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07/05/2024 | FRANCE | N°22TL00265

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 1ère chambre, 07 mai 2024, 22TL00265


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de prononcer la décharge ou la réduction, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2013.



Par un jugement n° 1904626 du 15 novembre 2021, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par u

ne requête, enregistrée le 21 janvier 2022 sous le n° 22MA00265 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille et...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Montpellier de prononcer la décharge ou la réduction, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2013.

Par un jugement n° 1904626 du 15 novembre 2021, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 21 janvier 2022 sous le n° 22MA00265 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille et ensuite sous le n° 22TL00265 au greffe de la cour administrative d'appel de Toulouse, et un mémoire complémentaire enregistré le 13 octobre 2022, M. B..., représenté par Me Amiel, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge ou, à titre subsidiaire, la réduction, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2013 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la stipulation d'une soulte dans le cadre de l'opération d'apport à la société Merced n'était pas constitutive d'un abus de droit, à défaut de fraude à la loi et de but exclusivement fiscal ;

- l'administration a, à ce titre, appliqué la doctrine référencée BOI-RPPM-PVBMI-30-10-60 n° 150 et n° 170 du 4 mars 2016 qui ajoute une condition à la loi ;

- à titre subsidiaire, l'imposition de la soulte relevait du régime des plus-values de cession de valeurs mobilières et non de celui des revenus de capitaux mobiliers ;

- à titre infiniment subsidiaire, il aurait dû bénéficier de l'abattement réservé aux distributions de dividendes et de l'application du I de l'article 163-0 A du même code, après avoir tenu compte de cet abattement.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 26 juillet 2022 et le 9 novembre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au non-lieu à statuer à hauteur du dégrèvement prononcé en cours d'instance et au rejet du surplus des conclusions de la requête.

Il soutient que :

- le litige n'a plus d'objet à hauteur du montant du dégrèvement prononcé le 9 novembre 2022 ;

- pour le surplus, il est demandé de procéder à une substitution de base légale pour imposer la soulte en litige dans la catégorie des plus-values de cession de valeurs mobilières en application de l'article 150-0 A du code général des impôts ;

- les autres moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 4 octobre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 31 octobre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lafon,

- et les conclusions de M. Clen, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... détenait, avant le 7 mai 2013, 28 987 titres de la société anonyme Beemo Technologie, représentant 47,45 % de son capital. Le 7 mai 2013, il a apporté 28 986 de ces titres, pour une valeur totale de 2 318 880 euros, à la société par actions simplifiée unipersonnelle Merced et a reçu en contrepartie 210 888 titres de cette société, d'une valeur nominale unitaire de 10 euros, ainsi qu'une soulte de 210 000 euros, inscrite au crédit de son compte courant d'associé dans les écritures de cette même société. Cette soulte étant inférieure à 10 % de la valeur nominale des titres reçus en rémunération de l'apport qu'il a consenti, M. B... a estimé pouvoir placer les plus-values réalisées à l'occasion de cet apport, y compris la soulte, sous le régime du report d'imposition prévu par l'article 150-0 B ter du code général des impôts. L'administration a toutefois estimé que la rémunération partielle de l'apport au moyen d'une soulte était constitutive, en l'espèce, d'un abus de droit et a soumis en conséquence, au titre de l'année 2013, la somme correspondante à l'impôt sur le revenu entre les mains de M. B... dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, en application des dispositions du 1 de l'article 109 du code général des impôts, ainsi qu'aux contributions sociales. Elle a notamment assorti ces impositions supplémentaires de la majoration de 80 % pour abus de droit prévue au b de l'article 1729 du code général des impôts. M. B... fait appel du jugement du 15 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à la décharge ou, à titre subsidiaire, la réduction, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été ainsi assujetti au titre de l'année 2013.

Sur l'étendue du litige :

2. Par décision du 9 novembre 2022, postérieure à l'introduction de la requête, le directeur du contrôle fiscal Sud-Pyrénées, faisant droit au moyen tiré de ce que l'imposition litigieuse relevait du régime des plus-values de cession de valeurs mobilières, a prononcé le dégrèvement, en droits et pénalités, à concurrence de la somme totale de 137 668 euros, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles M. B... avait été assujetti au titre de l'année 2013. Les conclusions de la requête relatives à ces impositions sont, dans cette mesure, devenues sans objet.

