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04/08/2021 | LUXEMBOURG | N°45396C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 04 août 2021, 45396C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 45396C Inscrit le 18 décembre 2020

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Audience publique du 4 août 2021 Appel formé par M. Y…, …, contre un jugement du tribunal administratif du 2 décembre 2020 (n° 43180 du rôle) dans un litige l’opposant à trois bulletins émis par le bureau d'imposition Luxembourg 9 en matière d’impôt sur le revenu

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 45396C du r...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 45396C Inscrit le 18 décembre 2020

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Audience publique du 4 août 2021 Appel formé par M. Y…, …, contre un jugement du tribunal administratif du 2 décembre 2020 (n° 43180 du rôle) dans un litige l’opposant à trois bulletins émis par le bureau d'imposition Luxembourg 9 en matière d’impôt sur le revenu

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 45396C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 18 décembre 2020 par la société E2M s.à r.l., établie et ayant son siège social à L-2419 Luxembourg, 2, rue du Fort Rheinsheim, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, représentée par Maître Max MAILLIET, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, au nom et pour compte de Monsieur …Y…, demeurant à L-… …, …, …, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 2 décembre 2020 (n° 43180 du rôle) par lequel ledit tribunal s’est déclaré incompétent pour connaître de la demande tendant à voir ordonner le remboursement du trop-perçu d’impôts payé au titre des années 2014, 2015 et 2016 et du paiement d’intérêts y relatifs, a reçu en la forme le recours principal en réformation à l’encontre des bulletins de l’impôt sur le revenu des années 2014, 2015 et 2016, au fond, l’a déclaré non fondé et débouté le demandeur, a dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation dirigé contre ces mêmes bulletins et rejeté sa demande en allocation d’une indemnité de procédure, tout en le condamnant aux frais et dépens de l’instance ;

Vu le mémoire en réponse de Monsieur le délégué du gouvernement Steve COLLART déposé au greffe de la Cour administrative le 15 janvier 2021 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 29 janvier 2021 par la société à responsabilité E2M s.à r.l., représentée par Maître Max MAILLIET, pour compte de Monsieur … …Y… ;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 18 mars 2021.

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Suite au dépôt de sa déclaration de l’impôt sur le revenu pour l’année 2013, le bureau d’imposition Luxembourg 9 de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « bureau d’imposition », s’adressa, par courrier du 12 janvier 2015, à Monsieur … …Y… et à son épouse, Madame … …V-Y…, dans les termes suivants :

« (…) Pour l’année d’imposition 2013 vous avez présenté une demande en imposition collective en vertu de l’article 3 lettre d) LIR et la classe d’impôt 2 vous a été octroyée provisoirement. Au vœu de l’article 153, alinéa (1) numéro 4. LIR cette demande entraîne une imposition par voie d’assiette comme résident, portant sur le revenu mondial du ménage, exception faite de revenus exemptés ou exonérés par des traités et sous réserve des conventions contre les doubles impositions.

Je vous prie dès lors de remettre pour le 30 janvier 2015 au plus tard la déclaration vous demandée en joignant obligatoirement les pièces suivantes :

1) une demande conjointe en imposition collective, dûment signée par les deux conjoints.

2) un certificat établi par l’administration fiscale du pays du domicile fiscal du conjoint non résident attestant ses revenus ou, le cas échéant, l’absence de revenus. En effet, l’article 3d LIR exige formellement que l’… « époux non résident doit justifier ses revenus annuels par des documents probants ». D’après le commentaire des articles, documents parlementaires 4780, sont visés notamment des certificats de revenu établis par l’administration étrangère.

A défaut, veuillez joindre au moins une déclaration, dûment datée et signée, que n’a eu, au courant de l’année d’imposition 2013, des revenus, ni au Luxembourg, ni à l’étranger, en dehors de son traitement auprès des Institutions Européennes.

3) pour les fonctionnaires européens uniquement : un certificat concernant leur statut fiscal ainsi que la déclaration d’arrivée.

A défaut de production des pièces demandées, il ne pourra pas être procédé à une imposition collective et la classe d’impôt 2 ne pourra pas être octroyée. Partant, une imposition séparée en classe d’impôt 1 sera émise pour le conjoint résident.

