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21/07/2021 | LUXEMBOURG | N°45848C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 21 juillet 2021, 45848C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 45848C Inscrit le 1er avril 2021

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Audience publique du 21 juillet 2021 Appel formé par M. X, …, contre un jugement du tribunal administratif du 1er mars 2021 (n° 44068 du rôle) dans un litige l’opposant à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 45848C du ...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 45848C Inscrit le 1er avril 2021

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Audience publique du 21 juillet 2021 Appel formé par M. X, …, contre un jugement du tribunal administratif du 1er mars 2021 (n° 44068 du rôle) dans un litige l’opposant à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 45848C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 1er avril 2021 par Maître Katy DEMARCHE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur X, né le … à … (Guinée), de nationalité guinéenne, demeurant prétendument à L-…, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 1er mars 2021 (n° 44068 du rôle), par lequel ledit tribunal l’a débouté de son recours en réformation introduit contre la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 24 décembre 2019 rejetant sa demande de protection internationale et lui ordonnant de quitter le territoire ;

Vu le mémoire en réponse de Madame le délégué du gouvernement Sarah ERNST déposé au greffe de la Cour administrative le 29 avril 2021 ;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 18 mai 2021.

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Le 4 mars 2019, Monsieur X introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur X sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée - police des étrangers, dans un rapport du même jour.

En date du 10 mai 2019, Monsieur X fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 24 décembre 2019, envoyée à l’intéressé par lettre recommandée le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par le « ministre », résuma les déclarations de Monsieur X auprès du service de police judiciaire, ainsi qu’auprès de la direction de l’Immigration, comme suit : « (…) En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 4 mars 2019, le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 10 mai 2019 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale et le « Rechtsmedizinisches Gutachten zur Altersschätzung » du 14 mars 2019.

Il résulte de vos déclarations que vous seriez né à … et que vous y auriez vécu chez votre tante après le décès de votre père en 2012 et le déménagement de votre mère en 2014 ou 2015 « au village ». Après avoir quitté l'école, vous auriez travaillé en tant que chauffeur de mototaxi jusqu'à votre départ de votre pays d'origine.

Quant aux raisons qui vous ont conduit à quitter la Guinée, vous déclarez que votre petite amie serait décédée après avoir avorté en 2016. Ses parents auraient par conséquent porté plainte contre vous pour viol sur mineur. Comme la police aurait été à votre recherche mais ne vous aurait pas trouvé à la maison, elle aurait arrêté votre tante à votre place. Vous auriez décidé de quitter la Guinée car vous auriez peur d'être incarcéré.

En ce qui concerne votre départ de la Guinée en octobre ou novembre 2016, vous indiquez que vous seriez allé au Mali, où vous seriez resté pendant deux mois avant de partir en Algérie. Après un séjour d'environ huit mois, vous auriez rejoint l'Espagne via le Maroc caché sur une embarcation. Vous y seriez resté pendant cinq mois avant d'aller en France, où vous auriez séjourné encore trois à quatre mois avant de venir au Luxembourg.

Vous ne présentez aucun document d'identité. (…) ».

Le ministre informa ensuite Monsieur X que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée sur base des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 janvier 2020, Monsieur X fit introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 24 décembre 2019 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Dans son jugement du 1er mars 2021, le tribunal administratif reçut le recours en réformation en la forme et au fond le déclara non justifié dans ses deux volets pour en débouter le demandeur. Le tribunal condamna encore le demandeur aux frais de l’instance.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 1er avril 2021, Monsieur X a relevé appel du jugement précité.

A titre liminaire, il y a lieu de relever que le délégué du gouvernement a précisé dans son mémoire en réponse que l’appelant ne résiderait plus à l’adresse indiquée par son litismandataire, puisqu’il serait incarcéré depuis le mois d’août 2020 au Centre pénitentiaire de Luxembourg pour vol avec violences. Le litismandataire de Monsieur X n’a point pris position sur cette précision.

