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28/06/2021 | LUXEMBOURG | N°44519

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 juin 2021, 44519


Tribunal administratif N° 44519 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 juin 2020 1ère chambre Audience publique du 28 juin 2021 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44519 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 10 juin 2020 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat

à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …,...

Tribunal administratif N° 44519 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 juin 2020 1ère chambre Audience publique du 28 juin 2021 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44519 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 10 juin 2020 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Burkina Faso), de nationalité burkinabé, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation 1) de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 20 mai 2020 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, et 2) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 7 août 2020 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 21 avril 2021, et vu les remarques écrites de Madame le délégué du gouvernement Nancy Carier du 19 avril 2021 et de Maître Shirley Freyermuth, en remplacement de Maître Ardavan Fatholahzadeh, du 20 avril 2021, produites, conformément à la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020, avant l’audience.

Le 23 octobre 2018, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée-

police des étrangers, dans un rapport du même jour.

Toujours le même jour, Monsieur … passa également un entretien auprès du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après « le règlement Dublin III », occasion lors de laquelle l’intéressé déclara avoir précédemment introduit une demande de protection internationale en Italie.

Par un courrier recommandé du 16 janvier 2019, expédié le 18 janvier 2019, le ministre de l’Immigration et de l’asile, ci-après désignée par « le ministre », informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg avait décidé d’examiner sa demande de protection internationale sur le fondement de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III.

Les 27 mai et 11 juillet 2019, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 20 mai 2020, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée le 25 mai 2020 suivant les explications non contestées de la partie étatique, le ministre résuma les déclarations de Monsieur … auprès du Service de Police judiciaire et de la direction de l’Immigration comme suit :

« […] En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 23 octobre 2018, le rapport d'entretien Dublin III du 23 octobre 2018, le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 27 mai et du 11 juillet 2019 sur les motifs sous-

tendant votre demande de protection internationale ainsi que les documents versés à l'appui de votre demande de protection internationale.

Il résulte de vos déclarations que vous seriez né le … à … au Burkina Faso et que vous y auriez vécu avec votre frère. Vous seriez d'ethnie peule et de confession musulmane. Vous auriez travaillé dans la restauration et le « commerce de téléphone et de bétail » (p.2/16 du rapport d'entretien).

Monsieur, vous déclarez avoir quitté votre pays d'origine parce que votre frère et votre père auraient fait partie du groupement « Koglweogo », « une milice [qui] a un peu milité pour le Gouvernement » (p.6/16 du rapport d'entretien). Ils auraient adhéré à ce groupement parce qu'ils « pensaient que leur adhésion apporte une protection et une sécurité » (p.7/16 du rapport d'entretien). Vous avouez ne pas avoir été membre de ce groupement mais que l'affiliation des membres de votre famille vous aurait causé des problèmes. Vous indiquez dans ce contexte avoir été victime de plusieurs agressions au cours desquelles on vous aurait également frappé.

En 2015, « des individus » (p.8/16 du rapport d'entretien) auraient volé votre téléphone et vous auraient insulté. En 2016, vous auriez été frappé, raison pour laquelle vous auriez été hospitalisé pendant une semaine. Vous supposez que vos agresseurs auraient été des djihadistes, aussi majoritairement d'ethnie peule. Ils « reprochent [Rem. : à votre frère et votre père] d'être des traitres et de travailler avec le Gouvernement ». Vous auriez porté plainte à deux reprises, mais vos plaintes n'auraient jamais abouti.

Vous continuez votre récit en évoquant un incident qui aurait eu lieu le 24 novembre 2016 à votre domicile. Lors de cette agression par des prétendus djihadistes votre frère aurait été blessé alors que vous auriez été absent du domicile. Vous auriez reçu un appel provenant du téléphone de votre frère et vous auriez entendu la voix d'une personne inconnue vous aurait dit de venir à la maison. Vous auriez consulté le « chef de Koglweogo, qui s'appelle … » pour avoir son avis et ce dernier vous aurait conseillé de ne pas retourner à la maison mais de vous cacher. Vous auriez par la suite décidé de quitter votre pays d'origine.

Vous mentionnez en outre que « l'armée ne fait plus la différence entre les Peuls djihadistes et les Peuls non djihadistes » (p.6/16 du rapport d'entretien) et que « L'armée, compte tenu des attaques qui se sont multipliées à plusieurs reprises considèrent les Peuls comme des terroristes » (p.8/16 du rapport d'entretien).

