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28/09/2021 | LUXEMBOURG | N°44428C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 28 septembre 2021, 44428C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 44428Ca ECLI LU:CADM:2021:44428a Inscrit le 12 mai 2020

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Audience publique du 28 septembre 2021 Recours formé par l’administration communale de …V… contre un arrêté grand-ducal du 27 janvier 2020 en matière de taxes communales

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 44

428Ca du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 12 mai 2020 par la soci...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 44428Ca ECLI LU:CADM:2021:44428a Inscrit le 12 mai 2020

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Audience publique du 28 septembre 2021 Recours formé par l’administration communale de …V… contre un arrêté grand-ducal du 27 janvier 2020 en matière de taxes communales

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Vu la requête, inscrite sous le numéro 44428Ca du rôle, déposée au greffe de la Cour administrative le 12 mai 2020 par la société anonyme SCHILTZ & SCHILTZ S.A., inscrite au barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1610 Luxembourg, 24-26, avenue de la Gare, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le n° B 220.251, représentée par Maître Anne FERRY, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’administration communale de …V…, établie à sa maison communale à L-… …V…, …, …, représentée par son collège des bourgmestre et échevins en fonctions, tendant à l’annulation d’un arrêté du Grand-Duc du 27 janvier 2020 portant refus d’approbation de la délibération du conseil communal de la commune de …V… du 1er avril 2019 portant introduction d’une surtaxe communale sur les livraisons d’huiles minérales destinées à être utilisées comme carburants de véhicules ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 23 novembre 2020 par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu l’arrêt de la Cour administrative du 26 novembre 2020 vidant l’incident de la fixation du délai de fourniture de la réponse par rapport au recours en annulation sous analyse et dit que ce délai de fourniture du mémoire en réponse est de trois mois ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 23 décembre 2020 par la société anonyme SCHILTZ & SCHILTZ S.A., représentée par Maître Anne FERRY, pour compte de l’administration communale de …V… ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 25 janvier 2021 par Maître Patrick KINSCH pour compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu l’avis de la Cour administrative du 28 janvier 2021 accordant à Maître Anne FERRY un délai jusqu’au 25 février 2021 inclus et à Maître Patrick KINSCH un délai jusqu’au 18 mars 2021 inclus pour déposer un mémoire supplémentaire ;

Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe de la Cour administrative le 25 février 2021 par la société anonyme SCHILTZ & SCHILTZ S.A., représentée par Maître Anne FERRY, pour compte de l’administration communale de …V… ;

Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe de la Cour administrative le 18 mars 2021 par Maître Patrick KINSCH pour compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Le rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maîtres Anne FERRY et Patrick KINSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 mars 2021.

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Par une délibération adoptée sous le point n° 10 de l’ordre du jour lors de sa réunion du 1er avril 2019, le conseil communal de la commune de …V…, ci-après le « conseil communal », décida l’introduction d’une surtaxe communale sur les livraisons d’huiles minérales destinées à être utilisées comme carburants de véhicules. Cette délibération est de la teneur suivante :

« Le conseil communal, Vu le décret du 14 décembre 1789 et celui du 16 - 24 août 1790 ;

Vu les fluctuations de l'impôt commercial communal (ICC), principale recette propre revenant à la Commune de …V… ;

Considérant que la Commune de …V… doit pouvoir contrecarrer au mieux la volatilité de ses rentrées fiscales et recourir à des recettes stables et suffisantes pour pouvoir couvrir ses dépenses de fonctionnement et d'investissement ;

Vu la Charte européenne de l'autonomie locale du 15/10/1985 et plus particulièrement son article 9 disposant -

que les collectivités locales ont droit, dans le cadre de la politique économique nationale, à des ressources propres suffisantes dont elles peuvent disposer librement dans l'exercice de leurs compétences (…) ;

-

qu’une partie au moins des ressources financières des collectivités locales doit provenir de redevances et d'impôts locaux dont elles ont le pouvoir de fixer le taux, dans les limites de la loi ;

-

que les systèmes financiers sur lesquels reposent les ressources dont disposent les collectivités locales doivent être de nature suffisamment diversifiée et évolutive pour leur permettre de suivre, autant que possible dans la pratique, l'évolution réelle des coûts de l'exercice de leurs compétences (…) ;

Vu les mesures envisagées par le gouvernement et visant entre autres à réduire les émissions de CO2 provenant des véhicules à moteurs diesel ou essence, le tout en vue de se conformer aux engagements pris dans le cadre de l'Accord de Paris de 2015 sur le Pacte Climat ;

Considérant que les recettes ainsi générées seront utilisées pour financer des projets dans les domaines de la mobilité durable, de la mise en œuvre du pacte climat et de la sensibilisation de la population à un comportement respectueux de l'environnement ;

Vu l'augmentation des accises projetée dans le cadre de la loi budgétaire 2019 à raison d'un centime d'euros par litre d'essence et de deux centimes d'euros par litre de gasoil en vue d'en réduire la consommation ;

Revu la délibération du conseil communal du 30/01/2006 visant à introduire une taxe communale sur les livraisons d'huiles minérales destinées à être utilisées comme carburants de véhicule ;

Considérant que le refus d'approbation de cette délibération avait à l'époque notamment été motivé par le fait que la délibération serait contraire aux articles 10bis et 11(6) de la Constitution dans la mesure où elle constituerait une entrave au principe de l'égalité devant la loi et plus particulièrement au principe de l'égalité devant les charges publiques ainsi qu'au principe de la liberté du commerce et de l'industrie ;

Considérant toutefois que la taxe s'applique chaque fois qu'une personne physique ou morale prend le choix délibéré de s'approvisionner en carburants auprès de l'une quelconque des stations-services établies sur le territoire de la Commune de …V… ;

Considérant qu'un règlement communal fixant une taxe visant la même finalité de protection du climat que celle menée par l'Etat ne saurait être critiquée d'atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie ;

Considérant que dans le secteur communal luxembourgeois il existe d'autres surtaxes prélevées pour le compte des communes notamment dans le cadre de mutations immobilières ;

Vu les articles 99, 102 et 107 de la Constitution luxembourgeoise ;

Vu la loi communale modifiée du 13 décembre 1988 Après en avoir délibéré conformément à la loi, avec neuf voix contre deux arrête:

Article 1.

