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04/08/2021 | LUXEMBOURG | N°45905C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 04 août 2021, 45905C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 45905C Inscrit le 16 avril 2021

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Audience publique du 4 août 2021 Appel formé par Mme …W… et consorts, …, contre un jugement du tribunal administratif du 10 mars 2021 (nos 43349 et 43601 du rôle) dans un litige les opposant à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de retrait de la protection internationale

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Vu l’acte d’appel...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 45905C Inscrit le 16 avril 2021

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Audience publique du 4 août 2021 Appel formé par Mme …W… et consorts, …, contre un jugement du tribunal administratif du 10 mars 2021 (nos 43349 et 43601 du rôle) dans un litige les opposant à une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de retrait de la protection internationale

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Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 45905C du rôle, déposé au greffe de la Cour administrative le 16 avril 2021 par Maître Ibtihal EL BOUYOUSFI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …W…, née le … à … (Irak), agissant tant en son nom personnel qu’au nom et pour le compte de ses enfants mineurs 2…O…, né le …4 à …, 3…O…, né le … à …, 4…O…, née le … à …, et 5…O…, née le …à Luxembourg, et de son enfant majeur 1…O…, née le … à …, tous de nationalité irakienne, demeurant ensemble à L-… …, …, …, dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 10 mars 2021 (nos 43349 et 43601 du rôle), par lequel ledit tribunal se déclara incompétent pour connaître du recours en réformation introduit par Madame …W… et consorts contre la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 28 juin 2019 leur retirant le statut de réfugié et leur ordonnant de quitter le territoire, reçut en la forme le recours en annulation introduit par Monsieur …O… contre la même décision et, quant, au fond le déclara non justifié, tout en condamnant Monsieur …O… et Madame …W… et consorts aux frais et dépens ;

Vu le mémoire en réponse de Monsieur le délégué du gouvernement Yannick MULLER déposé au greffe de la Cour administrative le 17 mai 2021 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Marc-Olivier ZARNOWSKI, en remplacement de Maître Ibtihal EL BOUYOUSFI, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 juin 2021 ;

Vu l’avis de la Cour du 3 juin 2021 accordant aux parties un délai supplémentaire pour le dépôt d’un mémoire complémentaire quant à la question de la caducité de l’appel ;

Vu le mémoire complémentaire de Maître Ibtihal EL BOUYOUSFI déposé au greffe de la Cour administrative le 25 juin 2021 ;

Vu le mémoire complémentaire de Monsieur le délégué du gouvernement Yannick MULLER déposé au greffe de la Cour administrative le 25 juin 2021 ;

Le rapporteur entendu en son rapport complémentaire, ainsi que Maître Marc-Olivier ZARNOWSKI, en remplacement de Maître Ibtihal EL BOUYOUSFI, et Madame le délégué du gouvernement Cindy COUTINHO en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 29 juin 2021.

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Le 18 novembre 2015, Monsieur …O… et son épouse à l’époque, Madame …W…, accompagnés de leurs enfants mineurs 1, 2, 3 et 4…O…, introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, entre-temps abrogée par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».

Par décision datée du 9 décembre 2016, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par le « ministre », accorda le statut de réfugié à Monsieur …O…, Madame …W…, leurs enfants mineurs précités, ainsi qu’à l’enfant 5…O…, née le … au Luxembourg, et leur octroya une autorisation de séjour jusqu’au 8 décembre 2021.

Le 12 février 2019, le service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, transmit un rapport au ministère suite à une enquête diligentée contre Monsieur …O… en raison de ses voyages vers l’Irak.

Le 4 avril 2019, Monsieur …O… fut entendu au ministère sur les raisons pour lesquelles il s’est rendu dans son pays d’origine.

Par courrier du 5 juin 2019, le ministre informa Monsieur…O… et Madame …W… de son intention de leur retirer le statut de réfugié et les invita à présenter leurs observations dans un délai de huit jours.

Par courrier du 24 juin 2019, leur litismandataire commun de l’époque fit parvenir les observations de Monsieur …O… et de Madame …W… au ministre.

Par décision du 28 juin 2019, notifiée en mains propres à Madame …W… en date du même jour et, suite au refus de cette dernière de signer le récépissé, notifiée aux intéressés par lettre recommandée expédiée le 2 juillet 2019, le ministre retira le statut de réfugié à Monsieur …O…, Madame …W…, ainsi qu’à leurs enfants dans les termes suivants :

« (…) En date du 9 décembre 2016, le statut de réfugié vous a été accordé au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée la « Loi de 2015 »).

Par courrier du 5 juin 2019, notifié en date du 7 juin 2019, vous avez été informés de l’intention ministérielle de vous retirer le statut de réfugié conformément aux articles 47 et 44 de la Loi de 2015.

Par courrier du 19 juin 2019, vous avez fait part de vos observations par le biais de votre mandataire.

Madame, Monsieur, je vous informe par la présente que le statut de réfugié vous est retiré avec effet immédiat conformément à l’article 47 (1) de la Loi de 2015 qui dispose que « Le ministre révoque le statut de réfugié octroyé à un ressortissant de pays tiers ou à un apatride, lorsque le réfugié a cessé de bénéficier de ce statut en vertu de l’article 44 ».

L’article 44 (1) de la Loi de 2015 précise notamment que : « Tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride cesse d’être un réfugié dans les cas suivants :

a) s’il s’est volontairement réclamé à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité; ou (…) d) s’il est retourné volontairement s’établir dans le pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré de crainte d’être persécuté; ou e) s’il ne peut plus continuer à refuser de se réclamer de la protection du pays dont il a la nationalité, les circonstances à la suite desquelles il a été reconnu comme réfugié ayant cessé d’exister ; (…) ».

