La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/12/2023 | LUXEMBOURG | N°140/23

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 14 décembre 2023, 140/23


N° 140 / 2023 du 14.12.2023 Numéro CAS-2023-00026 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, quatorze décembre deux mille vingt-trois.

Composition:

Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, président de chambre à la Cour d’appel, Anne MOROCUTTI, conseiller à la Cour d’appel, Caroline ENGEL, conseiller à la Cour d’appel, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre PERSONNE1.), administrateur de sociétés, pris en sa qualité d’actionnair

e et d’administrateur délégué de la société anonyme SOCIETE1.), demeurant à I-

ADRESSE...

N° 140 / 2023 du 14.12.2023 Numéro CAS-2023-00026 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, quatorze décembre deux mille vingt-trois.

Composition:

Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, Jeanne GUILLAUME, président de chambre à la Cour d’appel, Anne MOROCUTTI, conseiller à la Cour d’appel, Caroline ENGEL, conseiller à la Cour d’appel, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre PERSONNE1.), administrateur de sociétés, pris en sa qualité d’actionnaire et d’administrateur délégué de la société anonyme SOCIETE1.), demeurant à I-

ADRESSE1.) (Italie), ADRESSE2.), demandeur en cassation, Maître Nicolas THIELTGEN, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et 1. PERSONNE2.), administrateur de sociétés, demeurant à L-ADRESSE3.), pris en sa qualité d’administrateur de la société anonyme SOCIETE1.), 2. PERSONNE3.), réviseur d’entreprises, demeurant à L-ADRESSE4.), pris en sa qualité d’administrateur de la société anonyme SOCIETE1.), défendeurs en cassation, comparant par Maître Patrick KINSCH, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, 3. PERSONNE4.), expert-comptable, demeurant à L-ADRESSE5.)er, pris en sa qualité de membre du conseil d’administration de la société anonyme SOCIETE1.), 4. Maître Yann BADEN, avocat à la Cour, demeurant professionnellement à L-6187 Gonderange, Z.A. Gehaansraich, pris en sa qualité d’administrateur provisoire de la société en commandite par actions, société d’investissement à capital variable – Fonds d’investissement spécialisé, SOCIETE2.) et de la société anonyme SOCIETE1.), 5. la société anonyme SOCIETE1.), établie et ayant son siège social à L-

ADRESSE6.), inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro NUMERO1.), représentée par son administrateur provisoire Maître Yann BADEN, avocat à la Cour, demeurant professionnellement à L-6187 Gonderange, Z.A.

Gehaansraich, défendeurs en cassation.

___________________________________________________________________

Vu l’arrêt attaqué, numéro 183/22 -VII - CIV, rendu le 21 décembre 2022 sous le numéro CAL-2021-00076 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, septième chambre, siégeant en matière civile ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 9 mars 2023 par PERSONNE1.) à PERSONNE2.), à PERSONNE3.), à PERSONNE4.), à Maître Yann BADEN et à la société anonyme SOCIETE1.), déposé le 10 mars 2023 au greffe de la Cour supérieure de justice ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 5 mai 2023 par PERSONNE2.) et PERSONNE3.) à PERSONNE1.), à PERSONNE4.) et à Maître Yann BADEN, déposé le 10 mai 2023 au greffe de la Cour ;

Vu le nouveau mémoire signifié le 17 novembre 2023 par PERSONNE1.) à PERSONNE2.), à PERSONNE3.), à PERSONNE4.), à Maître Yann BADEN et à la société anonyme SOCIETE1.), déposé le 20 novembre 2023 au greffe de la Cour, en ce qu’il vise à redresser l’appréciation fausse que les parties défenderesses auraient faite des faits qui servent de fondement au recours et en ce qu’il répond à l’exception d’irrecevabilité opposée au pourvoi, et l’écartant pour le surplus, en ce qu’il ne remplit pas les conditions de l’article 17, alinéa 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation ;

Sur les conclusions du premier avocat général Marie-Jeanne KAPPWEILER.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg avait dit recevable mais non fondée l’action du demandeur en cassation visant la nomination d’un administrateur ad hoc de la société anonyme SOCIETE1.) avec mission de convoquer une assemblée générale de cette société et d’y exercer les droits de vote de PERSONNE2.). La Cour d’appel a dit non fondé l’appel formé par le demandeur en cassation.

