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28/06/2021 | LUXEMBOURG | N°44567

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 juin 2021, 44567


Tribunal administratif N° 44567 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 mars 2020 2e chambre Audience publique du 28 juin 2021 Recours formé par Monsieur … et consort, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44567 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 juin 2020 par Maître Louis Tinti, avocat à la Co

ur, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …...

Tribunal administratif N° 44567 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 mars 2020 2e chambre Audience publique du 28 juin 2021 Recours formé par Monsieur … et consort, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44567 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 juin 2020 par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (République démocratique du Congo), alias …, né le …, respectivement le … à … (République démocratique du Congo), et de son épouse, Madame …, alias …, née le … à … (Congo), tous deux de nationalité congolaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 20 mai 2020 refusant de faire droit à leur demande de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 août 2020 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Vu l’article 1er de la loi du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu le courrier électronique de Maître Louis Tinti du 3 février 2021 informant le tribunal que l’affaire pouvait être prise en délibéré en dehors de sa présence ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Danitza Greffrath en sa plaidoirie à l’audience publique du 8 février 2021.

Le 19 décembre 2018, Monsieur …, alias …, ci-après désigné par « Monsieur … », et son épouse, Madame …, alias …, ci-après désignée par « Madame … », les deux désignés ci-après par « les consorts … », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection 1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. ».

1internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations des consorts … sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, service Criminalité organisée, Police des Etrangers, dans un rapport du même jour.

Le 20 décembre 2018, les consorts … furent entendus séparément par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de leur demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Les 20 septembre, 23 et 25 octobre 2019, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale, tandis que Madame … fut entendu pour les mêmes motifs en date des 13 et 23 septembre 2019.

Par décision du 20 mai 2020, notifiée aux intéressés par courrier recommandé envoyé le 25 mai 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa les consort … que leur demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée. La décision, qui comporte encore un ordre de quitter le territoire dans un délai de trente jours à leur égard, est libellée de la façon suivante :

« (…) J'ai l'honneur de me référer à vos demandes en obtention d'une protection internationale que vous avez introduites le 19 décembre 2018 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Madame, Monsieur, notons avant tout autre progrès en cause que vous êtes connus en Europe sous des identités différentes, à savoir …, né le … respectivement le … à … et …, tous les deux de nationalité sénégalaise et non congolaise comme vous l'avez indiqué lors de l'introduction de vos demandes de protection internationale au Luxembourg.

Monsieur, il découle du système Eurodac que vos empreintes ont été enregistrées alors que vous avez illégalement traversé la frontière espagnole le 26 septembre 2018. Après votre arrivée au Luxembourg le 19 décembre 2018, les autorités luxembourgeoises ont décidé de vous transférer en Espagne sur base des dispositions du Règlement Dublin III, ce que les autorités espagnoles ont accepté le 30 janvier 2019 pour vous Monsieur et le 31 janvier pour vous Madame. Votre mandataire a introduit un recours en annulation devant le Tribunal administratif le 11 février 2019, recours que le tribunal a rejeté pour ne pas être fondé. En raison des problèmes de santé que vous avez évoqués, les autorités luxembourgeoises ont néanmoins décidé d'examiner vos demandes de protection internationale en vertu des dispositions de l'article 17(1) du Règlement Dublin III en date du 18 juin 2019.

2Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à vos demandes pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 19 décembre 2018, les rapports d'entretien Dublin III du 20 décembre 2018, votre rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 13 et 23 septembre 2019 Madame et votre rapport d'entretien du 20 septembre 2019 et des 23 et 25 octobre 2019 Monsieur sur les motifs sous-tendant vos demandes de protection internationale, ainsi que les documents versés à l'appui de vos demandes de protection internationale.

Monsieur, il ressort de vos dires que vous seriez né le … à « … », une commune située dans l'Ouest de la République Démocratique du Congo (ci-après dénommée « RDC ») et que vous auriez déménagé avec vos parents et votre fratrie à … entre 1980 et 1981. Vous y auriez aussi vécu avec votre épouse et vos enfants à partir de l'année 2002 ou 2003. Vous auriez fait des études en électronique et communication et auriez par après fait de « la décoration interne dans les maisons, les faux plafonds […] un travail artistique » (p.2/24 de votre rapport d'entretien Monsieur).

