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14/10/2021 | LUXEMBOURG | N°46361C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 14 octobre 2021, 46361C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 46361C du rôle ECLI:LU:CADM:2021:46361 Inscrit le 13 août 2021 Audience publique du 14 octobre 2021 Appel formé par Madame (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 12 juillet 2021 (n° 44870 du rôle) en matière de protection internationale Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 46361C du rôle et déposé au greffe de la Cour administrative le 13 août 2021 par Maître Katy DEMARCHE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), née le … à … (Cameroun

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GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro 46361C du rôle ECLI:LU:CADM:2021:46361 Inscrit le 13 août 2021 Audience publique du 14 octobre 2021 Appel formé par Madame (A), …, contre un jugement du tribunal administratif du 12 juillet 2021 (n° 44870 du rôle) en matière de protection internationale Vu l’acte d’appel, inscrit sous le numéro 46361C du rôle et déposé au greffe de la Cour administrative le 13 août 2021 par Maître Katy DEMARCHE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), née le … à … (Cameroun), de nationalité camerounaise, demeurant à L-…, dirigé contre le jugement rendu par le tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg le 12 juillet 2021 (n° 44870 du rôle) par lequel elle a été déboutée de son recours tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 21 avril 2020 portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 17 septembre 2021 ;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 7 octobre 2021.

Le 17 juin 2019, Madame (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 1relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Madame (A) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent du service de police judiciaire de la police grand-ducale, section criminalité organisée – police des étrangers, dans un rapport du même jour.

Toujours le 17 juin 2019, elle passa un entretien auprès du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

Les 21 octobre et 18 novembre 2019, elle fut entendue par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 21 avril 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après « le ministre », informa Madame (A) que sa demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée. La décision, qui comporte encore un ordre de quitter le territoire dans un délai de trente jours à son égard, est libellée de la façon suivante :

« (…) J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 17 juin 2019 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Vous êtes accompagnée de votre enfant mineure (B), née le … à … en Belgique, de nationalité camerounaise.

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 17 juin 2019, le rapport d’entretien Dublin III du 17 juin 2019, le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 21 octobre et du 18 novembre 2019 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l’appui de votre demande de protection internationale.

Madame, il résulte de vos déclarations que vous seriez née dans la ville « … », à l’extrême-nord du Cameroun et que vous auriez vécu dans le département du « … » dans la commune « … » à proximité de la frontière avec le Nigéria. Vous y auriez vécu avec votre époux (C), ses deux autres femmes (D) et (E) et le cousin de votre époux (F).

Vous déclarez avoir quitté votre pays d’origine parce qu’en janvier 2015 à l’âge de … ans, vous auriez été forcée de vous marier à un « homme polygame et âgé » par votre oncle 2qui serait devenu chef de famille après le décès de votre père (p.7/20 du rapport d’entretien).

Vous auriez refusé le rapport sexuel avec votre époux, raison pour laquelle ce dernier vous aurait frappée et abusé sexuellement de vous. Vous seriez amoureuse d’(F), le cousin de votre mari, et auriez entretenu une relation intime avec ce dernier, ce que votre époux n’aurait jamais découvert. Vous seriez tombée enceinte et votre fils (G) serait né le …. Deux mois après sa naissance, votre époux aurait décidé « qu’il allait donner notre enfant à ma mère » (p.9/20 du rapport d’entretien), et ce sans justification aucune.

Par la suite, votre époux vous aurait emmenée ainsi que ses deux autres femmes à la brousse pendant environ deux années. Vous auriez fait l’aller-retour régulièrement entre la brousse et votre maison. Vous indiquez que « C’est là-bas [Rem.: dans la brousse] que j’ai appris qu’il était avec les gens de Boko Haram » (p.9/20 du rapport d’entretien). Vous y auriez été chargée d’observer les maisons afin de recenser le nombre d’habitants. Les hommes de « Boko Haram » se seraient par la suite infiltrés dans ces maisons « pour les convaincre à ces gens de devenir Musulmans et ils sont revenus avec les filles des maisons ainsi qu’avec les mamans avec des bébés » (p.9/20 du rapport d’entretien). Vous auriez été témoin du fait que des hommes qui se seraient opposés auraient été égorgés et de l’islamisation et du mariage forcé des filles enlevées. Vous auriez dû apprendre le maniement d’armes, mais vous n’auriez jamais réussi à fusiller une autre personne.