La présente vaut information en vertu du § 205(3) de la loi générale des impôts (AO).

Veuillez formuler vos objections éventuelles avant le 30 janvier 2015. (…) ».

Par courrier du 19 janvier 2015, Monsieur …Y… soumit les documents sollicités au bureau d’imposition et notamment un document intitulé « Supplément à la demande en régularisation de la fiche d’impôt incomplète », lequel il qualifia suivant les termes de son courrier de « demande en imposition collective ».

En dates des 2 novembre 2015, 28 octobre 2016 et 20 novembre 2017, Monsieur …Y… déposa ses déclarations pour l’impôt sur le revenu des années 2014, 2015 et 2016 au bureau d’imposition.

Par courrier du 28 novembre 2017, le bureau d’imposition s’adressa de nouveau à Monsieur …Y… et à son épouse, Madame … …V-Y…, dans les termes suivants : « (…) Le 04/02/2016 vous avez présenté une demande en imposition collective en vertu de l’article 3 lettre d) LIR pour l’année d’imposition 2016 et la classe d’impôt 2 vous a été octroyée provisoirement. Au vœu de l’article 153, alinéa (1) numéro 4. LIR cette demande entraîne une imposition par voie d’assiette comme résident, portant sur le revenu mondial du ménage, exception faite de revenus exemptés ou exonérés par des traités et sous réserve des conventions contre les doubles impositions.

Je vous prie dès lors de remettre pour le 15 décembre 2017 au plus tard la déclaration vous demandée en joignant obligatoirement les pièces suivantes :

1) une demande conjointe en imposition collective, dûment signée par les deux conjoints.

2) un certificat établi par l’administration fiscale du pays du domicile fiscal du conjoint non résident attestant ses revenus ou, le cas échéant, l’absence de revenus. En effet, l’article 3d LIR exige formellement que l’… « époux non résident doit justifier ses revenus annuels par des documents probants ». D’après le commentaire des articles, documents parlementaires 4780, sont visés notamment des certificats de revenu établis par l’administration étrangère.

A défaut, veuillez joindre au moins une déclaration sur l’honneur, dûment datée et signée, que n’a eu, au courant de l’année d’imposition 2016, des revenus, ni au Luxembourg, ni à l’étranger, en dehors de son traitement auprès des Institutions Européennes.

Pour les fonctionnaires européens uniquement :

3) un certificat concernant leur statut fiscal ainsi que la déclaration d’arrivée.

4) en cas d’activité professionnelle au Luxembourg avant l’entrée en service auprès des Communautés Européennes : un certificat d’affiliation émis par le Centre Commun de la Sécurité Sociale ( www.ccss.lu ).

A défaut de production des pièces demandées, il ne pourra pas être procédé à une imposition collective et la classe d’impôt 2 ne pourra pas être octroyée. Partant, une imposition séparée en classe d’impôt 1 sera émise pour le conjoint résident.

La présente vaut information en vertu du § 205(3) de la loi générale des impôts (AO).

Veuillez formuler vos objections éventuelles avant le 15 décembre 2017. (…) ».

En date du 16 août 2018, le bureau d’imposition émit à l’égard de Monsieur …Y… le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2014 en y indiquant que l’imposition différerait de la déclaration sur les points suivants :

« Bénéfice d’une profession libérale – Eink. aus selbstständiger Arbeit […] Reprise q.p.p. voiture … […] Une imposition collective suivant art. 3d n’est pas possible à défaut d’une demande conjointe en imposition collective valable. CF nos lettres du 12 janvier 2015 et du 28 novembre 2017 ».

Le même jour, le bureau d’imposition émit également à l’égard de Monsieur …Y… le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2015 en y indiquant que l’imposition diffèrerait de la déclaration sur les points suivants :

« Bénéfice d’une profession libérale – Eink. aus selbstständiger Arbeit Différence frais de voiture … […] Une imposition collective suivant art. 3d n’est pas possible à défaut d’une demande conjointe en imposition collective valable. CF nos lettres du 12 janvier 2015 et du 28 novembre 2017 ».