Sur le surplus des conclusions en décharge :

3. En premier lieu, aux termes de l'article 150-0 B ter du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " I. - L'imposition de la plus-value réalisée, directement ou par personne interposée, dans le cadre d'un apport de valeurs mobilières, de droits sociaux, de titres ou de droits s'y rapportant tels que définis à l'article 150-0 A à une société soumise à l'impôt sur les sociétés ou à un impôt équivalent est reportée si les conditions prévues au III du présent article sont remplies. Le contribuable mentionne le montant de la plus-value dans la déclaration prévue à l'article 170. / Les apports avec soulte demeurent soumis à l'article 150-0 A lorsque le montant de la soulte reçue excède 10 % de la valeur nominale des titres reçus (...) ". Aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction issue du I de l'article 35 de la loi du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008 : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. / En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité. / Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'en cas de saisine du comité de l'abus de droit fiscal et lorsque l'administration se conforme à l'avis rendu par ce dernier, le contribuable supporte la charge de la preuve.

4. En instituant un mécanisme de report d'imposition, le législateur a entendu favoriser les restructurations d'entreprises susceptibles d'intervenir par échange de titres en évitant que l'imposition immédiate de la plus-value constatée à l'occasion d'une telle opération, alors que le contribuable ne dispose pas des liquidités lui permettant d'acquitter cet impôt, fasse obstacle à sa réalisation. Si, dans la version du texte applicable au litige, le report d'imposition bénéficie à la totalité de la plus-value résultant d'une opération d'apport avec soulte lorsque le montant de celle-ci n'excède pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus en rémunération de l'apport, le but ainsi poursuivi par le législateur n'est pas respecté si la stipulation d'une soulte au profit de l'apporteur en complément de l'attribution de titres de la société bénéficiaire de l'apport n'a aucune autre finalité que de permettre à celui-ci d'appréhender, en franchise immédiate d'impôt, des liquidités détenues par cette société ou par celle dont les titres sont apportés. Dans ce cas, l'administration est fondée, sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, à considérer qu'en stipulant l'octroi de cette soulte, les parties à l'opération d'apport ont recherché le bénéfice d'une application littérale des dispositions de l'article 150-0 B ter du code général des impôts à l'encontre des objectifs poursuivis par le législateur, dans le seul but d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'apporteur aurait normalement supportées.

5. Il résulte de l'instruction qu'à la suite de la proposition de rectification du 15 décembre 2016, le comité de l'abus de droit fiscal, saisi à la demande de M. B..., a confirmé, dans son avis du 28 juin 2018, le bien-fondé de la mise en œuvre à son égard de la procédure de répression des abus de droit prévue à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales. Dès lors que l'administration s'est conformée à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal, il incombe au requérant d'établir que la rémunération partielle de son apport au moyen d'une soulte n'était pas constitutive d'un abus de droit.

6. Le requérant n'allègue pas que la soulte en litige a été en elle-même stipulée dans l'intérêt économique de la société bénéficiaire de l'apport dans le but de permettre le dénouement de l'opération. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que la société Merced ne disposait pas des liquidités nécessaires pour procéder au remboursement de la totalité de la somme inscrite à ce titre au crédit du compte courant d'associé de M. B... et que ces remboursements ont été effectués en 2015 au moyen des dividendes qui lui ont été versés, sous le bénéfice du régime des sociétés mères, par la société Beemo Technologie, dont les titres lui avaient été apportés par ce dernier. Il en résulte, alors même que l'opération d'apport n'était pas elle-même constitutive d'abus de droit et que M. B... détenait moins de 50 % des titres de la société Beemo Technologie lorsque cette opération a été réalisée, que le versement de la soulte litigieuse caractérisait en l'espèce une appréhension par l'intéressé, en franchise immédiate d'impôt, des liquidités de cette société apportées à la société Merced, qu'il contrôlait, au travers du versement de dividendes par la première à cette dernière. Il s'ensuit que le requérant n'établit pas que la stipulation d'une soulte à son profit poursuivait au moins en partie un objectif autre que fiscal, en ne recherchant pas seulement le bénéfice d'une application littérale des dispositions de l'article 150-0 B ter du code général des impôts contraire à l'intention du législateur. C'est donc à bon droit que l'administration a estimé qu'il était ainsi constitutif d'un abus de droit.

