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14/12/2023 | LUXEMBOURG | N°142/23

Luxembourg | Luxembourg, Cour administrative, 14 décembre 2023, 142/23


N° 142 /2023 du 14.12.2023 Numéro CAS-2023-00022 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, quatorze décembre deux mille vingt-trois.

Composition:

Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Théa HARLES-WALCH, conseiller à la Cour de cassation, Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre PERSONNE1.), demeurant à B-ADRESSE1.), demandeur en cassation, comparant

par Maître Andreas KOMNINOS, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est...

N° 142 /2023 du 14.12.2023 Numéro CAS-2023-00022 du registre Audience publique de la Cour de cassation du Grand-Duché de Luxembourg du jeudi, quatorze décembre deux mille vingt-trois.

Composition:

Thierry HOSCHEIT, président de la Cour, Théa HARLES-WALCH, conseiller à la Cour de cassation, Christiane JUNCK, conseiller à la Cour de cassation, Marie-Laure MEYER, conseiller à la Cour de cassation, Monique HENTGEN, conseiller à la Cour de cassation, Daniel SCHROEDER, greffier à la Cour.

Entre PERSONNE1.), demeurant à B-ADRESSE1.), demandeur en cassation, comparant par Maître Andreas KOMNINOS, avocat à la Cour, en l’étude duquel domicile est élu, et la société anonyme SOCIETE1.), établie et ayant son siège social à L-

ADRESSE2.), représentée par le conseil d’administration, inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro NUMERO1.), défenderesse en cassation, comparant par la société anonyme SCHILTZ & SCHILTZ, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Franz SCHILTZ, avocat à la Cour.

___________________________________________________________________

Vu l’arrêt attaqué, numéro 128/22 - IX - COM, rendu le 27 octobre 2022 sous le numéro CAL-2020-00396 du rôle par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg, neuvième chambre, siégeant en matière commerciale ;

Vu le mémoire en cassation signifié le 21 février 2023 par PERSONNE1.) à la société anonyme SOCIETE1.) (ci-après « la SOCIETE1.) ») déposé le 23 février 2023 au greffe de la Cour supérieure de justice ;

Vu le mémoire en réponse signifié le 7 avril 2023 par la SOCIETE1.) à PERSONNE1.), déposé le 17 avril 2023 au greffe de la Cour ;

Sur les conclusions de l’avocat général Nathalie HILGERT.

Sur la recevabilité du pourvoi Conformément aux articles 7, paragraphes 1 et 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation et 167 du Nouveau Code de procédure civile, le demandeur en cassation, domicilié en Belgique, dispose d’un délai de deux mois et quinze jours, à partir de la signification ou de la notification à personne ou à domicile de l’arrêt attaqué, pour introduire un recours en cassation.

L’arrêt attaqué a été signifié au demandeur en cassation à son domicile le 8 décembre 2022 de sorte que le délai pour se pourvoir en cassation a expiré le 23 février 2023.

Le pourvoi en cassation est recevable quant au délai.

La défenderesse en cassation soulève l’irrecevabilité du pourvoi en raison d’irrégularités du bordereau de pièces annexé au mémoire en cassation.

Les irrégularités du bordereau de pièces ne constituent pas une cause d’irrecevabilité du pourvoi.

Il s’ensuit que le pourvoi, introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Sur les faits Selon l’arrêt attaqué, le Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, siégeant en matière commerciale, avait dit non fondée la demande en indemnisation de PERSONNE1.), avait fait droit à la demande reconventionnelle de la SOCIETE1.) et avait condamné le demandeur en cassation au paiement du solde d’une convention de crédit. La Cour d’appel a confirmé le jugement, sauf à augmenter le montant de la condamnation.

Sur le premier moyen de cassation Enoncé du moyen « Tiré de la violation, la fausse interprétation, la fausse application des articles 1134 at 1137 alinéa 2 et 1145 du code civil du code civil pour en raison de la qualification erronée faite par la Cour d’appel des obligations à charge de la banque en tirant un régime de responsabilité non-applicable à l’espèce, dès lors que la cour aurait dû qualifier les obligations à charge de la banque d’obligation de résultat et non d’obligations de moyen en ce que la Cour d’appel a déclaré l’appel principal recevable mais non fondé en écartant le moyen tiré de la mise en cause de la responsabilité de la banque pour ne pas avoir respecter les obligations à sa charges, obligations à qualifier d’obligations de résultat, sinon d’obligations de moyens renforcées au motif que , alors que la Cour n’a manifestement pas procédé à la classification des obligations mises à charge de la banque, mais à effectuer une appréciation globale de celles-ci, sans rechercher la volonté des parties ni pris en considération ni examiner les éléments objectifs permettant la qualification exacte de chacune des obligations à charge de la banque. ».

Réponse de la Cour En retenant « Les obligations mises à charge de la banque SOCIETE1.) sont énumérées à l’article 2 du contrat signé entre parties, à savoir de la LoE, et ce, en ces termes :

accepts:

 finding, entirely independently and on discretionary basis, one or many Potential Buyer(s) with a view to concluding the Transaction;

 providing such Potential Buyer(s) with the information and documents the Bank has received from the Customer in connection with the Transaction;

 negotiating possible offers from Potential Buyer(s);

 putting in contact the Customer and Potential Buyer(s) and assisting them in the negotiations for the achievement of the contemplated Transaction;

 where necessary, coordinating the progress of external advisors engaged by the Customer(s) in order to assist the Bank in the performance of its duties.

The Bank is not authorized to represent the Customer with Potential Buyer(s) or third parties.

The Bank shall not perform any due diligence whatsoever on the Companies, the Financial Instruments or the Transaction in general.