Tel qu’il ressort de l’analyse de votre dossier, il s’avère que les points a), d) et e) de l’article 44 (1) se trouvent être d’application pour les raisons étayées ci-après.

Monsieur, en mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 12 février 2019 qui nous a été transmis suite à une enquête qui a été diligentée à votre encontre. Après réception dudit rapport, vous avez été convoqué à vous présenter à la Direction de l’Immigration du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 4 avril 2019 afin que vous vous expliquiez sur les raisons de vos voyages répétés en Irak.

Il résulte tout d’abord du rapport du Service de Police Judiciaire du 12 février 2019 que vous êtes retourné à plusieurs reprises et pour de longues périodes en Irak. Il ressort encore dudit rapport ainsi que de vos déclarations que vous avez toujours été en possession d’un passeport irakien et que vous avez même sollicité et obtenu un nouveau passeport irakien dans votre pays d’origine, valable jusqu’au 16 juillet 2025.

En effet, lors de votre entrevue du 4 avril 2019 au Ministère des Affaires étrangères et européennes, vous avez concédé avoir réclamé un nouveau passeport auprès des autorités irakiennes et n’avoir rencontré aucun problème pour l’obtenir.

Il est dès lors incontestable que vous vous êtes volontairement à nouveau réclamé de la protection du pays dont vous avez la nationalité. Par conséquent, les conditions du point a) de l’article 44 (1) de la Loi de 2015 sont remplies.

Monsieur, il résulte encore du rapport du Service de Police Judiciaire du 12 février 2019 que tous voyages confondus, vous avez séjourné 5 mois dans votre pays d’origine lors de la seule année 2018.

Le rapport du Service de Police Judiciaire souligne également que vous n’auriez pas pu financer tous ces voyages en Irak si vous ne disposiez pas d’autres revenus en Irak ou si vous ne vous étiez pas établi à nouveau dans votre pays d’origine.

Ce constat est soutenu par le fait que vous avez publié une photo sur votre profil Facebook sur laquelle vous vous êtes présenté comme directeur général du … « … » sous le nom d’« … ».

De plus, il semble que vous êtes à nouveau retourné en Irak après votre entrevue du 4 avril 2019 au sein du Ministère des Affaires étrangères et européennes lors de laquelle les agents ministériels vous ont alerté sur votre comportement intolérable tout en insistant sur l’interdiction de retourner dans votre pays d’origine alors que vous bénéficiez du statut de réfugié au Luxembourg.

Il est dès lors indéniable que vous êtes retourné volontairement vous établir dans le pays que vous avez quitté ou hors duquel vous êtes demeuré de crainte d’être persécuté. Par conséquent, les conditions du point d) de l’article 44 (1) de la Loi de 2015 sont remplies.

Dans tous les cas, une personne réellement persécutée ne retournerait pas régulièrement dans son pays d’origine, n’y demeurerait pas pendant de longues périodes et ne se rendrait pas auprès des autorités nationales afin de se procurer un nouveau passeport.

Monsieur, vous avez en outre affirmé de manière claire et non équivoque lors de votre entrevue du 4 avril 2019 au Ministère des Affaires étrangères et européennes que vous n’êtes plus recherché en Irak depuis que vous bénéficiez du statut de réfugié au Luxembourg. Le fait que vous ayez vous-même déclaré lors de cette entrevue avoir effectué votre premier voyage deux mois après l’octroi de votre statut de réfugié et que vous ayez rendu publiques vos séjours en Irak sur les réseaux sociaux, renforce ce constat.

Eu égard à ce qui précède, il s’avère que votre comportement est incompatible avec une réelle crainte de persécution.

De plus, je remarque que vous n’avez rencontré aucun problème au cours de vos nombreux voyages en Irak et que vous n’avez eu aucune difficulté pour passer les contrôles à l’aéroport international de … respectivement dans les aéroports de transit. Il convient encore de rajouter que la situation sécuritaire en Irak s’est considérablement améliorée depuis votre départ en 2015, constat régulièrement confirmé par les juridictions administratives.

Madame, il ressort clairement de votre entretien avec l’agent ministériel du 27 septembre 2016 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale que vous avez quitté l’Irak pour les mêmes motifs que votre mari.

Madame, Monsieur, il s’ensuit que vous ne pouvez plus continuer à refuser de vous réclamer de la protection du pays dont vous avez la nationalité, les circonstances à la suite desquelles vous avez été reconnus comme réfugiés ayant cessé d’exister. Par conséquent, les conditions du point e) de l’article 44 (1) de la Loi de 2015 sont remplies.

En effet, au vu de tout ce qui précède, il s’avère clairement que le changement de circonstances est suffisamment significatif et non provisoire pour que votre crainte d’être persécutés en Irak ne puisse plus être considérée comme fondée.

Par voie de conséquence, le statut de réfugié vous est retiré conformément aux points a), d) et e) de l’article 44 (1) de la Loi de 2015.

Madame, Monsieur, j’attire votre attention sur le fait que les titres de séjour « protection internationale — statut de réfugié » qui vous avaient été accordés à vous ainsi qu’à vos enfants en tant que bénéficiaires du statut de réfugié ont perdu leur validité et que vous n’êtes plus en droit d’en bénéficier.

Etant donné que vous, Monsieur …O… et Madame …W…, ainsi que vos enfants 1…O…, 2…O…, 3…O…, 4…O… et 5…O…, ne disposez plus de titre de séjour en cours de validité, vos séjours sont considérés comme irréguliers conformément à l’article 100, paragraphe (1), point c) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration.

Par conséquent et en application de l’article 111, paragraphes (1) et (2) de la loi du 29 août 2008 précitée, vous êtes obligés de quitter le territoire endéans un délai de trente jours après la notification de la présente, soit à destination du pays dont vous avez la nationalité, l’Irak, soit à destination du pays qui vous a délivré un document de voyage en cours de validité, soit à destination d’un autre pays dans lequel vous êtes autorisés à séjourner. (…) ».