En ce qui concerne votre départ du Burkina Faso le 24 novembre 2016, vous indiquez que vous seriez allé au Niger et puis en Libye, où vous seriez resté pendant environ un an et demi dans diverses villes avant d'arriver en Italie à bord d'un bateau. Après un séjour de cinq mois vous seriez venu au Luxembourg. […] ».

Le ministre informa ensuite Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée sur base des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015.

A cet égard, le ministre, après avoir relevé que le comportement du demandeur depuis son départ du Burkina Faso serait incompatible avec une personne réellement à la recherche d’une protection dans un pays sûr et après lui avoir reproché d’avoir tenté d’induire en erreur les autorités en dissimulant son identité, mit en question la crédibilité du récit de Monsieur … en mettant en avant un certain nombre d’invraisemblances et d’incohérences en ce qui concerne les explications fournies par le demandeur à propos de l’engagement de ses père et frère dans le groupement Koglweogo. Pour le surplus, il estima que Monsieur … ne remplirait pas les conditions d’octroi du statut de réfugié respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire au motif que (i) les faits ne seraient pas à rattacher à l’un des critères de fond définis par la Convention de Genève relative au statut de réfugié, (ii) qu’une simple menace ne serait pas suffisamment grave pour retenir une crainte fondée de persécutions, (iii) que la volonté déclarée du demandeur de retourner dans son pays d’origine depuis l’Italie serait en contradiction avec ses craintes, tout en relevant que le seul fait que des plaintes qu’il avait adressées à la police n’auraient pas abouties ne permettrait pas de conclure à une défaillance des autorités de son pays d’origine et (iv) en faisant valoir que l’Etat burkinabé aurait mis en place des instruments visant à réprimer tout acte lié à des activités terroristes. S’agissant des craintes avancées par le demandeur en raison de son appartenance à l’ethnie peule, le ministre releva que celles-ci seraient purement hypothétiques et ne traduiraient qu’un simple sentiment général d’insécurité.

S’agissant finalement de la protection subsidiaire, le ministre conclut que Monsieur … ne ferait état d’aucun motif sérieux et avéré de croire qu’il courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 en cas de retour dans son pays d’origine.

En conséquence, il constata que le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois était illégal et lui enjoignit de quitter ledit territoire dans un délai de trente jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 juin 2020, Monsieur … a fait déposer un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 20 mai 2020 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

1) Quant au recours visant la décision du ministre portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 20 mai 2020, telle que déférée, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours Monsieur … renvoie, en substance, aux faits et rétroactes de sa demande en obtention d’une protection internationale tels que retranscrits dans le rapport d’entretien auprès de l’agent compétent du ministère.

En droit, il critique de prime abord la conclusion du ministre mettant en doute la crédibilité de son récit, en prenant position en détail par rapport aux différents points et contestations relevés par le ministre à cet égard.

Quant au bien-fondé de sa demande de protection internationale, le demandeur souligne que, de confession religieuse musulmane et d’ethnie peule, il aurait été contraint de quitter son pays d’origine pour les raisons suivantes :

- en août 2015, il aurait été victime d'une agression physique par des membres de groupes islamistes, accompagnée d'insultes en raison de son appartenance ethnique peul, en ce qu’il aurait été qualifié de traître du fait de l’adhésion de son père et son frère au groupe Koglweogo ;

- en octobre 2016, il aurait été agressé deux fois, dont une fois aussi gravement qu'il aurait été hospitalisé, le demandeur affirmant qu’il aurait été victime d’un passage à tabac ayant affecté ses capacités auditives, ces agressions ayant été accompagnées des mêmes menaces en raison de son appartenance ethnique ;

- le 24 novembre 2016, son frère aurait été victime d'une agression à la machette sur la tête et sur les bras, engendrant l'amputation de son bras, et les agresseurs de celui-ci l’auraient menacé de lui faire subir le même sort.

Après avoir cité les dispositions de l’article 42, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur fait valoir qu’il aurait subi trois violentes agressions par des groupes islamistes dont l’une aurait entraîné son hospitalisation, de sorte à remplir les conditions du point a) de l’article 42, paragraphe (2), précité. Il aurait encore subi des violences mentales dans la mesure où il aurait fait l’objet de menaces perpétrées par un groupe islamiste, qui aurait d’abord agressé son frère aîné avec comme conséquence que celui-ci aurait vu amputer son bras. Par ailleurs, ledit groupe lui aurait personnellement téléphoné en l’intimidant pour le faire rentrer à la maison, le demandeur supposant que l’intention aurait été de lui faire subir le même sort que celui réservé à son frère qui aurait été laissé pour mort sur les lieux de son agression avant d’être hospitalisé. Le demandeur fait valoir que ces violences mentales se poursuivraient et il estime que ces groupes islamistes seraient toujours présents et que rien n’indiquerait qu’il pourrait bénéficier d’une protection à son retour au Burkina Faso.