Sur la recevabilité du pourvoi Les défendeurs PERSONNE2.) et PERSONNE3.) contestent la régularité du pourvoi en cassation pour avoir été dirigé contre eux en leur qualité d’administrateur de la société SOCIETE1.), alors cependant que les faits avancés à l’appui de l’action en justice auraient trait aux actes posés par PERSONNE2.) en sa qualité d’actionnaire de la société SOCIETE1.). De ce fait, le pourvoi serait affecté d’une irrégularité de fond entraînant son irrecevabilité.

Il résulte des actes de procédure auxquels la Cour peut avoir égard que l’objet de la demande, en ce qu’elle porte sur l’exercice des droits de vote de PERSONNE2.) dans la société SOCIETE1.), affecte seulement PERSONNE2.), en sa seule qualité d’actionnaire de la société SOCIETE1.). De même, la cause de l’action, en ce que celle-ci prend appui sur l’allégation d’un abus d’égalité, vise seulement PERSONNE2.) en sa seule qualité d’actionnaire de la société SOCIETE1.).

PERSONNE3.) n’a été assigné qu’en déclaration de jugement commun.

Le défaut de qualité à agir et à défendre, en ce que le moyen affecte l’existence du titre auquel est attaché le droit d’agir et de défendre en justice, ne constitue pas une irrégularité formelle de l’acte, mais une fin de non-recevoir qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir.

L’action en nomination d’un administrateur ad hoc chargé d’exercer les droits de vote d’un actionnaire, basée sur une allégation d’abus d’égalité, ne peut être dirigée que contre le titulaire de ces droits de vote, pris en cette qualité.

Le pourvoi en cassation, en ce qu’il s’inscrit dans la suite d’une action au fond qui porte sur l’exercice des droits de vote de PERSONNE2.) dans la société SOCIETE1.), mais est dirigé contre PERSONNE2.) pris en sa qualité d’administrateur de ladite société, est dès lors irrecevable, nonobstant la confusion qui aurait été entretenue par les parties et par les juges du fond sur la distinction à opérer entre ces deux qualités.

Il s’ensuit que le pourvoi est irrecevable.

Sur les demandes en allocation d’une indemnité de procédure Il serait inéquitable de laisser à charge des défendeurs en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient d’allouer à chaque défendeur ayant comparu une indemnité de procédure de 2.500 euros.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation dit irrecevable le pourvoi en cassation ;

condamne le demandeur en cassation à payer à chaque défendeur en cassation ayant comparu une indemnité de procédure de 2.500 euros ;

condamne le demandeur en cassation aux frais et dépens de l’instance en cassation.

Le président Thierry HOSCHEIT et le conseiller Christiane JUNCK, qui ont participé au délibéré, étant dans l’impossibilité de signer, la minute du présent arrêt est signée, conformément à l’article 82 de la loi modifiée du 7 mars 1980 sur l’organisation judiciaire, par le conseiller le plus ancien en rang ayant concouru à l’arrêt.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le président de chambre Jeanne GUILLAUME en présence du premier avocat général Sandra KERSCH et du greffier Daniel SCHROEDER.

Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation PERSONNE1.) contre 1. PERSONNE2.) en sa qualité d’administrateur de SOCIETE1.) 2. PERSONNE3.) en sa qualité d’administrateur de SOCIETE1.) 3. PERSONNE4.) en sa qualité de membre du conseil d’administration de SOCIETE1.) 4. Maître Yann BADEN en sa qualité d’administrateur provisoire de SOCIETE2.) et de SOCIETE1.) 5. la société anonyme SOCIETE1.) Le pourvoi en cassation, introduit par PERSONNE1.) par un mémoire en cassation signifié le 9 mars 2023 aux défendeurs en cassation et déposé au greffe de la Cour Supérieure de Justice le 10 mars 2023, est dirigé contre un arrêt rendu par la Cour d’appel, septième chambre, siégeant en matière civile, statuant contradictoirement, en date du 21 décembre 2022 (arrêt n°183/22) dans une affaire portant le numéro du rôle CAL-2021-00076. L’arrêt a été signifié au demandeur en cassation le 11 janvier 2023.