Par requête déposée auprès du tribunal d’arrondissement de Diekirch en date du 22 juillet 2019, Madame …W… demanda le divorce pour rupture irrémédiable des relations conjugales, divorce qui fut prononcé par jugement du ….

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 29 juillet 2019, Madame …W… fit déposer un recours pour son compte et celui de ses enfants mineurs, ci-après désignés ensemble par « Madame …W… et consorts », tendant à la réformation de la décision du ministre du 28 juin 2019 portant retrait du statut de réfugié et, d’autre part, à la réformation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 30 septembre 2019, Monsieur …O… fit, quant à lui, déposer un recours tendant à l’annulation de la même décision du ministre du 28 juin 2019 portant retrait du statut de réfugié et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.

Le tribunal administratif prononça la jonction des deux affaires dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice en se basant sur l’identité des parties et l’objet semblable de leur recours. Il estima à cet égard sans incidence le fait que Madame …W… et Monsieur …O… étaient divorcés.

Par jugement rendu par le tribunal administratif le 10 mars 2021 (nos 43349 et 43601 du rôle), le tribunal se déclara incompétent pour connaître du recours en réformation introduit par Madame …W… et consorts contre la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 28 juin 2019 leur retirant le statut de réfugié et leur ordonnant de quitter le territoire.

Par le même jugement, le tribunal reçut en la forme le recours en annulation introduit par Monsieur …O… contre la décision ministérielle précitée, le déclara non justifié quant au fond et en débouta Monsieur …O…, tout en le condamnant avec Madame …W… et consorts aux frais et dépens.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 16 avril 2021, Madame …W… et consorts ont régulièrement fait appel du jugement précité.

Quant à la forme Quant à la caducité de la requête d’appel Lors des plaidoiries à l’audience publique du 3 juin 2021, la Cour a soulevé d’office la question de la caducité de l’appel de Madame …W… et consorts au regard du fait qu’il n’avait pas été signifié à Monsieur …O…, ex-conjoint de Madame …W…, en sa qualité de partie ayant figuré en première instance.

Dans son avis daté du même jour, la Cour a retenu qu’une instruction supplémentaire du dossier était nécessaire invitant les parties à prendre position sur la question de la caducité à travers le dépôt d’un mémoire complémentaire.

Par suite, l’affaire a été refixée pour continuation des débats à l’audience publique du mardi 29 juin 2021.

Sur la question de la caducité de l’appel, la partie étatique demande à titre principal à la Cour de déclarer l’appel caduc en se fondant sur l’article 39 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après la « loi du 21 juin 1999 », et en se référant à deux arrêts de la Cour, notamment un arrêt du 5 avril 2011 (n° 27580C de rôle) et un autre du 25 février 2021 (n° 45177C), dans lesquels l’obligation de signifier la requête d’appel a été reconnue comme une règle d’organisation de la justice administrative dont le non-respect est sanctionné par la caducité de l’appel. A titre subsidiaire, le délégué du gouvernement s’en rapporte à la sagesse de la Cour.

De leur côté, Madame …W… et consorts font valoir que l’absence de signification de la requête d’appel revêtirait en l’espèce les caractéristiques de la force majeure, de sorte à les exonérer de leur obligation de signification. Cette absence de signification relèverait d’une cause exonératoire qui devrait échapper à la sanction de l’article 39 de la loi du 21 juin 1999 au regard de la situation exceptionnelle des appelants. Ils attirent l’attention de la Cour sur l’impossibilité de signification en Irak, pays où se trouverait Monsieur …O…. Les appelants soulignent que l’irrésistibilité se traduirait en l’espèce par l’impossibilité d’anticiper le départ précipité et volontaire de Monsieur …O… vers l’Irak à une adresse inconnue des appelants. En outre, la signification à personne serait compromise dans un pays en guerre et sous la domination de l’Etat islamique et cela d’autant plus que l’adresse de Monsieur …O… leur serait inconnue. Finalement, ce dernier ne serait pas resté en de bons termes avec eux, étant donné le divorce introduit par Madame …W… et le fait que les appelants accusent Monsieur …O… de violences physiques, psychologiques et sexuelles à leur encontre. Enfin, les appelants font valoir que l’extériorité s’analyserait dans le fait que la situation en Irak échapperait à leur contrôle.

Conformément à l’article 39 de la loi du 21 juin 1999 :

« (1) L’appel est interjeté par une requête déposée au greffe de la Cour administrative, dénommée ci-après « Cour », en original et quatre copies et signifiée aux parties ayant figuré en première instance ou y ayant été dûment appelées.

(2) Faute par le requérant de signifier son recours dans le mois du dépôt du recours, celui-ci est caduc ».

De manière générale, l’obligation pour la partie appelante, prévue par l’article 39, alinéas (1) et (2), de la loi du 21 juin 1999, de signifier sa requête d’appel dans le mois du dépôt aux parties ayant figuré en première instance ou y ayant été dûment appelées constitue une règle d'organisation de la justice administrative qui, au même titre que le délai d'appel, n'est pas susceptible d'extension et dont le non-respect entraîne la sanction expressément prévue par l’article 39, alinéa (2), de la loi du 21 juin 1999, à savoir la caducité de l’appel.

Il ne s’agit pas d’une irrecevabilité telle que visée par l’article 29 de la loi du 21 juin 1999, aux termes duquel l’irrecevabilité n’est prononcée que si l’inobservation dont s’agit a pour effet de porter effectivement atteinte aux droits de la défense (cf. Cour adm.

6 avril 2017, n° 38956C, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 1000).

Ces règles de procédure trouvent à s’appliquer de manière identique dans le cadre d’une jonction de deux ou plusieurs affaires.