Vous auriez pensé à contacter la police « pour leur indiquer pour aller aider les autres », mais le cousin de votre époux vous aurait déconseillé de les dénoncer et aurait dit que « la police pourrait me garder pendant un certain temps pour faire les enquêtes ; que la police allait m’emmener en brousse pour que je leur indique les endroits où sont cachés les Boko Haram » (p.11/20 du rapport d’entretien). De ce fait, vous n’auriez pas porté plainte auprès de la police contre les faits criminels de votre époux.

Vous auriez quitté votre pays d’origine en mai 2018 accompagnée du cousin de votre époux en direction de la Guinée Equatoriale. Vous y auriez séjourné pendant trois semaines chez une femme dénommée « (H) » qui vous aurait par la suite accompagnée en Espagne par avion. Vous auriez voyagé avec un faux passeport, munie d’un visa « Schengen » valable du 20 mai 2018 jusqu’au 20 juin 2018 établi par les autorités espagnoles en Guinée Equatoriale.

Après avoir passé la nuit en Espagne vous seriez arrivée en Belgique en juin 2018 et seriez restée à … jusqu’en juin 2019, donc une année. Vous y auriez été hébergée dans un centre du « Samusocial », un « dispositif urbain d’urgence sociale et de lutte contre l’exclusion. Nos équipes se portent à la rencontre des personnes sans-abri en détresse dans les rues de la ville pour leur offrir une aide d’urgence (hébergement, soins médicaux, accompagnement psychosocial, repas, douche) » et y auriez eu un enfant. Vous auriez quitté … parce qu’« il y avait beaucoup de gens de mon pays » (p.6/20 du rapport d’entretien) et « J’avais peur que quelqu’un connaisse mon oncle et … n’est pas si grand » (p.18/20 du rapport d’entretien) et seriez venue au Luxembourg.

Vous présentez les documents suivants :

- Votre carte d’identité, - Votre acte de naissance et la copie de celui de votre fille, - Une attestation « pour obtenir l’indemnité de grossesse et/ou de repos postnatal » émis par la ville de …, - La carte de vaccination incomplète de votre fille émise par la ville de …, - Un avis aux parents et aux personnes qui ont la garde d’enfants en bas âge sur la « Vaccination antipoliomyélitique » émis par la ville de ….

3 2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

Madame, il faut d’abord soulever que votre comportement depuis votre départ du Cameroun est incompatible avec celui d’une personne réellement à la recherche d’une protection dans un pays sûr.

Vous seriez venue au Luxembourg après avoir séjourné en Belgique pendant environ une année et après y avoir eu un enfant. En effet, le fait que vous n’auriez introduit une demande de protection internationale que plus d’une année après avoir quitté votre pays d’origine est manifestement de nature à mettre en doute la gravité de votre situation dans votre pays d’origine, alors qu’il est légitime d’attendre d’une personne se sentant réellement persécutée qu’elle introduise une telle demande dès qu’elle a l’occasion de le faire, c’est-à-dire dans le premier pays sûr rencontré et dans les délais les plus brefs, ce qui n’a manifestement pas été votre cas.

Un tel comportement est incompatible avec un réel besoin de protection.

• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l’article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.

Vous déclarez que votre oncle vous aurait mariée sans votre consentement à un homme.

Force est de constater que ce fait n’est pas lié à votre race, votre religion, votre nationalité, votre appartenance à un groupe social particulier ou vos opinions politiques de sorte qu’il convient de conclure que ce motif n’entre pas dans le champ d’application de la Convention de Genève.

4De plus, il s’impose de porter votre attention aux dispositions relatives au mariage forcé prévues dans le cadre légal camerounais. L’article 52 du code civil camerounais énonce ce qui suit à propos des conditions pour contracter un mariage: « Aucun mariage ne peut être célébré : si la fille est mineure de 15 ans ou le garçon mineur de 18 ans, sauf dispense accordée par le président de la République pour motif grave; s’il n’a été précédé de la publication d’intention des époux de se marier; si les futurs époux sont de même sexe; si les futurs époux n’y consentent pas ». Le gouvernement camerounais interdit donc clairement l’arrangement de mariages forcés.