Le pourvoi en cassation a été interjeté dans le délai prévu à l’article 7 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation.

Les parties défenderesses en cassation PERSONNE2.) et PERSONNE3.) ont signifié un mémoire en réponse le 5 mai 2023 et l’ont déposé au greffe de la Cour Supérieure de Justice le 10 mai 2023.

Les autres parties défenderesses n’ont pas signifié de mémoire en réponse.

Sur les faits et antécédents :

Par exploit d’huissier de justice du 23 octobre 2018, PERSONNE1.) a fait donner assignation aux parties défenderesses en cassation aux fins de voir nommer un administrateur ad hoc pour la société anonyme SOCIETE1.) S.A. (ci-après SOCIETE1.)) avec la mission de :

* recueillir une ou plusieurs offres de professionnels indépendants spécialisés dans la gestion de fonds d’investissements et disposant de l’agrément de la CSSF dans le cadre de mandats existants, * convoquer une assemblée générale des actionnaires de SOCIETE1.) avec comme point à l’ordre du jour, la révocation des membres du conseil d’administration actuellement en place et la nomination de nouveaux administrateurs, * exercer en bon père de famille et dans le seul intérêt social, les droits de vote revenant à l’associé PERSONNE2.) sur le point de l’ordre du jour de cette assemblée concernant la révocation des membres du conseil d’administration actuellement en place et la nomination de nouveaux administrateurs, * signer ensuite tout document ou contrat devant être signé avec les nouveaux membres du conseil d’administration, y compris leur rémunération, qui devra être dans la limite de la pratique du marché, * procéder à toutes les publications requises au Registre de commerce et des sociétés.

Par jugement du 24 avril 2020, le tribunal d'arrondissement de Luxembourg a reçu la demande en la forme et a dit la demande de PERSONNE1.) non fondée à voir nommer un administrateur ad hoc pour SOCIETE1.) et l’en a débouté.

De ce jugement PERSONNE1.) a relevé appel par acte d’huissier du 7 mai 2020.

En date du 21 décembre 2023 la Cour d’appel a rendu un arrêt dont le dispositif se lit comme suit :

reçoit l’appel de PERSONNE1.) ;

« le dit non fondé, confirme le jugement entrepris ;

déclare l’arrêt commun à PERSONNE3.), PERSONNE4.), Maître Yann BADEN pris en sa qualité d’administrateur provisoire de la société anonyme SOCIETE1.) et de la société en commandite par action de SOCIETE2.) SCA SICAV – FIS ;

dit l’appel incident de PERSONNE2.) et PERSONNE3.) recevable ;

déclare la demande de PERSONNE2.) et de PERSONNE3.) à se voir allouer par réformation du jugement, un indemnité de procédure pour la première instance non fondée ;

déboute PERSONNE1.) de sa demande basée sur l’article 240 du Nouveau Code de procédure civile pour l’instance d’appel ;

déboute PERSONNE2.) et PERSONNE3.) de leurs demandes basées sur l’article 240 du Nouveau Code de procédure civile pour l’instance d’appel ;

déboute PERSONNE4.) de sa demande basée sur l’article 240 du Nouveau Code de procédure civile pour l’instance d’appel ;

condamne PERSONNE1.) aux frais et dépens de la présente instance de l’instance d’appel ».

Cet arrêt fait l’objet du présent pourvoi.

