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07/12/2023 | LUXEMBOURG | N°49048C

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 07 décembre 2023, 49048C


GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 49048C ECLI:LU:CADM:2023:49048 Inscrit le 16 juin 2023 Audience publique du 7 décembre 2023 Appel formé par Madame (A) et consorts, …, contre un jugement du tribunal administratif du 12 mai 2023 (no 46188 du rôle) ayant statué sur son recours contre une « décision » du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse en matière de traitement Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 49048C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 16 juin 2023 par Maître Ferdinand BUR

G, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxemb...

GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG COUR ADMINISTRATIVE Numéro du rôle : 49048C ECLI:LU:CADM:2023:49048 Inscrit le 16 juin 2023 Audience publique du 7 décembre 2023 Appel formé par Madame (A) et consorts, …, contre un jugement du tribunal administratif du 12 mai 2023 (no 46188 du rôle) ayant statué sur son recours contre une « décision » du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse en matière de traitement Vu la requête d’appel, inscrite sous le numéro 49048C du rôle et déposée au greffe de la Cour administrative le 16 juin 2023 par Maître Ferdinand BURG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de :

1) Madame (A), professeur, demeurant à L-…, 2) Monsieur (B), professeur, demeurant à D-…, 3) Monsieur (C), professeur, demeurant à L-…, 4) Monsieur (D), professeur, demeurant à L-…, dirigée contre un jugement du tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg du 12 mai 2023 (no 46188 du rôle), ayant déclaré irrecevable leur recours tendant à l’annulation d’une « décision de refus par silence » du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse, sinon de « l'Etat du Grand-Duché de Luxembourg, représenté par son Ministre d'Etat actuellement en fonctions », ne donnant pas de suite à leur demande collective du 6 mars 2020 ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe de la Cour administrative le 15 septembre 2023 par le délégué du gouvernement au nom de l’Etat ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe de la Cour administrative le 13 octobre 2023 par Maître Ferdinand BURG au nom des appelants ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe de la Cour administrative le 2 novembre 2023 par le délégué du gouvernement au nom de l’Etat ;

1Vu l’accord des mandataires des parties de voir prendre l’affaire en délibéré sur base des mémoires produits en cause et sans autres formalités ;

Vu les pièces versées au dossier et notamment le jugement entrepris ;

Sur le rapport du magistrat rapporteur, l’affaire a été prise en délibéré sans autres formalités à l’audience publique du 21 novembre 2023.

Par courrier de leur mandataire du 6 mars 2020, Madame (A), Monsieur (B), Monsieur (C) et Monsieur (D), tous professeurs, ci-après désignés par « les consorts (A), (B), (C) et (D) », s’adressèrent au ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse, ci-après dénommé « le ministre », dans les termes suivants :

« (…) Mes mandants vous saisissent de deux problématiques parmi tant d'autres rencontrées par eux dans l'exercice de leur profession.

Les heures supplémentaires prestées Il résulte de votre réponse du 21 janvier 2020 à la question parlementaire vous adressée par Madame Martine Hansen relative aux heures supplémentaires prestées par les professeurs dans l'enseignement secondaire que désormais le fait que les professeurs prestent des heures supplémentaires est reconnu par vous.

Se pose la question de la détermination de la rémunération des heures supplémentaires prestées par les professeurs.

A ce sujet, vous renvoyez dans la réponse précitée à l'article 13 du Règlement grand-ducal du 24 juillet 2007 portant fixation de la tâche des enseignants des lycées et lycées techniques (ci-après « le Règlement »).

L'article 13 (3) du Règlement dispose que :

(3) La formule générale de l'indemnité pour une leçon supplémentaire annuelle est fixée comme suit : traitement de base x 1/22 x nombre indice x valeur du point indiciaire applicable aux éléments de rémunération non pensionnables x 36/52. » La Cour constitutionnelle par son arrêt du 07 décembre 2018 a retenu que le bout de phrase de l'article 23 alinéa 3 de la Constitution « la loi règle pour le surplus tout ce qui est relatif à l'enseignement » est d'interprétation large.