Le demandeur critique encore le constat du ministre suivant lequel les agressions dont il aurait fait l’objet constitueraient des infractions de droit commun en donnant à considérer qu’il ne pourrait pas bénéficier d’une protection de la part des autorités de son pays d’origine.

Il avance que ce serait justement dans ce contexte de l’inaction des autorités burkinabés que le groupement Koglweogo serait né, en se référant, à cet égard, à un rapport intitulé « Burkina Faso : sortir de la spirale des violences » publié par l’organisation International Crisis Group du 24 février 2020. En réalité, l’Etat burkinabé combattrait les groupes islamistes présents sur son territoire avec énormément de difficultés, de sorte que le demandeur s’estime fondé à considérer qu’il ne pourrait pas être protégé par son Etat d’origine. En tout cas, le chef de la milice Koglweogo lui aurait conseillé de se cacher et de ne pas déposer plainte auprès des forces de la police au risque d’être accusé directement.

Le demandeur souligne encore que le risque d’être à nouveau victime de groupes islamistes serait loin d’être hypothétique au regard des termes du rapport précité de l’organisation International Crisis Group, le demandeur se référant encore à un autre extrait du même rapport mettant en question l’efficacité des instruments mis en place par l’Etat burkinabé pour lutter contre les activités terroristes.

Le demandeur en conclut que sa crainte d’être recherché par les groupes islamistes ne serait pas que purement hypothétique, de sorte qu’il remplirait les conditions de l’article 42, paragraphe 2, point a) de la loi du 18 décembre 2015 pour avoir été victime de persécutions à caractère ethnique et politique, en raison de l’appartenance de son père et de son frère au groupe Koglweogo, en complète opposition avec les groupes djihadistes, lesquels les considéreraient comme des traîtres à l’ethnie peule, et cela sans obtenir une protection des autorités étatiques.

Face aux reproches du ministre qu’il aurait voulu retourner volontairement au Burkina Faso depuis l’Italie, le demandeur donne des explications afin de relativiser ce constat, en se fondant essentiellement sur sa situation médicale et la circonstance qu’il se serait trouvé sans abri en Italie.

En ce qui concerne les reproches du ministre qu’il n’aurait émis que des considérations générales et peu étayées sur la situation des membres de la communauté peule, le demandeur cite des extraits d’un rapport de l’organisation Human Rights Watch, intitulé « Le jour, nous avons peur de l’armée, et la nuit des djihadistes », à propos d’abus commis par les islamistes armés et par les forces de sécurité essentiellement à l’égard des Peuls, dont le demandeur conclut que les persécutions dont il aurait été victime seraient largement établies et suffisamment étayées.

S’agissant de la protection subsidiaire, le demandeur se prévaut des dispositions de l’article 2, point g) et 48, point b) de la loi du 18 décembre 2015, par référence à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH) et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH) à propos de l’interprétation dudit article 3. Le demandeur estime que le caractère réel de sa crainte de subir des atteintes graves serait démontré par son dossier administratif puisqu’il aurait d’ores et déjà souffert d’atteintes graves qui l’auraient poussé à fuir son pays d’origine. Il poursuit que le fait de vivre dans la crainte constante que ces craintes se réalisent, constituerait pour lui un véritable traitement inhumain sinon des traitements dégradants au sens de l’article 3 de la CEDH et de l’interprétation qui en est faite par la CourEDH. Il souligne que sa déposition serait éloquente quant au manque de sécurité au Burkina Faso et qu’il ne pourrait bénéficier d’aucune protection efficace. Ainsi, il s’exposerait, en cas de retour dans son pays d’origine, à des atteintes graves et notamment à des actes de harcèlement, des menaces, des discriminations, des traitements inhumains et dégradants, tout en soulignant que son environnement serait devenu invivable.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Aux termes de l’article 2, point b) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « demande de protection internationale » se définit comme correspondant à une demande visant à obtenir le statut de réfugié, respectivement celui conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de ladite loi comme étant «tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2, point g) de la même loi comme tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves et que cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays.

Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l'homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d'une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). ».

Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :

« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :

« a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire. Particulièrement, si l’élément qui fait défaut touche à l’auteur des persécutions ou des atteintes graves, aucun des deux volets de la demande de protection internationale ne saurait aboutir, les articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015 s’appliquant, comme relevé ci-avant, tant à la demande d’asile qu’à celle de protection subsidiaire.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », tandis que l’article 2, point g) de la même loi définit la personne pouvant bénéficier du statut de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte que ces dispositions visent une persécution, respectivement des atteintes graves futures sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté ou qu’il ait subi des atteintes graves avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions ou atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions ou atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37, paragraphe (4), de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

En l’espèce, indépendamment de la question de la crédibilité du récit du demandeur et de celle de la qualification des faits invoqués à l’appui de sa demande de protection internationale, l’examen des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui sa demande de protection internationale dans le cadre de son audition, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse et des pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure qu’il reste en défaut d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle fondée de persécutions au sens de la Convention de Genève, respectivement d’atteintes graves au sens de la loi, en cas de retour au Burkina Faso.

En effet, le demandeur déclare avoir quitté son pays d’origine, d’une part, au motif qu’il aurait été dans le collimateur de groupes djihadistes en raison de l’appartenance de son père et de son frère au groupement Koglweogo, et, d’autre part, en raison de persécutions ou d’atteintes graves qu’il risquerait d’encourir en raison de son appartenance à l’ethnie peule.

S’agissant de prime abord des conséquences que le demandeur déclare craindre du fait de l’appartenance affirmée de son père et de son frère au groupement Koglweogo, le tribunal relève qu’il est certes vrai que le demandeur fait état de plusieurs agressions en 2015 et en 2016. Néanmoins, le demandeur n’est pas fondé à en déduire un risque de subir, en cas de retour dans son pays d’origine à l’heure actuelle, des persécutions ou des atteintes graves du seul fait de l’appartenance de son père et de son frère à un groupement d’autodéfense locale.

A cet égard, il convient de prime abord de relever que le demandeur lui-même n’a pas été actif au sein de ce groupement, de sorte qu’il n’a rien à craindre en raison de ses propres activités.

En ce qui concerne la question de savoir s’il est susceptible d’être visé du seul fait de l’appartenance de son père et de son frère à un tel groupement, le tribunal relève de prime abord qu’il ne se dégage pas des éléments soumis à son appréciation que les attaques invoquées par le demandeur aient ciblé particulièrement sa personne.

En effet, si le demandeur fait état d’une agression physique en août 2015 de la part de groupes islamistes, le tribunal constate que cette agression - qui au demeurant n’a pas atteint le seuil de gravité tel que requis pour être qualifié de persécutions ou d’atteintes graves, dans la mesure où le demandeur a déclaré que son téléphone lui aurait été pris, qu’il aurait été insulté et qu’il aurait été « ligoté » sans autres explications à cet égard - a été commise par des auteurs non autrement identifiés, le demandeur ayant expliqué qu’il s’agirait d’individus lui inconnus qui appartiendraient à des groupes islamistes et qui s’attaqueraient aux membres de la communauté peule, sans qu’il ne se dégage des déclarations du demandeur que ce serait lui-

même qui aurait été particulièrement visé par ces personnes que ce soit en raison de sa propre personne ou par ricochet en raison de l’appartenance son père et frère au groupe Koglweogo.

A défaut de pouvoir retenir que le demandeur avant été personnellement visé, cette agression, si regrettable qu’elle soit, est davantage à attribuer au hasard et aurait pu toucher n’importe quelle personne présente à ce moment sur les lieux.

En ce qui concerne les deux agressions d’octobre 2016, dont l’une a, d’après le demandeur, entraîné son hospitalisation, là encore, le demandeur explique qu’il s’agit d’auteurs non autrement identifiés qui, suivant lui, appartiendraient à des groupes islamistes. Aucun élément ne permet toutefois de retenir que le demandeur ait été spécifiquement visé.

En ce qui concerne l’agression de son frère de novembre 2016, il est certes vrai que celle-ci est d’une gravité incontestable. Il ne se dégage toutefois pas des explications du demandeur voire d’autres éléments du dossier que le demandeur soit particulièrement visé par les agresseurs de son frère, étant relevé que le seul fait qu’une personne inconnue l’a appelé à partir du téléphone portable de son frère pour l’inciter à venir sur les lieux, ne permet pas de conclure que le demandeur ait été la cible de ces agresseurs.