Sur la recevabilité du pourvoi :

Le mémoire en cassation a été signifié le 19 mars 2023 à:

1. PERSONNE2.) « pris en sa qualité d’administrateur de SOCIETE1.) S.A. », 2. PERSONNE3.) « pris en sa qualité d’administrateur de SOCIETE1.) S.A. », 3. PERSONNE4.) « pris en sa qualité de membre du conseil d’administration de SOCIETE1.) S.A. », 4. Maître Yann BADEN « pris en sa qualité d’administrateur provisoire de SOCIETE2.) et de SOCIETE1.) », et 5. la société anonyme SOCIETE1.) « représentée par son administrateur provisoire Maître Yann Baden […], sinon par tout autre organe autorisé à la représenter légalement ».

Tout d’abord, nous relevons que les significations faites à Maître Yann BADEN en sa qualité d’administrateur provisoire de SOCIETE1.), et à la société anonyme SOCIETE1.) représentée par son administrateur provisoire Maître Yann Baden, font double emploi1, même si cela reste sans incidence sur la recevabilité du pourvoi.

Nous constatons toutefois que la signification a été faite aux défendeurs en cassation sub 1 à 3, pris en leurs qualités d’administrateurs, respectivement de membre du conseil d’administration de SOCIETE1.) S.A.. Cette signification faite aux administrateurs ou représentants légaux équivaut à une signification faite à la société2, et non pas à une signification faite auxdites personnes en nom personnel3.

Or, dans l’arrêt dont pourvoi, les défendeurs en cassation sub 1 à 3 étaient parties à l’instance en nom personnel, en non pas en tant qu’administrateurs de la société SOCIETE1.). Sous peine d’irrecevabilité, le mémoire en cassation aurait partant également dû être signifié à ces parties en nom personnel.

Etant donné qu’en date du 23 octobre 2018, PERSONNE1.) a fait donner assignation aux parties défenderesses en cassation afin d’obtenir essentiellement la nomination d’un administrateur ad hoc votant en lieu et place de PERSONNE2.) à une prochaine assemblée générale visant à remplacer le conseil d’administration de SOCIETE1.), PERSONNE2.) constitue la principale « partie adverse » au sens de l’article 10 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation. En ce qui concerne les autres parties, le dispositif de l’arrêt entrepris se limite à déclarer l’arrêt commun à PERSONNE3.), PERSONNE4.), Maître Yann BADEN pris en sa qualité d’administrateur provisoire de la société anonyme SOCIETE1.) et de la société en commandite simple SOCIETE2.) SCA SICAV-FIS.

Le mémoire en cassation n’a été valablement signifié qu’à la société anonyme SOCIETE1.), respectivement à son administrateur provisoire. A supposer qu’une décision favorable aux prétentions du demandeur en cassation soit prononcée, celle-ci serait inopposable aux autres parties défenderesses et ne saura partant être exécutée4.

1 cf. Cass.19 décembre 2019, n°178/2019 du 19.12.2019, n° CAS-2019-00005 du registre 2 Cass. n°18/2021 du 28.01.2021, n° CAS-2020-00013 du registre (1er et 3e moyens réunis) : « La demanderesse en cassation, en sa qualité de gérante, partant de représentant légal de la société X., n’était pas partie en nom personnel à l’action introduite par le curateur de la société Y. contre la société X. et la société Z».

Dans le même sens : Cass. 2e civ. 12 mai 1975, n°74-12.241 : JurisData n° 1975-099144 :

« La signification à personne morale est réputée faite à personne lorsque l’acte sera délivré à son représentant légal; en ce, en quelque lieu qu’il se trouve » ;

3 Cass. com. 10 mai 2012, n°11-17.112 :

« Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’elle constatait que l’assignation visait que la société X..Y, prise en sa qualité de commissaire à l’exécution du plan de la société Mat sup, ce dont il résultait que la société X..Y n’était pas partie à l’instance, la Cour d’appel a violé les textes susvisés ».

4 Cass. n° / 02 du 25.04.2002, n° 1882 du registre :

Le litige est indivisible et en l’absence de signification valablement faite conformément à l’article 10 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation aux défendeurs sub 1à 3, le pourvoi est irrecevable dans son intégralité.