The Bank is authorized to engage at its sole discretion the services of third parties service providers to assist the Bank in the performance of all or parts of its above mentioned duties. Furthermore, the Customer acknowledges that the Bank may assign, novate or otherwise transfer any of its rights or obligations under this Agreement to any third party.

For the avoidance of doubt, the Bank’s duties under this Agreement are obligations of means. » La Cour constate qu’en l’espèce, les parties ont pris soin de stipuler que les obligations de la banque (SOCIETE1.)) sont des obligations de moyens : comme en toute matière contractuelle, il est tout à fait loisible aux parties de ce faire, par application du principe de la primauté de la volonté des parties. Ainsi, certains auteurs admettent même que la stipulation d’une clause de non-obligation fait dégénérer l’obligation de résultat qui, le cas échéant, aurait pesée sur le débiteur, en obligation de moyens (Ph. LE TOURNEAU, De l’allègement de l’obligation de renseignements ou de conseil, D.1987,chron. p.1032, n° 3252).

Outre cette volonté clairement et formellement exprimée par les parties au LoE, la Cour confirme, à l’instar du tribunal, que nombre des engagements de la SOCIETE1.) ne peuvent être qualifiés d’obligations de résultat, au vu de l’aléa existant dans l’exécution du contrat.

Cette notion d’aléa, déjà omniprésente dans l’article ( buyers », ), se trouve renforcée par le contenu de l’article du LoE, qui se lit comme suit :

for one or more Potential Buyers. Accordingly, it shall be entitled to contact any Luxembourg or foreign natural person or legal entity that could be interested in buying the Financial Instruments.

It is expressly agreed that the Bank is unable to guarantee that it will be able to successfully complete the task assigned to it, in particular, it gives no assurances as to how many Potential Buyers it will approach or that one of these Potential Buyers will come into an agreement with the Customer.

3.2. The Customer hereby instructs the Bank to forward to Potential Buyers the information and documents it has received from the Customer in connection with the Transaction. » C’est partant à tort que PERSONNE1.) affirme que l’ensemble de ces obligations de la SOCIETE1.), prises isolément, ne présenteraient aucun aléa, ni de participation active de sa part.

Seuls les deuxième et troisième alinéas de l’article de la LoE sont néanmoins à qualifier d’obligations de résultat, pour stipuler des obligations de ne pas faire, par application de l’article 1145 du Code civil ().

Il suit de ce qui précède que c’est pour de justes motifs, que la Cour fait siens, que les juges de première instance ont retenu que . Il convient de les confirmer en ces qualifications. », les juges d’appel ont, sans violer les dispositions visées au moyen, qualifié les obligations de la défenderesse en cassation après avoir recherché la volonté des parties et examiné les éléments matériels leur permettant de caractériser ces obligations.

Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

Sur les deuxième et troisième moyens de cassation réunis Enoncé des moyens le deuxième, « Tiré de la violation des articles 1134 et 1150 du code civil, en ce que la Cour d’appel a déclaré l’appel principal recevable mais non fondé en écartant le moyen tiré de la nullité de la clause limitative de responsabilité stipulé au contrat conclu entre parties, au motif que l’espèce, les parties ont pris soin de stipuler que les obligations de la banque (SOCIETE1.)) sont des obligations de moyens : comme en toute matière contractuelle, il est tout à fait loisible aux parties de ce faire, par application du principe de la primauté de la volonté des parties. Ainsi, certains auteurs admettent même que la stipulation d’une clause de non-obligation fait dégénérer l’obligation de résultat qui, le cas échéant, aurait pesé sur le débiteur, en obligation de moyens (Ph. LE TOURNEAU, De l’allègement de l’obligation de renseignements ou de conseil, D. 1987, chron. P. 1032, n° 3252) », et que , alors que la Cour d’appel aurait dû écarter la clause de non-responsabilité stipulée au contrat conclu entre parties comme étant nulle, de sorte que l’appel de Monsieur PERSONNE1.) aurait dû être déclaré fondé. » et le troisième, « Tiré de la violation des articles 1134 et 1150 du code civil, en ce que la Cour d’appel a déclaré l’appel principal recevable mais non fondé en écartant le moyen tiré de la mise en cause de la responsabilité de la banque pour ne pas avoir respecter les obligations à sa charges, au motif que , et limiter la mise en jeu de la responsabilité contractuelle de la banque à la seule commission d’une faute lourde dans son chef, sans faire application des critères jurisprudentiels permettant de définir ce type de faute à l’espèce, alors que la Cour d’appel aurait dû constater au vu des éléments lui soumis que la banque avait engagé sa responsabilité contractuelle à l’égard de Monsieur PERSONNE1.), de sorte que son appel aurait dû être déclaré fondé. ».

Réponse de la Cour Aux termes de l’article 10, alinéa 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, un moyen ou un élément de moyen ne doit, sous peine d’irrecevabilité, mettre en œuvre qu’un seul cas d’ouverture.

Chaque moyen articule, d’une part, la violation de l’article 1134 du Code civil relatif à la force obligatoire des contrats et, d’autre part, la violation de l’article 1150 du même Code ayant trait à l’indemnisation du préjudice prévisible, partant deux cas d’ouverture distincts.

Il s’ensuit que les moyens sont irrecevables.

Sur les demandes en allocation d’indemnités de procédure Le demandeur en cassation étant à condamner aux dépens de l’instance en cassation, sa demande en allocation d’une indemnité de procédure est à rejeter.

Il serait inéquitable de laisser à charge de la défenderesse en cassation l’intégralité des frais exposés non compris dans les dépens. Il convient de lui allouer une indemnité de procédure de 5.000 euros.

