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05/12/2023 | LUXEMBOURG | N°47044

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 05 décembre 2023, 47044


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 49523C ECLI:LU:CADM:2023:49523 Inscrit le 5 octobre 2023 Audience publique du 5 décembre 2023 Appel formé par Madame (A), …., contre un jugement du tribunal administratif du 6 septembre 2023 (n° 47044 du rôle) en matière de protection internationale Vu l’acte d’appel inscrit sous le numéro 49523C du rôle et déposé au greffe de la Cour administrative le 5 octobre 2023 par Maître Ibtihal EL BOUYOUSFI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), née le …. à

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(Venezuela), de nationalité vénézuélienne, demeurant à L-… …, …, rue...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 49523C ECLI:LU:CADM:2023:49523 Inscrit le 5 octobre 2023 Audience publique du 5 décembre 2023 Appel formé par Madame (A), …., contre un jugement du tribunal administratif du 6 septembre 2023 (n° 47044 du rôle) en matière de protection internationale Vu l’acte d’appel inscrit sous le numéro 49523C du rôle et déposé au greffe de la Cour administrative le 5 octobre 2023 par Maître Ibtihal EL BOUYOUSFI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame (A), née le …. à ….

(Venezuela), de nationalité vénézuélienne, demeurant à L-… …, …, rue …, dirigé contre un jugement du 6 septembre 2023 (n° 47044 du rôle) par lequel le tribunal administratif du Grand-

Duché de Luxembourg l’a déboutée de son recours tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 19 janvier 2022 portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et ordre de quitter le territoire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe de la Cour administrative le 30 octobre 2023 ;

Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;

Vu les pièces versées en cause et notamment le jugement entrepris ;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 28 novembre 2023.

1 Le 18 décembre 2019, Madame (A) introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Madame (A) sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée-police des étrangers, dans un rapport du même jour.

Toujours le 18 décembre 2019, elle fut entendue par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Par décision du 22 janvier 2020, notifiée à l’intéressée par courrier recommandé expédié le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après « le ministre », informa Madame (A) que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de la transférer dans les meilleurs délais vers l’Espagne sur base de l’article 28, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18, paragraphe (1), point b), du règlement Dublin III.

Le recours contentieux introduit à l’encontre de cette décision par Madame (A) en date 12 février 2020 fut déclaré irrecevable par jugement du tribunal administratif du 6 juillet 2020 (n° 44152 du rôle).

Il est constant en cause que le transfert de Madame (A) vers l’Espagne ne put être exécuté endéans les délais prévus par le règlement Dublin III, de sorte que les autorités luxembourgeoises devinrent responsables de l’examen de la demande de protection internationale de l’intéressée.

Madame (A) fut ensuite entendue en date des 12 juillet et 27 septembre 2021 par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs gisant à la base de sa demande de protection internationale.

Par une décision du 19 janvier 2022, le ministre rejeta la demande de protection internationale de Madame (A) comme non fondée et lui ordonna de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Cette décision est libellée dans les termes suivants :

« (…) J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 18 décembre 2019 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

21. Quant à vos déclarations En mains les rapports du Service de Police Judiciaire du 18 décembre 2019, le rapport d’entretien Dublin III du 18 décembre 2019, le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 12 juillet et 27 septembre 2021 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l’appui de votre demande.

Il ressort des éléments de votre dossier, et notamment de la comparaison de vos empreintes avec le système « Eurodac » que vous avez introduit une demande de protection internationale en Espagne le 11 décembre 2019. Vous prétendez auprès de la Police Judiciaire avoir été obligée d’introduire une demande de protection internationale en Espagne afin que le fils « de ma sœur » ait pu y avoir accès aux soins. Vous précisez dans le cadre de votre entretien Dublin III être venue en Europe en compagnie de votre frère, de son épouse et de leur enfant et avoir résidé pendant à peu près trente-cinq jours en Espagne, d’abord dans un hôtel, puis dans un appartement, mais ne pas avoir voulu attendre la réponse des autorités espagnoles à votre demande de protection internationale parce que vous n’auriez jamais voulu y demander l’asile. Vous prétendez avoir tous été obligés d’introduire des demandes de protection internationale en Espagne afin que les médecins s’occupent du « fils de mon frère ». A cela s’ajoute que la vie en Espagne serait très difficile et les conditions de vie « très graves », vous auriez été obligée de payer un loyer pour votre logement et parfois vous n’auriez pas eu assez d’argent pour manger.

Par décision du 22 janvier 2020, les autorités luxembourgeoises se sont déclarées incompétentes pour le traitement de votre demande de protection internationale tout en ordonnant votre transfert vers l’Espagne, Etat compétent pour analyser votre demande. Le recours introduit contre cette décision a été rejeté pour être irrecevable par jugement du Tribunal administratif rendu en date du 6 juillet 2020 (n° 44152 du rôle). Le 3 décembre 2020, vous avez été convoquée à la Direction de l’immigration en vue de vous informer sur les modalités de votre transfert en Espagne prévu pour le 10 décembre 2020 et sur la nécessité de vous soumettre à un test PCR au Covid-19 pour pouvoir être transférée. Dans ce contexte un laboratoire a été contacté pour passer avec une infirmière à votre foyer d’accueil, le 7 décembre 2020, afin d’y passer ce test, information dont vous avez été mise au courant avec prière d’attendre l’arrivée de l’infirmière chez vous et d’informer par la suite le Ministère quant au résultat. En compagnie de votre frère et belle-sœur, vous avez toutefois informé une assistante sociale que vous ne seriez pas disponibles ce jour-là alors que vous devriez vous rendre à un rendez-vous auprès d’une ASBL concernant des maladies rares. Vous avez par conséquent été priés d’annuler ce rendez-vous, mais le 7 décembre 2020, alors que vous-même étiez présente, votre frère, votre belle-sœur et votre neveu ont tout de même quitté le foyer d’accueil de sorte que les tests en question n’ont pas pu être réalisés. Votre transfert en Espagne a par conséquent été annulé. Dans la mesure où par la suite le délai prévu dans le règlement Dublin III pour procéder à votre transfert en Espagne avait entretemps expiré, le Luxembourg est devenu responsable pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Madame, vous déclarez vous nommer (A), née le 15 février 1983, être de nationalité vénézuélienne, de confession catholique, être célibataire et originaire de ……, où vous auriez travaillé depuis 2010 comme infirmière et vécu auprès de votre frère (B), de son épouse et leur 3enfant, ainsi qu’avec votre fille, (D), née le …… Vous êtes venue au Luxembourg en compagnie de votre frère, belle-sœur et neveu qui ont également introduit des demandes de protection internationale. Votre fille vivrait toujours au Venezuela.

Vous relatez avoir quitté le Venezuela en novembre 2019 alors que vous auriez craint pour votre sécurité en raison d’une agression dont vous auriez été victime en 2014, en raison des problèmes de votre frère, également parce que votre salaire n’aurait pas suffi pour manger, respectivement parce que votre salaire aurait été retenu et que vous auriez été maltraitée au travail à cause de votre désaccord avec le gouvernement, parce que vous auriez été « jugée » par votre employeur étant donné que vous seriez la fille d’un « ex-conseiller d’opposition », à cause des déficiences du transport public et enfin, pour aider votre frère dans le cadre de l’« attention spéciale » dont aurait besoin son fils atteint d’une maladie.