Toujours le même jour, le bureau d’imposition émit à l’égard de Monsieur …Y… le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2016 en y indiquant que l’imposition diffèrerait de la déclaration sur les points suivants :

« Bénéfice d’une profession libérale – Eink. aus selbstständiger Arbeit Différence frais de voiture … […] Imposition suivant notre lettre du 28 novembre 2017 ».

Par courrier daté du 17 septembre 2018, Monsieur …Y… introduisit une réclamation à l’encontre des bulletins de l’impôt sur le revenu des années 2014, 2015 et 2016 auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « directeur », qui fut réceptionnée le 18 septembre 2018 et portée au rôle du contentieux sous le numéro …..

En date du 21 septembre 2018, Monsieur …Y… procéda au paiement des montants dus à l’administration des Contributions directes suivant les bulletins de l’impôt sur le revenu des années 2014, 2015 et 2016.

Suite au silence observé par le directeur jusque lors face à sa réclamation, Monsieur … …Y… fit introduire, par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 25 juin 2019, inscrite sous le numéro 43180 du rôle, un recours tendant, selon le dispositif de la requête introductive d’instance, principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des bulletins de l’impôt sur le revenu des années 2014, 2015 et 2016, émis le 16 août 2018, ainsi qu’à voir ordonner le remboursement du « trop-perçu d’impôts payé au titre des années 2014, 2015 et 2016 à augmenter des intérêts légaux à compter du jour du décaissement, soit le 21 septembre 2018, sinon à compter de la présente demande en justice, sinon à compter du jugement à intervenir, sinon à compter de toute autre date à déterminer par le Tribunal ».

Par un jugement du 2 décembre 2020, le tribunal administratif se dit incompétent pour connaître de la demande tendant à voir ordonner le remboursement du trop-perçu d’impôts payé au titre des années 2014, 2015 et 2016 et des intérêts y relatifs. Le tribunal reçut ensuite le recours principal en réformation en la forme à l’encontre des bulletins de l’impôt sur le revenu des années 2014, 2015 et 2016, au fond le déclara non fondé et en débouta le demandeur, dit qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation à l’encontre de ces mêmes bulletins et rejeta sa demande en allocation d’une indemnité de procédure, tout en le condamnant aux frais et dépens de l’instance.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 18 décembre 2020, Monsieur …Y… a régulièrement relevé appel de ce jugement.

A titre liminaire, l’appelant rappelle qu’il est marié depuis …. avec Madame … …V…-

…Y…, fonctionnaire européenne depuis le … et résidente fiscale du Danemark en application du Protocole sur les privilèges et immunités de l’Union européenne. Il explique que sa situation personnelle est restée inchangée et qu’ils ont, jusqu’à l’année d’imposition 2014, toujours été imposés collectivement, bénéficiant ainsi de la classe d’impôt 2.

Selon l’appelant, ce ne serait que dans le cadre de l’établissement du bulletin d’impôt de l’année 2013 que le bureau d’imposition a sollicité la remise d’une demande conjointe en imposition collective dûment signée par les deux époux ainsi qu’un certificat attestant du statut fiscal de son épouse. Il explique avoir remis un document intitulé « supplément à la demande de régularisation de la fiche d’impôt incomplète » pour l’année 2013, document dans lequel il a expressément demandé à bénéficier de l’article 3, d), de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, en abrégé « LIR ». Il fait valoir que suite à la remise de cette attestation, qu’ils ont conjointement signée, le bureau d’imposition a admis l’imposition collective des époux et leur a accordé la classe d’impôt 2. Il relate avoir été à nouveau contacté par le bureau d’imposition au sujet de l’année d’imposition 2016 sur le fondement du § 205, alinéa (3), de la loi générale des impôts du 21 mai 1931, dite « Abgabenordnung », en abrégé « AO », exigeant de sa part les mêmes éléments requis que pour l’année 2013 en vue de son imposition collective au sens de l’article 3, d), LIR. En réponse à la demande du bureau d’imposition, il explique avoir remis une attestation identique à celle remise en 2013, en date du 7 décembre 2017, confiant que cette attestation valait demande d’imposition collective, étant donné qu’il l’avait remise pour l’année fiscale 2013 et qu’elle avait été acceptée par ce même bureau d’imposition.