Subsidiairement, à supposer que le pourvoi soit recevable :

Sur le premier moyen de cassation:

Le premier moyen de cassation est tiré de violation de l’article 6-1 du Code civil qui dispose que :

« Tout acte ou tout fait qui excède manifestement, par l'intention de son auteur, par son objet ou par les circonstances dans lesquelles il est intervenu, l'exercice normal d'un droit, n'est pas protégé par la loi, engage la responsabilité de son auteur et peut donner lieu à une action en cessation pour empêcher la persistance dans l'abus. » Le moyen fait grief à l’arrêt entrepris d’avoir retenu qu’à défaut de vote soumis aux actionnaires, aucun abus d’égalité n’a pu être commis par PERSONNE2.).

Aux termes de l’article 10 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, le mémoire en cassation doit préciser les moyens de cassation et contenir « les conclusions dont l’adjudication sera demandée ».

Dans l’énoncé du moyen, le demandeur en cassation conclut « que la Cour d’appel aurait partant dû retenir que le comportement de PERSONNE2.), tel que décrit par la Partie Demanderesse dans son acte d’appel, constituait un véritable abus d’égalité, et ce, indépendamment de l’exercice effectif du droit de vote exprimé dans le cadre d’une assemblée générale d’actionnaires ».

Le demandeur en cassation reste toutefois en défaut d’indiquer quel était « le comportement de PERSONNE2.), tel que décrit par la Partie Demanderesse dans son acte d’appel », mettant ainsi votre Cour dans l’impossibilité d’exercer son contrôle.

Aux termes de l’article 10, alinéa 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, chaque moyen ou chaque branche doit, sous peine d’irrecevabilité, préciser en quoi la partie critiquée de la décision encourt le reproche allégué. Les développements en droit qui, aux termes de l’alinéa 3 de l’article 10 précité peuvent compléter l’énoncé du moyen, ne peuvent suppléer à la carence originaire de celui-ci au regard des éléments dont la précision est requise sous peine d’irrecevabilité.5 « Attendu que si en principe le pourvoi peut n’être formé que contre une des parties à la décision attaquée, il en est autrement lorsque le défendeur en cassation a, avec d’autres parties à la décision, un intérêt indivisible ;

Attendu qu’en l’espèce, il y a indivisibilité d’exécution des dispositions attaquées ;

D’où il suit que le pourvoi est irrecevable ; » Dans le même sens :

Cass. n° 38 / 07 du 28.6.2007, n° 2422 du registre ;

Cass. n° 79 / 2019 du 02.05.2019, n° CAS-2018-00037 du registre.

5 Cass. n° 123 / 2022 du 20.10.2022, n°CAS-2021-00125 du registre ; Cass. n° 64 / 2022 du 12.05.2022, n° CAS-2021-00089 du registre S’y ajoute qu’en demandant à votre Cour de décider «que la Cour d’appel aurait dû retenir que le comportement de PERSONNE2.) constituait un véritable abus d’égalité, et ce, indépendamment de l’exercice effectif du droit de vote exprimé dans le cadre d’une assemblée générale d’actionnaires », le moyen demande à votre Cour de procéder à une appréciation en fait qui ne relève pas de sa compétence.

Le moyen est irrecevable.

Subsidiairement :

L’application de la théorie de l’abus de droit au détournement de pouvoir commis par des actionnaires constitue une création prétorienne.

En Belgique, cette application jurisprudentielle a trouvé sa place dans le Code des sociétés, et l’abus de minorité est aujourd’hui régi par l’article 2 :43, alinéa 2, du Code des sociétés :

« Le deuxième alinéa [de l’article 2 :43 du Code des sociétés belge] vise l’hypothèse d’un abus de minorité et se prononce sur la nature de la sanction susceptible d’être attachée à un tel abus.

Lorsqu’une minorité des votants abuse de son droit de vote de manière telle qu’une assemblée n’est pas en état de prendre une décision à la majorité requise par la loi ou les statuts, le juge peut, « à la requête d’un membre de l’assemblée concernée ou de la personne morale », décider que sa décision tiendra lieu de vote positif.