Il est introduit une surtaxe frappant toute livraison portant sur des huiles minérales destinées à être utilisées comme carburants de véhicules automoteurs opérée sur les stations d'essence et de services situées sur le territoire communal.

Article 2.

Par station d'essence et de services au sens du présent règlement il y a lieu d'entendre tout établissement de ravitaillement en carburants qui est implanté sur le territoire de la Commune.

Article 3.

Par carburants au sens du présent règlement, il a y lieu d'entendre toute huile minérale destinée ou pouvant être utilisée comme combustible pour véhicules automoteurs, Article 4.

Est redevable de la surtaxe tout exploitant ayant livré du carburant dans une station d'essence et de services dans les conditions prévues au présent règlement.

Le fait générateur de la surtaxe se situe au moment de la livraison du carburant.

Article 5.

Le montant de la surtaxe est fixé à 0,01.-€ par litre de carburants livré. Chaque litre commencé compte comme litre entier pour la redevance de la surtaxe.

Article 6.

A la fin de chaque mois et au plus tard le quinzième jour du mois qui suit le mois écoulé, les exploitants des stations d'essence et de services sont tenus de remettre à l'administration communale une déclaration indiquant les quantités totales de carburants distribués, le nombre de livraisons et le détail des surtaxes perçues.

Article 7.

La surtaxe devient exigible et doit être réglée concomitamment avec la déclaration. Le paiement fait en suite de la déclaration est accepté sous réserve de tous droits de vérification.

Toutes sommes non encore réglées par les exploitants des stations d'essence et de services le dernier jour du mois qui suit le mois pour lequel la surtaxe est due sont productrices d'intérêts de retard à partir du 1er jour du mois suivant.

Le taux des intérêts de retard est celui fixé par l'Etat en matière d'impôt sur les revenus.

Article 8.

Les exploitants de stations d'essence et de services sont tenus de conserver un double de toutes les factures et de tous les documents en tenant lieu qu'ils ont émis à l'occasion des livraisons de carburants. Ils sont tenus de conserver tous documents généralement quelconques permettant de retracer les volumes transactionnels de tout type de carburants offert.

Ils sont par ailleurs tenus de tenir une comptabilité appropriée. Cette comptabilité doit être suffisamment détaillée pour permettre l'application de la surtaxe et le contrôle par l'administration communale.

Les livraisons constituant la base d'imposition et les surtaxes afférentes sont à inscrire jour par jour et sont à totaliser à la fin de chaque période de déclaration au plus tard.

Article 9.

Lorsque pour quelque cause que ce soit, un exploitant d'une station d'essence et de services n'a pas remis dans les délais imposés, et avec les indications requises, la déclaration prévue à l'article 6 ci-dessus, ou ne s'est pas conformé pour tout ou partie aux obligations imposées par le présent règlement communal, ou en exécution de celui-ci, concernant la tenue, la délivrance, la conservation ou la communication des livres ou documents, l'administration communale est également autorisée à établir d'office les taxes dues par l'exploitant, en raison du montant présumé des opérations sujettes à taxation qui ont été effectuées pendant le ou les mois auxquels l’irrégularité se rapporte.

Article 10.

La surtaxe établie par le présent règlement sera recouvrée conformément aux règles établies par la loi communale modifiée du 13 décembre 1988.

Article 11.

Le présent règlement entre en vigueur le 01/06/2019.

Prie l'autorité supérieure de bien vouloir approuver la présente décision ».

Par un arrêté du 27 janvier 2020, le Grand-Duc refusa d’approuver cette délibération du 1er avril 2019 sur base des motifs énoncés comme suit :

« Nous Henri, Grand-Duc de Luxembourg, Duc de Nassau, Vu les articles 10bis, 11, 99, 102 et 107 de la Constitution ;

Vu le paragraphe 2, alinéa 1er de la KAG (Kommunalabgabengesetz) du 14 juillet 1893, tel qu'il a été validé par l'arrêté grand-ducal du 26 octobre 1944 ;

Vu l'article 1er de la loi du 19 juillet 1904 sur les impositions communales ;

Vu la loi communale modifiée du 13 décembre 1988 ;

Vu l'article 1er, paragraphe 2 de la directive 2008/118/CE du Conseil du 16 décembre 2008 ;

Vu la loi du 23 octobre 2011 relative à la concurrence ;

Vu la délibération du 1er avril 2019 aux termes de laquelle le conseil communal de …V… a décidé d'introduire une surtaxe frappant toute livraison portant sur des huiles minérales destinées à être utilisées comme carburants de véhicules automoteurs opérée sur les stations d'essence et de services situées sur le territoire communal et due par tout exploitant ayant livré du carburants dans une des stations d'essence et de services visées ;

Considérant que la délibération du conseil communal de …V… du 1er avril 2019 introduit une surtaxe qui constitue une imposition communale, qui par sa nature, est un impôt réel qui a pour objet de couvrir les dépenses générales du budget communal ; que les articles 99, 102 et 107 de la Constitution permettent aux communes d'introduire des impositions ; que les articles 107 de la Constitution et 105 de la loi communale soumettent les délibérations afférentes à l'approbation du Grand-Duc ; que conformément à l'article 29 de la loi communale, cette approbation ne saurait être accordée que si le règlement introduisant une imposition communale n'est contraire ni à la loi, ni à l'intérêt général ;