Premièrement, vous prétendez qu’en avril 2014, en vous rendant sur votre lieu de travail à l’hôpital « (F) », vous vous seriez retrouvée au milieu de confrontations entre des étudiants et des « colectivos » qui auraient tiré avec des armes, et dont un vous aurait reconnue « du côté politique parce qu’on s’était déjà rencontré dans d’autres endroits » (p. 7 du rapport d’entretien), à savoir lors de votre présence en tant que témoin de table lors d’élections passées ou sur des « points de rencontre des manifestations » (p. 7 du rapport d’entretien). Comme les étudiants auraient été au courant de votre « situation », à savoir « j’appartiens à un parti politique de l’opposition » (p. 5 du rapport d’entretien), dénommé « COPEI » (p. 11 du rapport d’entretien), ils auraient tenté de vous protéger mais vous auriez tout de même été touchée par deux « tirs » dans la jambe. Blessée, les étudiants vous auraient transportée à l’hôpital dans lequel vous auriez été employée, mais vos supérieurs auraient alors voulu vous remettre aux « colectivos » qui auraient été à votre recherche. Vos collègues de travail vous auraient alors aidée à vous exfiltrer de l’hôpital en « passant par la morgue » et vous auraient amenée dans la clinique privée « (G) » dans laquelle vous auriez également été employée depuis 2013. Des médecins se seraient occupés de vous, vous auraient soignée et cachée pendant deux jours dans un appartement. Vous vous seriez par la suite installée pendant trois jours chez un ami avant de rentrer chez vous alors que votre fille aurait eu besoin de vous. Vous ajoutez que vous n’auriez pas pu vous installer chez vos parents, alors que votre père « appartenait aussi à ce parti politique. Mon père était conseillé (sic) élu à …… Il était également poursuivi politiquement » (p. 5 du rapport d’entretien). Pendant votre congé de maladie, vous vous seriez rendue à l’hôpital « (F) » pour apporter un justificatif de congé à vos supérieurs, lequel ces derniers n’auraient toutefois pas accepté et exigé votre retour immédiat. Par peur de perdre votre travail, vous auriez recommencé à travailler, mais le « harcèlement » par le chef du personnel infirmier aurait empiré et vous auriez été rétrogradée d’infirmière en soins intensifs à infirmière « normale » (p. 10 du rapport d’entretien). Vous auriez en outre été « maltraitée » au niveau des horaires de travail qui auraient changé hebdomadairement et assignée à « n’importe quelle zone ». « Ensuite, ils sont au courant de mon orientation sexuelle. C’était terrible au point que j’ai dû démissionner » (p. 5 du rapport d’entretien). Vous précisez dans ce contexte avoir eu une relation avec une collègue de travail dénommée (K) qui aurait été « confirmée » ou découverte en janvier 2014 à cause d’une photo publiée sur « Facebook » et parce que votre collègue n’aurait plus voulu se cacher. En raison de votre orientation sexuelle, vous auriez en outre été sujette à la « discrimination » (p. 11 du rapport d’entretien) dans la rue ce qui vous aurait toutefois été « égale » alors que vos parents et votre fille l’auraient acceptée. Vous ajoutez que vous auriez été sans salaire pendant trois mois et que 4vous auriez été mutée du service néonatal à l’unité de traumatologie étant donné que selon « eux » (p. 10 du rapport d’entretien), comme vous aimeriez les femmes, vous risqueriez d’abuser des bébés. Après votre démission en 2015 de l’hôpital « (F) », vous auriez néanmoins continué à travailler dans la clinique privée « (G) » précitée en faisant attention de ne pas être « identifiée dehors » (p. 5 du rapport d’entretien). Vous prétendez encore qu’en juillet 2016, les « colectivos » seraient entrés de force dans la clinique privée parce qu’ils auraient été à votre recherche (p. 5 du rapport d’entretien), voire, parce que la clinique aurait accepté de soigner des manifestants blessés (p. 12 du rapport d’entretien), mais que le personnel vous aurait aidée à vous cacher.

Etant donné que les « colectivos » ne vous auraient pas retrouvée, ils auraient « jeté du gaz lacrymogène » (p. 5 du rapport d’entretien) dans la clinique. Vos supérieurs vous auraient par la suite fait comprendre que cela ne pourrait plus durer et que vous devriez ou bien démissionner ou bien accepter un « horaire strict ainsi, s’ils revenaient, ils ne pourraient pas me retrouver » (p. 5 du rapport d’entretien). Vous auriez alors été mutée dans l’unité des soins intensifs, où vous auriez travaillé jusqu’en août 2019, jusqu’à ce qu’il « arrive la chose à mon frère (B) » qui aurait été « extorqué par des agents du gouvernement » (p. 5 du rapport d’entretien). Vous auriez par la suite continué à vous occuper de patients à domicile à votre propre compte. Vous prétendez craindre une peine d’emprisonnement si jamais vous étiez retrouvée par les « colectivos » alors que vous auriez alors été jugée pour « terrorisme » comme les autorités le feraient avec les étudiants.

Concernant votre « situation » politique, vous précisez encore être issue d’une famille politisée et avoir suivi l’exemple de votre père en rejoignant le COPEI. Vous auriez été « membre du parti pour les manifestations de la jeunesse » et lors des élections, vous auriez convoqué les membres des tables électorales et vous vous seriez occupée de la « logistique de tous ces gens-là qui travaillaient pendant les élections » (p. 11 du rapport d’entretien).

Deuxièmement, vous prétendez qu’en août 2019, votre frère aurait été enlevé et « maltraité, frappé, torturé » (p. 6 du rapport d’entretien) par les autorités parce qu’il aurait été en retard de paiement des extorsions dont il aurait été victime par des « agents du gouvernement » (p. 5 du rapport d’entretien). Après avoir promis de payer la somme demandée, il aurait été relâché et bénéficié d’un délai de quinze jours pour réaliser le paiement. Le lendemain de sa libération (p. 6 du rapport d’entretien) voire, fin octobre 2019 (p. 13 du rapport d’entretien), il aurait déposé plainte auprès du procureur. Après que votre sœur installée au Chili aurait appris ce qui se serait passé, elle vous aurait acheté quatre billets d’avion pour partir pour l’Europe. Vous précisez ne pas avoir voulu rester au Venezuela par crainte de représailles des autorités qui auraient pu s’en prendre à vous ou à votre fille après le départ de votre frère. Vous précisez encore dans ce contexte que vous auriez toutefois dû laisser votre fille au Venezuela parce que votre sœur aurait uniquement pu vous acheter quatre billets d’avion et non pas cinq.

Troisièmement, vous expliquez que votre neveu, le fils de votre frère (B), souffrirait du syndrome de Silver-Russel et aurait besoin d’hormones de croissance. Ce dernier se serait trouvé en soins intensifs au Venezuela, aurait été traité par un pédiatre urologue et aurait par ailleurs suivi des examens à ……. Vous expliquez que la situation de votre neveu vous toucherait personnellement alors qu’il serait comme un deuxième enfant pour vous et que vous auriez toujours été avec lui depuis sa naissance.

Quatrièmement, vous expliquez que les personnes partageant votre orientation sexuelle ne seraient pas acceptées au Venezuela, mais qu’elles seraient « humiliées, piétinées » par la 5« population générale » (p. 14 du rapport d’entretien). A cela s’ajouterait que vous n’auriez pas pu vous exprimer librement au Venezuela et que vous auriez été obligée de vivre « dans le placard », alors que l’homosexualité y serait « illégale ». Ainsi, les homosexuels seraient isolés de la société et n’auraient pas la possibilité de travailler ou de se marier ni d’avoir un enfant.

Bien qu’il n’existerait pas de loi qui rendrait l’homosexualité illégale au Venezuela, des personnes y auraient été tuées à cause de leur orientation sexuelle. Alors que vous avez débuté vos doléances quant à la situation des personnes homosexuelles au Venezuela en précisant qu’il s’agirait bien d’un de vos motifs de fuite, « pour mon orientation sexuelle » (p. 14 du rapport d’entretien), vous finissez par préciser que votre orientation sexuelle ne constituerait justement pas un de vos motifs de fuite, « ce n’était pas la raison qui m’a poussée à quitter le pays » (p. 14 du rapport d’entretien).

