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24/06/2021 | LUXEMBOURG | N°45747C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 24 juin 2021, 45747C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 45747C Inscrit le 5 mars 2021

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Audience publique du 24 juin 2021 Appel formé par M. (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 5 février 2021 (n° 43147a du rôle) dans un litige l’opposant à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 45747C du rô...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 45747C Inscrit le 5 mars 2021

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Audience publique du 24 juin 2021 Appel formé par M. (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 5 février 2021 (n° 43147a du rôle) dans un litige l’opposant à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 45747C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 5 mars 2021 par Maître Françoise NSAN-NWET, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur (A), né le … au Caire (Egypte), de nationalité égyptienne, demeurant à L-…, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 5 février 2021 (n° 43147a du rôle), par lequel ledit tribunal l’a débouté de son recours en réformation introduit contre la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 7 juin 2019 rejetant sa demande de protection internationale et lui ordonnant de quitter le territoire ;

Vu le mémoire en réponse de Monsieur le délégué du gouvernement Yannick GENOT déposé au greffe de la Cour administrative le 6 avril 2021 ;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 29 avril 2021.

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Le 8 octobre 2018, Monsieur (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur (A) sur son identité ainsi que sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, unité criminalité organisée – police des étrangers, dans un rapport du même jour. A cette occasion, il fut constaté, sur base d’une recherche effectuée dans la banque de données EURODAC, que Monsieur (A) avait antérieurement déposé une demande de protection internationale à Catania en Italie en date du 3 janvier 2018. Par ailleurs, il se dégagea des mêmes recherches qu’en date du 20 avril 2018, il lui fut délivré une « convocation pour l’enregistrement de la demande d’asile » par le « Guichet Unique de Nantes » portant convocation audit guichet installé auprès de la préfecture pour le 23 mai 2018.

Egalement en date du 8 octobre 2018, Monsieur (A) fut auditionné par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ».

En dates des 6 et 19 mars et 10 avril 2019, Monsieur (A) fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 7 juin 2019, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée le même jour, le ministre informa Monsieur (A) qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1), sous les points a), d) et e), de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours, après avoir résumé ses déclarations comme suit :

« (…) Il en ressort que vous seriez originaire du village de … (gouvernorat de Qalyubiya) où vous auriez vécu avec vos parents et votre frère et travaillé en tant que chauffeur de taxi de 2014 jusqu'à votre départ en 2017. Vous auriez été obligé de quitter l'Egypte parce que vous seriez recherché par les autorités.

Ainsi, vous prétendez avoir rejoint l'armée vers 2014, respectivement que vous auriez effectué votre service militaire à partir de 2014. Dans ce cadre, vous auriez été choisi comme chauffeur au sein du « département des industries des véhicules » et vous n'auriez jamais participé à un entraînement de maniement d'armes à feu. Le 25 janvier 2015, il y aurait eu des « manifestations à la place Tahrir » par des citoyens « demandant leurs droits » et contre la montée des prix. Votre supérieur aurait alors donné l'ordre à 25 soldats de votre unité des « industries des véhicules », dont vous, de vous déplacer à la place Tahrir pour disperser les manifestants en vous équipant d'armes à feu. Vous dites que vous auriez d'abord utilisé du gaz lacrymogène, mais qu'il n'aurait pas suffi à disperser la foule, raison pour laquelle vous auriez reçu l'ordre de tirer dans la foule, ce que vous auriez tous refusé de faire. Vous expliquez par la suite que vous n'auriez rien fait du tout, raison pour laquelle votre supérieur aurait compris que vous auriez de la compassion pour les manifestants et qu'il aurait ordonné que vous rentriez à la caserne.

Vous précisez encore que vous vous seriez trouvé sur la place Tahrir pendant à peu près deux heures et que personne n'aurait tiré à ce moment-là ; néanmoins, vous auriez vu des manifestants morts et blessés par terre « quand nous étions debout sur place ».