Considérant que la délibération du conseil de …V… établit un impôt communal additionnel qui est contraire aux articles 10bis et 11(6) de la Constitution alors qu'elle constitue une entrave au principe de l'égalité devant la loi et plus particulièrement au principe de l'égalité devant les charges publiques ainsi qu'au principe de la liberté du commerce ;

qu'ainsi ladite imposition sur les carburants cause aux exploitants des stations d'essence et de service situées sur le territoire de la commune de …V… des charges et des inconvénients qui excèdent de manière excessive ceux qui incombent aux exploitants de stations d'essence et de service situées sur le territoire d'autres communes ; qu'en effet par ses articles 6 à 9, la délibération communale vient mettre à charge des stations d'essence et de services situées sur la commune de …V… de nombreuses obligations correspondant à une surcharge administrative par rapport aux autres stations d'essence et de service situées sur le territoire d'autres communes ; que cette imposition constitue par l'augmentation des prix des carburants aux stations visées, un préjudice dépassant les gênes et les sacrifices courants par rapport aux autres stations d'essence et de service situées sur le territoire d'autres communes ; qu'en effet si la nouvelle imposition n'est pas répercutée sur le consommateur final, l'introduction de cette imposition sera à charge de chaque exploitant installé dans la commune de …V… ; que dès lors les exploitants visés voient leur marge réduite par rapport à leurs concurrents situées sur d'autres communes ; que partant cette imposition crée des distorsions de concurrence entre les stations d'essence et de service situées sur le territoire de …V… et les stations d'essence et de service d'autres communes ; que cette décision communale apporte à la liberté du commerce une restriction qui ne rentre pas dans la sphère de compétences de l'autorité communale ;

Considérant que la délibération du conseil communal de …V… introduisant l'imposition visée est contraire à l'article 2 paragraphe 4 de la loi du 23 octobre 2011 relative à la concurrence qui confie la gestion des prix des produits pétroliers au ministre de l'Energie en autorisant celui-ci de « conclure des contrats de programme avec des entreprises du secteur des produits pétroliers comportant des engagements relatifs ou niveau des prix maxima. (…) A défaut de conclusion de contrats de programme, des prix maxima peuvent être fixés par le règlement grand-ducal. »; que l'article 2 du contrat de programme relatif à un régime de prix de vente maxima des produits pétroliers, conclu le 20 juillet 2004 conformément au paragraphe 4 de l'article 2 de la loi du 17 mai 2004 relative à la concurrence, précise qu'il a pour objet l'établissement d'une formule de structure des prix de vente des produits pétroliers livrés sur le marché luxembourgeois ; que les éléments constitutifs des structures des prix sont repris aux articles 5 et 9 à 13 de l'annexe technique du contrat de programme et qu'ils concernent le prix de base, le cours de change $/€, les marges de distribution, les frais accessoires révisables suivant les mêmes modalités que les marges de distribution, les droits d'accise et taxes assimilables fixées par voie légale et la taxe sur la valeur ajoutée ; que par conséquent le champ d'application des dispositions du contrat de programme se limite exclusivement aux intérêts de la collectivité ou de l'Etat, représenté par son ministre de l'Energie pour ce qui est du niveau des prix et des taxes, et des distributeurs de produits pétroliers pour les marges et frais commerciaux ; que le législateur ayant soustrait le domaine visé aux règles du libre jeu de la concurrence, les acteurs concernés sont tenus de respecter les prix maxima déterminés suivant des critères uniformes et transparents ; que le respect des prix maxima ne serait plus possible lors de l'introduction de la taxe décidée par le conseil communal de …V… du 1er avril 2019 ; que partant la décision du conseil communal de …V… qui aura pour effet d'augmenter le prix des carburantss aux stations d'essence et de service sur le territoire de …V… est en opposition avec le texte et l'esprit de la loi ;

Considérant que la délibération du conseil communal de …V… est encore contraire au paragraphe 2, alinéa 1er de la KAG (Kommunalabgabengesetz) du 14 juillet 1893, tel qu’il a été validé par l’arrêté grand-ducal du 26 octobre 1944, ainsi qu'à l'article 1er de la loi du 19 juillet 1904 sur les impositions communales ; qu'en effet les communes peuvent faire usage de leur droit de lever des impôts qu'en cas de nécessité financière pour couvrir leurs dépenses ;

que la validité d'un impôt communal présuppose que la commune, qui se propose de l'introduire, puisse faire valoir et justifier l'existence d'un besoin réel, concret et circonstancié de ce faire (CA 6-12-07, 23020C à 23023C et 23040C ; CA 18-2-16 (35374C)) ; qu'en l'occurrence la commune de …V… omet de constater la nécessité financière et de démontrer concrètement en quoi consistent les besoins réels auxquels la commune doit faire face (CA 14-

7-15, 35574C; CA 14-7-15, 35575C);

Considérant que la délibération du conseil communal de …V… est par ailleurs contraire à l'article 1er, paragraphe 2 de la directive 2008/118/CE du Conseil du 16 décembre 2008 relative au régime général d'accise et abrogeant la directive 92/12/CEE qui stipule que « Les États membres peuvent, à des fins spécifiques, prélever des taxes indirectes supplémentaires sur les produits soumis à accise, à condition que ces impositions respectent les règles de taxation communautaires applicables à l'accise ou à la taxe sur la valeur ajoutée pour la détermination de la base d'imposition, le calcul, l'exigibilité et le contrôle de l'impôt, ces règles n'incluant pas les dispositions relatives aux exonérations. » ;

qu'il ressort d'une jurisprudence constante de la Cour de Justice de l'Union européenne qu'une « fin spécifique » au sens de l'article précité est une finalité autre que purement budgétaire (arrêts du 24 février 2000, Commission /France, C-434/97, Rec. p. 1-1129, point 19; du 9 mars 2000, EKW et Wein & Co, C-437/97, point 31; du 10 mars 2005, Hermann, C-491/03, Rec.p.I-2025, point 16; du 27 février 2014, Transportes Jordi Besora SL, C-82/12, point 23 ;