A première vue, dans la mesure où le jugement entrepris a désigné, suite à la jonction des deux recours soumis à son examen, tant Monsieur …O… que Madame …W… et consorts comme parties au litige, il pourrait être conclu que l’obligation de la signification de sa requête d’appel à Monsieur …O… s’appliquerait également dans le chef de Madame …W….

Cependant, la jonction, prise pour des raisons de bonne administration de la justice, n’est point une mesure préalable, mais une décision posée ex post par la juridiction en connaissance de cause, une fois tous les délais d’instruction révolus (cf. Cour adm., 26 novembre 2009, n° 25790C et 25847C du rôle, Pas. adm. 2020, Procédure contentieuse, n° 912).

A ce titre, la jonction n’étant qu’une mesure d’administration judiciaire, chaque recours, pris individuellement, reste soumis aux règles de procédure qui lui sont propres. En effet, la jonction n’a aucunement pour effet de créer une procédure unique (L. CADIET, Connexité, § 2 Connexité et jonction d’instances, pts 35 à 38, Répertoire de procédure civile, Dalloz, décembre 2016, actualisation, décembre 2019).

S’il est dès lors vrai que Monsieur …O… avait la qualité de partie en première instance par rapport au jugement entrepris, il n’en reste pas moins que le recours introduit par Madame …W… et consorts devant les premiers juges constitue un recours séparé du recours introduit par Monsieur …O… et que la jonction des deux recours prononcée par le tribunal n’a pas eu pour effet de conférer à Monsieur …O… la qualité de partie dans le cadre du recours de Madame …W… et consorts. Par voie de conséquence, il n’appartenait pas aux appelants de lui signifier la requête d’appel litigieuse introduite à l’encontre du jugement entrepris du tribunal.

Partant, la signification de la requête d’appel à Monsieur …O… n’étant pas requise dans la présente espèce, le défaut de son accomplissement ne peut avoir pour effet de frapper l’appel de caducité, étant donné que les appelants ne se sont point rendus coupables de l’inexécution d’une formalité qui leur incombait d’après la loi.

L’appel sous examen ayant pour le surplus été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant à l’introduction d’un recours en réformation Les appelants estiment que ce serait à tort que le tribunal s’est déclaré incompétent pour connaître de leur recours en réformation. Selon eux, saisi d’un recours en réformation, les premiers juges auraient pu contrôler le bien-fondé et l’opportunité de la décision ministérielle et en prononcer l’annulation sans avoir à exercer leur pouvoir de substitution dans le cadre d’un recours en réformation. En effet, indépendamment du recours introduit, les appelants considèrent que l’appréciation de la légalité de la décision litigieuse aurait été la même et que partant, le tribunal aurait dû accueillir leur recours en réformation et cela d’autant plus dans un souci de bonne administration de la justice et au regard de la situation particulière des appelants.

A titre subsidiaire, les appelants font état du manque de clarté des articles 33 et 35 de la loi du 18 décembre 2015 quant au recours possible à l’encontre d’une décision portant retrait d’une protection internationale et qu’au regard de cette imprécision législative, il appartenait aux premiers juges de combler cette lacune en admettant, dans le doute, l’introduction d’un recours en réformation.

La partie étatique se rallie, quant à elle, au tribunal en ce qu’il s’est déclaré incompétent pour connaître du recours en réformation introduit par les appelants à l’encontre de la décision ministérielle litigieuse du 28 juin 2019. Selon elle, dans la mesure où la loi ne prévoit aucun recours spécifique contre une décision portant retrait de la protection internationale, le tribunal aurait dû être saisi d’un recours en annulation conformément à l’article 2, paragraphe (1), de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après « la loi du 7 novembre 1996 ». Enfin, elle souligne que la voie de recours indiquée dans la décision ministérielle litigieuse indiquait clairement et « en gras » que la décision pouvait faire l’objet d’un recours en annulation, de sorte que les appelants n’auraient pas pu se méprendre sur le type de recours possible.

Dans la mesure où le désaccord des parties persiste quant au type de recours reconnu par la loi à l’encontre d’une décision portant retrait d’une protection internationale, il appartient à la Cour de toiser cette difficulté en premier lieu.

Le retrait d’une protection internationale est défini par l’article 33 de la loi du 18 décembre 2015, libellé comme suit :

« (1) On entend par retrait de la protection internationale, la décision par laquelle le ministre révoque le statut de réfugié ou le statut conféré par la protection subsidiaire d’une personne, refuse de le renouveler, ou y met fin conformément aux articles 47 et 52.

(2) Un examen en vue de retirer la protection internationale à une personne donnée peut être engagé par le ministre dès lors qu’apparaissent des éléments ou des faits nouveaux indiquant qu’il y a lieu de réexaminer la validité de sa protection internationale.

(…) (6) En cas de décision de retrait de la protection internationale, les articles 17 et 24 sont applicables. ».

En ce qui concerne les voies de recours contre les décisions ministérielles prises dans le cadre de la loi du 18 décembre 2015, diverses hypothèses de recours sont prévues par l’article 35 de la loi précitée selon la nature de la décision ministérielle contestée.

Il appartient ainsi à la Cour de clarifier si le recours à l’encontre d’une décision portant retrait d’une demande de protection internationale est spécialement prévu par la loi du 18 décembre 2015 ou si, en l’absence de toute précision à ce sujet, le recours ouvert relève du droit commun issu de la loi du 7 novembre 1996.