La Cour Constitutionnelle a retenu que l'essentiel du cadrage normatif doit être compris dans la loi, y compris les fins, les conditions et les modalités suivant lesquelles des éléments moins essentiels peuvent être réglés par des règlements.

La rémunération des leçons supplémentaires prestées par les professeurs constitue un élément de rémunération de l'enseignant et est du domaine de réserve de la loi.

Par application de l'arrêt de la Cour Constitutionnelle précité, la rémunération des leçons supplémentaires prestées par les professeurs ne peut être régie par un texte 2réglementaire mais doit être régie par un texte de loi, de sorte que l'article 13 du Règlement est nul alors qu'il est contraire à l'article 23 de la Constitution.

Aucune loi ne prévoit l'application du coefficient correcteur de 36/52 pour la détermination de la rémunération des heures supplémentaires prestées par des professeurs.

Aucune loi ne prévoit l'application d'un coefficient correcteur pour la détermination de la rémunération des heures supplémentaires prestées par d'autres fonctionnaires.

En appliquant le coefficient correcteur de 36/52, il y a violation de l'article 10 bis de la Constitution qui dispose que « Tous les Luxembourgeois sont égaux devant la loi » : aucun élément objectivement vérifiable ne permet de justifier une rémunération inférieure des heures supplémentaires prestées par les professeurs par rapport aux autres catégories de fonctionnaires.

Enfin il y a encore lieu de constater que la loi du 1er août 2018 portant fixation des conditions et modalités d'un compte épargne-temps dans la Fonction publique a introduit le compte épargne-temps pour les fonctionnaires. Ce texte ne fait aucune référence au coefficient correcteur de 36/52. Ce texte est une norme légale qui est supérieure à la norme réglementaire, ce qui démontre que le coefficient de 36/52 n'a aucun fondement juridique et est tenu en échec par ce texte.

Sur base de l'ensemble de ces considérations, mes mandants vous demandent de leur confirmer que la détermination de la rémunération des heures supplémentaires prestées par eux se fait suivant la même méthode que celle fixée par la loi régissant le statut du fonctionnaire de l'Etat pour les autres catégories de fonctionnaires.

Formation continue :

La loi du 11 juillet 2019 (ci-après « la Loi ») impose à un enseignant « la participation sur une période de trois ans à au moins 48 heures de formation continue certifiée en dehors de la tâche d'enseignement et non liées à d'autres missions rémunérées ou faisant l'objet d'une décharge ».

La Loi augmente le nombre d'heures de formation continue à suivre de 8 heures par année scolaire à au moins 48 heures sur une période de trois ans, mais ne porte pas de texte modifiant la tâche de l'enseignant, et donc la ratio legis de l'Acte 72.

Cette augmentation du nombre d'heures de la participation obligatoire à la formation continue équivaut à une augmentation de la tâche d'un enseignant, en faisant passer la tâche de disponibilité de 72 à 80 heures, cette augmentation ayant comme conséquence que les enseignants doivent prester encore plus d'heures supplémentaires qu'auparavant, le plein temps étant déjà été atteint, voire dépassé tel que reconnu par votre réponse du 21 janvier 2020.

Ensuite la tâche de disponibilité, ensemble avec la tâche d'enseignement, fait partie des fonctions rémunérées de l'enseignant.

3En application de la Loi, la participation à la formation continue devra dorénavant se faire en dehors de la tâche d'enseignement et non liée à d'autres missions rémunérées ou faisant l'objet d'une décharge.

Seules les 72 heures de « l'heure de disponibilité » font partie intégrante de la tâche de disponibilité du professeur et sont rémunérées par le traitement qu'il touche.

Les heures prestées au-delà des 72 heures de « l'heure de disponibilité » ne seront pas rémunérées ou ne seront pas toutes rémunérées car ne faisant pas partie de la tâche rémunérée.