PAR CES MOTIFS, la Cour de cassation reçoit le pourvoi ;

le rejette ;

rejette la demande du demandeur en cassation en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne le demandeur en cassation à payer à la défenderesse en cassation une indemnité de procédure de 5.000 euros ;

le condamne aux dépens de l’instance en cassation avec distraction au profit de la société anonyme SCHILTZ & SCHILTZ, sur ses affirmations de droit.

Le président Thierry HOSCHEIT, qui a participé au délibéré, étant dans l’impossibilité de signer, la minute du présent arrêt est signée, conformément à l’article 82 de la loi modifiée du 7 mars 1980 sur l’organisation judiciaire, par le conseiller le plus ancien en rang ayant concouru à l’arrêt.

La lecture du présent arrêt a été faite en la susdite audience publique par le conseiller Théa HARLES-WALCH en présence du premier avocat général Sandra KERSCH et du greffier Daniel SCHROEDER.

Conclusions du Parquet Général dans l’affaire de cassation PERSONNE1.) contre société anonyme SOCIETE1.) (affaire n° CAS-2023-00022 du registre) Le pourvoi en cassation, introduit par PERSONNE1.) par un mémoire en cassation signifié le 21 février 2023 à la partie défenderesse en cassation et déposé au greffe de la Cour Supérieure de Justice le 23 février 2023, est dirigé contre un arrêt n° 128/22 - IX - COM rendu par la Cour d’appel, neuvième chambre, siégeant en matière commerciale, statuant contradictoirement, en date du 27 octobre 2022 (n° CAL-2020-00396 du rôle).

Sur la recevabilité du pourvoi qui est contestée :

L’arrêt attaqué a été signifié au demandeur en cassation, demeurant en Belgique, le 8 décembre 2022 selon celui-ci1 et le 16 novembre 2022 selon la défenderesse en cassation2.

La défenderesse en cassation se rapporte à la sagesse de Votre Cour en ce qui concerne la recevabilité du pourvoi en la forme et quant au délai.

Le demandeur en cassation résidant en Belgique, le délai de recours lui applicable est, conformément à l’article 7, alinéas 1 et 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation (la « Loi du 18 février 1885 »), ensemble avec l’article 167, sous 1°, du Nouveau Code de procédure civile, auquel renvoie l’article 7, alinéa 2, de la loi précitée, de deux mois et quinze jours.

Ce délai commence à courir, conformément à l’article 7, alinéa 1, de la loi précitée, à partir de la signification à personne ou à domicile de l’arrêt attaqué au demandeur en cassation.

La signification de l’arrêt attaqué3 est régie par le Règlement (UE) n° 2020/1784 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2020 relatif à la signification et à la notification dans les Etats membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale4, applicable à partir du 1er juillet 2022.

Conformément à l’article 13, paragraphe 1, de ce règlement, « La date de la signification ou de la notification effectuée en vertu de l’article 11 est celle à laquelle l’acte a été signifié ou notifié conformément au droit de l’Etat membre requis »5, donc, en l’espèce, conformément au droit belge.

1 Voir mémoire en cassation, p. 1.

2 Voir mémoire en réponse, p. 1.

3 Voir les actes de signification versés à titre de pièces n°44 et n°45 par le demandeur en cassation.

4 Journal officiel de l’Union européenne L 450/40 du 2.12.2020.

5 La même solution prévalait sous l’empire du Règlement (CE) n° 1393/2007.

L’arrêt attaqué a été signifié au demandeur en cassation à domicile le 8 décembre 2022, de sorte que le délai de se pourvoir en cassation a expiré le 23 février 2023. Le mémoire en cassation, préalablement signifié à la défenderesse en cassation, ayant été déposé le 23 février 2023, il est recevable quant au délai.

La défenderesse en cassation fait encore état du fait que le pourvoi en cassation lui signifié renseignerait, sous le point 3, une farde de 43 pièces tandis que l’énumération des pièces s’arrêterait à la pièce n° 23). Elle en déduit qu’il manquerait 20 pièces qui ne seraient pas inventoriées. Le pourvoi serait irrecevable au vu de ce manque.

Aux termes de l’article 10 de la Loi du 18 février 1885 « le mémoire indiquera, s'il y a lieu, les pièces déposées à l'appui du pourvoi. Les pièces non indiquées dans le mémoire ou produites après l'expiration des délais déterminés ci-avant seront écartées du débat ».

Il en découle qu’une éventuelle irrégularité quant à l’indication des pièces n’est pas sanctionnée par l’irrecevabilité du pourvoi.

Il résulte des éléments du dossier que le demandeur en cassation a déposé au greffe de Votre Cour « une farde de 45 pièces » en date du 23 février 2023, soit simultanément avec le dépôt de son mémoire de cassation. A remarquer, tel que cela figure également sur l’acte de dépôt, que l’inventaire ne correspond pas exactement aux pièces qui y figurent effectivement. De plus, le bordereau de pièces indiqué à la fin du mémoire ne fait état que de 23 pièces.

La soussignée se rapporte à la sagesse de Votre Cour quant à la sanction à réserver à ces erreurs dans l’énumération des pièces.

En tout état de cause, le mémoire en cassation est recevable quant au délai et quant à la forme.

Le mémoire en réponse de la défenderesse en cassation, signifié au demandeur en cassation en son domicile élu le 7 avril 2023 et déposé au greffe de la Cour le 17 avril 2023 peut être pris en considération pour avoir été signifié dans le délai et déposé conformément aux prescriptions de la loi.