En premier lieu, il échet de se référer à l’article 35 de la loi du 18 décembre 2015 qui prévoit certains types de recours en fonction de l’objet de la décision ministérielle comme suit :

« (1) Contre les décisions de refus ou de retrait de la demande de protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif. Les deux recours doivent faire l’objet d’une seule requête introductive, sous peine d’irrecevabilité du recours séparé. Le recours doit être introduit dans le délai d’un mois à partir de la notification. Par dérogation à la législation en matière de procédure devant les juridictions administratives, il ne peut y avoir plus d’un mémoire de la part de chaque partie, y compris la requête introductive. Le mémoire en réponse doit être fourni dans un délai de deux mois à dater de la signification de la requête introductive.

Contre la décision du tribunal administratif, appel peut être interjeté devant la Cour administrative.

L’appel doit être interjeté dans le délai d’un mois à partir de la notification par les soins du greffe. Par dérogation à la législation en matière de procédure devant les juridictions administratives, il ne pourra y avoir plus d’un mémoire de la part de chaque partie, y compris la requête d’appel.

(2) Contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et de la décision de refus de la demande de protection internationale prise dans ce cadre, de même que contre l’ordre de quitter le territoire, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif.

Le recours contre ces trois décisions doit faire l’objet d’une seule requête introductive, sous peine d’irrecevabilité du recours séparé. Il doit être introduit dans un délai de quinze jours à partir de la notification. Le président de chambre ou le juge qui le remplace statue dans le mois de l’introduction de la requête. Ce délai est suspendu entre le 16 juillet et le 15 septembre, sans préjudice de la faculté du juge de statuer dans un délai plus rapproché. Il ne peut y avoir plus d’un mémoire de la part de chaque partie, y compris la requête introductive. La décision du président de chambre ou du juge qui le remplace n’est pas susceptible d’appel.

Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale.

Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer.

Contre les décisions du tribunal administratif, appel peut être interjeté devant la Cour administrative dans le délai et les formes prévus au paragraphe (1), alinéa 2.

(3) Contre la décision d’irrecevabilité prise en vertu de l’article 28, paragraphe (2) et contre la décision de transfert visée à l’article 28, paragraphe (1), un recours en annulation est ouvert devant le tribunal administratif. Le recours doit être introduit dans un délai de quinze jours à partir de la notification. Le tribunal administratif statue dans les deux mois de l’introduction de la requête. Ce délai est d’office ramené à un mois lorsque le demandeur fait l’objet d’une mesure de placement conformément à l’article 22 qui précède. Par dérogation à la législation en matière de procédure devant les juridictions administratives, il ne peut y avoir plus d’un mémoire de la part de chaque partie, y compris la requête introductive. Les décisions du tribunal administratif ne sont pas susceptibles d’appel. ».

Tel qu’il résulte des dispositions précitées, l’article 35 de la loi du 18 décembre 2015 instaure trois hypothèses de recours distinctes.

Premièrement, au sens du paragraphe (1) de l’article 35 précité, un recours en réformation est prévu contre les décisions de refus ou de retrait de la demande de protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire.

Deuxièmement, au sens du paragraphe (2) de l’article 35 précité, un recours en réformation est ouvert à l’encontre de la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et de la décision de refus de la demande de protection internationale prise dans ce cadre, de même que contre l’ordre de quitter le territoire.

Troisièmement, au sens du paragraphe (3) de l’article 35 précité, un recours en annulation est prévu contre la décision d’irrecevabilité prise en vertu de l’article 28, paragraphe (2), et contre la décision de transfert visée à l’article 28, paragraphe (1).

Au regard du présent litige, les paragraphes (2) et (3) doivent être écartés en ce qu’ils portent sur des décisions étrangères à la décision déférée au contrôle de la Cour.

Partant, il convient d’analyser si le paragraphe (1) reconnaît dans le chef des appelants l’ouverture d’un recours en réformation.

En premier lieu, il convient d’analyser l’expression de « décision de retrait de la demande de protection internationale » reprise par la première phrase du paragraphe (1) précité en vue d’en extraire le sens que le législateur a entendu lui donner.

Prima facie, il semblerait qu’une décision de retrait d’une demande de protection internationale ne peut être prise que par le demandeur d’asile lui-même, de sorte qu’il serait dénué de tout sens logique de lui permettre un recours juridictionnel pour s’opposer à sa propre décision.

En effet, la notion de retrait suppose que la personne à l’origine de la démarche administrative prise revient sur l’action qu’elle avait initialement engagée.

Partant, cette décision de retrait explicite prise par le demandeur doit être écartée comme relevant du champ de l’article 35, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015.

Or, la Cour relève que pareille conclusion s’impose en ce qui concerne le cas où le demandeur a retiré de manière implicite sa demande de protection internationale au sens de l’article 23, paragraphe (2), alinéa 2, de la loi du 18 décembre 2015.

En effet, même si une décision de rejet implicite, au sens de l’article 23, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015, peut donner lieu à une décision de clôture de la part du ministre, du fait du caractère incomplet de la demande présentée ou de la non-présentation du demandeur à un entretien personnel ou de son départ non autorisé du lieu de son assignation à résidence ou de rétention, il n’en reste pas moins que cette décision ministérielle de clôture revêt un caractère non définitif, au sens des articles 23, paragraphe (3) et 32, de la loi du 18 décembre 2015.

En effet, en l’absence d’informations jugées essentielles ou de la présence du demandeur de protection internationale, le ministre est empêché de se prononcer sur le fond de la demande de protection internationale et le demandeur est présumé y avoir renoncé s’il ne présente pas ultérieurement des motifs légitimes permettant la réouverture de son dossier, voire la poursuite de l’examen de sa demande ultérieure au sens de l’article 32 de la loi du 18 décembre 2015.

Cette décision de clôture a partant un caractère préliminaire faute pour le ministre de s’être exprimé sur le fond de la demande de protection internationale, de sorte à ne point constituer un acte décisionnel à l’encontre duquel le demandeur est admis à recourir.

Par suite, cette décision de retrait implicite ne saurait valablement relever du champ de l’article 35, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015.