Après votre refus collectif d'obéir aux ordres, vous auriez d'abord été transportés vers une caserne puis amenés à la « Sûreté » par des officiers qui vous auraient mis des cagoules.

Au bureau de la Sûreté, on vous aurait reprochés de ne pas avoir obéi aux ordres avant d'être placés dans une « cellule de torture ». Dans cette cellule, vous auriez été torturé chaque deuxième semaine sur une durée d'un an et demi. En plus, vous expliquez que vous auriez uniquement été nourri une semaine sur deux. Ensuite, vous changez de version et expliquez que vous auriez été torturé une fois par semaine en étant frappé avec des tuyaux et électrocuté.

Vous précisez encore que pendant votre emprisonnement, vous auriez toujours été seul, tout comme les autres 24 codétenus.

Le 25 juin 2016, vous auriez été libéré en vous faisant amener jusque dans le centre de votre ville d'…. Vous auriez alors pris une voiture « pour voyager, je suis parti à Benha » où vous vous seriez rendu au poste de police pour porter plainte, respectivement parce que vous ne pourriez « rien raconter sans pièce d'identité. Après cela, j'étais à l'hôpital ». Vous prétendez ensuite que vous vous seriez d'abord adressé à un poste de police plutôt que d'aller dans un hôpital parce que « le policier doit envoyer avec moi un autre policier pour récupérer ce rapport médical. Comme je n'avais pas de document d'identité, il ne pouvait pas m'accompagner ». Enfin, selon une autre version, vous expliquez que vous auriez été « torturé » une dernière fois une vingtaine de jours avant votre libération. Lors de votre libération, vous auriez encore tellement saigné que vous n'auriez pas pu aller à la maison. Or, les policiers, en voyant les blessures sur votre corps, vous auraient demandé d'aller à l'hôpital afin de vous faire remettre un rapport médical, respectivement, les policiers vous auraient fait comprendre que vous auriez besoin d'un rapport médical pour faire une déposition. A l'hôpital, on vous aurait toutefois expliqué que vous devriez être en possession d'une carte d'identité pour vous faire remettre un rapport médical, respectivement on vous aurait dit qu'on ne pourrait rien faire pour vous. De retour au poste de police pour récupérer votre carte d'identité, les policiers vous auraient expliqué que cela ne serait pas possible.

Vous seriez alors rentré à la maison à la recherche d'une quelconque pièce permettant de vous identifier et vous auriez alors constaté que les agents de la Sûreté seraient passés chez vous puisque tout aurait été cassé, tout comme dans les maisons de vos soeurs. Vous prétendez par ailleurs, qu'à ce moment, vous auriez déjà été recherché par la Sûreté et que vous auriez été tué si jamais vous aviez été attrapé. Pour ne pas causer d'ennuis à votre famille, vous auriez alors pris la décision de quitter l'Egypte.

Vous précisez dans une autre version qu'après votre libération, le 5 juillet 2016, vous seriez rentré à la maison où vous vous seriez tout de suite évanoui. Vous vous seriez par la suite réveillé à l'hôpital accompagné de votre famille. Vous dites que le médecin aurait refusé de vous remettre un rapport médical faute de pièce d'identité. Votre père serait alors retourné à la maison pour trouver une pièce qui prouverait votre identité; mais, arrivé à domicile il aurait remarqué que tout aurait été détruit et que « tous » les papiers auraient été déchirés. Il se serait alors rendu à un commissariat pour faire sa déposition, mais le policier en charge aurait refusé de se déplacer chez vous après que votre père lui aurait signalé qu'il ne saurait pas qui serait responsable de ces actes de vandalisme.

Selon une troisième version, vous seriez rentré à la maison après votre visite à l'hôpital et après que votre père aurait vu vos blessures « nous sommes allés à l'hôpital ».