Sur les faits et antécédents :

Dans le cadre d’un projet de cession d’un groupe de sociétés, détenues par PERSONNE1.), ce dernier a signé avec la société anonyme SOCIETE1.) (« SOCIETE1.)») une convention intitulée « Letter of Engagement » (« Convention » ou « LoE ») en date du 2 décembre 2014.

SOCIETE1.) lui a encore accordé une ligne de crédit. Suite à la résiliation par SOCIETE1.) de la Convention et à la clôture de ses comptes, PERSONNE1.) a assigné SOCIETE1.) en obtention de dommages et intérêts tant pour préjudice matériel que pour préjudice moral, sur base des articles 1134 et suivants, sinon 1382 et suivants du Code civil. SOCIETE1.) a formulé une demande reconventionnelle en remboursement du crédit accordé.

Suivant jugement contradictoire du 10 janvier 2020, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg a débouté PERSONNE1.) de sa demande et a déclaré la demande reconventionnelle fondée. Sous réserve d’une précision par rapport au montant de la demande reconventionnelle, la Cour d’appel a confirmé ledit jugement par arrêt du 27 octobre 2022.

Cet arrêt fait l’objet du présent pourvoi.

Sur le premier moyen de cassation :

Le premier moyen de cassation est tiré de la violation, sinon de la fausse interprétation, sinon de la fausse application des articles 1134, 1137 alinéa 2 et 1145 du Code civil, en ce que la Cour d’appel a déclaré l’appel principal non fondé en écartant le moyen tiré de la mise en cause de la responsabilité de la banque pour ne pas avoir respecté les obligations à sa charge, obligations à qualifier d’obligations de résultat, sinon d’obligations de moyens renforcées, au motif que « c’est partant à tort que PERSONNE1.) affirme que l’ensemble de ces obligations de la SOCIETE1.), prises isolément, ne présenteraient aucun aléa, ni de participation active de sa part. Seuls les deuxième et troisième alinéas de l’article « 2 » de la LoE sont néanmoins à qualifier d’obligations de résultat, pour stipuler des obligations de ne pas faire, par application de l’article 1145 du Code civil (« si l’obligation est de ne pas faire, celui qui y contrevient doit les dommages et intérêts par le seul fait de la contravention »). Il suit de ce qui précède que c’est pour de justes motifs, que la Cour fait siens, que les juges de première instance ont retenu que « les obligations contractées par la SOCIETE1.) à l’égard de PERSONNE1.) sont des obligations de moyens, à l’exception des obligations de ne pas faire ».

Il convient de les confirmer en ces qualifications. », alors que la Cour n’a pas procédé à la classification des obligations mises à charge de la banque mais a effectué une appréciation globale de celles-ci, sans rechercher la volonté des parties, ni prendre en considération, ni examiner les éléments objectifs permettant la qualification exacte de chacune des obligations à charge de la banque.

Le demandeur en cassation reproche ainsi à la Cour d’appel, dans le cadre de la qualification des obligations assumées par la défenderesse en cassation, de ne pas avoir apprécié de manière individuelle les obligations mises à charge de celle-ci suivant les critères suivants : la participation plus ou moins active du demandeur en cassation dans la réalisation des obligations et l’existence d’un aléa dans l’exécution du contrat. Il lui est également reproché de ne pas avoir réalisé cet exercice de classification pour chacune des obligations mises à charge de la défenderesse en cassation.

L’article 1134 du Code civil dispose :

« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.

Elles doivent être exécutées de bonne foi. » L’article 1137 alinéa 2 du Code civil est de la teneur suivante : « Cette obligation est plus ou moins étendue relativement à certains contrats, dont les effets, à cet égard, sont expliqués sous les titres qui les concernent ».

Aux termes de l’article 1145 du Code civil, « Si l’obligation est de ne pas faire, celui qui contrevient doit les dommages et intérêts par le seul fait de la contravention ».

Le demandeur en cassation admet que les obligations de ne pas faire, tombant dans le champ d’application de l’article 1145 du Code civil, ont été correctement qualifiées par la Cour d’appel d’obligations de résultat, de sorte qu’il ne saurait y avoir violation de l’article 1145 du Code civil.

L’article 1137 alinéa 2 du Code civil, par le renvoi à d’autres dispositions, ne formule aucune règle de droit indépendante.

Pour le reste, le demandeur en cassation reste en défaut de préciser en quoi la Cour d’appel aurait violé l’article 1134 du Code civil en portant atteinte à la force exécutoire des conventions légalement conclues.

A noter que la distinction entre obligations de résultat et obligations de moyens a été développée à partir des articles 1147 et 1137 du Code civil, qui sont en apparence contradictoires. En effet, l’article 1147 du Code civil dispose que « Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part ». Si cette disposition n’admet l’exonération du débiteur qu’en cas de survenance d’une cause étrangère, l’article 1137 alinéa 1er du Code civil n’impose au débiteur d’apporter à l’exécution de son obligation que « les soins d’un bon père de famille » et fait donc peser la charge de la preuve de l’inexécution contractuelle sur la victime6.

Il en découle que les dispositions reprises au moyen sont étrangères au grief fait aux juges d’appel de ne pas avoir correctement qualifié les obligations assumées par la défenderesse en cassation. Il s’ensuit que le moyen est irrecevable7.