Il indique en outre avoir, au préalable, également joint aux déclarations fiscales 2014, 2015 et 2016 une demande d’imposition collective intitulée « supplément à la demande de régularisation de la fiche d’impôt incomplète » propre à chacune de ces années sur la base de la demande conjointe qu’il avait formulée pour l’année 2013. Selon lui, ces annexes aux déclarations fiscales, signées par les deux époux, constitueraient des demandes sans équivoque en vue d’être imposés collectivement. En outre, bien que l’intitulé de l’annexe fasse directement référence à une fiche d’impôt et à l’octroi provisoire de la classe d’impôt 2, il précise que cette annexe aurait été envoyée non seulement dans le cadre de l’attribution provisoire de la classe d’impôt 2, en cours d’année, mais également dans le cadre de la remise de ses déclarations fiscales en vue d’une imposition par voie d’assiette. Partant, l’ajout de ces annexes aux déclarations fiscales des années litigieuses démontrerait une volonté clairement exprimée de bénéficier des dispositions de l’article 3, d), LIR et les dates respectives auxquelles elles auraient été rédigées ne laisseraient aucun doute quant au fait qu’elles auraient été déposées de manière concomitante aux déclarations fiscales des années 2014, 2015 et 2016, de sorte que le bureau d’imposition aurait dû admettre l’application de l’article 3, d), LIR en faveur de l’appelant et de son épouse.

L’appelant souligne que le bureau d’imposition n’a exigé des renseignements complémentaires concernant sa demande d’imposition collective que pour l’année d’imposition 2016, alors même que les années fiscales 2014 et 2015 présentaient des situations fiscales semblables. D’après lui, le bureau d’imposition se serait basé sur les renseignements de l’année d’imposition 2016 pour imposer les déclarations des années 2014 et 2015.

L’appelant reproche au bureau d’imposition de faire preuve d’un formalisme exacerbé, alors que les annexes qu’il a soumises indiqueraient clairement que lui et son épouse demandaient à être imposés collectivement et qu’ils consentaient au fait que le contribuable non résident pouvait être redevable d’une créance en faveur du Trésor du fait de cette imposition collective.

Enfin, l’appelant affirme que la demande d’imposition collective résulterait d’autres indices contenus dans sa déclaration fiscale, dont notamment des informations relatives à son épouse, mais surtout de l’annexe y jointe et de la volonté y expressément manifestée en vue d’être, lui et son épouse, imposés collectivement. A titre subsidiaire, l’appelant fait valoir que le bureau d’imposition aurait violé le § 205 AO au regard de la divergence des éléments retenus à son encontre. A titre très subsidiaire, il estime que l’administration a violé le principe de confiance légitime du fait de son changement brusque et imprévisible d’attitude contrairement aux années d’imposition antérieures où elle admettait l’imposition collective de l’appelant alors même que seul lui signait ses déclarations fiscales et sans jamais cocher la case dédiée à la demande d’imposition collective figurant dans le formulaire déclaratif de la déclaration d’impôt sur le revenu.

La partie étatique considère que l’appelant ne saurait bénéficier d’une imposition collective au titre des années d’imposition litigieuses faute d’une demande conjointe exprimée clairement et sans équivoque par les deux époux en cochant la case y afférente dans la déclaration d’impôt signée par les deux époux. Ce serait partant à bon droit que le bureau d’imposition lui aurait refusé l’octroi de la classe d’impôt 2.

Le délégué du gouvernement affirme ensuite que le bureau d’imposition n’était pas tenu de consulter l’appelant préalablement à l’émission de ses bulletins d’impôt 2014 et 2015, en application du § 205, alinéa (3), AO, en ce que les divergences entre les déclarations fiscales pour 2014 et 2015 et les bulletins d’impôts y afférents résulteraient de l’interprétation de dispositions légales.