Dès lors, dans l’absence de tout autre sens qui pourrait être attribué à la première phrase du paragraphe (1) précité de l’article 35 de la loi du 18 décembre 2015, il convient d’admettre que l’insertion du terme « demande » au sein de la phrase « décision de retrait de la demande de protection internationale » ne peut que relever d’une erreur matérielle de la part du législateur.

En effet, la logique systémique de la loi du 18 décembre 2015 tend à indiquer que le véritable sens entendu par le législateur était de désigner le recours possible à l’encontre d’une décision de retrait de la protection internationale.

Cette analyse structurelle résulte, notamment de l’article 1er, de la loi du 18 décembre 2015, selon lequel « [l]a présente loi a pour objet d’établir les procédures d’octroi et de retrait de la protection internationale ».

Elle se trouve également appuyée par l’effet suspensif des recours résultant de l’article 36 de la loi du 18 décembre 2015, qui est octroyé à l’ensemble des recours introduits à l’encontre des décisions ministérielles, à l’exception du recours contre une décision de transfert visée à l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015.

Cette interprétation est davantage soutenue par le fait que par exception, le législateur reconnaît un effet suspensif au recours en annulation introduit à l’encontre d’une décision d’irrecevabilité au sens de l’article 36, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015.

Or, la logique systémique de la loi du 18 décembre 2015 aurait nécessairement exigé l’ajout d’une disposition spéciale en vue de reconnaître un effet suspensif en faveur du recours en annulation allégué ouvert à l’encontre d’une décision de retrait de la protection internationale.

Au regard de ce qui précède, une lecture combinée et systémique de la loi du 18 décembre 2015 permet à la Cour de dégager que le paragraphe (1) de l’article 35, de la loi du 18 décembre 2015 vise en réalité les décisions de refus ou de retrait de la protection internationale.

La Cour relève que son analyse quant au paragraphe (1) de l’article 35 de la loi du 18 décembre 2015 se trouve confortée par la modification ultérieure de l’article 35 précité à travers la loi du 16 juin 2021 portant modification de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, étant donné que l’article 35, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 a été modifié en vue de viser le retrait de la protection internationale et non le retrait de la demande de protection internationale figurant dans la version antérieure de l’article 35 précité. En effet, l’article 4 de la loi du 16 juin 2021 précitée dispose que :

« A l’article 35 de la [loi du 18 décembre 2015] sont apportées les modifications suivantes :

1° Le paragraphe 1er est modifié comme suit : a) À l'alinéa 1er, première phrase, les termes « demande de » sont supprimés ».

C’est partant à tort que les premiers juges ont retenu que le retrait d’une demande de protection internationale ne peut pas faire l’objet d’un recours en réformation et c’est également à tort qu’ils se sont déclarés incompétents pour connaître de ce recours. Le jugement entrepris encourt partant la réformation sur ce point.

Quant à la jonction des affaires Les appelants contestent ensuite la jonction des affaires effectuée par le tribunal estimant que les situations personnelles des ex-conjoints, divorcés depuis le …, seraient diamétralement opposées et que les appelants ne sauraient être tenus pour responsables des faits imputés à Monsieur …O…, de sorte que le retrait de la protection internationale serait injustifié à leur endroit.

Tel que précisé ci-avant, dans la mesure où la jonction constitue une mesure d’administration judiciaire qui peut être retenue par le juge administratif en présence de recours ayant le même objet et concernant les mêmes parties, le juge reste néanmoins tenu d’analyser individuellement chacun des recours et des moyens y soulevés conformément à l’exigence de recours effectif.

Partant, la décision de jonction n’est pas susceptible de faire l’objet d’une voie de recours (L. CADIET, Connexité, § 2 Connexité et jonction d’instances, pt. 35, Répertoire de procédure civile, Dalloz, décembre 2016, actualisation, décembre 2019).

Il y a partant lieu d’écarter les moyens soulevés par les appelants quant à la jonction opérée par le tribunal.

Quant au fond Quant à la portée de l’appel Lorsque les premiers juges n'ont pas été amenés à statuer au fond, la Cour, sur base notamment des dispositions de l'article 597 du Nouveau Code de procédure civile, applicable à défaut de dispositions spécifiques afférentes prévues en matière de procédure contentieuse administrative, après avoir infirmé le premier jugement en ce qu'il a conclu, à tort, à l’incompétence pour examiner le recours, détient la faculté de statuer en même temps sur le fond, définitivement, par un seul et même arrêt (cf. Cour adm. 15 juin 2006, n° 21087C du rôle, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 1081).

En l’espèce, bien que les premiers juges se soient déclarés incompétents pour connaître du recours en réformation des appelants, la Cour estime que pour des raisons manifestes de bonne administration de la justice, elle est appelée à se saisir du fond de l’affaire et à y mettre fin en statuant sur des questions non tranchées en première instance.

Au-delà des considérations de bonne justice, cette évocation est justifiée par le fait que les parties ont pris position quant au fond de l’affaire dans leurs conclusions respectives dans le respect du principe du contradictoire et des droits de la défense.

La Cour constate enfin que les parties sont restées en défaut de demander le renvoi de l’affaire devant les premiers juges, de sorte que le présent litige est susceptible de recevoir une solution définitive.

Quant au fond de la décision ministérielle Quant au fond, les critiques des appelants tournent essentiellement autour de l’absence d’audition de Madame …W… et de ses enfants avant le retrait ministériel de leur protection internationale et aux risques encourus par la famille en cas de retour en Irak.