A titre subsidiaire, le moyen manque en fait. En effet, les juges d’appel ont retenu ce qui suit en relation avec la qualification des obligations assumées par la défenderesse en cassation :

« Les obligations mises à charge de la banque SOCIETE1.) sont énumérées à l’article 2 du contrat signé entre parties, à savoir de la LoE, et ce, en ces termes :

«The Bank’s Duties The Customer entrusts the Bank with the following duties, which the Bank accepts:

 finding, entirely independently and on discretionary basis, one or many Potential Buyer(s) with a view to concluding the Transaction;

 providing such Potential Buyer(s) with the information and documents the Bank has received from the Customer in connection with the Transaction;

 negotiating possible offers from Potential Buyer(s);

 putting in contact the Customer and Potential Buyer(s) and assisting them in the negotiations for the achievement of the contemplated Transaction;

 where necessary, coordinating the progress of external advisors engaged by the Customer(s) in order to assist the Bank in the performance of its duties.

6 Voir G. RAVARANI, La responsabilité civile des personnes privées et publiques, 3e édition, Pasicrisie, p. 544, n° 517.

7 Voir dans ce sens : Cour de cassation, 2 mars 2023, n° 21/2023, n° CAS-2022-00048 du registre.

The Bank is not authorized to represent the Customer with Potential Buyer(s) or third parties.

The Bank shall not perform any due diligence whatsoever on the Companies, the Financial Instruments or the Transaction in general.

The Bank is authorized to engage at its sole discretion the services of third parties service providers to assist the Bank in the performance of all or parts of its above mentioned duties.

Furthermore, the Customer acknowledges that the Bank may assign, novate or otherwise transfer any of its rights or obligations under this Agreement to any third party.

For the avoidance of doubt, the Bank’s duties under this Agreement are obligations of means.

» La Cour constate qu’en l’espèce, les parties ont pris soin de stipuler que les obligations de la banque (SOCIETE1.)) sont des obligations de moyens : comme en toute matière contractuelle, il est tout à fait loisible aux parties de ce faire, par application du principe de la primauté de la volonté des parties. Ainsi, certains auteurs admettent même que la stipulation d’une clause de non-obligation fait dégénérer l’obligation de résultat qui, le cas échéant, aurait pesée sur le débiteur, en obligation de moyens (Ph. LE TOURNEAU, De l’allègement de l’obligation de renseignements ou de conseil, D.1987,chron. p.1032, n° 3252).

Outre cette volonté clairement et formellement exprimée par les parties au LoE, la Cour confirme, à l’instar du tribunal, que nombre des engagements de la SOCIETE1.) ne peuvent être qualifiés d’obligations de résultat, au vu de l’aléa existant dans l’exécution du contrat.

Cette notion d’aléa, déjà omniprésente dans l’article « 2 » (« potential buyers », « possible offers »), se trouve renforcée par le contenu de l’article « 3 » du LoE, qui se lit comme suit :

« The Bank’s obligations 3.1. Under the terms of this Agreement the Bank shall use best effort to look for one or more Potential Buyers. Accordingly, it shall be entitled to contact any Luxembourg or foreign natural person or legal entity that could be interested in buying the Financial Instruments.

It is expressly agreed that the Bank is unable to guarantee that it will be able to successfully complete the task assigned to it, in particular, it gives no assurances as to how many Potential Buyers it will approach or that one of these Potential Buyers will come into an agreement with the Customer.

3.2. The Customer hereby instructs the Bank to forward to Potential Buyers the information and documents it has received from the Customer in connection with the Transaction. » C’est partant à tort que PERSONNE1.) affirme que l’ensemble de ces obligations de la SOCIETE1.), prises isolément, ne présenteraient aucun aléa, ni de participation active de sa part.

Seuls les deuxième et troisième alinéas de l’article « 2 » de la LoE sont néanmoins à qualifier d’obligations de résultat, pour stipuler des obligations de ne pas faire, par application de l’article 1145 du Code civil (« si l’obligation est de ne pas faire, celui qui y contrevient doit les dommages et intérêts par le seul fait de la contravention »).

Il suit de ce qui précède que c’est pour de justes motifs, que la Cour fait siens, que les juges de première instance ont retenu que « les obligations contractées par la SOCIETE1.) à l’égard de PERSONNE1.) sont des obligations de moyens, à l’exception des obligations de ne pas faire ».

Il convient de les confirmer en ces qualifications ».

Le moyen procède d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué, en ce que les juges d’appel, en se référant aux stipulations contractuelles en vertu desquelles les obligations assumées par la défenderesse en cassation sont des obligations de moyens et en retenant qu’il existe un aléa dans l’exécution du contrat, aléa d’ailleurs expressément renforcé par les termes de l’article 3 de la Convention, ont recherché la volonté des parties et ont examiné les éléments objectifs du contrat liant les parties.

A titre plus subsidiarité, il a lieu de renvoyer à la jurisprudence en vertu de laquelle le juge du fond dispose d’un pouvoir souverain pour interpréter le contrat, c’est-à-dire pour déterminer l’existence et le contenu des obligations respectivement assumées par les contractants.

Ainsi, sous le couvert du grief d’une violation des dispositions visées au moyen, celui-ci ne tend qu’à remettre en cause l’appréciation souveraine, par les juges du fond, sur base des éléments de la cause, de l’étendue de l’obligation contractuelle stipulée par les parties à charge de la défenderesse en cassation, appréciation qui échappe au contrôle de votre Cour8. Il en suit que le moyen ne saurait être accueilli.

En dernier ordre de subsidiarité, le moyen est à rejeter au motif que les juges d’appel ont fait une application correcte des dispositions visées au moyen. En effet, il est admis en doctrine et en jurisprudence que la volonté des parties prime sur les critères dégagés par la jurisprudence pour qualifier une obligation d’obligation de moyens ou de résultat, fondés sur l’aléa et la participation plus ou moins active du créancier dans l’exécution de l’obligation9.