Vous n’auriez d’ailleurs pas envisagé de déménagement à l’intérieur du Venezuela alors que la discrimination envers les personnes homosexuelles serait pire dans les autres Etats, tels ….. ou ……. Vous vous seriez par ailleurs une fois adressée à une association vénézuélienne de soutien aux personnes homosexuelles - dont vous ne vous rappelleriez pas du nom - qui aurait cessé ses activités alors que quatre de leurs membres auraient été emprisonnés.

Fin octobre 2019, suite au dépôt de plainte auprès du procureur par votre frère, vous auriez pris la décision de quitter le pays avec lui-même et sa famille. Vous déclarez dans ce contexte avoir quitté votre domicile à …… début novembre 2019 et vous vous seriez installés pendant une dizaine de jours chez votre mère à …… Le 10 novembre 2019, vous auriez alors quitté le Venezuela de manière officielle en passant par le pont international pour gagner ….. en Colombie, puis …., où vous auriez pris un avion pour Madrid, en précisant avoir laissé votre fille chez votre mère à …. (p. 3 du rapport d’entretien), ou auprès de votre père (p. 13 du rapport d’entretien). En cas d’un retour au Venezuela, vous devriez « mourir », alors que les personnes qui auraient eu un conflit avec votre frère seraient toujours à votre recherche et que la situation serait pire lors des élections étant donné qu’à ce moment « ils » seraient à la recherche de « l’opposition » pour l’empêcher d’aller voter. Ils seraient en outre au courant de l’adresse de votre mère et de votre père où vous ne pourriez par conséquent pas vous installer. Vous ne pourriez en outre pas rentrer au Venezuela alors que vous n’y auriez « rien » (p. 15 du rapport d’entretien) à part votre fille.

A l’appui de vos dires, vous présentez les pièces suivantes :

- Votre passeport vénézuélien prolongé en avril 2019 à …… et votre carte d’identité vénézuélienne, -

la copie de deux attestations non datées en langue espagnole qui informeraient sur votre appartenance au parti politique « COPEI » et celle de votre père, -

un certificat médical émis le 2 juillet 2021, au Luxembourg, à votre demande, attestant que vous avez des cicatrices à la jambe qui « pourraient » provenir d’une arme à feu.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

6Madame, avant tout autre développement en cause, je tiens à vous informer que la crédibilité de votre récit doit être réfutée au vu de son caractère non plausible et de vos explications truffées d’incohérences et de contradictions.

En effet, il s’agit de soulever tout d’abord que vous faites part d’un récit dénué de logique et de cohérence, en invoquant de manière tout à fait incohérente un maximum de prétendus problèmes et craintes que vous auriez vécus au Venezuela pour ainsi maximiser vos chances de vous faire octroyer une protection internationale.

Ce constat est tout d’abord confirmé par le fait que vous voulez vous faire passer pour une personne qui serait activement recherchée par les « colectivos » et qui craindrait d’être emprisonnée par le régime pour « terrorisme ». En effet, des questions se posent dans ce contexte tout d’abord sur les raisons qui auraient soudainement motivé ces « colectivos » à se mettre sans raison apparente à votre recherche alors que vous seriez, comme tous les jours depuis des années, allée travailler en tant qu’infirmière dans deux hôpitaux différents. Vous tentez certes de vous justifier en expliquant que vous auriez depuis toujours « appartenu » à un parti politique et que vous auriez déjà fait la connaissance de « colectivos » lorsque vous auriez été un « témoin de table » lors d’élections passées, mais ces faits ne vous auraient apparemment causé aucun problème avec les « colectivos » pendant toutes ces années. Il n’est dès lors guère crédible qu’en avril 2014, lorsque vous vous seriez prétendument retrouvée par pur hasard dans des affrontements entre des étudiants et des « colectivos », ces derniers vous auraient alors immédiatement reconnue et se seraient de manière totalement inopinée mis à votre recherche.

Vous restez en effet en défaut d’expliquer pourquoi vous auriez soudainement été recherchée par des « colectivos » à ce moment précis, alors que ces derniers auraient donc manifestement été au courant de votre adresse et lieu de travail depuis longtemps, tout en n’ayant jusque-là entrepris aucune démarche pour vous retrouver ou vous inquiéter d’une quelconque manière.

Il est d’autant plus réfuté que vous ayez quitté le Venezuela sur base d’une prétendue crainte envers les « colectivos » parce que ces derniers seraient à votre recherche, voire, envers les autorités qui risqueraient de vous tuer ou votre fille, alors que vous avez justement et de manière injustifiable ou inexplicable décidé de laisser votre fille, qui serait pourtant également menacée de mort, au Venezuela. Votre tentative de justification que votre sœur aurait uniquement pu vous payer quatre billets d’avion et non pas cinq n’emporte manifestement pas conviction à cet égard, alors qu’il est très peu vraisemblable qu’une mère prioriserait une fuite onéreuse vers l’Europe à la survie et la sécurité de sa fille.

Il échet par ailleurs de soulever que vous prétendez donc ne pas avoir pu vous installer chez vos parents dans leurs domiciles respectifs à cause de ces prétendus problèmes avec les « colectivos » et les autorités qui seraient à votre recherche et au courant de leurs adresses respectives. Vous prétendez même que votre père serait lui-même « poursuivi politiquement » (p. 5 du rapport d’entretien). Pourtant, vous auriez justement vu d’un bon œil de laisser votre fille chez vos parents au Venezuela alors que contrairement à vous-même, elle aurait pu y être logée pour une raison inconnue et sans plus d’explications à ce sujet. Vous déclarez que votre fille vivrait toujours chez votre mère à ….., où vous l’auriez laissée après votre départ pour la Colombie où elle n’aurait donc manifestement pas rencontré des soucis spécifiques endéans les deux dernières années. Vous prétendez toutefois aussi que vous auriez envoyé votre fille chez votre père et qu’elle 7serait hébergée dans différentes maisons appartenant à la famille de votre père. Or, et hormis le caractère manifestement contradictoire par rapport à vos déclarations précédentes, cette affirmation ne saurait également pas expliquer pour quelles raisons vous-même n’auriez pas pu profiter de la même occasion.

Le fait que vous n’êtes nullement recherchée par les « colectivos » est encore confirmé par vos explications dénuées de toute crédibilité, selon lesquelles votre supérieur dans la clinique privée vous aurait proposé un « horaire strict » pour ainsi éviter tout problème avec des « colectivos ». En effet, vous prétendez que les « colectivos » qui auraient été à votre recherche n’auraient jamais été actifs le soir, mais uniquement le matin ou l’après-midi, de sorte que vous n’auriez plus jamais été embêtée sur votre lieu de travail, de 2016 à 2019. Or, d’une part, il est évidemment absurde d’imaginer que les « colectivos » cesseraient toute activité au coucher du soleil, les recherches ministérielles dans ce contexte n’ayant pas non plus permis de trouver trace d’une telle pratique, d’autre part, le fait que les « colectivos » ne seraient plus jamais venus vous rechercher sur votre lieu de travail pendant toutes ces années, prouve qu’ils ne sont clairement pas à votre recherche et qu’ils ne l’ont jamais été.

Vos allégations sibyllines dans ce contexte selon lesquelles vous auriez, lors de l’exercice de votre travail entre 2015 et 2019, toujours fait attention de ne pas être « identifiée dehors » restent également tout à fait absconses. En effet, vous déclarez vous-même que les « colectivos » auraient parfaitement été au courant de votre identité, de votre lieu de travail et de votre adresse, de sorte qu’il ne rime donc à rien de vouloir cacher son identité à ces personnes qui auraient donc manifestement pu vous intercepter à tout moment pendant toutes ces années. Partant, vos déclarations quant à votre prétendue vie en cachette se résument à des allégations non crédibles.