Les appelants affirment que le fait de ne pas avoir été invités par le ministre à une audition individuelle, contrairement à Monsieur …O…, serait constitutif d’une erreur procédurale puisqu’il appartenait au ministre de les auditionner avant l’adoption de la décision litigieuse. Selon eux, la loi instaurerait un parallélisme des formes entre l’octroi et le retrait de la protection internationale en ce sens que l’audition des principaux intéressés serait requise dans les deux cas. Ils ajoutent que l’invitation leur faite à formuler leurs observations par écrit ne saurait équivaloir à une audition individuelle et personnalisée durant laquelle ils auraient pu faire part des motifs justifiant le maintien de leur statut.

En outre, Madame …W… et consorts soutiennent qu’ils auraient des motifs personnels et raisonnables justifiant le maintien de leur statut. Ils rappellent à cet égard que Madame …W… aurait personnellement vécu l’enlèvement de son enfant en Irak et qu’elle aurait vécu sous la crainte de l’enlèvement de ses enfants par les groupes armés traquant son ex-époux. Selon eux, le retour de leur père en Irak ne saurait constituer un motif suffisant pour conclure qu’ils seraient en sécurité en cas de retour en Irak sans craindre le risque d’être menacés de mort ou d’enlèvement. Plus particulièrement, ils affirment que le ministre serait resté en défaut d’indiquer les indices selon lesquels ils seraient en sécurité en cas de retour en Irak, alors même que la vie familiale et conjugale avec Monsieur …O… n’existe plus et que ce dernier les menacerait.

Enfin, ils estiment que les critères énoncés à l’article 44, paragraphe (1), points a), d) et e), de la loi du 18 décembre 2015 exigeraient que les appelants les remplissent individuellement, alors qu’ils ne se seraient point livrés à des agissements qui permettraient au ministre de retenir qu’ils cesseraient d’être réfugiés au sens de l’article 44 précité.

Quant à la décision ordonnant aux appelants de quitter le territoire, ils estiment qu’elle serait en violation des articles 2 et 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

De son côté, la partie étatique demande la confirmation intégrale du jugement entrepris.

Il convient de noter d’abord que, contrairement aux affirmations des appelants, l’article 33, paragraphe (3), de la loi du 18 décembre 2015 n’impose aucunement au ministre d’auditionner la personne concernée par le retrait de la protection internationale.

En effet, d’après la disposition précitée : « (3) La personne concernée est informée par écrit que le ministre procède au réexamen de son droit à bénéficier d’une protection internationale, ainsi que des motifs de ce réexamen et elle a le droit de présenter, lors d’un entretien personnel ou par écrit, les motifs pour lesquels il n’y a pas lieu de lui retirer la protection internationale ».

En l’absence de dispositions légales impératives imposant au ministre d’organiser systématiquement des auditions en faveur de la personne visée par le retrait d’une protection internationale, il lui est partant loisible de choisir entre l’invitation de la personne intéressée à un entretien personnel ou l’invitation de la personne intéressée à présenter ses observations par écrit.

S’il est vrai que le ministre dispose en l’espèce d’un pouvoir discrétionnaire dans le choix de la forme selon laquelle la personne intéressée sera entendue, il n’en reste pas moins que ce pouvoir discrétionnaire doit être mis en œuvre dans le respect du droit de la personne intéressée de faire valoir sa cause.

Partant, il n’est pas clair aux yeux de la Cour en quoi le fait d’avoir recueilli les observations écrites des appelants, avant la prise de la décision portant retrait de leur protection internationale, serait attentatoire à leurs droits procéduraux, alors qu’ils tiraient de cette invitation un droit incontestable de faire valoir leur cause.

Ce moyen laisse partant d’être fondé.

Quant aux motifs de retrait de la protection internationale, la Cour relève que la décision ministérielle se fonde sur l’article 44, paragraphe (1), points a), d) et e), de la loi du 18 décembre 2015 qui dispose que :

« Tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride cesse d’être un réfugié dans les cas suivants:

a) s’il s’est volontairement réclamé à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité; ou b) si, ayant perdu sa nationalité, il l’a volontairement recouvrée; ou c) s’il a acquis une nouvelle nationalité et jouit de la protection du pays dont il a acquis la nationalité; ou d) s’il est retourné volontairement s’établir dans le pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré de crainte d’être persécuté; ou e) s’il ne peut plus continuer à refuser de se réclamer de la protection du pays dont il a la nationalité, les circonstances à la suite desquelles il a été reconnu comme réfugié ayant cessé d’exister;

f) si, s’agissant d’un apatride il est en mesure de retourner dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, les circonstances à la suite desquelles il a été reconnu comme réfugié ayant cessé d’exister.

(2) Aux fins de l’application du paragraphe (1), points e) et f), le ministre examine si le changement de circonstances est suffisamment significatif et non provisoire pour que la crainte du réfugié d’être persécuté ne puisse plus être considérée comme fondée ».

Les appelants soulèvent à juste titre que le point a) précité prévoit la perte du statut de réfugié lorsque le détenteur d’une protection internationale agit de manière délibérée en vue de se réclamer à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité.

Il est incontesté en l’espèce que cet agissement volontaire a été retenu à l’encontre de Monsieur …O…, étant donné qu’il a été démontré que ce dernier a demandé le renouvellement de son passeport irakien, qu’il a obtenu le renouvellement de son titre de voyage et que c’est avec ce passeport qu’il a voyagé vers l’Irak à de nombreuses reprises depuis l’obtention de son statut de réfugié au Luxembourg.

Toutefois, ce critère n’a pas pu être retenu à l’encontre des appelants, étant donné qu’il n’appert aucunement des éléments en cause qu’ils auraient également demandé le renouvellement de leurs pièces d’identité irakiennes, de sorte que ce critère n’a pas pu valablement fonder le retrait ministériel de leur protection internationale.

C’est encore à juste titre que les appelants font valoir que le point d) précité prévoit que le détenteur de la protection internationale cesse d’être réfugié lorsqu’il est retourné volontairement s’établir dans le pays qu’il a quitté ou hors duquel il est demeuré de crainte d’être persécuté.