du 5 mars 2015, Tallinna Ettevôtlusamet, C-553/13, point 37) ; que cependant la délibération communale du 1er avril 2019 se réfère explicitement dans son préambule à des considérations budgétaires en se référant à « la volatilité [des] rentrées fiscales » ou encore à des « recettes stables et suffisantes » ; que dès lors ces simples affirmations ne sauraient être considérées comme permettant d'établir un lien direct entre l'utilisation des recettes de ladite taxe et la finalité spécifique ; qu'en outre la délibération communale du 1er avril 2019 se réfère en particulier à la Charte européenne de l'autonomie locale du 15 octobre 1985 dont découle la possibilité de disposer de « ressources propres suffisantes dont [les collectivités locales] peuvent disposer librement dans l'exercice de leurs compétences » ; que la Cour de Justice de l'Union européenne a également jugé que le renforcement de l'autonomie d'une collectivité territoriale par la reconnaissance d'un pouvoir de prélever des recettes fiscales, constitue un objectif purement budgétaire qui ne saurait à lui seul constituer une fin spécifique au sens de ladite directive (arrêt du 9 mars 2000, EKW et Wein & Co, C-437/97, point 33); qu'en l'occurrence, de par la seule affectation des recettes de l'impôt communal au financement de dépenses générales incombant à la commune dans un domaine donné, l'impôt indirect supplémentaire visé par la délibération communale du 1er avril 2019 ne saurait être considérée comme poursuivant une fin spécifique au sens de ladite directive ; qu'en vertu du paragraphe 2, alinéa 1er de la KAG, la prérogative des communes de lever des impôts est d'office limitée à des fins essentiellement et exclusivement budgétaires ; que par conséquent, la fin spécifique au sens de l'article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118/CE tel qu'interprété par la jurisprudence constante de la Cour de Justice de l'Union européenne n'a pas été démontrée ;

Considérant, dans le même ordre d’idées, que la délibération du conseil communal de …V… est contraire à l’article 1er, paragraphe 2 de la directive 2008/118/CE du Conseil du 16 décembre 2008 relative au régime général d'accise et abrogeant la directive 92/12/CEE dans la mesure où l'impôt communal supplémentaire ne respecte pas les règles de taxation communautaires applicables à l'accise ; que toute taxe indirecte supplémentaire prélevée sur des produits soumis à accise doit être conforme à l'économie générale applicable à l'accise ou à la taxe sur la valeur ajoutée ; que cependant par rapport aux règles communautaires en vigueur pour les produits d'accise, la surtaxe communale proposée ne respecte pas ni le critère de l'exigibilité, ni celui du contrôle de la taxe, ni celui de la base d'imposition ; que partant une telle imposition se trouve aussi en contraction avec l'article 1er, paragraphe 2 de ladite directive dans la mesure où elle n'est pas en conformité avec les « règles de taxation communautaires applicables à l'accise ou à la taxe sur la valeur ajoutée pour la détermination de la base d'imposition, le calcul, l'exigibilité et le contrôle de l'impôt. ».

Considérant que la délibération du conseil communal de …V… est par ailleurs contraire à l'intérêt général dans la mesure où elle conduit à une dislocation de la politique fiscale en matière de vente d'huiles minérales sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg et méconnaît les prérogatives de l'Etat ; qu'une gestion centralisée de la politique fiscale et budgétaire est essentielle pour préserver l'intérêt général ; que seule une politique fiscale et budgétaire harmonisée permet au pays de respecter les exigences du Pacte de stabilité et de croissance ; qu'il est contraire à l'intérêt général de laisser les communes introduire des taxes communales sur les livraisons d'huiles minérales ;

Considérant que la commune de …V… contrevient encore clairement à l'intérêt général constitué par une gestion centralisée de la politique fiscale et budgétaire, notamment dans le respect des différents engagements européens et internationaux en matière de climat ; que tel qu'exigé par la Commission européenne conformément au Règlement (UE) 2018/1999 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 sur la gouvernance de l'Union de l'énergie et de l'action par le climat, le Luxembourg s'est doté d'un plan national intégré en matière d'énergie et de climat en vue notamment de la réduction des émissions de CO2 ; que l'introduction de l'impôt communal supplémentaire voté par le conseil communal de …V… du 1er avril 2019 aurait pour effet de perturber les effets des différentes mesures nationales ainsi que les différents instruments européens et internationaux en matière fiscale ;

Qu'au vu de toutes les considérations qui précèdent, il y a lieu de ne pas approuver la délibération visée du conseil communal de …V… ;

Sur le rapport de Notre Ministre de l'Intérieur et après délibération du Gouvernement en Conseil ;

Arrêtons :

Art 1er N'est pas approuvée la délibération du 1er avril 2019 aux termes de laquelle le conseil communal de …V… a décidé d'introduire une surtaxe communale sur les livraisons d'huiles minérales destinées à être utilisées comme carburants de véhicule.

Art. 2.

Notre Ministre de l'Intérieur est chargé de l'exécution du présent arrêté qui sera notifié à la commune de …V… ».

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 12 mai 2020, l’administration communale de la commune de …V…, ci-après la « commune », a fait introduire un recours tendant à l’annulation de cet arrêté grand-ducal du 27 janvier 2020.

A l’appui de son recours, la commune rappelle que l’arrêté grand-ducal déféré serait fondé sur cinq reproches différents, à savoir :

1) la violation des articles 10bis et 11, paragraphe (6), de la Constitution, 2) la violation de l’article 2, paragraphe (4), de la loi modifiée du 23 octobre 2011 relative à la concurrence, 3) l’omission du constat de la nécessité financière exigée par le § 2 de l’alinéa 1er de la « Kommunalabgabengesetz » (KAG) du 14 juillet 1893, 4) la non-conformité aux dispositions de la directive 2008/118/CE relative au régime général d’accises, ci-après la « directive 2008/118 », et 5) la contrariété à l’intérêt général.