Vous prétendez encore avoir démissionné et pris la décision de quitter le Venezuela en août 2019, après que votre frère (B) aurait été enlevé, au motif que vous auriez craint pour votre sécurité et celle de votre fille. Or, étonnement (sic), vous précisez par la suite, qu’après votre démission, vous auriez tout simplement continué à travailler en tant qu’infirmière en vous occupant de patients à leurs domiciles à votre propre compte, jusqu’à votre départ pour la Colombie fin octobre 2019. Vous auriez donc continué à vous déplacer dehors et à aller travailler pendant à peu près un mois, sachant prétendument très bien que les « colectivos » seraient au courant de votre adresse, respectivement, celle de votre frère ainsi que de celle de votre mère à Codera et qu’ils seraient toujours à votre recherche. Or, étonnamment, rien ne vous est arrivée, raison de plus que les « colectivos » ne sont nullement intéressés à votre personne.

Quant au prétendu enlèvement, suivi de « tortures », dont aurait été victime votre frère, vous prétendez encore au début de votre entretien que cela aurait eu lieu au plus tard en août 2019, alors que vous vous seriez sentie obligée de démissionner à cause des problèmes de votre frère ;

frère qui le « lendemain » (p. 6 du rapport d’entretien) de son enlèvement, aurait déposé plainte auprès du procureur. Vous prétendez toutefois vers la fin de votre entretien que cet enlèvement, tout comme le dépôt de plainte auraient eu lieu fin octobre 2019.

Le constat que vous ne jouez manifestement pas franc jeu est d’autant plus confirmé au vu de vos allégations quant à votre vécu suite à votre prétendue blessure par des « tirs » en 2014. En effet, vous alléguez avoir été exfiltrée de l’hôpital « (F) » parce que votre supérieur aurait voulu 8vous « remettre aux colectivos » et que vous auriez par conséquent craint d’être emprisonnée pour « terrorisme ». Or, outre que ces affirmations restent en l’état de pure allégation, vous vous seriez volontiers déplacée seulement quelques jours plus tard, dans ce même hôpital, pour remettre une fiche de congé de maladie à votre supérieur, de sorte que vous n’auriez étonnement (sic) plus du tout craint que vous risqueriez d’être « remise » aux « colectivos » ou que ces derniers se trouveraient toujours sur les lieux ou en proximité de l’hôpital en étant à votre recherche. Des questions quant à votre prétendu vécu en tant qu’infirmière, respectivement quant à votre prétendue démission en 2015, pour « harcèlement » se posent encore davantage au vu de votre explication quant à la possession d’un « carnet de la patria » émis en 2017. Ainsi, vous prétendez d’abord avoir été obligée de posséder ce carnet émis par le régime en tant qu’employée dans un hôpital public, « Sinon on devait démissionner ou ils nous licenciaient » (p. 2 du rapport d’entretien). Rendue attentive par l’agent chargé de votre entretien au fait que, selon votre version des faits, vous ne travailliez pourtant plus depuis deux ans dans cet hôpital public, vous justifiez alors sa possession par le fait qu’« Ils ont donné le carnet à toutes les infirmières inscrites au collège des infirmières » et que vous auriez donc reçu ce carnet même après avoir prétendument démissionné et que vous auriez pour le surplus été dans le collimateur des « colectivos » pour votre prétendu « appartenance » à l’opposition.

Dans ce même contexte, il est pareillement inexplicable que vous affirmez d’un côté avoir été obligée de fuir cet hôpital public et de vous cacher pendant quelques jours chez des amis, mais que de l’autre côté, vous auriez après quelques jours simplement décidé de rentrer chez vous, tout en prétendant avoir toujours été recherchée par les « colectivos ». Par ailleurs, tout en connaissant votre adresse, ces derniers n’auraient toutefois étonnamment pas eu l’idée de se déplacer jusqu’à votre adresse. Dans le cadre de cette prétendue recherche par les « colectivos », vous prétendez encore au début de votre entretien qu’en juillet 2016, les « colectivos » seraient entrés de force dans la clinique privée parce qu’ils auraient été à votre recherche et qu’étant donné qu’ils ne vous auraient pas retrouvée, ils auraient « jeté du gaz lacrymogène ». Il ressort toutefois par la suite de vos explications que les « colectivos » seraient entrés de force dans cet hôpital alors que des manifestants blessés y auraient été soignés, de sorte que vos déclarations dans ce contexte sont également contradictoires.

Ensuite, le contexte-même de votre départ du Venezuela est d’ailleurs lui aussi totalement incompatible avec une prétendue fuite, respectivement avec le comportement d’une personne qui se dit recherchée par les « colectivos » et qui serait, tout comme sa fille, à risque de se faire tuer par les autorités vénézuéliennes, voire, de se faire condamner à une peine d’emprisonnement pour « terrorisme ». Ainsi, après avoir compris que votre vie serait prétendument en danger au Venezuela et que vous devriez fuir le pays après le prétendu enlèvement de votre frère, vous vous seriez pourtant encore installée pendant une dizaine de jours chez votre mère avec votre fille, votre frère et sa famille, tout en sachant que les autorités seraient au courant de cette adresse et en ayant encore préalablement prétendu justement ne pas pouvoir vous installer chez votre mère.

Pour le surplus, vous auriez ensuite carrément décidé d’y laisser votre fille, après votre départ pour la Colombie en novembre 2019.

A cela s’ajoute que, comme vous le précisez vous-même, vous auriez donc décidé d’avoir recours à un départ officiel du Venezuela en vous déplaçant à la frontière et en quittant le pays par le « pont international » qui le relie à la Colombie. Or, il n’est manifestement pas crédible 9qu’une personne recherchée par les « colectivos » et qui risquerait une peine d’emprisonnement pour « terrorisme », voire, d’être carrément tuée par les autorités, prenne le risque de quitter légalement son pays en cherchant à se présenter aux autorités à la frontière. Une telle personne tenterait évidemment d’éviter tout contact avec les autorités et se moquerait d’un départ officiel ou d’un tampon de départ dans son passeport. Dans ce contexte, et alors même que vous prétendez être recherchée par les « colectivos » depuis 2014 et que ces derniers vous remettraient aux autorités qui vous condamneraient à une peine de prison pour « terrorisme », ces mêmes autorités ont pourtant encore en avril 2019 accordé la prolongation de votre passeport, preuve de plus que vous ne craignez rien et que vous ne vous trouvez manifestement pas dans le collimateur ni des « colectivos », ni mêmes des autorités vénézuéliennes.

Le constat que votre sincérité doit être réfutée est encore confirmé par d’autres incohérences et contradictions ressortant de vos dires, notamment, en relation avec votre prétendu intérêt pour la politique ou avec vos motifs de fuite en rapport avec votre orientation sexuelle alléguée. En effet, à part le fait que vous prétendez de manière vague et totalement superficielle avoir depuis toujours « appartenu » à un parti politique alors que vous auriez suivi l’exemple de votre père, en ajoutant vers la fin de votre entretien un nom à ce parti politique, il ne ressort nullement de vos explications, de surplus contradictoires et non convaincantes, que vous auriez par le passé été une activiste politique. Ainsi, il ressort tout au plus de vos quelques explications à ce sujet que vous auriez été « membre du parti pour les manifestations de la jeunesse » et qu’ « On se rassemblait dans un endroit spécifique. On expliquait quels règlements de la Constitution le gouvernement violait. On devait aller voter pas seulement pour les aînés, mais aussi pour nos enfants » (p. 12 du rapport d’entretien), réponse qui ne permet manifestement pas de clarifier votre rôle, de donner plus de poids à vos dires ou de retenir un quelconque activisme politique dans votre chef. Vos explications quant à votre prétendue participation en tant que « témoin de table » aux élections passées sont quant à elles également non concises. Ainsi, vous prétendez d’abord que votre tâche aurait consisté dans la convocation des membres des « tables », en précisant qu’aussi bien des membres du gouvernement et de l’opposition en auraient fait partie.