Tel qu’il résulte des éléments soumis à la Cour, cette condition a été manifestement remplie par Monsieur …O…, étant donné que ce dernier a séjourné en Irak 64 jours, du 4 novembre 2018 au 7 janvier 2019 et 172 jours du 17 mai 2019 au 5 novembre 2019.

Toutefois, ce critère n’a pas pu être retenu à l’encontre des appelants, étant donné qu’il n’appert aucunement des éléments en cause qu’ils auraient voyagé à destination de l’Irak depuis l’obtention de leur protection internationale, de sorte que ce critère n’a pu valablement fonder le retrait ministériel de leur protection internationale.

Enfin, quant à l’article 44, paragraphe (1), point e), la perte du statut de réfugié se justifie par l’évolution des circonstances à partir desquelles le statut de réfugié a été reconnu au détenteur de la protection internationale, de sorte qu’il peut à nouveau se revendiquer de la protection de son pays d’origine.

Il est incontestable en l’espèce que par ses multiples et longs séjours en Irak, Monsieur …O… a démontré que les circonstances à l’origine de l’octroi de son statut de réfugié ont cessé d’exister puisqu’il a admis ne plus être recherché en Irak, alors que lors du dépôt de sa demande de protection internationale en novembre 2015, il affirmait être persécuté, notamment du fait de son appartenance à la police irakienne par des bandes criminelles désireuses de venger son soutien à l’ancien régime de Saddam HUSSEIN et qu’il avait fui parce qu’il avait été sommé de rejoindre le combat contre Daesh.

En outre, il échet de relever que Monsieur …O… a pu se rendre en Irak à de nombreuses reprises sans que sa sécurité ne soit compromise durant l’ensemble de ces séjours sur place aussi bien en 2018 qu’en 2019. Ce constat est davantage corroboré par des éléments du rapport de police, repris dans la décision ministérielle litigieuse, selon lesquels Monsieur …O… occuperait une activité professionnelle en Irak dont il aurait lui-même fait la promotion sur un réseau social sous un nom différent de celui qu’il a indiqué aux autorités luxembourgeoises.

C’est dès lors à bon droit que la décision ministérielle litigieuse a conclu à l’application de l’article 44, paragraphe (1), point e), de la loi du 18 décembre 2015 à l’égard de Madame …W… et de ses enfants. En effet, tel que l’a retenu à bon droit le ministre dans sa décision du 28 juin 2019, les appelants se sont prévalus exclusivement des motifs de persécution de Monsieur …O… en vue de bénéficier de la protection internationale. Ainsi, dans son entretien en vue de l’analyse de sa demande de protection internationale du 27 septembre 2016, Madame …W… a affirmé n’avoir jamais été visée à titre personnel, que seuls les motifs intéressant son mari fondaient sa demande de protection internationale et elle y affirmait craindre que son époux soit tué en cas de retour en Irak.

C’est partant sur les mêmes motifs de persécution que le statut de réfugié a été octroyé aux appelants sans qu’ils n’aient fait état de motifs distincts.

Or, dans la mesure où ces motifs de persécutions ont été démentis par les multiples retours en Irak de son ex-époux et par une amélioration sensible de la situation en Irak depuis lors, il convient de retenir que les motifs à l’origine de l’octroi du statut de réfugié aux appelants doivent par conséquent être considérés comme ayant cessé d’exister au sens de l’article 44, paragraphe (1), point e), de la loi du 18 décembre 2015.

Les allégations des appelants quant aux violences physiques, psychologiques et sexuelles que Monsieur …O… risquerait de leur infliger en cas de retour en Irak restent à l’état de simples affirmations et ne rentrent de toute façon pas dans le champ d’application de la Convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève, le 28 juillet 1951.

C’est partant à bon droit que le ministre a procédé au retrait du statut de réfugié des appelants.

Les incidences de ce retrait sur la situation personnelle des appelants ne sont pas, à ce stade, de nature à influer sur l’analyse des motifs propres au statut de réfugié retiré aux appelants, mais peuvent, tout au plus, donner lieu à une régularisation de leur séjour sur d’autres fondements légaux que la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale, fondements légaux qui échappent actuellement au contrôle de la Cour.

Quant à l'ordre de quitter le territoire contenu dans la décision de retrait de la protection internationale et vu que le retrait de pareil statut est automatiquement assorti d’un ordre de quitter le territoire par le ministre, la demande de réformation de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter à son tour et l’ordre doit être confirmé.

Il découle de l’ensemble des développements ci-avant que l’appel est partiellement justifié dans la mesure où c’est à tort que les premiers juges se sont déclarés incompétent pour connaître du recours en réformation introduit. D’un autre côté, le recours des appelants est certes recevable en la forme mais à rejeter comme n’étant pas justifié au fond.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel du 16 avril 2021 en la forme, au fond, le déclare partiellement justifié, partant, dit que c’est à tort que le tribunal s’est déclaré incompétent pour connaître du recours en réformation introduit par les appelants contre la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 28 juin 2019 en ce qu’elle leur retire le statut de réfugié, évoquant, reçoit ce recours en la forme, mais le déclare non fondé et en déboute les appelants, confirme le jugement entrepris du 10 mars 2021 pour le surplus, condamne les appelants aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Serge SCHROEDER, premier conseiller, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu à l’audience publique du 4 août 2021 au local ordinaire des audiences de la Cour par le premier conseiller, en présence du greffier assumé de la Cour … s. … s. SCHROEDER Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4 août 2021 Le greffier de la Cour administrative 17


Synthèse
Numéro d'arrêt : 45905C
Date de la décision : 04/08/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 11/08/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2021-08-04;45905c ?

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