Madame, il ressort de vos dires que vous seriez née le … à … et que vous auriez déménagé avec votre famille dans la ville de … parce que votre père y aurait été muté. En 1990, vous seriez retournée à … et y auriez vécu jusqu'à votre départ de votre pays d'origine. Vous auriez « dû arrêter en quatrième humanités » par manque de moyens financiers après le décès de votre père en 1992. Vous auriez par la suite aidé votre mère à vendre « des petites choses pour nous nourrir » avant de travailler « en tant qu'aide éducatrice dans une maternelle » jusqu'en 2017 (p.2/17 de votre rapport d'entretien Madame) et en tant que vendeuse.

Monsieur, en ce qui concerne les motifs à la base de votre demande de protection internationale, vous évoquez que vous seriez recherché par la police à cause de votre activisme politique. Dans ce contexte vous expliquez qu'à partir de 2011 « j'étais en train d'influencer les jeunes » (p.13/24 de votre rapport d'entretien Monsieur). D'abord, alors que dans votre quartier vous auriez régulièrement dû faire face à un manque d'eau et d'électricité, vous auriez « pris l'initiative de ramasser des factures dans les parcelles » avec l'aide des jeunes du quartier et de «jeter les factures à la société … [Rem.: …] » (p.8/24 de votre rapport d'entretien Monsieur) afin de montrer votre refus de payer ces factures. A cela s'ajoute que vous auriez mobilisé « les jeunes pour faire voir qui vote et pour qui il faut aller voter» (p.14/24 du rapport d'entretien) dans le cadre de l'élection présidentielle en 2011.

Monsieur, vous continuez votre récit en évoquant diverses manifestations auxquelles vous auriez participé, raison pour laquelle vous seriez recherché par la police.

Ainsi, vous évoquez que le 15 janvier 2015, vous auriez participé à une manifestation, «c'était le soulèvement des jeunes » contre le gouvernement en place (p.9/24 de votre rapport d'entretien Monsieur). La police vous aurait arrêté et torturé pendant quatre jours avant qu'un dénommé …, Général des forces aériennes, vous aurait libéré.

3 En février 2015, des membres fondateurs du mouvement FILIMBI vous auraient recruté «pour sensibiliser les gens pour le mouvement » (p.15/24 de votre rapport d'entretien Monsieur).

Mi-mars, le mouvement aurait organisé des concerts avec des invités burkinabés et des activistes sénégalais pour « le lancement de cette association » (p.9/24 de votre rapport d'entretien Monsieur), mais il y aurait eu un « assaut de la police » (p.10/24 de votre rapport d'entretien Monsieur) pendant lequel vous et tous les membres fondateurs du mouvement FILIMBI auriez été arrêtés pendant deux jours avant d'être relâchés.

Le 15 septembre 2015, vous auriez mobilisé la population pour une nouvelle manifestation, mais la police aurait repoussé les manifestants en utilisant du gaz lacrymogène et des balles réelles. Vous vous seriez enfui et auriez décidé de quitter … et de retourner dans votre région natale le 21 septembre 2015, et ce jusqu'au 15 décembre 2016, parce que la police aurait été à votre recherche. Votre père aurait été tué par des policiers qui auraient été à votre recherche en date du 10 décembre 2016. Après votre retour à …, vous seriez parti vivre avec vos cousins et seriez retourné « chez moi pendant la journée rarement » (p.18/24 de votre rapport d'entretien Monsieur). Vous seriez finalement retourné à la maison en mars 2017 et auriez repris votre activité de destruction de factures, raison pour laquelle vous auriez été convoqué au commissariat de police à … pour avoir causé un préjudice à la société … en refusant de payer les factures d'eau et d'électricité.