La participation à la formation continue devra donc dorénavant se faire totalement sinon partiellement sans contrepartie financière.

La Loi remet ainsi en cause l'Acte 72.

A cela s'ajoute que la Loi viole l'article 10 bis de la Constitution qui dispose que « Tous les Luxembourgeois sont égaux devant la loi », alors qu'aucun élément objectivement vérifiable ne permet de justifier une formation continue différente à suivre par les professeurs par rapport aux autres catégories de fonctionnaires.

Ainsi, la Loi impose aux enseignants la participation à la formation continue sans décharge et non liée à des missions rémunérées, alors que la participation à la formation continue est considérée comme heures de service pour les autres fonctionnaires de l'Etat.

Par exemple, l'article 4 de la loi du 15 juin 1999 portant organisation de l'Institut national d'administration publique et modification (1.) de la loi modifiée du 28 mars 1986 portant harmonisation des conditions et modalités d'avancement dans les différentes carrières des administrations et services de l'Etat; (2.) la loi modifiée du 22 juin 1963 fixant le régime des traitements des fonctionnaires de l'Etat; (3.) de la loi modifiée du 24 décembre 1985 fixant le statut général des fonctionnaires communaux, telle que modifiée, dispose que « Le temps passé à l'Institut compte comme temps de service pour le calcul du traitement et de la pension (…) ».

En imposant à un enseignant fonctionnaire d'une part la participation à la formation continue de loin plus importante en nombre d'heures que celle des fonctionnaires d'autres carrières, d'autre part la participation à la formation obligatoire jusqu'à leur départ en retraite, la Loi crée une disparité entre les enseignants et les fonctionnaires d'autres carrières qui est contraire à l'article 10 bis de la Constitution.

Il y a ensuite lieu de constater que dans la fonction publique luxembourgeoise il existe une causalité directe entre la formation continue obligatoire et les avancements de traitement et de carrière de l'ensemble des fonctionnaires, y compris les enseignants.

La loi du 25 mars 2015 dispose comme principe général en son Chapitre 8, article 12 que « L'accès au niveau supérieur se fait par promotion et est subordonné à l'accomplissement d'au moins douze années de grade passées au niveau général et à la condition d'avoir suivi au moins douze jours de formation continue (…) ou d'avoir suivi une formation équivalente » et surtout « La promotion au dernier grade est en outre liée à la condition d'avoir accompli au moins trente journées de formation continue attestées (…) ».

4 Pour ce qui est des enseignants, la même loi dispose en son article 13 que « L'avancement en traitement au grade 16 intervient après vingt années de grade à compter de la première nomination. Cet avancement en traitement est en outre lié à la condition d'avoir accompli au moins trente journées de formation continue attestées (…) ».

Pour les enseignants en service au moment de l'entrée en vigueur de la loi du 25 mars 2015, la loi prévoit un régime transitoire en son article 50 (5) qui dispose que « Les fonctionnaires relevant de la rubrique «Enseignement» et auxquels le régime transitoire du présent article est applicable doivent avoir accompli au cours de la carrière au moins trente journées de formation continue attestées par des certificats de perfectionnement établis par le ministre ayant l'éducation nationale dans ses attributions, ou d'en avoir suivi une autre formation reconnue équivalente ou d'en avoir été dispensé pour des raisons dûment motivées par celui-ci avant de pouvoir accéder à l'échelon 14 et suivants des grades E7, E6, E5 et E3ter. », c'est-à-dire soumet ces enseignants à la même condition de trente journées de formation continue pour accéder au dernier échelon de carrière.

La loi du 25 mars 2015 respecte le principe de l'égalité de traitement entre les fonctionnaires en ce qui concerne le volume obligatoire de journées de formation continue à prester par un fonctionnaire pendant sa carrière, à savoir 30 journées.

Le raisonnement à l'appui de ce nombre de journées est le suivant :

➢ 6 heures de formation continue équivalent à une journée de travail.