La Cour constate partant que l’arrêté grand-ducal déféré est fondé sur cinq différents motifs destinés à justifier le refus d’approbation y exprimé. Or, en présence d’une décision fondée sur plusieurs motifs dont chacun est appelé à la justifier indépendamment du sort des autres motifs, la décision est à considérer comme valable dès lors que le juge administratif est amené à confirmer la validité d’un seul des motifs à sa base sans que l’examen des autres motifs s’impose à la Cour.

En outre, la Cour se doit de rappeler dès l’ingrès que le juge administratif n’est pas tenu de respecter la suite des moyens tels que développés par les parties, mais détient le pouvoir de les toiser suivant la logique juridique y relative et en considération d’une bonne administration de la justice.

Il y a dès lors lieu d’examiner en premier lieu le motif tiré de la prétendue violation de la directive 2008/118 et les moyens afférents des parties.

La commune renvoie à l’article 1er, paragraphe 2, de cette directive pour relever qu’elle viserait les taxes indirectes supplémentaires sur les produits soumis à accises, mais qu’il subsisterait un doute quant au fait que la taxe litigieuse devrait être qualifiée de taxe indirecte au sens du droit luxembourgeois. Elle expose à cet escient que la livraison de carburants n’aurait rien d’intermittent, d’accidentel, de fortuit ou de passager mais qu’il s’agirait au contraire d’un événement régulier et périodique voire même permanent et que la taxe introduite sur ces livraisons par la délibération en cause du 1er avril 2019 ne devrait pas être qualifiée de taxe indirecte au sens du droit luxembourgeois. En outre, la taxe litigieuse serait perçue directement auprès du vendeur de carburants, tandis que l’une des caractéristiques d’un impôt indirect consisterait dans sa répercussion sur le consommateur, laquelle répercussion serait pourtant impossible sous peine de violer les contrats de programme conclus par le ministre ayant l’énergie dans ses attributions.

La commune ajoute que la définition nationale de la notion de taxe indirecte serait pertinente dans le cadre de l’application de la directive 2008/118, au motif que l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2003/96/CE du Conseil du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l'électricité, ci-après la « directive 2003/96 », précisant la notion de taxe indirecte supplémentaire, devrait être lu ensemble avec l’article 3 de la même directive faisant entrer dans la notion des droits d’accises tous les impôts indirects nationaux, de sorte que la définition nationale de la notion d’impôts indirects devrait être prise en considération dans le cadre de l’examen si un impôt particulier tombe dans le champ d’application de la directive 2008/118.

La commune ajoute encore l’argument selon lequel la taxe litigieuse ne rentrerait pas non plus dans la notion de taxe indirecte supplémentaire au sens de la directive 2008/118. Elle se prévaut à cet égard d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après la « CJUE », du 4 juin 2015 (aff. C-5/14) suivant lequel cette notion de taxe indirecte supplémentaire devrait être interprétée à la lumière de l’article 4 de la directive 2003/96 qui viserait les impôts indirects sur les produits énergétiques au moment de leur mise à la consommation. Elle insiste sur la nécessité de percevoir des taxes indirectes supplémentaires au moment de la mise à la consommation des produits énergétiques pour tomber sous l’application de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118 et souligne que cette disposition situerait le moment de la mise à la consommation au niveau de la sortie d’un régime de suspension des droits ou au moment de la livraison à un destinataire agréé ou au lieu de livraison directe. Or, le fait générateur de la taxe litigieuse ne se situerait pas au moment de la mise à la consommation au sens de ces dispositions mais au moment de la livraison du carburants et ladite taxe ne deviendrait exigible qu’au moment de la déclaration des quantités vendues faite par l’exploitant à la commune. La jurisprudence communautaire invoquée par l’Etat ne serait dès lors pas pertinente, au motif que l’Etat tenterait d’en faire une interprétation erronée menant à l’amalgame entre une taxe perçue directement auprès du consommateur du produit soumis à l’accise et la taxe litigieuse perçue auprès du vendeur d’un tel produit. La commune en déduit que la taxe litigieuse ne serait pas perçue au moment de la mise à la consommation au sens de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2008/118 et qu’elle ne saurait être qualifiée de taxe indirecte supplémentaire au sens de ladite directive, cette exclusion s’imposant d’autant plus que la taxe litigieuse ne frapperait pas les consommateurs mais les exploitants ayant livré le carburant.

Sur base de ces développements, la commune estime que la taxe en cause prévue par la délibération du 1er avril 2019 ne devrait pas être qualifiée de taxe indirecte supplémentaire au sens de la directive 2008/118, de sorte que les dispositions de ladite directive ne sauraient valablement justifier un refus d’approbation.

Pour l’hypothèse où, contrairement à son argumentation développée, il fallait admettre que la directive 2008/118 soit quand même applicable, la commune critique que l’Etat estimerait qu’elle devrait justifier l’utilisation des recettes de la taxe litigieuse à une finalité spécifique, laquelle devant être différente d’une finalité simplement budgétaire. Rappelant que d’après l’analyse étatique, le paragraphe 2, alinéa 1er de la KAG limiterait d’office la finalité d’établissement d’une imposition communale à des fins exclusivement budgétaires, la commune en déduit qu’une commune qui se conformerait au paragraphe 2, alinéa 1er, de la KAG en poursuivant un objectif budgétaire, ne pourrait, par définition, poursuivre une autre fin spécifique au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118, entraînant que le raisonnement de l’Etat aurait pour conséquence qu’une taxation conforme à la KAG serait automatiquement contraire à la directive 2008/118 et qu’aucune taxation du type de celle sous analyse ne saurait jamais recevoir l’aval du Grand-Duc. La commune argue que ce ne serait pas parce qu’une taxe poursuit un objectif budgétaire qu’elle ne saurait pas poursuivre également une fin spécifique au sens de la directive 2008/118, la CJUE ayant admis dans un arrêt du 27 février 2014 (aff. C-82/12) qu’une finalité budgétaire ne saurait suffire à exclure qu’une taxe puisse être considérée comme ayant également une finalité spécifique au sens de la directive 2008/118.