Enfin, quant aux annexes complémentaires soumises par l’appelant à l’appui de ses déclarations fiscales pour les années 2014, 2015 et 2016, la partie étatique soutient que ce formulaire serait uniquement destiné à l’octroi provisoire de la classe d’impôt 2 dans le cadre des retenues d’impôt sur salaires et pensions de l’époux contribuable résident sans toutefois constituer une demande conjointe au titre de l’imposition par voie d’assiette.

A titre liminaire, la Cour constate que contrairement à la première instance, elle n’a été saisie que du volet relatif à la demande d’imposition collective de l’appelant et de son épouse au sens de l’article 3, d), LIR.

Dans la mesure où les parties sont toujours en désaccord quant à l’existence formelle d’une demande conjointe en vue de bénéficier de l’imposition collective permise par l’article 3, d), LIR, la Cour analysera ce point, en premier lieu, avant d’en tirer, en second lieu, les conséquences qui en découlent.

Quant à l’existence d’une demande conjointe au sens de l’art. 3, d), LIR La Cour constate que l’appelant revêt la qualité de contribuable résident, tandis que son épouse est à qualifier de contribuable non résidente, en application de l’article 13 du Protocole sur les privilèges et immunités de l’Union européenne, étant donné qu’elle était résidente fiscale danoise avant son entrée en fonctions au service de l’Union.

Partant, l’appelant et son épouse relèvent, a priori, des dispositions de l’article 3, d), LIR en ce que l’un est contribuable résident et l’autre est contribuable non résident.

En effet, selon l’article 3 LIR : « Sont imposés collectivement (…) d) sur demande conjointe, les époux qui ne vivent pas en fait séparés, dont l’un est contribuable résident et l’autre une personne non résidente, à condition que l’époux résident réalise au Luxembourg au moins 90 pour cent des revenus professionnels du ménage pendant l’année d’imposition. L’époux non résident doit justifier ses revenus annuels par des documents probants ».

Il est vrai, tel que le reconnaît l’appelant, qu’il résulte des copies des déclarations fiscales qu’il a souscrites pour les années fiscales 2014, 2015 et 2016 que l’appelant et son épouse sont restés en défaut de cocher la case du formulaire de déclaration de l’impôt sur le revenu à partir de laquelle il est loisible aux contribuables d’opter pour une imposition collective au sens de l’article 3, d), LIR.

La Cour observe également que seul l’appelant a signé les déclarations fiscales des années susmentionnées.

Toutefois, la Cour note qu’une annexe complémentaire a été jointe à chacune des déclarations fiscales pour l’année 2014, 2015 et 2016 sous le titre de « supplément à la demande de régularisation de la fiche d’impôt incomplète ».

Chacune de ces annexes indique que « les époux soussignés …Y-V… demandent l’imposition collective suivant l’article 3, d), LIR ». L’appelant et son épouse y ont également coché une case du formulaire selon laquelle « les revenus du conjoint résidant au Luxembourg et y soumis à l’impôt représentent au moins 90 % du total des revenus professionnels du ménage, au Luxembourg et à l’étranger » pour chacune des années fiscales concernées.

L’appelant et son épouse ont également indiqué les revenus professionnels estimés des conjoints pour chacune des années concernées et ils ont tous les deux signé ce document qu’ils ont daté à une date identique à celle à laquelle ils ont complété leur déclaration fiscale pour les années 2014 et 2015 et à une date relativement proche à la date de la déclaration fiscale de 2016.

L’existence même de ces annexes n’est pas contestée par le délégué du gouvernement, ce dernier limitant sa critique aux termes repris par les attestations litigieuses en ce qu’elles seraient exclusivement destinées à la détermination de la classe d’impôt 2 au niveau des retenues d’impôts opérées sur « les salaires et pensions de l’époux résident ». Du fait du caractère provisoire de cette classe d’impôt, la partie étatique estime que cette annexe ne serait pas suffisante et qu’elle devrait être complétée par une demande conjointe supplémentaire lors de chaque remise de la déclaration d’impôt afin, notamment, que les époux puissent consentir aux conséquences découlant de l’imposition collective, dont la solidarité fiscale du § 7 de la loi d'adaptation fiscale du 16 octobre 1934, appelée « Steueranpassungsgesetz », ci-après « StAnpG ».