Le juge donnera ainsi à sa décision la valeur d’un vote émis par cette minorité ».6 La doctrine belge rattache également l’analyse, tant de l’abus de majorité que de l’abus d’égalité ou de minorité, à l’exercice du droit de vote :

« Pour établir un abus de droit, le juge doit vérifier si le droit de vote a été exercé d’une manière qui dépasse manifestement les limites de l’exercice normal de celui-ci par un associé ou mandataire prudent et diligent.

Le critère générique du dépassement de l’exercice normal du droit de vote et les critères spécifiques qui le mettent en œuvre coïncident avec le contrôle de proportionnalité. »7 Ou encore :

« Les droits de vote majoritaire et minoritaire (ou égalitaire) sont de même nature : le droit de vote, quel que soit le pouvoir votal de celui qui l’exerce, est toujours un droit-fonction.

Les critères généraux qui viennent d’être dégagés, applicables tels quels à l’abus de majorité, doivent toutefois être adaptés en matière d’abus de minorité ou d’égalité, compte tenu des conséquences différentes de ces abus.

L’abus du droit de vote majoritaire est en effet examiné au regard d’une décision adoptée.

L’abus du droit de vote minoritaire ou égalitaire est au contraire relatif au rejet d’une proposition. Ceci implique un renversement de perspective.

Le contrôle de conformité à l’intérêt social doit être marginal: il n’y a par conséquent détournement de pouvoir que si l’associé exerce son droit de vote d’une manière qui ne fait pas 6 Société anonyme, Larcier, G. CALLENS – A. CAUTAERS – H. CULOT – Y. DE CORDT – G. DE PIERPONT – T. FLAMENT – E. FOSSÉPREZ – J.-M. GOLLIER – A. HANNOUILLE – N. TISSOT, n° 634 7 Les conflits entre actionnaires, Larcier, Roman Aydogdu, n° 382 partie des options qui s’ouvrent à un associé ou mandataire normalement prudent et diligent chargé de poursuivre l’intérêt social.

Dans le cadre de l’abus de majorité, le contrôle marginal signifie donc qu’il n’y a détournement de pouvoir que si la décision adoptée grâce aux votes majoritaires sort du champ des décisions conformes à l’intérêt social dans une situation donnée.

Pour l’abus de minorité ou d’égalité, à l’inverse, le contrôle marginal implique qu’il n’y a détournement que si, dans la situation de la société, l’adoption de la proposition rejetée par les minoritaires est la seule mesure favorable à l’intérêt social. Il ne suffit donc pas d’établir que la proposition rejetée est conforme à l’intérêt social.

Si en effet une autre mesure peut être prise pour réaliser l’intérêt social, les associés ou mandataires minoritaires ont le droit de préférer cette dernière à la proposition des majoritaires, qu’ils peuvent dès lors valablement rejeter. En décider autrement priverait les minoritaires de tout pouvoir d’appréciation dans les cas où le Code ou les statuts ont précisément entendu leur donner, à l’égal des majoritaires, le pouvoir d’arbitrer entre les différentes décisions conformes à l’intérêt social. »8 En France, l’application de la théorie de l’abus de droit en matière de droits des actionnaires n’a pas fait l’objet d’une codification9 et reste entièrement une œuvre prétorienne.

La Cour de cassation française a régulièrement appliqué la théorie de l’abus de droit à des abus du droit de vote commis dans le cadre d’une assemblée générale, notamment dans les arrêts suivants:

Cass. com., 18 avril 1961, n°59-11.394 Cass. com., 16 juin 1998, n° 96-13.997 Cass. com., 31 mars 2009, n° 08-11.860 Cass., 3e civ., 5 juillet 2018, 17-19.975 Cass., 3e civ., 18 avril 2019, n° 18-11.881 Cass., com., 15 janvier 2020, n° 18-11.580 Cass., com., 10 juin 2020, n° 18-15.614 Cass. 1e civ., 3 février 2021, n° 16-19.691 Cass. 3e civ., 6 avril 2022, n° 21-13.287 Cass., com., 21 juin 2023, n° 21-23.298.

Tous ces arrêts concernent des abus du droit de vote. Nous n’avons pu déceler aucune jurisprudence où un abus de droit reproché à un actionnaire aurait été sanctionné dans un autre contexte.