L’article 356 du code pénal camerounais prévoit des peines de prison et des amendes et dispose que « 1. Est puni d’un emprisonnement de cinq à dix ans et d’une amende de 25 000 à 1 000 000 francs [47 (XE 22 août 2012a) à 188 dollars canadiens (ibid. 22 août 2012b)] celui qui contraint une personne au mariage. 2. Lorsque la victime est une mineure de dix-huit ans, la peine d’emprisonnement, en cas d’application des circonstances atténuantes, ne peut être inférieure à deux ans. 3. Est puni des peines prévues aux deux alinéas précédents, celui qui donne en mariage une fille mineure de quatorze ans ou un garçon mineur de seize ans ».

Il ressort de ces informations que selon la loi camerounaise, vous auriez pu refuser le mariage, respectivement obtenir une protection en vous adressant aux autorités.

A cela s’ajoute que vous auriez pu vous adresser à diverses organisations non gouvernementales pour trouver de l’aide dans ce contexte: Parmi les ONG qui viennent en aide à ces filles et femmes, on peut citer « Child Care Cameroon », « Plan » et l’« Association de lutte contre les violences faites aux femmes », qui « milite pour l’élimination de toutes formes de violence physique, sexuelle ou morale envers les femmes et les filles, dans leur vie privée ou publique ».

Notons qu’il y a la possibilité pour les femmes de vivre seules dans les grandes villes du Cameroun, comme à Yaoundé ou à Douala. Quand bien même les femmes seules pourraient être considérées comme des femmes de « mauvaise réputation », elles peuvent néanmoins vivre indépendamment: « D’après la coordinatrice de l’ALVF [Rem.: Association de lutte contre les violences faites aux femmes], au Cameroun, il y a des femmes qui vivent seules même dans des régions « à fort attachement culturel, où les traditions et la religion ont une forte influence », comme la région de l’Extrême-Nord ; la coordinatrice a ajouté que le niveau d’éducation et les statuts social et religieux d’une femme qui vit seule influencent « fortement » la façon dont la société la considère ».

Partant, notons qu’il n’existe aucun risque futur dans votre chef de devenir victime d’une persécution.

Madame, vous déclarez que votre époux aurait fait partie du groupement terroriste « Boko Haram » et que vous auriez été chargée d’observer les maisons afin de recenser le nombre d’habitants et que vous auriez été témoin de divers délits. Or, il convient de retenir que les faits évoqués ne sauraient justifier l’octroi du statut de réfugié, alors qu’ils ne répondent à aucun des critères prévus par la Convention de Genève et la Loi de 2015, qui prévoient une protection à toute personne persécutée dans son pays d’origine à cause de sa race, sa nationalité, sa religion, son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.

5Notons que vous vous êtes rendue coupable d’infraction en participant aux activités d’un groupement terroriste. De plus, il convient de noter que vous n’avez aucunement tenté de dénoncer ces faits aux autorités.

Notons dans ce contexte que « Countering terrorist threats remained a top security priority for the Cameroonian government, which continued to work with the United States to improve the capacity of its security forces » et que « France, the United States, the United Kingdom, and Germany are Cameroon’s principal partners, primarily in the context of operations to counter Boko Haram in the country’s Far North region. Both France and the US provide Cameroon with significant military and security assistance and training ».

De plus, notons que le gouvernement camerounais coopère activement avec le Niger, le Nigéria et le Tchad dans la région du Lac Tchad afin de contrer la menace de « Boko Haram ». Précisons que « The Chadian government operated at a heightened level of security and has instituted screenings at border-crossings to prevent infiltration by members of Boko Haram […] Border patrols were provided by a combination of border security officials, gendarmes, police, and military […] Tchad had cooperated actively with Cameroon, Niger, and Nigeria in operations to counter the threat of Boko Haram and ISIS-WA on its borders ».

A cela s’ajoute que le gouvernement camerounais a mis en place plusieurs mesures pour contrer la menace de « Boko Haram », entre autres des « comités de vigilance » : « 14.000 personnes [sont] membres des comités de vigilance. Ils jouent un rôle essentiel dans la lutte contre Boko Haram, renseignent les forces de défense et servent d’éclaireurs ». De plus, « Ils affrontent parfois directement le mouvement jihadiste et protègent les communautés, notamment contre les attentats-suicides ».

Notons aussi que « Cameroon has deployed two military operations, namely Operation EMERGENCE 4 made up of units of the regular army and Operation ALPHA comprising of units of the Rapid Intervention Battalion (BIR), the elite corps of the Cameroonian army ».