Deux semaines après votre libération, vous vous seriez adressé au bureau de l'état civil où vous auriez rempli le formulaire pour vous faire remettre une nouvelle carte d'identité. Or, l'agent responsable de votre dossier vous aurait expliqué que la police aurait retenu tous vos papiers d'identité. Selon une deuxième version, vous vous seriez rendu avec votre père à ce bureau où on vous aurait fait comprendre qu'on refuserait de vous remettre une carte d'identité pour une question qui ne « nous concerne pas, mais elle concerne la sûreté de l'état ». On vous aurait à la même occasion signalé que vous devriez vous rendre auprès de la Sûreté, ce que vous n'auriez pas fait par peur des conséquences. Selon une autre version, vous vous seriez immédiatement adressé au bureau de l'état civil en compagnie de votre père, le jour où vous auriez été à l'hôpital (p. 18). Après avoir mis votre nom dans l'ordinateur, l'agent en charge vous aurait expliqué qu'il ne pourrait rien faire pour vous.

Vous dites ensuite qu'entre juillet 2016 et juillet 2017, vous auriez habité à Alexandrie où vous auriez travaillé dans le « barbecue de poissons » et « en même temps je me cachais » alors que vous auriez été recherché par la Sureté de l'état. Vous n'auriez par ailleurs pas tenté de quitter l'Egypte à ce moment parce que vous auriez par « n'importe quel » moyen tenté de vous faire remettre une pièce d'identité. Interrogé sur les démarches entreprises, vous expliquez que « j'ai appelé des avocats mais ils ne m'ont pas pu les faire », respectivement vous expliquez que l'avocat aurait été engagé par votre père. Interrogé comment un avocat pourrait vous remettre une nouvelle pièce d'identité vous répondez qu'il pourrait faire une déposition au service de sureté de l'état et prouver que j'étais torturé et « leur demander pourquoi j'étais demandé par les suretés de l'état ». Vous changez ensuite de version en expliquant que vous auriez engagé un avocat parce que vous auriez surtout voulu qu'il reçoive un rapport de la Sûreté ou des autorités indiquant que vous auriez été blessé; rapport grâce auquel vous pourriez déposer plainte auprès d'un poste de police contre des agents de la sureté.

Le 7 mars 2017, vous auriez quitté Alexandrie après que votre employeur vous aurait appelé pour vous prévenir que la Sureté de l'Etat aurait fermé sa boutique lui reprochant d'avoir embauché quelqu'un sans papiers, « quelqu'un qui fait de la politique. Quelqu'un qui s'est enfui du gouvernement ». Il vous aurait par ailleurs précisé que vous seriez recherché pour une « affaire politique », alors que vous auriez été « avec les manifestants ».

Vous expliquez toutefois par la suite qu'en 2016 ou 2017, vous auriez habité pendant cinq mois chez votre père à Marsa Matrouh où vous vous seriez caché parce que la Sûreté ne pourrait pas « arriver jusque chez lui ». Néanmoins, vous auriez « pressenti quelque chose » et auriez décidé de partir. Vous prétendez qu'en juin 2017, des agents de la Sûreté auraient rendu visite à votre père sur son lieu de travail, l'auraient menacé et demandé où se trouverait son fils.

Vous expliquez encore par la suite que tout au long de l'année 2016, vous seriez resté à Benha où vous auriez habité chez des amis et rencontré aucun problème.

Le 7 juillet 2017, vous auriez quitté l'Egypte en direction de la Libye où vous seriez resté pendant cinq mois avant [de] gagner l'Italie en bateau. Etant donné que vous n'auriez pas voulu rester en Italie, vous seriez parti en France à la recherche d'un travail. Vous y avez aussi introduit une demande de protection internationale, mais comme on vous aurait expliqué qu'en France, les demandeurs de protection internationale égyptiens seraient refusés, vous seriez venu au Luxembourg le 6 octobre 2018.

4 3 Il ressort par ailleurs du rapport du Service de Police Judiciaire que vous auriez quitté l'Egypte parce vous auriez été victime d'un « carjacking ».