Ensuite, vous oubliez cependant totalement cette première explication en prétendant que « mon travail était de surveiller, après la finalisation du vote, les urnes au moment où elles étaient ouvertes pour faire le décompte » (p. 12 du rapport d’entretien).

Par ailleurs, le seul fait que vous versez la copie de deux écrits non datés en langue espagnole censés démontrer votre prétendue adhésion à un parti politique ne saurait pas non plus permettre de donner plus de poids à vos dires alors que, hormis le fait que vous restez en défaut de verser des traductions dans une des langues prévues par la loi, à savoir l’allemand, le français ou l’anglais, l’authenticité de ces documents ne saurait nullement être établie. Par ailleurs, une des copies versées concernerait votre père qui serait lui aussi « poursuivi politiquement », mais qui aurait donc tout simplement décidé de rester vivre de manière inopinée au Venezuela et à qui vous auriez, selon une de vos versions, confié votre fille après votre départ. En tout cas, et au vu de l’ensemble des considérations soulevées ci-dessus, ces attestations ne sont pas de nature à contrebalancer les contradictions et incohérences de vos déclarations et sont à considérer de ce fait comme documents de pure complaisance établis pour les seuls besoins de votre demande de protection internationale.

10Il est d’autant plus étonnant que vous n’êtes pas en mesure de prouver votre prétendue « appartenance » depuis toujours à un parti politique par une quelconque pièce authentique et objective, alors que vous seriez justement issue d’une famille très politisée, que vous vous seriez intéressée depuis votre plus jeune âge à la politique, que vous auriez été « témoin de table » lors d’élections, que vous auriez participé à maintes manifestations et que votre père aurait même par le passé été « conseiller-élu » pour le parti dont vous seriez également membre. Force est de constater que pendant votre séjour supérieur à deux années en Europe, vous n’auriez à aucun moment jugé opportun de vous procurer des pièces ou preuves susceptibles de soutenir vos dires en rapport avec votre prétendu intérêt pour la politique ou votre prétendu activisme politique et celui de votre père, votre prétendue participation à des manifestations ou votre prétendu rôle de « témoin de table » lors d’élections passées. Vous êtes également restée en défaut de fournir une quelconque preuve (documents médicaux, photos, articles de journal, publications sur les réseaux sociaux, etc.) quant aux prétendus problèmes avec les « colectivos », problèmes qui auraient précisément leur origine dans votre intérêt pour la politique et qui auraient notamment eu comme conséquence votre agression en 2014 ou l’attaque au gaz lacrymogène dans la clinique privée où vous auriez travaillé. Le seul fait que vous avez également versé un certificat médical établi sur votre demande au Luxembourg vous attestant la présence de cicatrices sur une jambe qui « pourraient » provenir de tirs ne saurait nullement suffire pour donner plus de poids à vos dires ou contrebalancer tous les constats susmentionnés, ce d’autant plus que vous n’avez à aucun moment jugé nécessaire de verser des documents en rapport avec vos blessures subies, votre traitement reçu et les soins administrés, votre congé de maladie ou toute autre pièce établie dans le cadre de ces « tirs » des « colectivos » dont vous auriez été victime. Vous n’avez même pas été en mesure de fournir la moindre preuve par rapport aux emplois que vous auriez occupés ou les démissions que vous auriez remises ou ne serait-ce que, de manière générale, une preuve quant à votre vie privée et quotidienne.

Il devrait vous être d’autant plus facile de verser de telles preuves au vu du maintien d’une grande partie de votre famille au Venezuela. En effet, votre mère, votre père, votre fille, ainsi que certainement aussi d’anciens collègues de travail et des amis vivraient toujours au Venezuela et il ne devrait par conséquent manifestement pas constituer dans votre chef une impossibilité insurmontable de soumettre aux autorités des pièces probantes sur votre vie privée et professionnelle, voire simplement votre vie au quotidien dans votre pays d’origine. Votre attitude tout à fait passive dans ce contexte fait preuve d’un désintérêt évident par rapport à votre demande de protection internationale et ne fait que confirmer les doutes retenus quant à votre crédibilité, alors qu’on doit pouvoir attendre d’une personne réellement persécutée ou à risque d’être persécutée et vraiment à la recherche d’une protection internationale qu’elle entreprenne au moins tout ce qui est dans son pouvoir pour se procurer des pièces concluantes par rapport à ses dires.

Enfin, il échet de constater que les motifs d’ordre économique que vous aviez mentionnés sur votre fiche de motifs manuscrite remplie lors de l’introduction de votre demande de protection internationale disparaissent totalement dans le cadre de votre entretien avec l’agent en charge de votre dossier. En effet, vous aviez mentionné sur cette fiche avoir également quitté le Venezuela parce que votre salaire n’aurait pas suffi pour manger et à cause de déficiences du transport public. Par ailleurs, vous n’aviez nullement mentionné votre prétendue orientation sexuelle sur ladite fiche de motifs, mais vous avez décidé d’en parler au cours dudit entretien. Il est dans ce 11contexte également frappant de noter que vous parlez tout d’abord d’une relation avec une collègue de travail que vous auriez eue, que cette relation aurait été acceptée par votre famille et que la « discrimination » dans la rue vous aurait été « égale ». Interrogée par l’agent chargé de votre entretien si d’autres motifs de fuite fondaient votre demande de protection internationale vous répondez par l’affirmative en mentionnant le fait que l’homosexualité ne serait pas acceptée au Venezuela. Vous finissez toutefois votre discours concernant la situation des personnes homosexuelles au Venezuela par le constat que votre orientation sexuelle ne constituerait justement pas un motif de fuite.

Au vu des contradictions et incohérences se tirant comme un fil rouge à travers votre récit, votre crédibilité générale est mise en cause. En effet, aux fins d’augmenter vos chances de tomber sous le champ d’application de la Convention de Genève, vous vous aménagez un récit inventé de toutes pièces incluant un maximum des mots clés en rapport avec les motifs prévus dans cette même Convention en invoquant des faits qui seraient d’ordre « politique » alors que vous « appartiendriez à un parti politique », liée à une recherche par les « colectivos » et par les autorités qui voudraient vous « emprisonner » pour « terrorisme » après que des « agents du gouvernement » auraient enlevé et « torturé » votre frère, tout en ayant par le passé été blessée par des « tirs » et en ajoutant à toutes fins utiles des soucis en rapport avec votre « orientation sexuelle ». Hormis votre « orientation sexuelle » alléguée qui ne saurait être mise en doute sur base des incohérences susmentionnées, et les motifs d’ordre économique et de convenance personnelle qui également fondent votre demande de protection internationale, vos motifs de fuite de nature « politique » concernant les « colectivos » et vos prétendues craintes d’être tuée par le régime vénézuélien ou d’être condamnée pour « terrorisme » sont partant rejetés pour manquer de crédibilité et ne seront par conséquent pas pris en compte pour statuer sur le bien-fondé de votre demande de protection internationale.

• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l’article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.

12Madame, à part le fait que, tel que relevé ci-avant, vos motifs d’ordre « politique » et le fait que vous seriez recherchée par les « colectivos » ou que vous risqueriez une peine d’emprisonnement pour « terrorisme » sont réfutés dans leur globalité pour manquer de crédibilité, il échet de soulever que votre orientation sexuelle alléguée ainsi que les motifs économiques et de convenance personnelle ne sauraient justifier l’octroi du statut de réfugié, respectivement, justifier dans votre chef l’existence d’une crainte fondée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève et de la Loi de 2015.