Quant aux finalités particulières mises en avant, la commune renvoie au contenu de la délibération en cause du 1er avril 2019 et aux objectifs particuliers de la taxe litigieuse y énoncée, consistant dans les besoins de financement de projets dans le domaine de la mobilité durable et de la mise en œuvre du pacte climat ainsi que dans une politique de sensibilisation de la population à un comportement respectueux de l’environnement. Elle épingle le fait que l’Etat n’aurait pas analysé ces finalités dans le cadre de l’arrêté litigieux du 27 janvier 2020.

Elle argue que l’Etat ne pourrait pas dénier aux communes la compétence pour œuvrer en vue de la réduction des gaz à effet de serre, au motif que la loi du 13 septembre 2012 portant création d’un pacte climat avec les communes viserait à promouvoir l’engagement climatique des communes en ce sens et que le pouvoir fiscal des communes pourrait s’étendre à toutes les matières dans lesquelles les conseils communaux jugent utile d’établir une taxe.

La commune soutient encore que, contrairement à l’argumentation étatique, la jurisprudence de la CJUE n’exclurait pas la taxe litigieuse, laquelle relèverait du pouvoir fiscal autonome des communes et poursuivrait certes des objectifs budgétaires, mais également des finalités spécifiques en ce que la délibération du 1er avril 2019 instaurerait un lien direct entre la perception de cette taxe et l’utilisation de son produit aux fins énoncées dans ladite délibération, à savoir le financement de projets dans le domaine de la mobilité durable, la mise en œuvre du pacte climat et la sensibilisation de la population à un comportement respectueux de l’environnement.

A partir de tous ces développements, la commune estime qu’en retenant que la prérogative des communes serait d’office limitée à des fins essentiellement budgétaires et en excluant de ce fait toute finalité spécifique, l’arrêté entrepris serait contraire à la directive 2008/118 telle qu’interprétée par la CJUE.

Par rapport encore au reproche étatique de la contrariété de la taxe litigieuse à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118 en ce que ladite taxe ne respecterait pas les règles communautaires de taxation applicable à l’accise, la commune fait valoir que la taxation supplémentaire ne devrait pas respecter, dans sa globalité, l’ensemble des règles applicables en matière d’accises mais qu’elle devrait être conforme seulement à l’économie générale de ces règles, ainsi que la CJUE l’aurait retenu dans un arrêt du 9 mars 2000 (aff. C-437/97). Elle souligne que l’Etat ne préciserait à aucun endroit de l’arrêté grand-ducal en quoi le régime de la taxe établie par ses soins ne respecterait pas l’économie générale des règles applicables aux accises entraînant que ledit arrêté laisserait d’être fondé sur ce point.

L’Etat conclut en substance à la confirmation du motif de refus énoncé dans l’arrêté grand-ducal déféré.

L’article 1er de la directive 2008/118 dispose dans son paragraphe 1er que :

« La présente directive établit le régime général des droits d'accise frappant directement ou indirectement la consommation des produits suivants, ci-après dénommés « produits soumis à accise »:

a) les produits énergétiques et l'électricité relevant de la directive 2003/96/CE ;

(…) ».

L’article 2, paragraphe 1er, de la directive 2003/96 définit les produits énergétiques relevant de son champ d’application comme suit :

« Aux fins de la présente directive, on entend par « produits énergétiques » les produits: (…) b) relevant des codes NC 2701, 2702 et 2704 à 2715 inclus; (…) ».

Au vœu de la section V du tarif douanier de l’Union, les produits définis par le règlement communal en cause du 1er avril 2019 comme « toute huile minérale destinée ou pouvant être utilisée comme combustible pour véhicules automoteurs » rentrent tous dans le champ du code NC 2710 des « huiles de pétrole ou de minéraux bitumeux (autres que les huiles brutes); préparations n.d.a. contenant en poids = 70% d'huiles de pétrole ou de minéraux bitumineux et dont ces huiles constituent l'élément de base; déchets d'huiles contenant principalement des huiles de pétrole ou de minéraux bitumineux ».

Il s’ensuit que les huiles minérales destinées à être utilisées comme carburants de véhicules automoteurs soumises à la surtaxe communale par le règlement en cause du 1er avril 2019 rentrent dans le champ d’application de la directive 2008/118.

La directive 2008/118 établit le régime général des droits d'accise frappant directement ou indirectement la consommation des produits soumis à accise, mais autorise également dans son article 1er, paragraphe 2, les Etats membres à prévoir des taxes supplémentaires sur ces produits dans les conditions énoncées comme suit :

« Les États membres peuvent, à des fins spécifiques, prélever des taxes indirectes supplémentaires sur les produits soumis à accise, à condition que ces impositions respectent les règles de taxation communautaires applicables à l'accise ou à la taxe sur la valeur ajoutée pour la détermination de la base d'imposition, le calcul, l'exigibilité et le contrôle de l'impôt, ces règles n'incluant pas les dispositions relatives aux exonérations ».

Dans la mesure où l’article 288 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne dispose qu’une « directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens », c’est à bon droit que l’Etat fait valoir que la directive 2008/118 s’impose aux Etats membres au sens du droit international public sans admettre une distinction entre l’Etat et ses subdivisions ou collectivités territoriales et qu’elle s’impose partant également aux communes luxembourgeoises.

La première question par rapport à l’application de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118 à la surtaxe communale en cause est celle de savoir si cette dernière s’analyse en une « taxe indirecte supplémentaire » au sens de cette disposition.