Le fait que vous auriez toujours craint des représailles de la part de « Boko Haram » après votre fuite de votre lieu de séjour, malgré le constat que « le conflit entre les forces de sécurité camerounaises et Boko Haram baisse en intensité dans l’Extrême-Nord du Cameroun […] et Boko Haram est aujourd’hui un mouvement affaibli […] Ses opérations se limitent de plus en plus à des attaques de basse intensité, à la pose d’engins explosifs et à des attentats-suicides, qui échouent la plupart du temps », traduit donc un sentiment général d’insécurité et non une réelle crainte de persécution. Or, un simple sentiment d’insécurité, qui n’est basé sur aucun fait réel ou probable ne saurait cependant constituer une persécution au sens de la Convention de Genève.

A cela s’ajoute qu’il convient de constater qu’il n’existe aucun risque futur de persécution au Cameroun puisqu’aujourd’hui vous êtes majeure et donc parfaitement capable de vous installer dans une autre partie de votre pays d’origine pour être à l’abri de représailles de « Boko Haram », vu que « Boko Haram » n’agit qu’à l’extrême-nord du pays.

Il convient de rappeler que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission d’actes de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain degré de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission 6matérielle d’une infraction, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Or, tel n’est manifestement pas le cas en l’espèce.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous auriez été persécutée, que vous auriez pu craindre d’être persécutée respectivement que vous risquez d’être persécutée en cas de retour dans votre pays d’origine, de sorte que le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.

L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

En l’espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande de reconnaissance du statut du réfugié. En effet, vous indiquez que vous auriez quitté le Cameroun et introduit une demande de protection internationale au Luxembourg parce que vous auriez été forcée à travailler pour « Boko Haram » et parce que vous auriez été mariée de force.

A cet égard, il est utile de rappeler que vous auriez pu requérir la protection des autorités camerounaises. A cela s’ajoute qu’il convient de constater qu’aujourd’hui vous êtes majeure et donc parfaitement capable de vous installer dans une autre partie de votre pays d’origine, comme Yaoundé ou Douala, pour être à l’abri de représailles de « Boko Haram » et aussi de votre oncle.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément crédible de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 précité, de sorte que le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

73. Quant à la fuite interne En vertu de l’article 41 de la Loi de 2015, le Ministre peut estimer qu’un demandeur n’a pas besoin de protection internationale lorsque, dans une partie du pays d’origine, il n’y a aucune raison de craindre d’être persécuté ni aucun risque réel de subir des atteintes graves et qu’il est raisonnable d’estimer que le demandeur peut rester dans cette partie du pays.

Ainsi, la conséquence d’une fuite interne présume que le demandeur puisse mener, dans une autre partie de son pays d’origine, une existence conforme à la dignité humaine. Selon les lignes directrices de l’UNHCR, l’alternative de la fuite interne s’applique lorsque la zone de réinstallation est accessible sur le plan pratique, sur le plan juridique, ainsi qu’en termes de sécurité.

En l’espèce, il ressort à suffisance de vos dires que vous n’auriez pas tenté de vous réinstaller dans une autre ville ou région de votre pays d’origine au motif que « Boko Haram a été envoyé dans la zone chez nous. Quand je me suis enfuie, c’est le cousin qui a eu l’idée de m’emmener en Guinée pour venir ici » p.18/20 du rapport d’entretien).

Or, ces motifs ne constituent pas un obstacle à une réinstallation dans votre pays d’origine.

Ainsi, vous auriez pu vous installer à Yaoundé, la capitale du Cameroun, ou à Douala, ville portuaire, la capitale économique du Cameroun, le principal centre d’affaires et la plus grande ville avec Yaoundé, au lieu de vous enfuir en direction de l’Europe. A cela s’ajoute que l’économie camerounaise, qui est la plus diversifiée de la région, a connu ces dernières années des taux de croissance au-delà des 4%, il convient donc de souligner qu’étant votre âge et votre parfaite condition pour vous adonner à des activités rémunérées, vous êtes dans une position qui pourrait vous permettre à gagner votre vie dans une ville camerounaise, en particulier à Yaoundé.

Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination du Cameroun, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisée à séjourner.

(…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 21 août 2020, Madame (A) fit introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre du 21 avril 2020 portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et ordre de quitter le territoire.

Dans son jugement du 12 juillet 2021, le tribunal administratif rejeta ce recours, pris en ses deux volets, comme non fondé.