➢ Les fonctionnaires sont tenus de prester 30 journées x 6 heures de formation continue afin de pouvoir accéder au dernier grade ou échelon de carrière, soit 180 heures au total.

➢ Jusqu'à l'introduction de la Loi, le nombre de 8 heures de formation continue prévues par année pour un enseignant dans le cadre de l'heure de disponibilité répondent au souci et à l'obligation de traitement égalitaire des fonctionnaires sur ce point.

La parfaite identité du volume obligatoire de journées de formation continue à prester pour tous les fonctionnaires pendant leur carrière est due au fait que les avancements de traitement et de carrière des fonctionnaires sont entre autres la conséquence directe de la participation à la formation continue obligatoire.

Les mêmes règles valent pour tous les fonctionnaires : même volume de formation continue vaut avancement au même grade ou échelon suivant les carrières.

La Loi fait fi de ce système mis soigneusement en place par la loi de 1979 et confirmé par la loi du 25 mars 2015.

Elle ignore ainsi la raison d'être du nombre d'heures de formation continue par année à prester par un enseignant et son impact sur l'avancement de traitement et de carrière et multiplie par deux en parfaite violation des principes mêmes édictés par la loi du 25 mars 2015 le nombre d'heures de formation continue à prester par un enseignant.

5 Elle oblige l'enseignant à prester 16 heures de formation continue par année sans limitation dans le temps de sa carrière, avec le résultat suivant :

➢ L'enseignant est tenu de prester 30 années x 16 heures de formation continue, soit pendant les 30 premières années de sa carrière 480 heures.

➢ La formation continue de l'enseignant n'est pas limitée dans le temps. La carrière d'un enseignant pouvant aller par exemple jusqu'à 33 années de service, le nombre d'heures de formation continue à prester par un enseignant étant dans ce cas de 528 heures.

➢ Le nombre d'heures de formation continue à prester par un enseignant est au moins le double de celui des autres fonctionnaires, et ce sans avancement de traitement ou de carrière pour la formation continue prestée.

Ce faisant, la Loi est en contradiction avec la loi du 25 mars 2015 et crée encore une rupture d'égalité entre les enseignants et les autres fonctionnaires :

➢ pour les fonctionnaires qui ne sont pas enseignants, la formation continue est limitée dans le temps au courant de leur carrière et prend fin au moment de l'admission au dernier grade de leur carrière. Elle conduit à un avancement de carrière et par conséquent à une augmentation du traitement ;

➢ pour les enseignants elle est illimitée dans le temps au courant de leur carrière, ne s'arrête pas lorsque le dernier grade ou échelon de carrière est atteint, est en partie sans contrepartie financière, et ne conduit pas à partir de l'admission au dernier grade ou échelon de carrière à un avancement de traitement ou de carrière équivalent et supplémentaire.

Sur base de l'ensemble de ces considérations, mes mandants vous demandent de leur confirmer que la formation continue à laquelle ils doivent participer se fait durant les heures de service, est identique en nombre d'heures à celle des fonctionnaires d'autres carrières et est limitée dans le temps comme pour les autres catégories de fonctionnaires. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 30 juin 2021, les consorts (A), (B), (C) et (D) firent introduire un recours tendant à l’annulation de la « décision de refus par silence » du ministre portant rejet de leurs demandes véhiculées par leur courrier collectif du 6 mars 2020.

Par un jugement du 12 mai 2023, le tribunal déclara irrecevable ledit recours en annulation à défaut de décision administrative attaquable.

Par requête déposée au greffe de la Cour administrative le 16 juin 2023, les consorts (A), (B), (C) et (D) ont fait régulièrement relever appel du jugement précité du 12 mai 2023 dont ils sollicitent la réformation dans le sens de voir déclarer recevable leur recours en annulation.

Arguments des parties Après avoir relaté les faits et rétroactes tels que retranscrits ci-avant, les appelants prennent position par rapport à leur intérêt à agir.