A cet égard, il convient encore de relever que le père et le frère du demandeur, qui, suivant la thèse du demandeur, devraient être plus directement visés que lui-même, sont restés au Burkina Faso à la suite de l’attaque de novembre 2016 jusqu’en 2019, sans que le demandeur n’ait fait état d’un incident particulier auquel ceux-ci auraient été confrontés entre 2016 et 2019.

A fortiori, il est peu probable qu’actuellement, les groupes à l’origine des attaques dont le demandeur fait état soient à sa recherche, cela d’autant plus que, depuis que le demandeur a quitté son pays d’origine, 5 années se sont écoulées.

Ensuite, de manière plus générale en ce qui concerne le rôle joué par des groupes djihadistes au Burkina Faso, le tribunal relève qu’il se dégage du rapport « Burkina Faso :

sortir de la spirale des violences », produit par le demandeur, que trois groupes djihadistes opèrent sur le territoire burkinabé depuis 2015/2016 en provenance du Mali voisin et que ceux-

ci commettent des attaques contre la population civile, la première attaque revendiquée par un groupe djihadiste ayant eu lieu en octobre 2015 (à Samorogouan), d’autres ayant suivi en janvier 2016 (à Ouagadougou), et décembre 2016 (Nassoumbou) - un mois après que le demandeur a quitté son pays d’origine. Suivant ce même rapport, les djihadistes recrutent souvent au sein de la communauté peule ce qui s’expliquerait souvent par une insatisfaction économique et sociopolitique de ceux-ci. Il s’en dégage encore que le gouvernement a encouragé dès 2003 des groupes d’autodéfense, ledit rapport se référant encore à un appel plus récent du président Kabore du 7 novembre 2019 en ce sens, groupements parmi lesquels figurent les Koglweogo. Suivant ce rapport, les Koglweogos, qui se sont formés dès 2014 et recrutant majoritairement parmi les communautés fulsé et mossi, se sont arrogés des prérogatives de police et de sécurité et se sont rendus coupables de règlements de comptes souvent autour d’enjeux fonciers ou au détriment de la communauté peule, ledit rapport faisant état de ce qu’en 2017, la communauté peule est devenue la cible prioritaire des Koglweogos.

Le même rapport fait encore état de massacres en décembre 2018 et janvier 2019 commis par des hommes armés non identifiés contre la population, attaques à laquelle les Koglweogos auraient riposté en tuant une centaine de civils, ce massacre ayant été suivi par un autre en mars 2018. Suivant le même rapport, de tels massacres ont encore provoqué le rapprochement des Peuls des djihadistes à des fins de vengeance entraînant des attaques contre des membres du Koglweogo.

Ainsi, il est certes vrai que des attaques de la population civile par des groupes armés islamistes, de même que des conflits entre des groupes djihadistes, d’une part, et des groupements d’autodéfense, dont les Koglweogos, d’autre part, et des violences locales sur toile de fond communautaire sont une réalité au Burkina Faso et que des groupes d’autodéfense, tels que les Koglweogos, sont tolérés voire encouragés par l’Etat.

Néanmoins, et cela indépendamment de la remise en question de la réalité de l’appartenance du père et du frère du demandeur au mouvement des Koglweogo, le tribunal constate que des attaques par des groupes djihadistes contre des membres du groupement Koglweogo sont le fruit de tensions généralisées voire d’actes de vengeance généralisés, sans qu’il ne puisse être retenu que les père et frère du demandeur étaient particulièrement dans le collimateur de groupes djihadistes. A fortiori, il ne saurait être retenu que le demandeur lui-

même, qui n’était même pas membre de ce mouvement, soit particulièrement visé du seul fait de l’appartenance à ce groupement de son père et de son frère, de sorte que le constat s’impose que les agressions dont fait état le demandeur sont davantage à attribuer à des attaques généralisées commis par des islamistes.