S’il est vrai que la requête d’appel ne renseigne dès lors pas la véritable adresse de l’appelant, il n’en reste pas moins que la finalité recherchée par l’article 41 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives consistant à garantir l’identification de l’appelant et, de ce fait, à permettre à la partie intimée de préparer utilement sa défense, d’une part, et, allant au-delà, à garantir l’exécution de l’arrêt à intervenir, d’autre part, ne s’en trouve point affectée au vu de la connaissance, par la partie étatique, du lieu de séjour effectif de l’appelant.

Cette erreur dans l’indication de l’adresse de l’appelant n’affecte partant pas la validité de la requête d’appel, de sorte que l’appel est recevable pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi.

Monsieur X sollicite la réformation de la décision ministérielle litigieuse en ce qu’il existerait des motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’il risquerait des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 en cas de retour en Guinée. Il affirme ensuite que son éloignement vers son pays d’origine violerait le principe de non-refoulement consacré par les textes internationaux et par l’article 54, paragraphe (1), de loi du 18 décembre 2015.

Monsieur X affirme craindre retourner en Guinée où il risquerait de subir des violences de la part de la famille de son amie décédée à la suite d’un avortement « sauvage ». Il explique que la famille de son amie défunte le tiendrait pour responsable de la mort de leur fille et qu’elle aurait porté plainte contre lui pour viol sur mineur. Du fait de ces poursuites, l’appelant soutient que sa tante aurait été arrêtée et emprisonnée à sa place, car la police n’aurait point réussi à le localiser, et qu’il risquerait partant une lourde peine de prison en cas de retour en Guinée, voire la prison à perpétuité. En outre, le risque d’une « vendetta » de la famille de son amie décédée serait particulièrement élevé du fait de l’abolition de la peine de mort en Guinée, peine que la famille ne pourrait plus réclamer en justice à son encontre.

L’appelant affirme ne pas avoir porté plainte dans son pays d’origine pour y dénoncer les menaces et agressions de la famille de son amie défunte en ce qu’il aurait eu peur de faire l’objet d’une détention arbitraire et explique avoir renoncé à chercher la protection des autorités locales eu égard à l’impossibilité de s’offrir les services d’un avocat. Il fait en outre valoir que les conditions de détention en Guinée seraient particulièrement indignes et inhumaines et que ce serait à tort que les premiers juges auraient retenu que les conditions de détention en Guinée ne seraient pas telles qu’elles entraîneraient dans son chef un traitement inhumain. Selon ses dires, il n’existerait aucune garantie judiciaire en Guinée et il ne pourrait y bénéficier d’un procès équitable. Ses affirmations seraient selon lui confirmées par des articles de presse qu’il joint à sa requête d’appel et qui attesteraient en outre de la corruption de la police locale.

La partie étatique souligne en premier lieu que la portée de l’appel introduit par Monsieur X est limitée à la question de son admissibilité au statut de la protection subsidiaire.

Selon elle, l’appelant serait resté en défaut de prendre position quant au refus des premiers juges de lui reconnaître le statut de réfugié, de sorte qu’il aurait nécessairement renoncé à l’obtention de ce statut.

La Cour note que c’est à bon droit que la partie étatique soulève la portée limitée de l’appel sur la seule question de l’admissibilité de l’appelant au statut de la protection subsidiaire. Par voie de conséquence, à défaut de prise de position contraire de la part du litismandataire de l’appelant, la Cour est uniquement appelée à se prononcer sur le bien-fondé de la demande de protection subsidiaire introduite par Monsieur X.

Quant au fond, la partie étatique demande de son côté la confirmation intégrale du jugement entrepris et relève qu’aucun élément nouveau n’est présenté en appel, de sorte que les premiers juges devraient être suivis par la Cour.

