulouse situé à moins de 50 km de Montauban. Le couple avait d'ailleurs envisagé en 2009 une mutation en Pologne, qui aurait conduit l'épouse de M. C... à quitter ce poste. Dans ces conditions, alors que les militaires peuvent être amenés à servir en tout temps et en tout lieu et qu'il est constant que l'intéressé, affecté depuis neuf ans à l'escadrille de B..., remplissait en 2011 les critères de mutabilité et avait formulé ainsi qu'il y était tenu, quatre voeux de mutation situés par ordre de préférence dans les départements de la Drôme, de la Moselle et des Landes en plus de son 4ème choix dans le Tarn-et-Garonne sur la base de Montauban, le maintien de son épouse et de leurs deux enfants à B... ne présente pas un lien direct avec l'illégalité de la mutation du 15 septembre 2011. Pour les mêmes motifs, le préjudice moral lié à l'atteinte à sa vie privée et familiale du fait du maintien de son épouse et ses deux enfants en bas âge à B... doit être écarté.

6. De la même manière, la vente de l'appartement dont le couple était propriétaire à B... et le déménagement de la famille dans une maison de plain-pied en location sur la même commune pour permettre à son épouse de s'occuper seule de leurs deux enfants en bas âge relèvent d'un choix personnel, sans lien direct et certain avec l'illégalité retenue au point 2.

7. M. C... a demandé, le 15 décembre 2011, à bénéficier d'un congé de reconversion puis d'un congé de reconversion complémentaire pour la période du 12 mars 2012 au 11 mars 2013 afin de suivre une formation de pilote de ligne à Berlin, impliquant à son terme, en application de l'article L. 4139-14 du code de la défense, une cessation d'office de l'état de militaire. Il résulte de l'instruction que le projet de reconversion de M. C... dans l'aviation civile est antérieur à la décision de mutation de 2011, de sorte que sa décision de quitter l'institution militaire et sa radiation des cadres au mois de mars 2013 n'est pas en lien direct et certain avec l'illégalité commise. Par suite, les préjudices correspondant à une perte de rémunération, au coût de la formation suivie pendant son congé de reconversion et aux frais exposés pendant les deux années suivant son départ de l'administration militaire tout en effectuant de nombreuses démarches en France et à l'étranger pour obtenir un emploi dans l'aviation civile ne peuvent qu'être écartés, de même que le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence subis après qu'il ait été radié des cadres.

8. La circonstance que M. C... ait dû exercer durant cinq mois des fonctions de pilote au lieu de celles de commandant de bord afin de suivre, à l'instar de tout pilote nouvellement affecté à la base, une formation pour obtenir la qualification requise pour les aéronefs de la base de Montauban n'est pas constitutive d'un déclassement professionnel. Par suite, le préjudice moral invoqué du fait de cette situation doit être écarté.

9. Les premiers juges ont procédé à une juste appréciation du préjudice moral subi par M. C... du fait de l'illégalité de la décision du 15 septembre 2011 en le fixant à 3 000 euros.

10. Enfin, en l'absence de harcèlement moral et de volonté de nuire ainsi qu'il a été dit au point 3, M. C... n'est pas fondé à solliciter la réparation d'un préjudice moral distinct de celui indemnisé au point 9.

11. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a limité à 3 000 euros le montant de l'indemnisation qui lui a été accordée et à 1 500 euros la somme à verser au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. C... demande au titre au titre des frais qu'il a exposés liés au litige.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et au ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 23 janvier 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Geslan-Demaret, présidente de chambre,

M. Teulière, premier conseiller,

Mme Arquié, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 février 2024.

La rapporteure,

C. Arquié

La présidente,

A. Geslan-Demaret

La greffière,

M-M. Maillat

La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 22TL21020


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de TOULOUSE
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL21020
Date de la décision : 06/02/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-04-01 Responsabilité de la puissance publique. - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. - Responsabilité et illégalité. - Illégalité engageant la responsabilité de la puissance publique.


Composition du Tribunal
Président : Mme GESLAN-DEMARET
Rapporteur ?: Mme Céline ARQUIÉ
Rapporteur public ?: Mme TORELLI
Avocat(s) : DASSA - LE DEIST

Origine de la décision
Date de l'import : 11/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-06;22tl21020 ?
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