Par requête d’appel déposée au greffe de la Cour administrative le 13 août 2021, Madame (A) a fait régulièrement entreprendre ce jugement.

8A l’appui de son appel, l’appelante renvoie en ce qui concerne les faits motivant sa demande de protection internationale à son rapport d’entretien devant l’agent du ministère. En substance, elle fait ainsi valoir qu’elle serait originaire de la région de l’Extrême-Nord du Cameroun, située près de la frontière avec le Nigeria. En 2015, alors qu’elle aurait été âgée de … ans, elle aurait été contrainte par son oncle, qui aurait épousé sa mère après le décès du mari de celle-ci, à un mariage forcé avec un homme « polygame et âgé », qui aurait abusé d’elle.

Elle aurait ensuite eu une relation amoureuse avec le cousin de son époux et un enfant serait né de cette relation en 2016. Deux mois après, son époux aurait donné cet enfant à sa mère à elle et l’aurait ensuite emmenée avec ses deux autres épouses dans la brousse où elle aurait vécu durant deux ans. Elle y aurait découvert que son époux était membre du groupe terroriste islamiste Boko Haram. Elle aurait été contrainte de fournir des renseignements sur les habitants des villages à Boko Haram et aurait été témoin des exactions commises par ce groupe. Elle aurait voulu dénoncer les membres de Boko Haram à la police, mais le cousin de son époux l’en aurait dissuadée. Elle aurait finalement quitté son pays d'origine en 2018 avec le cousin de son époux. Elle aurait rejoint la Belgique en juin 2018 et serait restée un an à … où elle aurait accouché d’un second enfant, avant de venir déposer sa demande de protection internationale à Luxembourg.

En droit, l’appelante reproche aux premiers juges de ne pas avoir correctement évalué le bien-fondé de sa demande de protection internationale. Elle estime, contrairement aux premiers juges, que son mariage forcé avec un membre de Boko Haram et sa soumission forcée aux actions de ce groupe rentrent dans le champ d’application de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après « la Convention de Genève ». Elle dit craindre, en cas de retour dans son pays d'origine, des persécutions sinon des atteintes graves en raison du fait d’avoir été « une des femmes de Boko Haram », tout en insistant sur l’intensification des attaques de Boko Haram dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun.

Elle soutient que les autorités camerounaises ne protégeraient pas les femmes qui auraient fui Boko Haram et que celles-ci seraient placées en observation dans des cellules avant d’être remises à leur chef de famille qui, dans son cas, serait son oncle qui vivrait auprès de sa mère et qui l’aurait soumise à un mariage forcé. Il lui serait dès lors difficile de dénoncer son oncle aux autorités. Elle ne pourrait dès lors compter ni sur sa famille, ni sur les autorités camerounaises, ni même sur des ONG venant en aide aux femmes. Elle dit encore craindre d’être rejetée par la société camerounaise. Elle conteste par ailleurs toute possibilité de fuite interne en raison de son passé d’ancienne combattante de Boko Haram.

En conclusion, l’appelante sollicite, à titre principal, la reconnaissance du statut de réfugié et, à titre subsidiaire, l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire.

L’Etat conclut en substance à la confirmation du jugement dont appel.

Concernant le statut de réfugié, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 sub f) de la loi du 18 décembre 2015 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

9Il se dégage par ailleurs de la combinaison des articles 2 sub h), 2 sub f), 39, 40 et 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1), et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Quant à l’octroi de la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 sub g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Les premiers juges sont à confirmer en ce qu’ils ont dégagé à partir de l’article 41 de la loi du 18 décembre 2015 qu’une possibilité de fuite interne ne saurait être considérée comme donnée que si, dans une partie du pays d’origine, le demandeur de protection internationale n’a pas une crainte fondée d’être persécuté ou ne risque pas réellement de subir des atteintes graves, ou bien si, dans une partie du pays d’origine, il a accès à une protection contre les persécutions ou les atteintes graves, à condition qu’il puisse effectuer le voyage vers cette partie du territoire en toute sécurité et légalité et qu’il puisse raisonnablement s’y établir. Il appartient dès lors au ministre d’identifier une zone sûre, accessible tant en pratique que légalement pour le demandeur, en tenant compte du profil de la personne concernée, étant en tout état de cause souligné qu’il incombe au ministre, sinon de prouver positivement l’absence de tout risque, respectivement l’accès à une protection suffisante, du moins d’examiner et d’énoncer de manière plausible pour quelles raisons il estime devoir et pouvoir, dans le contexte et pour les causes visées à l’article 41 de la loi du 18 décembre 2015, refuser la protection internationale.