Sur le deuxième moyen de cassation:

Le deuxième moyen est tiré de la violation des articles 1134 et 1150 du Code civil, en ce que la Cour d’appel a déclaré l’appel non fondé en écartant le moyen tiré de la nullité de la clause limitative de responsabilité stipulée au contrat conclu entre parties au motif que « La Cour constate qu’en l’espèce, les parties ont pris soin de stipuler que les obligations de la banque (SOCIETE1.)) sont des obligations de moyens : comme en toute matière contractuelle, il est tout à fait loisible aux parties de ce faire, par application du principe de la primauté de la volonté des parties. Ainsi, certains auteurs admettent même que la stipulation d’une clause de non-obligation fait dégénérer l’obligation de résultat qui, le cas échéant, aurait pesée sur le débiteur, en obligation de moyens (Ph. LE TOURNEAU, De l’allègement de l’obligation de renseignements ou de conseil, D.1987,chron. p.1032, n° 3252) » et que « la simple lecture des deux premiers points de l’article « 9 » : il y est uniquement question de limitation de la responsabilité de la SOCIETE1.) aux cas de survenance d’une faute grave. Il n’est nullement question de clause exclusive de responsabilité. (…) les dispositions de l’article « 9 » sont 8 Voir dans ce sens : Cour de cassation, 16 juin 2016, n° 66/16, n° 3661 du registre. Dans cette affaire le moyen était tiré de la violation des articles 1147 et 1137 alinéa 1 du Code civil et il était reproché aux juges d’appel d’avoir mal qualifié l’obligation souscrite par le demandeur en cassation d’obligation de résultat et non d’obligation de moyens.

9 G. RAVARANI, op. cit., p. 548 et 549, n° 525 ; Cour d’appel, 19 décembre 2012, n° 36526 du rôle.

partant valables, pour avoir délimitées librement le contenu des engagements des cocontractants SOCIETE1.) et PERSONNE1.) », alors que la Cour d’appel aurait dû écarter la clause de non-responsabilité stipulée à la Convention comme étant nulle.

Aux termes de l’article 10 de la Loi du 18 février 1885, « sous peine d’irrecevabilité, un moyen ou un élément de moyen ne doit mettre en œuvre qu'un seul cas d'ouverture. Chaque moyen ou chaque branche doit préciser, sous la même sanction : le cas d’ouverture invoqué, la partie critiquée de la décision et ce en quoi celle-ci encourt le reproche allégué. L’énoncé du moyen peut être complété par des développements en droit qui sont pris en considération ».

Le demandeur en cassation qualifie la clause contractuelle litigieuse tantôt de « clause de non-

responsabilité » tantôt de « clause limitative de responsabilité » et le moyen de cassation ne précise pas les raisons qui auraient dû conduire les juges d’appel à la déclarer nulle.

Le moyen est partant irrecevable pour défaut de précision.

A titre subsidiaire et pour autant qu’il y a lieu de considérer que ces imprécisions sont suffisamment redressées dans le cadre de la discussion du moyen, il pourrait être reproché à celui-ci d’articuler, d’une part, la violation de l’article 1134 du Code civil qui traite de la force obligatoire des conventions et, d’autre part, la violation de l’article 1150 du même code qui a trait à l’indemnisation du seul préjudice prévisible en matière de responsabilité contractuelle, sauf en cas de dol, partant deux cas d’ouverture distincts10.

Or, étant donné qu’il n’est pas toujours aisé de rattacher un concept juridique à un texte légal déterminé et que le grief invoqué semble se rapporter en réalité uniquement à l’article 1134 du Code civil en ce que les juges d’appel ont fait une stricte application du principe de la convention-loi pour déclarer la clause litigieuse valable, le moyen devrait, de l’avis de la soussignée, être déclaré recevable.

Après avoir cité l’article 9 de la Convention, les juges d’appel ont retenu ce qui suit:

« PERSONNE1.) voudrait voir déclarée nulle la susdite clause, pour être une clause de « non-

responsabilité » qui porte sur des obligations principales entre parties.

Ce moyen reste à l’état de pure allégation, à la simple lecture des deux premiers points de l’article « 9 » : il y est uniquement question de limitation de la responsabilité de la SOCIETE1.) aux cas de survenance d’une faute grave. Il n’est nullement question de clause exclusive de responsabilité.

La Cour constate qu’il n’est aucunement contesté que cette clause ait été acceptée librement par PERSONNE1.). Par application du principe de la liberté contractuelle (article 1134 du Code civil, invoqué par PERSONNE1.) à la base de sa demande), les dispositions de l’article « 9 » sont partant valables, pour avoir délimitées librement le contenu des engagements des cocontractants SOCIETE1.) et PERSONNE1.). Il n’y a pas lieu de faire droit à la demande en nullité de PERSONNE1.) ».

10 Voir en ce qui concerne les articles 1134 et 1184 du Code civil : Cour de cassation, 25 février 2021, n° 33/2021, n° CAS-2020-00054 du registre.

Il se dégage de ce passage que la Cour d’appel a déclaré la clause limitative de responsabilité valable sur base des principes de la convention-loi et de la liberté contractuelle prévues par l’article 1134 du Code civil et, ce de fait, elle a rejeté la demande en nullité y relative.

Le demandeur en cassation reproche aux juges d’appel de ne pas avoir analysé si les obligations individuelles assumées par la défenderesse en cassation étaient à qualifier d’accessoires ou de principales pour ensuite conclure que la clause limitative de responsabilité devait être considérée comme nulle ou non. Il se réfère dans ce contexte à un arrêt de la Cour de cassation française rendu en 2007 dans l’affaire Faurecia.