Il est vrai, comme relevé par la commune dans son recours, que la directive 2008/118 ne définit pas cette notion et que la CJUE l’a examinée dans son arrêt du 4 juin 2015 (aff. C-5/14, Kernkraftwerke Lippe-Ems GmbH contre Hauptzollamt Osnabrück). Elle a considéré en substance qu’il doit s’agir, à l’instar du droit d’accise, d’une « taxe à la consommation, c’est-à-dire une taxe indirecte » qui frappe directement ou indirectement la consommation notamment des produits énergétiques visés par la directive 2003/96. La CJUE a encore circonscrit la notion en renvoyant à l’article 4, paragraphe 2, de cette directive qui définit le « niveau de taxation » que les Etats membres appliquent aux produits concernés comme étant le « montant total d’impôts indirects (à l’exception de la TVA) perçu, calculé directement ou indirectement sur la quantité de produits énergétiques et d’électricité au moment de la mise à la consommation ». La CJUE a dès lors conclu dans ledit arrêt que « la notion de « taxes indirectes supplémentaires », au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118, vise les taxes indirectes qui frappent la consommation des produits énumérés à l’article 1er, paragraphe 1, de cette directive, autres que les «droits d’accise», au sens de cette dernière disposition, et qui sont prélevées à des fins spécifiques ».

Or, la surtaxe communale litigieuse en l’espèce correspond précisément à la définition de la taxe indirecte au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2003/96.

En effet, en premier lieu, conformément à l’article 1er de la délibération du 1er avril 2019, la surtaxe s’applique aux livraisons d’huiles minérales qui sont effectuées dans les stations de service en vue d’être utilisées comme carburants de véhicules. L’objet de la taxe consiste ainsi en des opérations individuelles portant sur des produits déterminés, de sorte que la taxe afférente constitue une taxe indirecte et non pas un impôt direct visant une certaine personne voire une situation fiscale globale. En outre, les livraisons ainsi définies portent sur des biens en vue d’un usage qui doit être qualifié de consommation de produits énergétiques tombant dans le champ de la directive 2008/118.

En deuxième lieu, la surtaxe communale est assise, d’après l’article 5 de ladite délibération, sur une certaine quantité de carburants, à savoir le litre de carburants livré, de manière à être calculée directement sur la quantité de produits énergétiques mis à la consommation.

La Cour ne saurait suivre la commune dans son argumentation relative à l’applicabilité, dans le cadre de la directive 2008/118, de la définition nationale luxembourgeoise de la taxe indirecte, fondée sur l’article 3 de la directive 2003/96. Si cette disposition énonce en effet que « dans la directive 92/12/CEE, les termes «huiles minérales» et «droits d'accises», dans la mesure où ils se rapportent à des huiles minérales, couvrent tous les produits énergétiques, l'électricité et tous les impôts indirects nationaux visés respectivement à l'article 2 et à l'article 4, paragraphe 2, de la présente directive », les termes « impôts indirects nationaux » ne peuvent pas être compris comme renvoyant à une définition nationale d’impôts à caractère indirect. Lesdits termes visent plutôt tous les impôts instaurés par les Etats membres et rentrant dans le champ de la notion de taxe indirecte énoncée par l’article 4, paragraphe 2 de la même directive et précisée par l’arrêt susvisé de la CJUE du 4 juin 2015.

En outre, c’est à tort que la commune argue que l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118 ne s’appliquerait, au vu des éléments de définition contenus dans l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2003/96, qu’aux taxes indirectes supplémentaires qui seraient perçues au moment de la mise à la consommation des produits énergétiques. Il se dégage en effet clairement du libellé dudit article 4, paragraphe 2, que le moment de la mise à la consommation doit déterminer la fixation de la quantité de produits énergétiques soumise à l’imposition par rapport à laquelle la taxe sera calculée directement ou indirectement, mais ne doit pas coïncider avec la perception du montant total des impôts. Or, il n’est point contesté en cause que l’unité de calcul du litre prévue par l’article 5 du règlement en cause du 1er avril 2019 est conforme au système général de détermination des droits d’accise prévu par la directive 2003/96.

Par ailleurs, cette question de la compatibilité de la définition du moment de la mise à la consommation dans le cadre de la surtaxe communale litigieuse au régime des droits d’accise s’analyse non pas en une question d’applicabilité de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118, mais plutôt en une question de compatibilité au fond du régime de cette surtaxe avec cette disposition et, plus particulièrement, avec la « condition que ces impositions respectent les règles de taxation communautaires applicables à l'accise ou à la taxe sur la valeur ajoutée pour la détermination de la base d'imposition, le calcul, l'exigibilité et le contrôle de l'impôt (…) ».

Finalement, il y a lieu de relever que la surtaxe communale en cause s’ajoute aux droits d’accise tels que prévus par la directive 2008/118, de sorte à constituer une taxe supplémentaire au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118.

Par voie de conséquence, la surtaxe communale litigieuse en l’espèce rentre dans le champ de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118 en tant que taxe indirecte supplémentaire et elle ne saurait être valablement érigée que dans la mesure où elle satisfait aux exigences posées par cette disposition.

L’Etat met en avant en premier lieu la non-conformité de la surtaxe communale en cause avec la condition inscrite à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118 de la perception de la taxe à des fins spécifiques.

Comme l’Etat le fait valoir à juste titre, la notion de la finalité spécifique est interprétée par la CJUE en ce sens qu’elle doit être « autre que purement budgétaire », mais que la seule circonstance qu’une taxe vise un objectif budgétaire ne saurait, en tant que telle, suffire à exclure que cette taxe puisse être considérée comme ayant également une finalité spécifique au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118. Cependant, la CJUE estime que dès lors qu’une affectation prédéterminée des recettes d’une taxe relève d’une simple modalité d’organisation interne du budget d’un Etat membre, elle ne saurait, en tant que telle, constituer une condition suffisante à cet égard, tout Etat membre pouvant décider d’imposer, quelle que soit la finalité poursuivie, l’affectation du produit d’une taxe au financement de dépenses déterminées. Ainsi, d’après la CJUE, afin d’être considérée comme poursuivant une finalité spécifique au sens de ladite disposition, une taxe doit viser, par elle-même, à assurer la finalité spécifique invoquée et il doit exister un lien direct entre l’utilisation des recettes et la finalité de l’imposition en question. En outre, la législation ou réglementation en cause doit prévoir un mécanisme d’affectation prédéterminée à des fins environnementales des recettes de la taxe (voir CJUE 27 février 2014, aff. C-82/12, Transportes Jordi Besora SL, considérants 23 à 34, et 25 juillet 2018, aff. C-103/17, Messer France SAS, considérants 35 à 44).