La Cour rejoint encore les premiers juges en leur analyse que les faits dont l’appelante se prévaut à l’appui de sa demande de protection internationale, à savoir son mariage forcé avec un membre de Boko Haram, qui l’aurait violée et entraînée dans la brousse pour aller vivre durant deux ans auprès de Boko Haram et pour lequel elle aurait dû faire des 10reconnaissances dans les villages sur ses habitants, aussi graves et condamnables que ces faits puissent l’être, ont un caractère purement local pour s’être déroulés dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun, dont l’appelante se dit être originaire.

Ainsi que les premiers juges l’ont relevé à bon droit, aucun élément ne permet dès lors de retenir que l’appelante, majeure d’âge et physiquement apte à s’adonner à une activité rémunérée, ne disposerait pas d’une alternative de fuite dans son pays d'origine. En effet, rien ne l’oblige à retourner vivre au sein de sa famille et, plus particulièrement, auprès de sa mère et de son oncle. En plus, dans la mesure où il n’est pas contesté que le groupe terroriste Boko Haram n’est actif au Cameroun que dans la région de l’Extrême-Nord du pays, l’appelante dispose d’une réelle possibilité de s’installer dans une autre partie de son pays d'origine, et notamment dans les villes de Youndé ou de Douala, pour se mettre à l’abri des agissements de Boko Haram et d’une éventuelle participation forcée aux agissements de ce groupe terroriste.

Quant à la crainte exprimée par l’appelante d’être stigmatisée et rejetée par la population camerounaise du fait d’être une ancienne combattante de Boko Haram, d’une part, elle a affirmé ne pas avoir réellement combattu, mais n’avoir fait que des reconnaissances et d’autre part, il est peu probable qu’elle soit identifiée en tant qu’ex-combattante de Boko Haram en cas d’installation dans une autre partie de son pays d'origine, les craintes afférentes ne pouvant être qualifiées que de purement hypothétiques. Les nouvelles pièces versées en instance d’appel, et notamment un article publié sur internet sur le sort des combattantes de Boko Haram au Nigeria, ne permettant pas d’infirmer ce constat.

Il convient par ailleurs de relever le peu d’empressement de l’appelante à déposer une demande de protection internationale, alors qu’elle a vécu une année à … sans y solliciter une protection internationale, avant de venir au Luxembourg. Ses explications selon lesquelles elle n’aurait pas été au courant de la possibilité d’introduire une demande de protection internationale en Belgique ne sont guère convaincantes, alors qu’elle y aurait été hébergée et entourée par un centre du Samu social.

Au vu de ces éléments, il n’est pas démontré dans le chef de l’appelante une crainte fondée de persécution pour les motifs énumérés à l’article 2 sub f) de la loi du 18 décembre 2015, respectivement qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’elle encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

Il suit de ce qui précède que c’est à bon droit que le ministre d’abord, puis les premiers juges, ont rejeté la demande de protection internationale prise en son double volet.

L’appelante sollicite encore, par réformation du jugement, la réformation de l’ordre de quitter le territoire.

Or, comme le jugement entrepris est à confirmer en tant qu’il a rejeté la demande d’octroi du statut de la protection internationale de l’appelante et que le refus dudit statut entraîne automatiquement l’ordre de quitter le territoire, l’appel dirigé contre le volet de la décision des premiers juges ayant refusé de réformer cet ordre est encore à rejeter.

Les développements ci-avant ayant mené au constat que les craintes invoquées par l’appelante de subir des persécutions sinon des atteintes graves au Cameroun ne sont pas 11fondées, le renvoi de l’intéressée vers son pays d’origine ne saurait logiquement emporter une atteinte au principe de non-refoulement.

L’appel n’étant dès lors pas fondé, il y a lieu d’en débouter l’appelante et de confirmer le jugement entrepris.

PAR CES MOTIFS la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause, reçoit l’appel en la forme, au fond, déclare l’appel non justifié et en déboute, partant, confirme le jugement entrepris du 12 juillet 2021, condamne l’appelante aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, et lu par le vice-président en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour ….

s. … s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14 octobre 2021 Le greffier de la Cour administrative 12


Synthèse
Numéro d'arrêt : 46361C
Date de la décision : 14/10/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 20/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2021-10-14;46361c ?

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