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16/05/2024 | FRANCE | N°22TL21886

France | France, Cour administrative d'appel de Toulouse, 4ème chambre, 16 mai 2024, 22TL21886


Vu la procédure suivante :



Par une requête et des mémoires, enregistrés le 29 août 2022, le 4 octobre 2022 et le 20 septembre 2023, la société par actions simplifiée Parc éolien des Ailles, représentée par Green Law avocats, demande à la cour :



1°) d'annuler l'arrêté du 30 juin 2022 par lequel le préfet de l'Aude lui a refusé l'autorisation environnementale d'exploiter une installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent sur le territoire de la commune de Les Martys ;



2°) d'enj

oindre au préfet de l'Aude de reprendre l'instruction de sa demande d'autorisation au stade de la phase d...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 29 août 2022, le 4 octobre 2022 et le 20 septembre 2023, la société par actions simplifiée Parc éolien des Ailles, représentée par Green Law avocats, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 30 juin 2022 par lequel le préfet de l'Aude lui a refusé l'autorisation environnementale d'exploiter une installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent sur le territoire de la commune de Les Martys ;

2°) d'enjoindre au préfet de l'Aude de reprendre l'instruction de sa demande d'autorisation au stade de la phase d'enquête publique dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté attaqué est entaché d'une incompétence de son signataire ;

- en réplique, elle prend acte de la délégation de signature produite en défense, mais maintient ce moyen faute de preuve de sa publication ;

- contrairement à ce qu'a estimé le préfet, le projet refusé n'est pas incompatible avec les dispositions régissant la zone N du plan local d'urbanisme de la commune ;

- le préfet a commis une erreur d'appréciation s'agissant des impacts du projet sur le paysage alors que le site d'implantation, dans une zone de densification éolienne ne présente pas d'intérêt spécifique et que le projet dont l'impact est marginal ne porte pas d'atteinte paysagère dirimante en conformité avec l'objectif de concentration des équipements de production d'énergie.

Par un mémoire en défense enregistré le 8 août 2023, le préfet de l'Aude conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Par une ordonnance en date du 21 septembre 2023, l'instruction de l'affaire a été rouverte et la clôture de l'instruction a été fixée au 13 octobre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Haïli, président-assesseur,

- les conclusions de Mme Meunier-Garner, rapporteure publique,

- et les observations de Me Sicoli pour la société requérante.

Considérant ce qui suit :

1. Le 13 janvier 2022, la société Parc éolien des Ailles a déposé une demande d'autorisation environnementale pour implanter et exploiter une installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent constituée de deux aérogénérateurs d'une puissance unitaire de 3 MW, et d'une hauteur maximale en bout de pale d'environ 112 mètres ainsi que d'un poste de livraison, sur le territoire de la commune de Les Martys (Aude). Par un arrêté du 30 juin 2022, le préfet de l'Aude a refusé de délivrer l'autorisation ainsi sollicitée. Par la présente requête, la société demande l'annulation de cet arrêté préfectoral.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. L'arrêté en litige, pris en matière de police spéciale des installations classées pour la protection de l'environnement a été signé par M. A..., sous-préfet de Narbonne, lequel disposait, en vertu d'un arrêté du 28 juin 2022, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture à cette même date, accessible tant au juge qu'aux parties sur le site internet de la préfecture, d'une délégation de signature du préfet de l'Aude à l'effet de signer tous arrêtés et décisions relevant des attributions de l'État dans le département de l'Aude. Il s'ensuit que le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'acte attaqué manque en fait et doit être écarté.

3. Aux termes de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " I. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas. ". Et aux termes de l'article L. 511-1 du même code, régissant les installations classées pour la protection de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. ".

4. Pour se prononcer sur une demande d'autorisation environnementale, il appartient à l'autorité administrative compétente de s'assurer que le projet ne méconnaît pas, notamment, l'exigence de protection des paysages et de conservation des sites et des monuments. Pour rechercher si l'existence d'une atteinte à un paysage ou à la conservation des sites et des monuments est de nature à justifier un refus d'autorisation environnementale ou les prescriptions spéciales accompagnant sa délivrance, il appartient à l'autorité administrative d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site ou du paysage au sein duquel l'installation concernée est projetée, puis d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette installation, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site, sur le paysage ou sur les monuments.