Or, indépendamment de l’objectif premier de ce formulaire, qui selon les indications y contenues devait être retourné au bureau RTS 3, il est constant en cause que l’appelant et son épouse ont satisfait à la condition de « demande conjointe » reprise au libellé de l’article 3, d), LIR par la soumission de cette attestation annexée à chacune des déclarations fiscales pour les années 2014 à 2016 inclus.

La Cour ne saurait partant suivre la partie étatique dans son affirmation que les attestations soumises par l’appelant ne seraient pas définitives en ce qu’elles visaient exclusivement l’octroi provisoire de la classe d’impôt 2 dans le cadre de l’application de la retenue opérée sur les salaires et pensions de l’appelant.

En premier lieu, il échet de relever, tel que l’a redressé le bureau d’imposition sur la qualification des revenus dont il bénéficie pour les années litigieuses, que l’appelant tire des bénéfices provenant de l’exercice d’une profession libérale au sens de l’article 91 LIR de son activité de conseiller économique.

Dans pareille circonstance, il ne saurait être concerné par l’octroi provisoire de la classe d’impôt 2 aux fins de calcul de la retenue d’impôt sur ses revenus salariés, ce dernier étant, en tant que membre d’une profession libérale, soumis à une imposition par voie d’assiette selon l’article 153 LIR.

L’appelant a d’ailleurs attiré l’attention du bureau d’imposition sur ce fait en annotant l’annexe jointe à la déclaration fiscale 2015 d’une mention manuscrite indiquant qu’il avait envoyé cette annexe avec « la déclaration fiscale commune » comme il ne disposait « pas de fiche de retenue d’impôts « salariés » ».

Au regard de la situation professionnelle du contribuable, il y a partant lieu de rejeter le caractère provisoire que la partie étatique entend donner à l’annexe valant demande d’imposition collective soumise par l’appelant à l’appui de chacune de ses déclarations fiscales litigieuses.

En effet, la seule situation professionnelle de l’appelant aurait dû alerter le bureau d’imposition quant à la véritable nature de cette annexe.

En second lieu, la Cour ne saurait admettre que la formulation d’une demande conjointe pour bénéficier de l’imposition collective issue de l’article 3, d), LIR se limite uniquement au fait de cocher la case du formulaire déclaratif réservée à cet effet, alors que le libellé de l’article précité ne limite aucunement le bénéfice de l’imposition collective au simple fait de cocher la case susmentionnée. En effet, ni l’article 3, d), LIR, ni par ailleurs une disposition réglementaire d’exécution, n’imposent que la seule forme admissible de la « demande conjointe » visée par cette disposition puisse consister dans le fait de cocher la case prévue dans le formulaire de déclaration annuelle de l’impôt sur le revenu et que toute autre forme serait exclue pour pareille demande.

Partant, il doit être admis qu’une demande conjointe peut être formulée sous la forme d’une annexe à la déclaration, telle celle déposée en l’espèce pour chacune des années litigieuses, du moment qu’elle permet de retenir de manière non équivoque que les époux ont conjointement demandé à être imposés collectivement en y apposant leur signature respective.

La question de la solidarité fiscale invoquée par le délégué du gouvernement comme cause de rejet de la demande d’imposition collective doit être écartée, étant donné que l’appelant et son épouse ont expressément reconnu, dans le formulaire qu’ils ont annexé à leur déclaration fiscale des années 2014 à 2016 inclus, que le contribuable non résident pouvait être reconnu, au profit du Trésor, redevable des créances fiscales résultant de leur imposition collective.

Partant, il ne saurait être admis que la solidarité fiscale au sens du § 7 StAnpG était méconnue de l’appelant et de son épouse.

En dernier lieu, et tel que l’a justement soulevé l’appelant, la remise d’un formulaire semblable pour l’imposition de la déclaration fiscale 2013 a été admise par le même bureau d’imposition comme lui permettant d’être imposé collectivement avec son épouse et de bénéficier de la classe d’impôt 2.