6 A cet égard, ils sont d’avis que si le tribunal n’avait pas répondu de façon expresse à la question de leur intérêt à agir, telle que soulevée d’office à l’audience des plaidoiries, il aurait néanmoins, quoiqu’implicitement, retenu leur intérêt à agir.

Ils font ensuite valoir qu’ils occuperaient tous la fonction d’enseignants, fonctionnaires auprès de l’Etat, et se prévalent d’une jurisprudence de la Cour administrative dont ils déduisent qu’un enseignant directement visé par une loi ou un règlement, même s’il n’était pas encore affecté par ces dispositions mais serait susceptible de le devenir durant les prochaines années scolaires, aurait un intérêt à agir. Ils font valoir que la question de l’application du coefficient correcteur à la rémunération des heures supplémentaires qu’ils prestent et celle du régime de la formation continue leur imposée seraient de nature générale et que les dispositions afférentes trouveraient application à tous les enseignants fonctionnaires. Le refus du ministre de renoncer pour eux à l’application du coefficient correcteur pour la rémunération des heures supplémentaires serait critiqué par eux. Pareillement, ils n’accepteraient pas le refus du ministre de retenir que la formation continue à laquelle ils participent se fait durant les heures de service, est identique en nombre d’heures à celle suivie par les fonctionnaires d’autres carrières et est limitée dans le temps comme pour tous les catégories de fonctionnaires. Par suite de ces refus du ministre, ils ne percevraient pas la rémunération des heures supplémentaires au « tarif légal » et devraient, par ailleurs, participer à la formation continue en dehors des heures de service pour une période illimitée. Ils seraient ainsi affectés par les refus du ministre, de sorte qu’ils auraient un intérêt à agir.

En ce qui concerne la question de la qualification d’acte attaquable, les appelants critiquent le tribunal pour avoir retenu qu’ils auraient demandé au ministre une simple information, voire un avis juridique. Ils donnent à considérer qu’ils agiraient en leur nom et pour leur compte et demanderaient une décision relative à leur situation personnelle, tout en se référant aux termes employés dans leur courrier du 6 mars 2020. Ils poursuivent que, contrairement à ce qui avait été retenu par les premiers juges, leur courrier n’aurait pas eu pour but d’engager une discussion avec le ministre, mais il lui aurait été demandé de prendre une décision attaquable, tel que cela ressortirait des termes du courrier du 6 mars 2020.

Ils demandent dès lors à la Cour de déclarer, par réformation du jugement attaqué, leur recours recevable.

En même temps, ils demandent à la Cour d’évoquer et de vider l’intégralité du recours en statuant sur le fond.

Dans sa réponse, l’Etat conclut à la confirmation du jugement entrepris, tout en soulignant que les appelants auraient saisi le ministre d’une demande collective, abstraite et générique, en formulant par ailleurs une demande pour le futur, partant une demande d’information sur la conformité de leur situation future aux dispositions luxembourgeoises, voire une demande de la conformité à la Constitution luxembourgeoise des lois et règlements applicables aux enseignants.

L’Etat prend par ailleurs position sur la question de l’intérêt à agir des appelants, de même que sur la qualification d’acte attaquable.

7 Dans leur réplique, les appelants insistent sur leur intérêt à agir et estiment, pour le surplus, que les conditions de la qualification d’un acte administratif attaquable sont données en l’espèce, en faisant à cet égard valoir que (i) il s’agirait d’un acte émanant du ministre en tant qu’autorité administrative, (ii) il s’agirait d’un acte de refus de faire droit à leurs demandes, (iii) ils seraient directement visés par les dispositions législatives et réglementaires applicables en la matière, (iv) l’acte serait une véritable décision de nature à faire grief, (v) il s’agirait de l’acte final dans la procédure non contentieuse et (vi) ils auraient un intérêt à agir.