En effet, et tel que relevé ci-avant, vous omettez au départ d’invoquer votre orientation sexuelle alléguée au moment de l’introduction de votre demande de protection internationale.

Ensuite, vous prétendez d’un côté que votre orientation sexuelle constituerait quand-même un motif de fuite, pour finir par préciser sans équivoque qu’elle ne constituerait pas de tel motif. Il ressort en outre de vos dires que vous ne vous qualifiez vous-même à aucun moment expressément comme étant une personne homosexuelle, ni d’ailleurs lesbienne ou bisexuelle, mais c’est uniquement l’agent chargé de votre entretien qui vous interroge concrètement sur votre situation personnelle en tant que personne homosexuelle au Venezuela, tandis que vous-même parlez uniquement de la situation générale des personnes homosexuelles au Venezuela et du fait que vous auriez à un moment donné entretenu une relation avec une collègue de travail. Il ressort tout au plus de vos quelques explications à ce sujet que cette relation aurait selon toute apparence pris fin alors que vous ne mentionnez plus du tout cette femme dans le cadre de votre vécu depuis votre départ de l’hôpital « (F) » en 2015 jusqu’à votre départ pour la Colombie en 2019. Il ne ressort en outre nullement de vos explications que vous auriez encore vécu une quelconque relation homosexuelle pendant toutes ces années, ni d’ailleurs suite à votre arrivée au Luxembourg.

A cela s’ajoute qu’il ressort de vos propres dires que l’homosexualité ne serait pas illégale au Venezuela et que votre famille aurait bien accepté votre prétendue homosexualité, tout comme votre employeur de la clinique privée, alors que vous n’auriez plus jamais rencontré de soucis au travail depuis votre démission de l’hôpital « (F) » en 2015 jusqu’à votre nouvelle démission en 2019. L’unique problème que vous auriez personnellement rencontré au Venezuela à cause de votre prétendue homosexualité aurait consisté en une « discrimination dans la rue », discrimination qui vous aurait toutefois été « égale », étant relevé que vous restez dans ce contexte en défaut total de donner une quelconque précision quant aux discriminations concrètement vécues. A cela s’ajoute que vous critiquez de manière générale que l’homosexualité ne serait pas acceptée au Venezuela et que les personnes homosexuelles ne pourraient pas travailler, pas se marier, ni avoir des enfants. Enfin, vous parlez d’un « harcèlement » et d’une maltraitance » par le chef du personnel infirmier que vous auriez subis sur votre premier lieu de travail et lesquels auraient empiré après qu’il aurait découvert votre homosexualité. Ces problèmes professionnels ne seraient donc premièrement pas nés à cause de votre orientation sexuelle, mais prétendument à cause de vos problèmes, non crédibles, d’ordre « politique » en relation avec les « colectivos », respectivement, parce que votre père aurait été un « ex conseiller ». Ensuite, il échet de préciser que ni le fait de devoir travailler, en tant qu’infirmière, dans le cadre d’un horaire qui changerait toutes les semaines, ni le fait que vous auriez à un moment donné été assignée à un autre service , même à supposer que la raison pour un tel transfert aurait consisté dans l’attitude négative de votre supérieur envers les femmes homosexuelles, respectivement, qu’il n’aurait pas voulu qu’elles s’occupent des bébés, ne constituent pas forcément une « maltraitance ». Enfin, ces faits, à les supposer établis, auraient pris fin avec votre démission en 2015 et feraient clairement partie du 13passé. Ils seraient donc de toute façon trop éloignés dans le temps pour justifier l’octroi du statut de réfugié quelques six ou sept ans plus tard.

A toutes fins utiles, et si des motifs de fuite liés à l’orientation sexuelle du demandeur, peuvent a priori entrer dans le champ d’application de la Convention de Genève, il n’en reste pas moins que les soucis que vous invoquez ne revêtent manifestement pas un degré de gravité tel à pouvoir être perçus comme de tels actes de persécution. En effet, vous ne faites pas état de quelconques incidents concrets et graves, respectivement de problèmes précis, personnels et actuels qui seraient liés à votre homosexualité alléguée. Quant à vos déclarations générales concernant la situation des personnes homosexuelles au Venezuela, outre le fait que l’homosexualité n’y est donc pas criminalisée et que votre propre exemple démontre qu’il est faux que les personnes homosexuelles n’y pourraient pas exercer de travail, il y a lieu de préciser que le fait que le mariage pour tous n’y soit pas encore légalisé, ni la possibilité pour des couples homosexuels d’adopter des enfants, ne constitue manifestement pas non plus une discrimination qui serait à qualifier de persécution au sens de la Convention de Genève. Vous n’avez d’ailleurs même pas exprimé un quelconque souhait personnel d’adopter un enfant en tant que personne prétendument homosexuelle, ni de vous marier à une femme, ou ne serait-ce que d’avoir encore entretenu une relation avec une femme lors de votre départ du Venezuela.

Votre prétendu vécu au Venezuela en tant que personne prétendument homosexuelle, ainsi que vos allégations quant à la situation générale des personnes homosexuelles ne permettent en tout cas pas de retenir que vous ayez été victime de persécutions au sens de la Convention de Genève et de la Loi de 2015, ni que vous risqueriez de devenir victime de telles persécutions dans le futur.

Quant aux motifs économiques et de convenance personnelle qui fondent manifestement aussi votre demande de protection internationale, ces derniers ne sauraient pas non plus justifier l’octroi du statut de réfugié dans votre chef, alors qu’ils ne rentrent nullement dans le champ d’application de la Convention et de la Loi de 2015, textes qui prévoient une protection pour toute personne persécutée ou à risque d’être persécutée à cause de sa race, de sa nationalité, de sa religion, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social.

Il échet de remarquer dans ce contexte que beaucoup de Vénézuéliens ont, comme vous, quitté le pays au cours de la dernière décennie à cause de cette crise : « The mass emigration of Venezuelans constitute[s] one of the largest in recent Latin American history. In regards to recent refugee flows, the OAS noted that while the number of Syrians who left their country reached 6.5 million in seven years (2011-2017), the number of Venezuelans who left their country reached 4 million in four years (2015-June 2019). (…) as of 5 June 2020, there were 5 082 170 refugees and migrants reported by host governments, with the actual number likely to be higher as it does not take into account for Venezuelan migrants without a regular status. Among the causes for emigration are the inability to meet basic living standards, the collapse of basic services, criminality, lack of access to health care, hyperinflation, shortages of food and medicines, the deterioration of the education system, lack of access to pre-and post-natal care, insufficient protection mechanisms in cases of domestic violence, and ‘repression’ by the government and security forces ».

14Il ressort encore dans ce contexte d’un rapport de « Human Rights Watch » établi en 2020 que « The country is bankrupt, and widespread undernourishment has driven people to seek refuge elsewhere, causing the largest exodus in Latin American history. (…) Severe shortages of medicines, medical supplies, and food leave many Venezuelans unable to feed their families adequately or access essential healthcare". The COVID-19 pandemic has compounded the suffering. Venezuela was woefully unprepared for the pandemic because years of economic mismanagement exhausted their healthcare infrastructure and medical supply reserves ».

Or, suite à l’exode massif des années 2010 susmentionné, l’année 2020 s’est caractérisée par un certain retour au calme au Venezuela et par un retour de plus en plus de Vénézuéliens au pays qui sont désormais autorisés à investir en dollars et à faire proliférer leurs entreprises privées. Ces retours au pays se sont encore multipliés en 2021 à cause de la crise économique liée au COVID-19, ayant souvent fait perdre le travail aux Vénézuéliens partis dans d’autres pays sud-américains pour fuir la crise économique dans leur propre pays. Ces retours démontrent en même temps, tel que relevé ci-avant, que les Vénézuéliens ont par le passé surtout fui la crise économique et non pas les autorités ou des persécutions, tout en ne craignent manifestement pas d’y retourner. La seule situation générale au Venezuela ne saurait en tout cas pas non plus suffire pour justifier dans votre chef une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève et ce la Loi de 2015.