En effet, l’attitude de l’administration, qui a accepté que la remise de cette annexe valait demande conjointe à une imposition collective en 2013, a conforté l’appelant dans l’idée que la remise de cette attestation en annexe satisfaisait au prescrit de l’article 3, d), LIR pour les années d’imposition subséquentes.

Cette attitude est d’autant plus prégnante dans le chef de l’appelant, étant donné que la dernière année qui avait fait l’objet d’une imposition par le bureau d’imposition était, au moment de la remise des déclarations fiscales litigieuses, l’année fiscale 2013.

En outre, contrairement aux dires du délégué du gouvernement, il ne saurait être retenu que le bureau d’imposition a commis une erreur en acceptant cette annexe pour l’année d’imposition 2013.

En effet, tel que relevé ci-avant, le libellé de l’article 3, d), LIR ne conditionne nullement l’exigence d’une demande conjointe à un formalisme particulier, de sorte que l’existence d’une demande conjointe doit être appréciée au cas par cas par le bureau d’imposition.

Au regard des éléments précités, il apparaît clairement aux yeux de la Cour que l’appelant et son épouse ont, à travers la soumission de ces attestations, manifesté leur volonté conjointe de bénéficier de l’imposition collective permise par l’article 3, d), LIR.

C’est partant à tort que le bureau d’imposition d’abord, puis les premiers juges ensuite, ont rejeté l’existence d’une demande conjointe en vue d’une imposition collective au sens de l’article 3, d), LIR de la part de l’appelant et de son épouse pour les années 2014 à 2016 inclus.

Quant aux années fiscales 2014 et 2015 Quant aux conséquences de l’existence d’une demande conjointe pour les années 2014 et 2015, la Cour relève qu’il aurait appartenu au bureau d’imposition de mettre en œuvre le mécanisme de la consultation préalable issu du § 205, alinéa (3), AO en vue d’indiquer à l’appelant et à son épouse que le bureau d’imposition entendait s’écarter de manière significative des déclarations fiscales souscrites pour les années 2014 et 2015.

La Cour se doit en effet de rappeler que le § 205, alinéa (3), AO, en ce qu’il dispose que : « Wenn von der Steuererklärung abgewichen werden soll, sind dem Steuerpflichtigen die Punkte, in denen eine wesentliche Abweichung zu seinen Ungunsten in Frage kommt, zur vorherigen Äusserung mitzuteilen », n’est autre qu’une consécration et une application particulière au niveau de la procédure d’imposition du principe général du contradictoire et du droit de participation de l’administré à l’élaboration des décisions administratives, encore généralement consacré en droit fiscal par le § 204, alinéa (1), AO (« Anspruch auf Gehör »).

Ledit paragraphe met à charge du bureau d’imposition, préalablement à l’émission d’un bulletin d’impôt, une obligation de communication des éléments au sujet desquels il décide de ne pas s’en tenir à la déclaration du contribuable, pour autant que ces éléments représentent une « wesentliche Abweichung » en défaveur du contribuable par rapport à sa déclaration. Par contre, lorsque la divergence de vues mise en avant par le contribuable s’analyse en substance purement en une question d’application de la loi qui relève de la compétence du bureau d’imposition, le contribuable n'a pas droit à être entendu préalablement à l'établissement du bulletin d'imposition.

Or, il résulte clairement du dossier de l’appelant, confirmé par les dires du délégué du gouvernement, que le bureau d’imposition a manqué à son devoir de consulter l’appelant et son épouse préalablement à l’émission des bulletins d’impôt pour les deux années susmentionnées.

L’argument du délégué du gouvernement selon lequel le bureau d’imposition n’était point tenu de respecter la garantie procédurale résultant du § 205, alinéa (3), AO dans le cas d’espèce tombe à faux.

En effet, l’appréciation de l’existence d’une demande conjointe ne peut pas être raisonnablement qualifiée de divergence résultant de « l’interprétation des dispositions légales », alors que la vérification du respect formel de l’existence d’une demande conjointe s’analyse en un simple élément factuel étranger à tout divergence fondée sur un point de droit qui s’analyserait, a contrario, en une compétence exclusive du bureau d’imposition (cf. Cour adm., 6 décembre 2016, n° 38059C, Pas. adm. 2020, V° Impôts, n° 823).