Par rapport à leur point (iv), ils insistent, d’une part, sur la considération que leur demande à l’adresse du ministre aurait été claire et donnent à considérer que même si tel n’avait pas été le cas, en application des règles de la procédure administrative non contentieuse, il aurait appartenu au ministre de les en avertir en raison de son devoir de collaboration. Or, en l’espèce, aucune demande de précision ne leur aurait été adressée, de sorte qu’il y aurait lieu d’admettre que le ministre avait parfaitement compris leur demande. D’autre part, ils font valoir qu’ils auraient demandé au ministre de prendre une décision les concernant personnellement, tel que cela se dégagerait clairement des termes de leur courrier du 6 mars 2020 en ce qu’ils y demanderaient expressément une décision administrative attaquable. Soit le ministre aurait dû répondre par une décision d’incompétence, soit il aurait dû répondre par une décision de refus, le silence étant à considérer comme refus, mais en aucun cas, leur demande ne pourrait être qualifiée de demande d’information. Enfin, ils insistent sur la considération que le refus leur ferait grief dans la mesure où un régime illégal relatif aux heures supplémentaires et à la formation continue leur aurait été appliqué dans le passé et continuerait à l’être. Le refus de ne pas changer cette situation affecterait leur situation personnelle et patrimoniale.

Dans sa duplique, l’Etat maintient ses contestations quant à l’intérêt à agir des appelants et quant à la qualification du silence du ministre en tant que décision susceptible de recours.

Analyse de la Cour La Cour retient de prime abord que si les parties à l’instance mènent aussi un débat sur la question de l’intérêt à agir des appelants, il convient de prime abord de clarifier, tel que les premiers juges l’ont fait à juste titre, la question de savoir si à la suite du courrier des appelants du 6 mars 2020 a pu naître une décision implicite résultant du silence gardé par le ministre pendant plus de trois mois.

Les premiers juges se sont à bon escient référés à l’article 2 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dénommée ci-après « la loi du 7 novembre 1996 », qui limite l'ouverture d'un recours devant les juridictions administratives notamment aux conditions cumulatives que l'acte litigieux doit constituer une décision administrative, c'est-à-dire émaner d'une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés et que cet acte doit affecter les droits et intérêts de la personne qui le conteste. L’existence d’une décision susceptible de recours constitue partant une condition de recevabilité du recours.

Les premiers juges se sont appuyés à juste titre sur la jurisprudence constante des juridictions administratives en la matière selon laquelle un acte administratif susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux doit constituer une véritable décision de nature à faire grief. Il doit non seulement émaner d’une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés, critère qui n’est pas susceptible 8d’être litigieux en l’espèce dans la mesure où le ministre est une telle autorité, mais encore il faut qu’il s’agisse d’une véritable décision, affectant les droits et intérêts de la personne qui la conteste et de nature à produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui conteste1.

Il faut dès lors que l’acte comprenne un élément décisionnel et que celui-ci soit de nature à faire grief au recourant2.

N'ont pas cette qualité de décision faisant grief, comme n'étant pas destinées à produire, par elles-mêmes, des effets juridiques, les simples informations données par l'administration.

Dans l’hypothèse, tel que cela est le cas en l’espèce, du silence gardé par l’administration suite à une demande, la Cour rappelle qu’en disposant que « dans les affaires contentieuses qui ne peuvent être introduites devant le tribunal administratif que sous forme de recours contre une décision administrative, lorsqu’un délai de trois mois s’est écoulé sans qu’il soit intervenu aucune décision, les parties intéressées peuvent considérer leur demande comme rejetée et se pourvoir devant le tribunal administratif », l’article 4, paragraphe (1), de la loi du 7 novembre 1996 instaure une « présomption de décision de refus non datée et non notifiée »3, afin de permettre à l’administré de recourir à la justice pour contester l’inaction prolongée de l’autorité administrative compétente.

Si, par rapport à une décision expresse, il convient, pour déterminer le caractère décisoire ou simplement informatif d’une lettre, d’analyser son libellé et de qualifier son contenu, ensemble avec la demande qu’il entend rencontrer4, dans l’hypothèse, tel que cela est le cas en l’espèce, du silence de l’administration, il convient d’examiner la demande dont l’autorité administrative a été saisie.