Vous ne présentez pas de pièce d'identité alors que vous auriez laissé votre passeport en Egypte en raison d'une fuite hâtive, respectivement parce que vous auriez voulu quitter le pays de façon clandestine. Vous avancez une troisième version selon laquelle « l'armée » vous aurait confisqué tous vos documents d'identité (carte d'identité, acte de naissance) et vous prétendez ne jamais avoir possédé de passeport. Enfin, vous expliquez que la sureté de l'Etat aurait détruit, respectivement « déchiré » tous vos documents.

Vous versez toutefois une copie d'une « convocation pour l'enregistrement de la demande d'asile » en France le 23 mai 2018, vous identifiant comme (B), né le … au Caire, de nationalité égyptienne, ainsi que des photos montrant le corps d'un homme adulte non reconnaissable. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 19 juin 2019, Monsieur (A) fit introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre du 7 juin 2019 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 et finalement de la même décision en ce qu’elle lui ordonne de quitter le territoire.

En application de l’article 35, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015, le premier vice-président du tribunal administratif, siégeant en sa qualité de président de la quatrième chambre du prédit tribunal, décida par jugement rendu en date du 12 juillet 2019, inscrit sous le numéro 43147 du rôle, que le recours n’est pas manifestement infondé et renvoya l’affaire en chambre collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.

Dans son jugement du 5 février 2021, inscrit sous le numéro 43147a du rôle, le tribunal administratif reçut le recours en réformation en la forme et au fond le déclara non justifié pour en débouter le demandeur et le condamner aux frais.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 5 mars 2021, Monsieur (A) a régulièrement relevé appel du jugement précité.

A l’appui de la demande de protection internationale qu’il a déposée le 8 octobre 2018, Monsieur (A) explique la chronologie des faits l’ayant mené au Luxembourg. L’appelant dit avoir été soldat au sein de l’armée égyptienne dès 2014, période durant laquelle il y aurait occupé la fonction de chauffeur. Ce n’est qu’en 2015 que sa vie aurait basculé lors d’une opération de maintien de l’ordre, le 25 janvier 2015, dans le cadre du quatrième anniversaire de la révolution égyptienne. Il explique que lors de cette opération, qui se serait déroulée au Caire, il aurait reçu l’ordre de tirer sur les manifestants qui tentaient de rejoindre la place Tahrir. Du fait de son refus d’ouvrir le feu sur des civils, il aurait été emprisonné par les autorités égyptiennes durant un an et demi, période durant laquelle il aurait été torturé. A la suite de sa libération, il prétend avoir été à nouveau recherché par les autorités égyptiennes eu égard au fait qu’il aurait été perçu comme un opposant au régime. Craignant de faire à nouveau l’objet de persécutions, l’appelant explique avoir décidé de fuir l’Egypte.

Monsieur (A) reproche aux premiers juges d’avoir fait une interprétation erronée des faits à la base de son récit et d’avoir retenu à tort que ce dernier manquait de crédibilité.

Renvoyant aux travaux d’organisations internationales sur la question de la vulnérabilité, l’appelant affirme qu’il n’aurait pas été en capacité de fournir un récit cohérent eu égard à sa fragilité psychologique. Plus particulièrement, l’appelant estime que sa vulnérabilité aurait été ignorée et que ni le ministre ni les premiers juges n’auraient fait le lien entre les traumatismes qu’il aurait vécus en Egypte et en Libye et les inconsistances qui existeraient, par conséquent, dans son récit.

Il critique enfin les premiers juges en ce qu’ils n’auraient pas analysé au fond les critères d’octroi de la protection internationale. Il considère qu’ils auraient méconnu qu’en l’espèce son refus d’ouvrir le feu sur des civils s’analyserait en une conviction morale profonde et humaniste tombant dans le champ d’application de l’article 48, point b), de la loi du 18 décembre 2015 du fait des tortures qu’il a subies dans son pays d’origine et de l’article 39 de cette même loi eu égard au fait que les auteurs de ces violences seraient les autorités égyptiennes. Partant, il ne pourrait raisonnablement bénéficier de la protection des autorités de son pays d’origine et craindrait de subir des atteintes graves ou persécutions contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après la « CEDH », en cas de retour en Egypte, pays dans lequel les droits de l’Homme seraient bafoués.