En l’espèce, il découle du libellé ci-avant cité de la délibération en cause du 1er avril 2019 que le conseil communal a entendu justifier l’introduction de la surtaxe sur les huiles minérales d’abord par des considérations budgétaires en mettant en avant les fluctuations des recettes provenant de l’impôt commercial communal et le but de stabiliser à travers les recettes provenant de la surtaxe ses recettes budgétaires afin de couvrir ses dépenses de fonctionnement et d’investissement.

Au-delà de cette finalité purement budgétaire, le conseil communal a également mis en avant des finalités d’ordre environnemental en ce sens que « les recettes ainsi générées seront utilisées pour financer des projets dans les domaines de la mobilité durable, de la mise en œuvre du pacte climat et de la sensibilisation de la population à un comportement respectueux de l'environnement ».

Or, quant au lien direct entre l’utilisation des recettes et la finalité de l’imposition en question, la CJUE requiert plus particulièrement que le produit de la taxe en question soit obligatoirement utilisé afin de réduire les coûts environnementaux liés de manière spécifique à la consommation des huiles minérales grevées par ladite taxe (cf. CJUE 27 février 2014, aff. C-82/12, Transportes Jordi Besora SL, considérant 30, et 25 juillet 2018, aff. C-103/17, Messer France SAS, considérant 38).

Les finalités liées à la mise en œuvre du pacte climat prévu par la loi prévisée du 13 septembre 2012 visent à promouvoir, moyennant des subventions, l’engagement climatique des communes dans des domaines qui dépassent largement le trafic routier et ne sauraient partant être reconnues comme finalités spécifiques.

Il en est de même en ce qui concerne la finalité abstraitement libellée de la sensibilisation de la population qui couvre potentiellement des domaines très variés allant largement au-delà des conséquences environnementales de la consommation d’huiles minérales à des fins de mobilité.

Ce n’est que la finalité mise en avant de la volonté de réaliser des projets dans le domaine de la mobilité durable qui pourrait être reconnue, le cas échéant, comme tendant à réduire l’impact environnemental de la mobilité fondée sur la consommation d’huiles minérales afin d’augmenter les offres alternatives de mobilité aux habitants de la commune.

Cependant, comme relevé ci-avant, la reconnaissance de cette justification de la surtaxe en cause en tant que finalité spécifique requiert que la réglementation communale instaurant la surtaxe en question mette en place un mécanisme d’affectation prédéterminée à des fins environnementales des recettes de la surtaxe. Or, la délibération du 1er avril 2019 ne prévoit aucun mécanisme particulier d’affectation du produit de la surtaxe projetée à la réalisation de projets déterminés, de sorte que ledit produit entre parmi les recettes du budget ordinaire de la commune.

Il s’ensuit que la surtaxe litigieuse ne peut pas être considérée comme poursuivant une finalité spécifique au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118, de sorte qu’elle ne répond pas à cette première condition pour pouvoir être considérée comme conforme à cette disposition.

Cette conclusion ne se trouve point énervée par l’argument de la commune fondé sur un prétendu conflit entre l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118 et le paragraphe 2, alinéa 1er, de la KAG. En effet, au-delà du fait que les dispositions d’une directive priment sur une législation nationale d’un Etat membre, le paragraphe 2 de la KAG opère certes une limitation du pouvoir des communes à ne procéder qu’aux mesures fiscales justifiées par leur nécessité, mais ladite limitation se résout essentiellement dans une obligation légale de motiver et de légitimer le recours des communes à leur prérogative de lever des impôts, afin de garantir qu’elles ne perçoivent des recettes dont elles n’ont pas besoin pour assurer la réalisation d’une mission dont elles sont investies (trib. adm. 4 novembre 2014, n° 33179, confirmé par Cour adm. 14 juillet 2015, n° 35575C, Pas. adm. 2020, V° Impôts, n° 686). Or, dans l’hypothèse où une commune peut valablement arguer que la réalisation de certains projets concrets tendant à réduire l’impact environnemental de la mobilité fondée sur la consommation d’huiles minérales rentre dans le champ des missions communales, elle peut également arguer que les besoins de financement de ces projets fondent la nécessité d’introduire une taxe afférente et il incombe alors à la commune de se conformer, dans l’établissement du régime de cette taxe, aux exigences de l’article 1er, alinéa 2, de ladite directive, dont celle du lien direct entre l’utilisation des recettes et la finalité de l’imposition en question.

C’est partant à bon droit que l’arrêté grand-ducal déféré a conclu à la contrariété de la délibération du 1er avril 2019 aux dispositions contraignantes de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2008/118 en raison du défaut de vérification d’une finalité spécifique conforme à cette disposition.

Dans la mesure où ledit arrêté se justifie sur base de ce seul motif de refus d’approbation, il y a lieu de rejeter le recours sous examen sans qu’il n’y ait lieu d’examiner les autres motifs de refus formulés ni les moyens y relatifs de la commune.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit le recours en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute l’administration communale de …V…, condamne l’administration communale de …V… aux dépens.

Ainsi délibéré et jugé par:

Francis DELAPORTE, président, Henri CAMPILL, vice-président, Serge SCHROEDER, premier conseiller, et lu à l’audience publique du 28 septembre 2021 au local ordinaire des audiences de la Cour par le président, en présence du greffier de la Cour ….

S. … S. DELAPORTE Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 29 septembre 2021 Le greffier de la Cour administrative 16


Synthèse
Numéro d'arrêt : 44428C
Date de la décision : 28/09/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 05/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2021-09-28;44428c ?

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