Dans cet ordre d’idées et en ce qui concerne la situation générale de la population peule au Burkina Faso, si le rapport de l’organisation Human Rights Watch invoqué par le demandeur fait état d’abus à l’égard de l’ethnie peule tant par les islamistes armés que par les forces de sécurité, et si le rapport de l’organisation International Crisis Group, précité, confirme un climat de violence régnant au Burkina Faso entre attaques djihadistes et ripostes de groupements d’autodéfense à base communautaire, ces derniers groupements étant encouragés par l’Etat burkinabé tentant de lutter contre le mouvement djihadiste, le tribunal ne dispose toutefois en l’espèce pas de suffisamment d’éléments permettant de retenir que le demandeur, du seul fait de son appartenance à l’ethnie peule, soit exposé à un risque de persécutions ou d’atteintes graves du seul fait de sa présence au Burkina Faso. A cet égard, le tribunal relève encore que les explications fournies par le demandeur à cet égard sont restées particulièrement vagues, celui-ci faisant uniquement allusion de manière vague que l’armée considérerait les membres de la communauté peule comme des djihadistes, sans faire état d’un incident concret qui l’aurait visé.

Dans ces conditions, le tribunal est amené à retenir, de concert avec la partie étatique, que les craintes du demandeur de faire l’objet de persécutions ou d’atteintes graves que ce soit en raison de l’appartenance de son père et de son frère au groupement Koglweogo ou en raison de son appartenance à l’ethnie peule de manière générale, relève davantage d’un sentiment général d’insécurité face à une situation de crise sécuritaire, sans que le tribunal ne se soit toutefois vu soumettre des éléments permettant de retenir la qualification de conflit armé interne au sens de l’article 48, point c) de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur n’invoquant pas spécifiquement cette disposition.

Au vu de ces considérations, le tribunal est dès lors amené à conclure que la crainte dont le demandeur n’est pas de nature à justifier dans son chef l’octroi de l’un des statuts conférés par la protection internationale.

Il s’ensuit que le demandeur n’a pas fait état et n’a pas établi des raisons de nature à justifier dans son chef dans son pays de provenance une crainte justifiée de persécution pour les motifs énumérés à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, respectivement qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’il encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée la demande de Monsieur … tendant à l’obtention du statut conféré par la protection internationale prise en son double volet.

2) Quant au recours visant l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant la réformation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en réformation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.

A l’appui de ce volet du recours, le demandeur conclut à la réformation de l’ordre de quitter le territoire en raison des menaces réelles et sérieuses pesant sur sa vie.

Par ailleurs, l’ordre de quitter le territoire serait à réformer puisqu’il violerait de manière autonome l’article 129 la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 ». L’ordre de quitter le territoire serait encore constitutif d’une violation autonome de l’article 3 de la CEDH, le demandeur renvoyant à la jurisprudence de la CourEDH à propos de l’interprétation de l’article 3 de la CEDH. Il estime qu’il aurait établi à la lumière de son dossier administratif la réalité du risque pesant sur lui en cas d’éloignement vers le Burkina Faso.

Aux termes de l’article 34, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Etant donné qu’il vient d’être retenu ci-avant que c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder au demandeur l’un des statuts conférés par la protection internationale, ni la légalité ni le bien-fondé de l’ordre de quitter le territoire ne sauraient être valablement remis en cause.

En ce qui concerne le reproche d’une violation autonome de l’article 129 la loi du 29 août 2008, respectivement de l’article 3 de la CEDH invoquée par ailleurs par le demandeur, il convient de rappeler que si l’article 3 de la CEDH, auquel renvoie l’article 129, proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, et si une mesure d’éloignement -

tel qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé au demandeur pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à l’article 3 de celle-ci, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose problème de conformité à la CEDH, spécialement à l’article 3 de la CEDH, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 de la CEDH garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 de la CEDH qui interdit aux Etats parties à la CEDH d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.

Cependant, dans ce type d’affaires, la CourEDH soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La CourEDH recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.

Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.

Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour en son pays d’origine, le tribunal a conclu ci-avant à l’absence, dans le chef du demandeur, de tout risque réel et actuel de subir des persécutions ou des atteintes graves au sens de la loi du 18 décembre 2015 dans son pays d’origine, de sorte que le tribunal ne saurait se départir à ce niveau-ci de son analyse de cette conclusion.

Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 CEDH1, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi du demandeur dans son pays d’origine soit dans ces circonstances incompatible avec l’article 3 de la CEDH, de sorte que le moyen tiré d’une violation de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 encourt le rejet.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;

1 CEDH, 4 février 2004, Lorsé et autres c. Pays-Bas, § 59.

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle portant rejet d’un statut de protection internationale ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre l’ordre de quitter le territoire ;

au fond le dit non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 juin 2021 par :

Annick Braun, vice-président, Alexandra Castegnaro, vice-président, Alexandra Bochet, juge, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 28 juin2021 Le greffier du tribunal administratif 13


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 44519
Date de la décision : 28/06/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-06-28;44519 ?

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