En effet, la naissance d’une telle décision implicite de refus en application de l’article 4, paragraphe (1), de la loi du 7 novembre 1996, susceptible de recours devant les juridictions administratives, présuppose que l’autorité administrative ait été saisie par l’administré d’une demande suffisamment concrète et précise par rapport à sa situation personnelle qui puisse amener celle-ci à prendre une véritable décision répondant aux critères de qualification retenus par la jurisprudence administrative par rapport aux décisions administratives expresses.

En l’espèce, la Cour rejoint les premiers juges en leur constat que le courrier du 6 mars 2020 vise à demander au ministre, de manière générale et abstraite, sans aucune mise en relation avec un cas de figure concret les affectant personnellement, à « leur confirmer que la détermination de la rémunération des heures supplémentaires prestées par eux se fait suivant la même méthode que celle fixée par la loi régissant le statut du fonctionnaire de l'Etat pour les autres catégories de fonctionnaires », respectivement à « leur confirmer que la formation continue à laquelle ils doivent participer se fait durant les heures de service, est identique en 1 Cour adm. 17 octobre 2017, n° 39558C, Pas. adm. 2022, V° Actes administratifs, n° 5 et les autres références y citées.

2 Cour adm. 28 septembre 2017, n° 39389C du role, Pas. adm. 2002, V° Actes administratifs, n° 8 et les autres références y citées.

3 F.Schockweiler, Le contentieux administratif et la procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois, édit. 1996, n° 164.

4 Cour adm. 25 avril 2013, n° 31911C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Actes administratifs, n° 46 et les autres références y citées.

9nombre d'heures à celle des fonctionnaires d'autres carrières et est limitée dans le temps comme pour les autres catégories de fonctionnaires ». Tel que relevé par les premiers juges, les appelants ont précisé dans leur recours que leur courrier visait à demander au ministre de ne pas leur appliquer, dans le futur, ni l’article 13, paragraphe (3), du règlement grand-ducal modifié du 24 juillet 2007 portant fixation de la tâche des enseignants des lycées et lycées techniques, au prétexte qu’ils estiment la base légale de ladite disposition réglementaire comme étant contraire à l’article 23 de la Constitution, actuel article 33 de la Constitution révisée, ni la « loi du 11 juillet 2019 » au motif d’une prétendue violation de l’« acte 72 » et de l’article 10bis de la Constitution, actuel article 15 de la Constitution révisée.

Or, au regard de la teneur du courrier du 6 mars 2020, la Cour ne peut que rejoindre les premiers juges dans leur conclusion selon laquelle ledit courrier n’a pu qu’engager une discussion juridique tout à fait générale avec le ministre au sujet de la validité des dispositions légales et règlementaires y visées, demande par rapport à laquelle ce dernier n’avait de toute façon pu répondre que par un avis juridique non susceptible de recours.

En effet, loin d’avoir saisi le ministre d’une demande précise par rapport à leur situation individuelle concrète, en l’occurrence par rapport à un paiement d’heures supplémentaires concrètes d’ores et déjà prestées qu’ils jugent être contraire à la loi, voire qu’ils estiment reposer sur des dispositions contraires à la Constitution, ou encore par rapport aux modalités de prise en compte au titre d’heures de travail d’une formation concrète qu’ils avaient suivie, la demande du 6 mars 2020 vise uniquement à lancer un débat théorique avec le ministre au sujet de la validité des dispositions légales et règlementaires y visées, débat que les appelants inscrivent dans une réponse du ministre du 21 janvier 2020 par rapport à une question parlementaire d’un député à propos de la question, tout à fait générale par rapport à l’ensemble de la profession, des heures supplémentaires prestées par les professeurs dans l’enseignement secondaire, à la suite de laquelle il se pose, toujours de façon tout à fait générale par rapport à l’ensemble de la profession et non pas par rapport à leur vécu concret, « la question de la détermination de la rémunération des heures supplémentaires prestées par les professeurs ».