De son côté, la partie étatique demande la confirmation pure et simple du jugement entrepris. Elle précise que s’il est certes vrai que la vulnérabilité d’un demandeur de protection internationale peut affecter la crédibilité de son récit sur certains points de détails, cela ne saurait être le cas lorsque la globalité du récit du demandeur de protection internationale serait lacunaire et incohérente.

Il se dégage de la combinaison des articles 2 sub h), 2 sub f), 39, 40 et 42, paragraphe 1er, de la loi du 18 décembre 2015, que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe 1er, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

L’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire. La loi du 18 décembre 2015 définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48 ».

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Il s’y ajoute encore que dans le cadre du recours en réformation dans lequel elle est amenée à statuer sur l’ensemble des faits lui dévolus, la Cour administrative doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile en ne se limitant pas à la pertinence des faits allégués, mais elle se doit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur d’asile, la crédibilité du récit constituant en effet un élément d’appréciation fondamental dans l’appréciation du bien-fondé d’une demande de protection internationale, et plus particulièrement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.

A l’instar des premiers juges et du ministre dans sa décision de rejet du 7 juin 2019, la Cour constate que le récit de l’appelant est jalonné de contradictions et de revirements multiples quant à la description et à la survenance de certains des évènements qui sous-tendent les motifs à la base de sa demande de protection internationale.

La Cour relève que ce discrédit affecte non seulement les éléments clés du récit de l’appelant, mais également des aspects qui y sont accessoires, de sorte à fragiliser le caractère vraisemblable de la globalité des évènements décrits par Monsieur (A) et pour lesquels il a sollicité une demande de protection internationale au Luxembourg.

A titre préliminaire, la Cour constate que l’appelant a initialement justifié l’introduction d’une demande de protection internationale auprès du service de police judiciaire, en date du 8 octobre 2018, sur le fondement d’un carjacking dont il aurait été victime en Egypte. Ce récit a par la suite laissé place au prétendu refus de suivre les ordres de l’appelant en sa qualité de soldat égyptien appelé en renfort sur la place Tahrir, au Caire, en janvier 2015.

Cependant, tel que l’ont souligné le ministre et les premiers juges, l’appelant n’a pas été en mesure de relater de manière convaincante son engagement au sein de l’armée égyptienne ni le déroulement de son service militaire préalablement à son entrée en service auprès de cette même armée. Or, les preuves de cette appartenance, qui conditionnent la structure globale de son récit, sont lacunaires et douteuses.

Bien que le ministre ait émis des doutes quant à l’engagement de l’appelant au sein de l’armée égyptienne, il a poursuivi l’analyse des faits gisant à la base de la demande de protection internationale de Monsieur (A) en constatant que d’autres évènements allégués par l’appelant n’ont pas pu être tenus pour établis.

En premier lieu, l’évènement du 25 janvier 2015 comme évènement central de son récit a été valablement contesté par le ministre qui s’est fondé sur plusieurs éléments, dont le fait qu’il n’y aurait pas eu de manifestation ce jour-là en raison de l’interdiction faite aux manifestants d’accéder à la place Tahrir, la fermeture des rues proches menant à cette place, le fait que les actions de dispersion des manifestants auraient été menées par des forces de police et non par l’armée ou encore le caractère improbable de la réquisition de soldats dépourvus d’un entrainement au maniement des armes pour assurer une mission telle que celle décrite par Monsieur (A) alors qu’il occupait la fonction de chauffeur au sein de l’armée.

En second lieu, la Cour relève, à l’instar des premiers juges, que la version des faits de l’appelant quant à l’existence et à la localisation de ses papiers d’identité n’a cessé d’évoluer.