Par conséquent, en méconnaissant les dispositions du § 205, alinéa (3), AO pour les années 2014 et 2015, le bureau d’imposition a violé une formalité substantielle destinée à protéger les intérêts de l’appelant et de son épouse (cf. Cour adm., 14 juillet 2015, n° 35428C, Pas. adm. 2020, V° Impôts, n° 804).

Partant, le non-respect du § 205, alinéa (3), AO, doit entraîner l’annulation des bulletins d’impôt pour les années 2014 et 2015 (cf. Cour adm., 10 décembre 2002, n° 15261C du rôle, Pas. adm. 2020, V° Impôts, n° 822).

Quant à l’année fiscale 2016 En ce qui concerne le bulletin d’impôt de l’année 2016, tel que retenu ci-avant, l’annexe soumise à l’appui de sa déclaration fiscale par l’appelant satisfait à la condition de demande conjointe au sens de l’article 3, d), LIR.

En effet, elle a été introduite par des conjoints visés par le champ d’application de l’article 3, d), LIR, qui ne vivent pas en fait séparés et dont le conjoint contribuable résident a réalisé au moins 90 % des revenus professionnels du ménage pendant l’année d’imposition.

La Cour note en effet que la partie étatique n’a nullement contesté que l’appelant remplissait le seuil précité, de sorte qu’il y a lieu d’en admettre la satisfaction par l’appelant au regard des éléments qu’il a reportés dans sa déclaration fiscale pour l’année 2016.

En ce sens, il importe peu que le bureau d’imposition affirme ne pas avoir reçu de réponse à sa demande de renseignements envoyée en date du 28 novembre 2017 au sujet de l’année d’imposition 2016, étant donné que la demande conjointe pour être admise au bénéfice de l’imposition collective au sens de l’article 3, d), LIR avait déjà été formulée par l’appelant et son épouse à travers l’annexe jointe à leur déclaration fiscale pour l’année 2016 souscrite le 20 novembre 2017.

Partant, c’est à tort que les premiers juges ont nié l’existence d’une demande conjointe au sens de l’article 3, d), LIR soumise par l’appelant et son épouse au titre de l’année d’imposition 2016.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’appel sous examen est intégralement fondé et que, par réformation du jugement entrepris, les bulletins d’impôt des années 2014 et 2015 encourent l’annulation et le bulletin d’impôt pour l’année 2016 doit être réformé dans le sens d’admettre l’appelant et son épouse au bénéfice de l’imposition collective résultant de l’article 3, d), LIR.

L’appelant réclame enfin l’allocation d’une indemnité de procédure de … euros sur base de l'article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Compte tenu de l’ensemble des éléments du dossier, il y a lieu d’octroyer à l’appelant une indemnité de procédure évaluée ex aequo et bono au montant de … euros.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel du 18 décembre 2020 en la forme, au fond, déclare l’appel fondé, partant, par réformation du jugement entrepris du 2 décembre 2020 (n° 43180 du rôle), annule les bulletins de l’impôt sur le revenu des années 2014 et 2015, émis le 16 août 2018, et réforme le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2016, émis le 16 août 2018, en vue d’admettre l’appelant et son épouse au bénéfice de l’imposition collective au sens de l’article 3, d), LIR, renvoie l’affaire devant le directeur de l’administration des Contributions directes en vue de sa transmission au bureau d'imposition compétent, condamne l’Etat à payer à l’appelant une indemnité de procédure de … euros, condamne l’Etat aux dépens des deux instances.

Ainsi délibéré et jugé par:

Serge SCHROEDER, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu à l’audience publique du 4 août 2021 au local ordinaire des audiences de la Cour par le premier conseiller, en présence du greffier assumé de la Cour ….

s. … s. SCHROEDER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4 août 2021 Le greffier de la Cour administrative 11


Synthèse
Numéro d'arrêt : 45396C
Date de la décision : 04/08/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 11/08/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2021-08-04;45396c ?

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