Aucune autre conclusion ne saurait être retenue par rapport aux motifs supposément médicaux de votre neveu lesquels fondent également votre demande de protection internationale, alors que vous confirmez avoir aussi introduit cette demande parce que votre neveu, accompagné de ses parents, aurait besoin de soins et que vous le considéreriez comme votre propre enfant. Or, et hormis le fait que la maladie de votre neveu constitue clairement un fait non-personnel nullement lié à votre histoire personnelle, d’autant plus qu’il est accompagné par ses propres parents en charge de son bien-être, des motifs médicaux ne sauraient de toute façon pas non plus justifier l’octroi du statut de réfugié pour ne pas être liés à l’un des cinq critères susmentionnés.

Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.

15 L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Au vu des considérations qui précèdent concernant le manque de crédibilité de vos dires relatifs à vos problèmes d’ordre « politique », en rapport avec vos prétendues craintes concernant votre sécurité et celle de votre fille après le prétendu enlèvement de votre frère, ainsi qu’en rapport avec vos prétendues craintes d’être recherchée et emprisonnée pour « terrorisme », et au vu des motifs économiques, médicaux ou de convenance personnelle, ainsi que des motifs liés à la situation générale qui fondent votre demande de protection internationale, il ne saurait manifestement pas être conclu que vous risqueriez en cas d’un retour au Venezuela, d’être victime d’une telle atteinte grave. Il en est de même pour ce qui de votre prétendue orientation sexuelle qui, comme vous le précisez à un moment donné, ne constitue de toute façon pas un de vos motifs de fuite et qui en plus ne vous a par le passé nullement empêchée de vivre sereinement au Venezuela. Vous déclarez par ailleurs vous-même ne guère vous être souciée des « discriminations » que vous auriez subies dans la rue, tout en restant en défaut de préciser en quoi ces discriminations auraient concrètement consisté. Le fait que la situation générale des homosexuels au Venezuela vous déplaise sans que vous n’ayez personnellement connu un problème grave dans ce contexte ne permet en tout cas clairement pas de retenir que vous risqueriez de subir une quelconque « atteinte grave » dans ce contexte en cas d’un retour au Venezuela.

Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Votre demande en obtention d’une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination du Venezuela, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisée à séjourner. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 février 2022, Madame (A) fit introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision du ministre du 19 janvier 2022 rejetant sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Par un jugement du 6 septembre 2023, le tribunal administratif reçut en la forme le recours en réformation en ses deux branches, au fond, le dit non justifié et en débouta la demanderesse, dit qu’il n’avait pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation, tout en condamnant la demanderesse aux frais de l’instance.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 5 octobre 2023, Madame (A) a régulièrement relevé appel de ce jugement.

16 A l’appui de son appel, elle soutient avoir quitté son pays d'origine en raison de ses craintes de subir des persécutions, d’une part, en raison de ses opinions politiques de la part des « colectivos », groupes paramilitaires d’extrême gauche soutenant le président Nicolas MADURO et son parti au pouvoir, et, d’autre part, en raison de son homosexualité de la part de la « société vénézuélienne ».

Elle précise dans ce contexte qu’elle serait membre actif du parti d’opposition « COPEI » et qu’en avril 2014, lors d’une manifestation d’étudiants, elle aurait été touchée à la jambe par deux balles.

Elle aurait également été victime d’actes d’harcèlement moral de la part de ses supérieurs à son poste de travail à l’hôpital « (F) » où elle travaillait comme infirmière, ce qui l’aurait incitée à aller travailler dans la clinique privée de ……. Courant 2016, les « colectivos » l’auraient recherchée à son nouveau lieu de travail avec comme conséquence qu’elle n’aurait plus pu travailler que de nuit dans une unité fermée pour pouvoir échapper aux agissements des « colectivos ». L’appelante indique encore qu’en août 2019, son frère aurait été enlevé par des inconnus et libéré contre la promesse de payer une rançon. Par crainte pour sa propre vie et eu égard à la situation humanitaire et sécuritaire générale prévalant au Venezuela, elle se serait résignée à quitter son pays d’origine en octobre 2019.

Madame (A) réfute encore tout possibilité de fuite interne, étant donné que les « colectivos » opéreraient sur toute l’étendue du territoire vénézuélien. En outre, les personnes homosexuelles seraient persécutées sur tout le territoire vénézuélien où l’homosexualité serait carrément interdite.

En droit, l’appelante reproche tout d’abord aux premiers juges d’avoir remis en question la crédibilité de son récit. Elle soutient dans ce contexte que le tribunal, à l’instar du ministre, se serait attardé sur des déclarations accessoires sans toutefois chercher à comprendre objectivement son vécu réel, ce d’autant plus que son entretien individuel concernant le fond de sa demande d’asile aurait été « bâclé ». L’appelante relève en outre que la situation des personnes reconnues comme appartenant à l’opposition vénézuélienne serait de moins en moins rassurante à l’approche des élections de 2024.

Concernant son homosexualité, elle soutient que les persécutions subies seraient loin d’être négligeables et qu’elles ne sauraient être minimisées.

Madame (A) reproche encore aux premiers juges d’avoir méconnu la possibilité de lui accorder le bénéfice du doute en application de l’article 37, paragraphe (5), de la loi du 18 décembre 2015, tout en renvoyant dans ce contexte à un rapport de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) de mai 2013, intitulé « Au-delà de la preuve. Evaluation de la crédibilité dans les systèmes d’asile européens », ainsi qu’à un rapport du European Asylum Support Office (EASO) de 2018, intitulé « Analyse juridique. Evaluation des éléments de preuve et de la crédibilité dans le contexte du régime d’asile européen », de même qu’à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme d’après laquelle une cohérence complète des déclarations des demandeurs de protection internationale ne serait pas nécessaire pour conclure à leur crédibilité.

Finalement l’appelante renvoie encore à une note d’orientation du HCR publiée le 21 mai 2019 d’après laquelle la majorité des exilés vénézuéliens seraient éligibles au statut de réfugié compte tenu de l’aggravation de la situation politique, socio-économique et humanitaire au Venezuela.

17En conclusion, elle sollicite, par réformation du jugement entrepris, l’octroi du statut de réfugié, sinon le statut conféré par la protection subsidiaire.

L’Etat conclut à la confirmation du jugement dont appel à partir des développements et conclusions du tribunal y contenus.

Il se dégage de la combinaison des articles 2 sub h), 2 sub f), 39, 40 et 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond y définis, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1), et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

L’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire. La loi du 18 décembre 2015 définit la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48 ».

L’article 48 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Il convient d’ajouter que l’octroi de la protection internationale n’est pas uniquement conditionné par la situation générale existant dans le pays d’origine d’un demandeur de protection internationale, mais aussi et surtout par la situation particulière de l’intéressé qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

Or, dans le cadre du recours en réformation dans lequel il est amené à statuer sur l’ensemble des faits lui dévolus, le juge administratif doit fondamentalement procéder à une évaluation de la 18situation personnelle du demandeur d’asile en ne se limitant pas à la pertinence des faits allégués, mais il se doit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur d’asile, la crédibilité du récit constituant en effet un élément d’appréciation fondamental dans l’appréciation du bien-fondé d’une demande de protection internationale, et plus particulièrement dans la mesure où des éléments de preuve matériels font défaut.