Par deux arrêts rendus dans le cadre de la même affaire Faurecia c/ Oracle, la Cour de cassation française a effectivement précisé la portée des clauses limitatives de responsabilité et la notion de faute lourde.

Par un premier arrêt du 13 février 2007, la Cour de cassation française a, sous le visa de l’article 1131 du Code civil, retenu que « en statuant ainsi, alors qu’elle avait, d’abord constaté que la société Oracle s’était engagée à livrer la version V12 du progiciel objectif final des contrats passés en septembre 1999 et qu’elle n’avait exécuté cette obligation de livraison ni en 1999, ni plus tard sans justifier d’un cas de force majeure, puis relevé qu’il n’avait jamais été convenu d’un autre déploiement que celui de la version V12, ce dont résulte un manquement à une obligation essentielle de nature à faire échec à l’application de la clause limitative de réparation, la Cour d’appel a violé le texte susvisé »11.

Largement désapprouvée par les commentateurs, la position de la Cour de cassation n’a pas été suivie par la cour d’appel de renvoi12. Statuant sur un nouveau pourvoi par arrêt du 29 juin 2010, la Cour de cassation française a précisé ce qui suit : « Mais attendu que seule est réputée non écrite la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l’obligation essentielle souscrite par le débiteur » (moyen basé sur les articles 1131, 1134 et 1147 du Code civil) et « Mais attendu que la faute lourde ne peut résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur » (moyen basé sur les articles 1134, 1147 et 1150 du Code civil)13.

Il est partant admis que seule encourt l’éradication la clause qui contredit la portée de l’obligation essentielle, qui la vide de toute substance14. Il ne suffit pas que la clause aménage la sanction du manquement à une obligation essentielle pour être neutralisée, il est nécessaire qu’elle vide cette obligation de sa substance et contredise, dès lors, la portée de l’engagement souscrit par le débiteur. Le critère ne réside pas dans la nature de l’obligation dont elle aménage la sanction de l’inexécution mais dans l’effet que produit la clause sur la portée de l’engagement contractuel du débiteur. En d’autres termes lorsque l’effet de la clause consiste à désactiver l’engagement souscrit, à neutraliser le caractère contraignant de l’obligation essentielle, à enlever sa force à l’obligation en privant de sanction son inexécution, elle doit être réputée non écrite parce qu’elle permet au débiteur de ne pas exécuter son obligation essentielle15.

11 Cour de cassation française, chambre commerciale, 13 février 2007, n° 05-17.407.

12 Cour d’appel de Paris, 26 novembre 2008, JCP G 2009 I, 123, RDC 2009, 1010.

13 Cour de cassation française, chambre commerciale, 29 juin 2010, 09-11.841.

14 B. FAGES, « Comment Faurecia 2 renoue avec Chronopost 1 et illustre la nécessité de passer à la saison 4 », RTD Civ. 2010, p. 555.

15 D. MAZEAUD, « Clauses limitatives de réparation, la fin de la saga ? », Recueil Dalloz, 2010, p. 1832.

Les juges d’appel n’ont pas analysé la clause limitative de responsabilité par rapport à ces critères mais se sont basés exclusivement sur le principe de la liberté contractuelle pour la déclarer valable.

Or, à la lecture de la suite de l’arrêt attaqué, il s’avère que l’analyse de la validité de la clause limitative de responsabilité n’a été que d’un intérêt purement théorique. En effet, après analyse des reproches formulés par le demandeur en cassation, les juges d’appel concluent que ceux-ci ne sont pas établis et qu’aucune faute, et encore moins une faute lourde, n’a été rapportée. A défaut de toute faute, la clause limitative de responsabilité ne sort pas ses effets et la question de sa validité ne se pose pas.

Il découle de ce qui précède que le moyen de cassation, bien que potentiellement non dénué de tout fondement, est inopérant.

Sur le troisième moyen de cassation:

Le troisième moyen de cassation est tiré de la violation des articles 1134 et 1150 du Code civil, en ce que « la Cour d’appel a déclaré l’appel principal recevable mais non fondé en écartant le moyen tiré de la mise en cause de la responsabilité de la banque pour ne pas avoir respecté les obligations à sa charge, au motif que « aucun des reproches ainsi avancés par PERSONNE1.) n’étant établis, ils ne pourraient être constitutifs d’une faute caractérisée par « un comportement répréhensible, allant au-delà du simple fait d’avoir manqué à ses obligations contractuelles » et limiter la mise en jeu de la responsabilité contractuelle de la banque à la seule commission d’une faute lourde dans son chef, sans faire application des critères jurisprudentielles permettant de définir ce type de faute à l’espèce », alors que la Cour d’appel aurait dû constater au vu des éléments lui soumis que la banque avait engagé sa responsabilité contractuelle à l’égard du demandeur en cassation.

Il est reproché à la Cour d’appel d’avoir défini la faute lourde comme une faute équipollente au dol sans tenir compte de l’évolution de la jurisprudence française. Le demandeur en cassation se prévaut encore de l’arrêt de la Cour de cassation française du 13 février 2007 en vertu duquel le seul manquement à une obligation essentielle suffit à caractériser la faute lourde, sans qu’il ne soit nécessaire de rapporter la preuve d’un comportement d’une extrême gravité.

Par référence aux développements sous le deuxième moyen de cassation, il pourrait être argué que ce moyen articule deux cas d’ouverture distincts. Tenant cependant compte du fait que l’article 1150 du Code civil a trait à la notion de dol, proche de celle de faute lourde, le moyen se résume par essence à la définition de ce concept de faute lourde et à une seule question juridique. De plus le moyen sur lequel la Cour de cassation française s’est prononcée dans le cadre du deuxième arrêt dans l’affaire Faurecia était également tiré de la violation des articles 1134, 1147 et 1150 du Code civil.