Le silence gardé par rapport à une telle demande ne saurait s’analyser comme un refus implicite au sens de l’article 4, paragraphe (1), de la loi du 7 novembre 1996, cette demande n’ayant pas été suffisamment concrète par rapport à la situation individuelle de chacun des appelants pour qu’il puisse être retenu que le ministre aurait dû prendre une décision susceptible d’être qualifiée d’acte attaquable toisant définitivement une demande concrète d’un administré. Tel que les premiers juges l’ont relevé à bon escient, le silence gardé par le ministre pourrait tout au plus s’analyser comme la réfutation implicite des positions juridiques in abstracto des appelants.

Or, une simple information sur la situation juridique d’un administré, respectivement un avis juridique sur l’interprétation à donner à une disposition légale, ne sont pas à considérer comme un acte administratif faisant grief, une simple discussion juridique abstraite sur la validité de certaines dispositions susceptibles de trouver application dans le chef d’un administré, en dehors de tout litige concret, n’impliquant en effet pas ipso facto la prise d’une décision administrative susceptible de recours.

Cette conclusion n’est pas infirmée par les extraits du courrier du 6 mars 2020 cités par les appelants à l’appui de leur appel. En effet, si ceux-ci sollicitent certes la prise d’une « décision attaquable en bonne et due forme », il n’en reste toutefois pas moins qu’ils n’ont 10pas saisi le ministre d’une demande concrète par rapport à leur situation personnelle, que ce soit par rapport à des heures supplémentaires effectivement prestées ou que ce soit par rapport à une formation concrètement suivie, mais ils se limitent à soulever une question tout à fait théorique et abstraite par rapport au traitement futur des heures supplémentaires à prester et des heures de formation à suivre.

C’est encore à tort que les appelants font valoir que le ministre aurait dû, en application des règles régissant la procédure administrative non contentieuse, leur demander des précisions par rapport à leur demande, dans la mesure où le ministre n’était manifestement saisi que d’une demande abstraite sur la question de la lecture qu’il allait faire des dispositions légales et réglementaires pertinentes pour le traitement des heures supplémentaires et heures de formation continue dans la profession des appelants, de sorte que le ministre n’avait en tout état de cause pas à demander des précisions à ce sujet.

La Cour est ainsi amenée à retenir que le tribunal a à juste titre déclaré irrecevable le recours dirigé contre le silence opposé au courrier du 6 mars 2020 à défaut par celui-ci d’avoir pu faire naître un refus implicite sur le fondement de l’article 4, paragraphe (1), de la loi du 7 novembre 1996, les premiers juges ayant valablement pu retenir cette conclusion sans avoir eu à examiner plus en avant les autres causes d’irrecevabilité invoquées, et en l’occurrence la question de l’intérêt à agir des appelants, débattue aussi en instance d’appel.

Au vu de l’issue du litige, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande des appelants en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 2.500 euros et les premiers juges sont encore à confirmer en ce qu’ils ont rejeté la demande d’une indemnité du même montant formulée par les appelants actuels pour la première instance.

Par ces motifs, la Cour administrative, statuant à l’égard de toutes les parties en cause ;

reçoit l’appel en la forme ;

le dit cependant non fondé et en déboute ;

partant, confirme le jugement entrepris du 12 mai 2023 ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 2.500 euros formulée par les appelants pour l’instance d’appel ;

condamne les appelants aux dépens de l’instance d’appel.

Ainsi délibéré et jugé par :

Lynn SPIELMANN, premier conseiller, Martine GILLARDIN, conseiller, Annick BRAUN, conseiller, 11et lu par le premier conseiller en l’audience publique à Luxembourg au local ordinaire des audiences de la Cour à la date indiquée en tête, en présence du greffier de la Cour ….

s. … s. SPIELMANN Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 8 décembre 2023 Le greffier de la Cour administrative 12


Synthèse
Numéro d'arrêt : 49048C
Date de la décision : 07/12/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 13/12/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2023-12-07;49048c ?

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