La même remarque vaut pour le Luxembourg, où ce sont essentiellement les chambres commerciales du tribunal d’arrondissement qui ont statué sur des allégations d’abus de droit reprochés à des actionnaires. Aucune décision n’a consacré l’application de la théorie de l’abus de droit au-delà du cadre de l’exercice du droit de vote à l’assemblée générale.

8 Idem, n°388-390 9 La loi PACTE (LOI n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises ) a «élargi l’intérêt social des entreprises » en modifiant l’art. 1833 du Code civil, texte qui disposait jusqu’alors que « Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés », et qui s’est trouvé complété par un nouvel alinéa selon lequel «La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité».

En décidant qu’en l’absence de convocation régulière d’une assemblée générale et d’un vote exprimé, respectivement à défaut de vote soumis aux actionnaires, aucun abus d’égalité n’a pu être commis, la Cour d’appel a correctement appliqué l’article 6-1 du Code civil.

Le moyen n’est pas fondé.

Sur le deuxième moyen de cassation :

Le deuxième moyen est tiré du défaut de base légale au regard de l’article 6-1 du Code civil.

Le moyen fait état de l’acte d’appel du 19 juin 2020 et des conclusions de demandeur en cassation du 28 février 2022 et il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir omis de statuer sur le reproche que, lors de l’assemblée générale du 30 juillet 2015, PERSONNE2.) aurait abusé de sa position d’actionnaire égalitaire en votant contre le renouvellement du mandat du réviseur d’entreprise. La Cour aurait ainsi omis de constater les faits nécessaires à l’application de l’article 6-1 du Code civil.

Comme pour le premier moyen, l’énoncé du moyen est incomplet dans la mesure où il se réfère simplement à des actes de procédure soumis aux juges du fond sans en reproduire les extraits pertinents. Il ne répond pas aux exigences de l’article 10 de loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation et doit être déclaré irrecevable.

Subsidiairement :

Le défaut de base légale se définit comme l’insuffisance des constatations de fait nécessaires pour statuer sur le droit10.

Dans la discussion du moyen, le demandeur en cassation indique pourtant que « la Cour d’appel a retenu que l’abus d’égalité ne pouvait être constaté en l’absence d’un vote exprimé en assemblée générale des actionnaires »11 et que « dans sa motivation, la Cour d’appel s’est limitée à retenir qu’aucune assemblée générale n’avait eu lieu, et qu’aucun abus d’égalité n’avait pu être commis dans la mesure où le remplacement du conseil d’administration n’avait pas été soumis à un vote »12.

En constatant le défaut de vote exprimé sur la nécessité de remplacer le conseil d’administration, l’arrêt entrepris a à suffisance motivé sa décision de retenir que les conditions de l’abus d’égalité n’étaient pas remplies.

Le moyen n’est pas fondé.

Plus subsidiairement :

Le vote de PERSONNE2.) à l’assemblée générale du 30 juillet 2015 a été invoqué par le demandeur en cassation pour démontrer « le pouvoir de nuisance » de ce dernier. Or, l’intention 10 Jacques et Louis Boré, La cassation en matière civile, Dalloz, 5e éd. 2015/2016, n° 78.21 11 Mémoire en cassation, page 15, 2e paragraphe 12 idem, page 17, 4e paragraphe supposée de PERSONNE2.) lors d’un vote en 2015 portant sur le renouvellement du mandat du réviseur d’entreprises est sans aucune incidence sur la question du renouvellement du conseil d’administration, qui n’a justement été soumise à aucun vote.

La Cour d’appel n’avait partant pas à répondre à l’argument en question, qui est sans incidence sur la solution du litige.

Le moyen est inopérant, sinon non fondé.

Conclusion Le pourvoi est recevable, mais il est à rejeter.

Pour le Procureur Général d’Etat, Le premier avocat général Marie-Jeanne Kappweiler 12


Synthèse
Numéro d'arrêt : 140/23
Date de la décision : 14/12/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2023-12-14;140.23 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award