La Cour d’appel a retenu ce qui suit en relation avec la notion de faute lourde :

« Au vu de ce qui précède, il convient d’analyser si la SOCIETE1.) a commis une « gross negligence », en d’autres termes une faute lourde dans l’exécution de la LoE. La faute lourde est à interpréter de manière restrictive (Cour, 5.07.2000 numéro du rôle 22718).

La faute lourde constitue une notion multiforme assez mal définie. Il semble que la jurisprudence applique plusieurs critères, les uns subjectifs, les autres objectifs, pour qualifier la faute lourde.

Subjectivement, il s’agit de la négligence grossière que l’homme le moins averti ne commettrait pas dans la gestion de ses propres affaires. Les circonstances concrètes de l’acte révèlent l’extrême incurie de l’agent ou témoignent en tout cas d’une particulière stupidité, alors même qu’en raison des données de fait, l’auteur avait ou devait avoir conscience du danger.

Objectivement, la faute lourde conduit à l’inexécution d’une obligation qualifiée d’essentielle ou fondamentale. Elle frappe plus facilement un professionnel qui, en raison de l’exercice de sa profession, a les moyens d’éviter un certain dommage. Ce qui pour un simple particulier relèverait de la malchance, suscitant sa commisération, constitue une faute pour le professionnel, surtout si elle se répète, ce qui témoigne de son inaptitude à organiser son service. (…) La faute lourde est moins grave que la faute dolosive. L’auteur d’une faute lourde, si grave soit-elle, n’a eu ni l’intention de nuire, ni la conscience ou la connaissance du dommage qui en résultera, ni même la volonté de la commettre. La jurisprudence l’assimile cependant à la faute intentionnelle en en déduisant des conséquences juridiques identiques (G. RAVARANI, La responsabilité civile des personnes privées et publiques, 3e édition, 2014, n° 77).

C’est partant à juste titre et par un raisonnement que la Cour fait sien, que les juges de première instance ont fait un rappel de la jurisprudence et de la doctrine française de la faute lourde équipollente au dol pour en déduire « par conséquent et pour qu’il puisse être reproché à une partie d’avoir agi dolosivement dans l’exécution de ses obligations contractuelles, il faut que soit établie la preuve d’un comportement répréhensible dans son chef, allant au-delà du simple fait d’avoir manqué à ses obligations contractuelles » ».

Comme exposé sous le deuxième moyen de cassation, dans son deuxième arrêt du 29 juin 2010 rendu dans l’affaire Faurecia, la Cour de cassation française a retenu que « la faute lourde ne peut résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur ».

Cet enseignement de la Cour de cassation française a été suivi par la jurisprudence luxembourgeoise. Ainsi, un arrêt de la Cour d’appel du 11 février 2015 a retenu ce qui suit:

« La question de la consistance du dol et de la faute lourde équipollente au dol a fait l’objet de multiples décisions de justice et de nombreux commentaires doctrinaux en France. Il résulte de l’analyse de cette jurisprudence et de cette doctrine qu’au fil du temps, en ce qui concerne la faute lourde équipollente au dol, cette notion est passée d’une notion subjective, se focalisant sur l’appréciation du comportement de l’auteur des agissements prétendument dolosifs, vers une conception objective, prenant en considération l’importance de l’obligation méconnue et les conséquences de son inexécution pour son créancier. Cette évolution vers une tendance objective a été arrêtée net par un arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 29 juin 2010 qui a retenu que « la faute lourde ne peut résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur » (voir sur cette évolution et la jurisprudence y relative : G. Viney et P. Jourdain :

Les effets de la responsabilité, L.G.D.J., 3ème éd. n° 226 et s.). Depuis cette décision, il peut être affirmé que « la notion de faute lourde est donc désormais recentrée sur la gravité du comportement imputable au débiteur et fondée sur l’idée simple mais juste que l’incurie et l’impéritie du débiteur dans l’accomplissement de sa mission contractuelle excluent, à titre de sanction, qu’il puisse tirer profit d’une clause modérant la sanction d’une telle faute » (note Denis Mazeaud sous l’arrêt du 29 juin 2010 dans Dalloz 2010, p. 1832).

La Cour estime que par référence à cette évolution jurisprudentielle en matière de faute lourde équipollente au dol, il y a lieu d’adapter l’interprétation de la notion de dol et de retenir que pour qu’il puisse être reproché à une partie d’avoir agi dolosivement dans l’exécution de ses obligations contractuelles, il faut que soit établie la preuve d’un comportement répréhensible dans son chef, allant au-delà du simple fait d’avoir sciemment manqué à ses obligations contractuelles »16.

Il découle de ce qui précède qu’en exigeant, afin d’établir la preuve d’une faute lourde, la preuve d’un comportement répréhensible, allant au-delà du simple fait pour le débiteur d’avoir manqué à ses obligations contractuelles, les magistrats d’appel n’ont pas violé les dispositions visées au moyen.

Le moyen de cassation est dès lors à rejeter.

Conclusion :

Le pourvoi est recevable mais il est à rejeter.

Pour le Procureur général d’Etat l’avocat général Nathalie HILGERT 16 Cour d’appel, IVe chambre, 11 février 2015, n° 39543 du rôle ; Cour d’appel, IXe chambre 21 novembre 2019, n° 36715 du rôle.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 142/23
Date de la décision : 14/12/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;cour.administrative;arret;2023-12-14;142.23 ?

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