Après analyse des déclarations faites par l’appelante au cours de ses entretiens, placées devant le contexte des informations générales disponibles sur son pays d’origine, la Cour est amenée à rejoindre globalement l’analyse du ministre, confirmée par les premiers juges, que son récit manque dans son ensemble de crédibilité.

En effet, la Cour constate que les explications fournies par l’appelante en instance d’appel pour tenter de rétablir la crédibilité de son récit ne permettent pas de convaincre de la réalité et du sérieux des poursuites auxquelles celle-ci dit craindre d’être exposée en cas de retour dans son pays d’origine.

Concernant en premier lieu le reproche de Madame (A) selon lequel son entretien individuel sur le fond de sa demande d’asile aurait été « bâclé », la Cour, à l’instar des premiers juges, constate qu’il se dégage du rapport d’entretien figurant au dossier administratif que l’intéressée a été auditionnée en date des 12 juillet et 27 septembre 2021 sur les motifs gisant à la base de sa demande de protection internationale et qu’au cours de son audition, retranscrite dans ledit rapport comportant 17 pages, elle a eu amplement l’occasion de s’exprimer sur l’ensemble de son vécu, en ce compris celui ayant trait aux prétendues persécutions politiques dont elle aurait fait l’objet et à son orientation sexuelle.

En ce qui concerne le prétendu activisme politique de l’appelante et les persécutions subséquentes apparemment subies à l’initiative des « colectivos », la Cour constate que celle-ci, en instance d’appel, reste toujours en défaut de verser le moindre document authentique et fiable permettant d’établir son appartenance au parti politique « COPEI », de même qu’elle ferait partie d’une famille politisée opposée au pouvoir politique actuellement en place au Venezuela. Pour le surplus, il convient de relever qu’en instance d’appel, Madame (A), tout comme en première instance, se contente de fournir des développements théoriques d’ordre général pour convaincre la Cour de la crédibilité de son récit, sans prendre concrètement position quant aux multiples incohérences et contradictions affectant son récit en relation avec les prétendus actes de persécution subis de la part des « colectivos », tel qu’énumérés en détail dans la décision ministérielle du 19 janvier 2022, ainsi qu’aux pages 25 à 28 du jugement dont appel.

A cela s’ajoute qu’il est totalement irréaliste que l’appelante, en tant qu’opposante au régime en place au Venezuela, recherchée par les « colectivos » et risquant une peine d’emprisonnement pour « terrorisme », ait pu quitter officiellement son pays d’origine via une frontière officielle avec la Colombie.

Dès lors, la Cour est amenée à relever que le récit ainsi mis en avant par l’appelante est incohérent, peu plausible et même invraisemblable, pour les raisons plus amplement détaillées par le ministre 19dans sa décision et par le tribunal dans son jugement du 6 septembre 2023, argumentation que la Cour fait sienne.

Concernant ensuite la crainte de Madame (A) de subir des persécutions respectivement des atteintes graves en raison de son orientation sexuelle, la Cour relève en premier lieu que l’appelante n’a pas mentionné sa prétendue orientation sexuelle sur la fiche manuscrite remplie au moment de l’introduction de sa demande de protection internationale. A l’instar des premiers juges, la Cour constate en outre que celle-ci fait état, de manière générale, de discriminations, d’humiliations et d’actes de violence auxquels les homosexuels seraient exposés au Venezuela, mais qu’il ne se dégage pas des éléments soumis que la situation des homosexuels au Venezuela serait telle que toute personne homosexuelle risquerait, indépendamment de son vécu personnel et du seul fait de son orientation sexuelle, de subir des actes qui seraient d’une gravité suffisante pour pouvoir être qualifiés d’actes de persécution ou d’atteintes graves, ce d’autant plus que l’appelante n’a pas fait état d’un quelconque incident concret lié à sa prétendue homosexualité, mis à part le vague reproche que le chef du personnel infirmier à l’hôpital « (F) » l’aurait harcelée, étant relevé pour le surplus que ces prétendus faits ont déjà cessé courant 2015 au moment où l’appelante a changé d’employeur.

Quant au bénéfice du doute sollicité par l’appelante, la Cour rappelle qu’en application de l’article 37, paragraphe (5), de la loi du 18 décembre 2015, « lorsque certains aspects des déclarations du demandeur ne sont pas étayés par des preuves documentaires ou autres », le bénéfice du doute est accordé, « lorsque les conditions suivantes sont remplies:

a) le demandeur s’est réellement efforcé d’étayer sa demande;

b) tous les éléments pertinents à la disposition du demandeur ont été présentés et une explication satisfaisante a été fournie quant à l’absence d’autres éléments probants;

c) les déclarations du demandeur sont jugées cohérentes et plausibles et elles ne sont pas contredites par les informations générales et particulières connues et pertinentes pour sa demande;

d) le demandeur a présenté sa demande de protection internationale dès que possible, à moins qu’il puisse avancer de bonnes raisons pour ne pas l’avoir fait; et e) la crédibilité générale du demandeur a pu être établie.

En l’espèce, les conditions énoncées sous les points a), b), c), et e) ne sont pas remplies, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’octroyer à l’appelante le bénéfice du doute.

Quant à la crainte alléguée par l’appelante liée au fait de devoir retourner au Venezuela en tant que demanderesse de protection internationale déboutée, la Cour arrive à la conclusion qu’il ne se dégage pas des éléments soumis à son appréciation que tout demandeur de protection internationale débouté retournant au Venezuela serait considéré comme un opposant au régime en place et qu’il risquerait, de ce fait, d’y subir des persécutions.

Ainsi, au vu de ces considérations, la Cour est amenée à conclure que le ministre a valablement pu remettre en question la crédibilité du récit de l’appelante dans sa globalité et, en conséquence, pu retenir l’absence de raisons sérieuses de croire qu’elle encourrait ou encourt, en cas de retour dans son pays d’origine, une crainte fondée de persécution ou un risque réel de subir des atteintes graves, 20mais que sa motivation de quitter le Venezuela, fût-elle explicable, a essentiellement été d’ordre économique, tel que suggéré par le ministre, ne justifiant en tant que telle pas une mesure de protection internationale.

C’est partant à bon droit que le ministre a rejeté la demande de protection internationale prise en son double volet et le jugement est à confirmer sous ce rapport.

Quant à l'ordre de quitter le territoire contenu dans la décision de refus de protection internationale, force est de constater que dès lors que le jugement entrepris est à confirmer en ce qu’il a refusé à l’appelante le statut de la protection internationale - statut de réfugié et protection subsidiaire - et que le refus d’octroi de pareil statut est automatiquement assorti d’un ordre de quitter le territoire par le ministre, la demande de réformation de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter à son tour et le jugement est à confirmer en ce qu’il a refusé de réformer ledit ordre.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’invocation de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la CEDH ») et des articles 4 et 19, paragraphe (2), de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (« la Charte »).

En effet, dans la mesure où la Cour vient de confirmer le manque de crédibilité du récit de l’appelante qui induit à la conclusion de l’absence de fondement des craintes alléguées, le renvoi de l’appelante vers le Venezuela ne saurait être incompatible avec les articles invoqués tirés de la CEDH et de la Charte.

L’appel n’étant dès lors pas fondé, il y a lieu d’en débouter l’appelante et de confirmer le jugement entrepris.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;

reçoit l’appel du 5 octobre 2023 en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

partant, confirme le jugement entrepris du 6 septembre 2023 ;

condamne l’appelante aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par:

Henri CAMPILL, vice-président, Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, 21 et lu par le vice-président, en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier assumé de la Cour …….

s. ….

s. CAMPILL Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 6 décembre 2023 Le greffier de la Cour administrative 22


Synthèse
Numéro d'arrêt : 47044
Date de la décision : 05/12/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2023-12-05;47044 ?

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