5. D'une part, il résulte de l'instruction, notamment de l'étude d'impact, que le projet de parc éolien de deux éoliennes de 112 mètres de hauteur porté par la société requérante doit être implanté au nord du village de Les Martys, en limite du département du Tarn et de la commune de Mazamet, à une altitude variant entre 895 et 910 mètres entre les plateaux du Sambrès et de la Loubatière. Ce site d'implantation est compris dans l'unité paysagère de la Montagne Noire, en bordure de la ligne de crête principale côté audois à 10 kilomètres du Pic de Nore, entité paysagère constituée de monts entrecoupés de vallées encaissées fortement boisées, de clairières ouvertes laissant la place à quelques habitations, de plusieurs routes traversant le massif du nord au sud en empruntant la plupart du temps les couloirs dessinés par les vallées. Le projet en cause se situe également à proximité du pic de Nore, de deux sites UNESCO du Canal du Midi au sud et de la Rigole de la Montagne Noire à l'ouest. La zone d'implantation du projet éolien présente par ailleurs des enjeux patrimoniaux importants compte tenu de sa situation à proximité de nombreux monuments historiques classés ou inscrits. Ainsi, l'étude d'impact produite par la société pétitionnaire à l'appui de sa demande d'autorisation recense 133 monuments historiques, tous localisés à moins de 10 kilomètres, des forteresses de montagne, dont les châteaux de Lastours, outre des sites d'enjeux paysagers tel que le lac de Laprade Basse. La zone d'implantation potentielle du projet éolien des Ailles en litige est d'ailleurs comprise dans le plan de gestion des paysages audois au sein d'une zone de protection au vu de la composition des paysages, de leur échelle et de leur valeur patrimoniale et se situe en bordure d'une zone de sensibilité maximale vis-à-vis de l'éolien définie par le document de référence territorial pour l'énergie éolienne du Parc naturel régional du Haut-Languedoc. Dans ces conditions, la seule circonstance invoquée par la société requérante qu'un parc éolien voisin préexiste à proximité immédiate n'est pas de nature à remettre en cause l'intérêt du site et de son environnement tels que précédemment décrits. Par suite, le site retenu par la société requérante pour l'implantation de son projet présente ainsi une qualité certaine et sensible du point de vue paysager et patrimonial.