7. En deuxième lieu, la doctrine référencée BOI-RPPM-PVBMI-30-10-60 n° 150 et n° 170 du 4 mars 2016, qui précise notamment que " l'administration a toujours la possibilité, dans le cadre de la procédure de l'abus de droit fiscal, prévue à l'article L. 64 du LPF, notamment d'imposer la soulte reçue, s'il s'avère que cette opération ne présente pas d'intérêt économique pour la société bénéficiaire de l'apport, et est uniquement motivée par la volonté de l'apporteur d'appréhender une somme d'argent en franchise immédiate d'impôt et d'échapper ainsi notamment à l'imposition de distributions du fait de ce désinvestissement ", est conforme aux dispositions de la loi fiscale. Par suite et en tout état de cause, M. B... n'est pas fondé à soutenir que l'administration a fait application d'une interprétation contraire à la loi fiscale pour justifier les impositions contestées.

8. En troisième lieu, dans la mesure où l'administration n'a pas regardé comme constitutif d'un abus de droit l'opération d'apport elle-même mais seulement le choix de rémunérer l'apport au moyen d'une soulte bénéficiant du report d'imposition, la mise en œuvre de la procédure de répression des abus de droit avait pour seule conséquence la remise en cause, à concurrence de la soulte, du bénéfice du report d'imposition de la plus-value d'apport et la soumission immédiate de celle-ci à l'impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine. Il en résulte que la somme en litige ne pouvait légalement être soumise à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers et aux prélèvements sociaux sur les produits de placement.

9. Toutefois, l'administration est en droit, à tout moment de la procédure contentieuse, de justifier l'imposition en substituant une base légale à une autre, sous réserve que le contribuable ne soit pas privé des garanties de procédure qui lui sont données par la loi compte tenu de la base légale substituée. En l'espèce, le ministre demande à la cour de substituer à la base légale erronée du 1 de l'article 109 du code général des impôts les dispositions de l'article 150-0 A du même code permettant de maintenir l'imposition en litige à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des plus-values de cession de valeurs mobilières. Cette demande de substitution de base légale, qui ne prive le contribuable d'aucune garantie en matière de procédure d'imposition, doit être accueillie. Il résulte par ailleurs des écritures non contestées du ministre que l'imposition de la soulte en litige dans la catégorie des plus-values de cession de valeurs mobilières, en lieu et place de la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, conduit à une réduction des impositions critiquées à hauteur de la somme totale de 137 668 euros, qui correspond à celle qui a fait l'objet du dégrèvement évoqué au point 2. Par suite, la base légale substituée est de nature à justifier les impositions restant en litige. Par ailleurs et dans ces conditions, il n'y a pas lieu de se prononcer sur les moyens, présentés à titre subsidiaire, tirés de ce que le requérant aurait dû bénéficier de l'abattement réservé aux distributions de dividendes et de l'application du I de l'article 163-0 A du même code, après avoir tenu compte de cet abattement.

10. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté le surplus de sa demande.

Sur les frais liés au litige :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à M. B... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de M. B... à concurrence du dégrèvement de 137 668 euros prononcé en cours d'instance.

Article 2 : L'Etat versera une somme de 2 000 euros à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête présentée par M. B... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Pyrénées.

Délibéré après l'audience du 25 avril 2024, où siégeaient :

- M. Barthez, président,

- M. Lafon, président assesseur,

- Mme Restino, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 mai 2024.

Le rapporteur,

N. Lafon

Le président,

A. Barthez

Le greffier,

F. Kinach

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°22TL00265 2


Synthèse
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22TL00265
Date de la décision : 07/05/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Contributions et taxes - Généralités - Règles générales d'établissement de l'impôt - Abus de droit et fraude à la loi.

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Revenus et bénéfices imposables - règles particulières - Plus-values des particuliers - Plus-values mobilières.


Composition du Tribunal
Président : M. Barthez
Rapporteur ?: M. Nicolas Lafon
Rapporteur public ?: M. Clen
Avocat(s) : SCP ALCADE ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 12/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2024-05-07;22tl00265 ?
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