L’article 2 sub g) de la loi du 18 décembre 2015 définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48, (…) et cette personne ne pouvant pas, ou compte tenu de ce risque, n’étant pas disposés à se prévaloir de la protection de ce pays ».

Selon l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, sont considérées comme atteintes graves :

« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut conféré par la protection subsidiaire.

Il s’y ajoute encore que dans le cadre du recours en réformation dans lequel elle est amenée à statuer sur l’ensemble des faits lui dévolus, la Cour administrative doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile en ne se limitant pas à la pertinence des faits allégués, mais elle se doit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur d’asile, la crédibilité du récit constituant en effet un élément d’appréciation fondamental dans l’appréciation du bien-fondé d’une demande de protection internationale, et plus particulièrement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.

A l’instar des premiers juges, la Cour relève que l’appelant est resté en défaut de s’adresser aux autorités locales guinéennes afin d’obtenir de leur part une protection contre les agissements de la famille de sa défunte amie.

Dans ces conditions, il ne peut valablement contester l’existence d’une protection adéquate de la part des autorités nationales de son pays d’origine à défaut de les avoir valablement saisies de la situation qu’il a exposée à l’appui de sa demande de protection subsidiaire.

En outre, les arguments de l’appelant ayant trait à la corruption alléguée des policiers guinéens restent à ce stade de simples allégations à défaut d’un récit individuel et circonstancié de l’appelant démontrant qu’il aurait été personnellement empêché de se prévaloir de la protection offerte par les autorités guinéennes et que partant aucune protection n’aurait pu lui être garantie malgré ses démarches actives en vue d’en obtenir une.

Pareille conclusion doit être tirée quant à la prétendue absence de garanties judiciaires en Guinée soulevée par l’appelant de manière vague et non autrement circonstanciée.

Enfin, indépendamment des dires de l’appelant quant aux accusations infondées dont il aurait fait l’objet dans le cadre de la plainte de viol sur mineur introduite à son encontre, il convient de noter que le seul fait que les autorités guinéennes puissent enquêter et interroger l’appelant pour clarifier les accusations portées à son encontre ne saurait être de nature à retenir l’existence de motifs sérieux et avérés de croire qu’il courrait un risque réel de subir des atteintes graves en cas de retour en Guinée.

La Cour ne dégageant pas du récit de l’appelant un risque concret d’être exposé, en cas de retour dans son pays d’origine, à une condamnation à la peine de mort, à l’exécution, à la torture, à des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants ou encore à des menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, il s’ensuit que les conditions pour admettre l’appelant au statut conféré par la protection subsidiaire ne se trouvent pas remplies en l’espèce.

Partant, il découle de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre d’abord, puis les premiers juges ont rejeté la demande en reconnaissance d’une protection subsidiaire.

Quant à l'ordre de quitter le territoire contenu dans la décision de refus de protection internationale, comme le jugement entrepris est à confirmer en ce qu’il a refusé à l’appelant le statut de la protection internationale - statut de réfugié et protection subsidiaire - et que le refus d’octroi de pareil statut est automatiquement assorti d’un ordre de quitter le territoire par le ministre, la demande de réformation de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter à son tour et le jugement est à confirmer en ce qu’il a refusé de réformer ledit ordre.

L’appel n’étant dès lors pas fondé, il y a lieu d’en débouter l’appelant et de confirmer le jugement entrepris.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel du 1er avril 2021 en la forme, au fond, le déclare non fondé et en déboute l’appelant, partant, confirme le jugement entrepris du 1er mars 2021, condamne l’appelant aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Serge SCHROEDER, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu à l’audience publique du 21 juillet 2021 au local ordinaire des audiences de la Cour par le premier conseiller, en présence du greffier assumé de la Cour Patrick WIES.

s. WIES s. SCHROEDER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 juillet 2021 Le greffier de la Cour administrative 6


Synthèse
Numéro d'arrêt : 45848C
Date de la décision : 21/07/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 27/07/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2021-07-21;45848c ?

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