Il a ainsi tour à tour prétendu qu’il n’avait plus de papiers d’identité avant de décrire que des agents de la sûreté nationale les auraient déchirés lors d’une visite domiciliaire ou encore qu’ils auraient été confisqués, dans une autre version de son récit, par des membres de l’armée égyptienne.

En troisième lieu, les évènements relatifs à l’emprisonnement allégué de l’appelant, à sa prétendue hospitalisation à l’issue de sa libération et au fait qu’il aurait été recherché à sa sortie de prison par les agents de la sûreté nationale laissent de convaincre la Cour au regard des versions sensiblement contradictoires présentées par l’appelant tout au long des différentes auditions durant lesquelles il lui a été pourtant donné l’occasion de clarifier ses dires.

S’il est vrai que la vulnérabilité d’un demandeur d’asile peut affecter la chronologie et la cohérence de son récit, eu égard au vécu personnel et aux évènements traumatiques qu’il a pu subir lors de son parcours migratoire, une telle prétendue vulnérabilité ne peut, comme en l’espèce, être invoquée du seul fait des inconsistances du récit de l’appelant, mais doit, en outre, se baser sur des éléments circonstanciés, de sorte à en retenir le caractère fondé.

La Cour note en effet que l’appelant est, devant elle, resté en défaut de répondre précisément aux reproches formulés par le ministre quant aux incertitudes et incohérences qu’il a relevées dans ses différentes auditions, n’apportant comme seul élément de réponse à ces manquements que sa prétendue vulnérabilité.

Or, il lui aurait appartenu, dans ces circonstances, de clarifier et davantage préciser les éléments jugés incompatibles ou contradictoires tirés de son récit de manière à restituer, dans la mesure du possible, à ces évènements leur véritable caractère.

Il y a lieu, dans ces conditions, d’écarter l’existence de motifs de persécution repris par l’article 2, sub f), de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que c’est à bon droit que les premiers juges ont rejeté la demande de reconnaissance du statut de réfugié introduite par Monsieur (A) pour défaut de crédibilité de son récit.

La Cour relève, en outre, que les déclarations de l’appelant n’ont pas permis de tenir pour établie l’existence de motifs sérieux et avérés de croire qu’il courrait un risque réel de subir des atteintes graves en cas de retour en Egypte.

En effet, la Cour ne dégage pas non plus du récit de l’appelant, qui renvoie aux mêmes motifs soumis à l’appui de sa demande en obtention du statut de réfugié, un risque concret d’être exposé, en cas de retour dans son pays d’origine, à une condamnation à la peine de mort, à l’exécution, à la torture, à des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants ou encore à des menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

Il s’ensuit que les conditions pour admettre l’appelant au statut conféré par la protection subsidiaire ne se trouvent pas non plus remplies en l’espèce.

Partant, il découle de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre d’abord, puis les premiers juges ont rejeté la demande en reconnaissance d’une protection internationale, prise sous son double volet.

Quant à l'ordre de quitter le territoire contenu dans la décision de refus de protection internationale, comme le jugement entrepris est à confirmer en ce qu’il a refusé à l’appelant le statut de la protection internationale - statut de réfugié et protection subsidiaire - et que le refus d’octroi de pareil statut est automatiquement assorti d’un ordre de quitter le territoire par le ministre, la demande de réformation de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter à son tour et le jugement est à confirmer en ce qu’il a refusé de réformer ledit ordre.

L’appel n’étant dès lors pas fondé, il y a lieu d’en débouter l’appelant et de confirmer le jugement entrepris.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel du 5 mars 2021 en la forme, au fond, le déclare non fondé et en déboute l’appelant, partant, confirme le jugement entrepris du 5 février 2021, condamne l’appelant aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Serge SCHROEDER, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu à l’audience publique du 24 juin 2021 au local ordinaire des audiences de la Cour par le premier conseiller, en présence du greffier de la Cour ….

s. … s. SCHROEDER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 24 juin 2021 Le greffier de la Cour administrative 9


Synthèse
Numéro d'arrêt : 45747C
Date de la décision : 24/06/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2021-06-24;45747c ?

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