6. D'autre part, il résulte également de l'instruction, en particulier de l'avis commun relatifs aux enjeux paysagers en date du 15 mars 2022, de la direction régionales des affaires culturelles d'Occitanie, de la direction régionale de l'environnement de l'aménagement et du logement Occitanie et de la direction départementale des territoires et de la mer de l'Aude, que le site du projet constitue un espace de respiration entre les autres parcs de la Montagne Noire et que le parc éolien projeté se percevra visuellement dans le paysage à côté et en plus des 26 éoliennes du plateau de Sambrès, implantées sur les parties sommitales de la Montagne Noire, en concurrence visuelle avec le Pic de Nore et à la visibilité marquée depuis la cité de Carcassonne, sans permettre de lecture globale de l'ensemble éolien Sambrès-les Ailles. Il résulte également des mêmes éléments que les mâts des éoliennes projetées ainsi que la rotation des pales troubleront la lecture de la ligne d'horizon et que, compte tenu de cette implantation, ledit parc produira un effet de mitage de nature à dévaloriser le paysage naturel. En outre, il résulte de l'instruction que la perception du paysage sera significativement modifiée tant depuis de nombreux hameaux de Mazamet, tous orientés vers le sud, c'est-à-dire vers le parc projeté, que depuis des sites touristiques ou emblématiques de Mazamet, tel que notamment le Lac de Montagnès. Il résulte de même de l'instruction qu'en vues proches, les trouées induites par le projet dans le boisement et le terrassement pour réaliser les pistes d'accès et pour la fondation des mâts, modifieront l'ambiance paysagère en artificialisant les lieux, et que le parc lui-même ajoutera de nouvelles vues sur des éoliennes depuis certains hameaux ou depuis certaines voies de circulation à l'échelle immédiate ou rapprochée. Si la société requérante fait valoir le caractère limité de l'impact du projet et sa continuité entre les parcs de Cuxac-Carbardès et Sambrès, il résulte toutefois de l'instruction que le site d'implantation projeté est situé dans une zone de respiration devant être préservée afin d'éviter un effet de mitage dû à la présence de 13 parcs éoliens disparates déjà existants et en cours de construction, lesquels ont sensiblement modifié, de jour comme de nuit, la silhouette paysagère et forestière de la Montagne Noire, en dépit des préconisations du plan de gestion des paysages audois de ne pas entraver visuellement ce massif depuis le pic de Nore et depuis le plateau de Sambrès. De même, alors que l'étude d'impact sur les sensibilités à l'échelle du paysage éloigné souligne que le nombre important des parcs éoliens en activité ou en construction autour de la zone d'implantation du parc est un enjeu paysager depuis le sud de l'aire d'étude et que le projet litigieux recherche une implantation en continuité et en densification du parc du Sambrès, il résulte de l'instruction que dans ce contexte de saturation du paysage, les respirations paysagères existant entre les différents parcs sont alors diminuées et que, de surcroît, les superpositions induites complexifient la lecture de ces paysages. D'ailleurs, les incidences du projet sur le paysage et le patrimoine, devant être replacées dans une analyse globale du développement éolien sur le département qui vise à éviter d'investir dans un secteur de protection, constituent le principal motif des avis défavorables émis par les services des directions régionales des affaires culturelles et de l'environnement de l'aménagement et du logement d'Occitanie, de la direction départementale des territoires et de la mer de l'Aude, ainsi que par l'inspection des installations classées pour la protection de l'environnement.

7. Par conséquent, eu égard à l'ensemble des éléments ainsi exposés et compte tenu des atteintes que portera le projet litigieux sur le paysage et le patrimoine environnant qu'aucune mesure n'est de nature à atténuer, le préfet de l'Aude n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées des articles L. 181-3 et L. 511-1 du code de l'environnement en refusant d'autoriser le projet pour ce motif.

8. Si la société requérante conteste également le bien-fondé de l'autre motif opposé par l'arrêté préfectoral attaqué tiré de ce que le projet situé en zone N serait incompatible avec les dispositions du règlement du plan local d'urbanisme de la commune de Les Martys interdisant toutes les constructions et installations, en tout état de cause, il résulte de l'instruction que le préfet de l'Aude aurait pris la même décision s'il n'avait retenu que le motif tiré de l'atteinte aux paysages et aux sites.

9. Il s'ensuit que la société requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 30 juin 2022 par lequel le préfet de l'Aude a rejeté sa demande d'autorisation environnementale.

Sur les conclusions tendant au prononcé d'une injonction :

10. Le présent arrêt rejetant les conclusions à fin d'annulation présentées par la société requérante n'implique aucune mesure d'exécution au titre des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative, ses conclusions tendant à ce que la cour prononce une injonction à l'encontre du préfet de l'Aude doivent, par suite, être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme réclamée par la société requérante au titre des frais non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Parc éolien des Ailles est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Parc éolien des Ailles et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée au préfet de l'Aude.

Délibéré après l'audience du 25 avril 2024, à laquelle siégeaient :

M. Chabert, président,

M. Haïli, président assesseur,

M. Jazeron, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mai 2024.

Le président-assesseur,

X. HaïliLe président,

D. Chabert

La greffière,

N. Baali

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 22TL21886


Synthèse
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22TL21886
Date de la décision : 16/05/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Chabert
Rapporteur ?: M. Xavier Haïli
Rapporteur public ?: Mme Meunier-Garner
Avocat(s) : GREENLAW AVOCAT

Origine de la décision
Date de l'import : 19/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.toulouse;arret;2024-05-16;22tl21886 ?
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