Le 31 décembre 2017, une manifestation pacifique aurait été organisée par «l'organisation des laïcs » (p.11/24 de votre rapport d'entretien Monsieur) en collaboration avec le mouvement FILIMBI. Cette marche aurait de nouveau été suivie d'un assaut de la police. Vous vous seriez échappé et auriez trouvé refuge chez vos cousins. La police aurait continué à vous rechercher à votre domicile et aurait menacé et violé votre femme le 5 janvier 2018. Elle aurait par la suite fait une fausse couche.

Vous auriez participé à deux manifestations le 21 janvier et le 25 février 2018 et vous auriez de nouveau été arrêté et blessé au cours de l'événement. Vous auriez été conduit à l'hôpital, mais auriez pu vous enfuir. Par la suite vous auriez cherché refuge chez vos cousins jusqu'en avril 2018. Vous auriez été poursuivi pour être un « perturbateur public » et étant recherché par la police, vous auriez quitté votre pays d'origine le 6 avril 2018.

Madame, vous confirmez les dires de votre époux et ajoutez que « je n'étais pas d'accord avec cela [Rem. : l'engagement de votre époux], je savais qu'il mettait sa peau en jeu » (p.9/17 de votre rapport d'entretien Madame). Vous auriez quitté votre pays d'origine une semaine après votre époux parce que vous auriez encore « déménagé et placé les enfants » (P.7/17 de votre rapport d'entretien Madame).

Madame, vous mentionnez encore que votre fils aurait été menacé par des jeunes « qui ont demandé son téléphone et ils ont commencé à le fouiller par-ci par-là, s'il avait de l'argent » (p.14/17 de votre rapport d'entretien Madame). Vous par contre Monsieur indiquez qu'il « s'est fait agresser par les Kuluna. Ce sont des bandits et leur premier chef est … […] On l'a insulté de fils de pute » (p.12/24 de votre rapport d'entretien Monsieur).

4Vous auriez quitté votre pays d'origine en avril 2018 en direction du Maroc via la République du Congo, le Cameroun, le Nigéria, le Bénin, le Burkina Faso, le Mali et l'Algérie. Au Mali, vous auriez reçu des passeports sénégalais afin de pouvoir traverser les frontières algérienne et marocaine. Vous Monsieur seriez parti en Espagne « pour le travail », mais votre patron dénommé … « nous a directement emmenés à la police. Pour nous enregistrer ». Parce que ce dernier « ne voulait pas se tenir à ce qu'on a défini » (p.7,8/24 de votre rapport d'entretien Monsieur), vous auriez décidé de retourner au Maroc avant de venir au Luxembourg, cachés dans une remorque.

Vous présentez les documents suivants:

 La copie d'une attestation du « mouvement citoyen FILIMBI » indiquant que vous seriez recherché par la police Monsieur à cause de vos activités politiques, la copie  de votre formulaire d'identification Monsieur en tant que « membre mobilisateur» datant du 25 décembre 2016 du mouvement FILIMBI,  une attestation médicale de votre fils … pour « pansements de la plaie » et trois photos de cette plaie,  2 attestations émises par la Ligue Luxembourgeoise d'Hygiène Mentale a.s.b.l,  3 photos des blessures à votre doigt Monsieur.

2. Quant à la motivation du refus de vos demandes de protection internationale Suivant l'article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d'une part le statut de réfugié et d'autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

 Quant à la crédibilité de votre récit Avant tout autre développement, je suis amené à remettre en cause la crédibilité de votre récit.

Monsieur, il s'agit de constater qu'aucune crédibilité ne saurait être accordée à vos dires concernant votre prétendu passé et vécu. En effet, l'image qui se dégage de vos déclarations est celle d'un demandeur de protection internationale qui se sert du sort réservé à des défenseurs des Droits de l'Homme et des activistes politiques en RDC, respectivement des opposants politiques et activistes sociaux en prétendant de manière manifestement pas convaincante que vous feriez partie de ces mouvements, ce qui n'est manifestement pas le cas, dans le but d'augmenter la chance de bénéficier d'une protection internationale.

En effet, soulevons d'abord que vous restez en défaut de fournir la moindre preuve de vos dires. Ainsi, bien que vous ayez prétendument pendant des années mobilisé et sensibilisé les jeunes du quartier, distribué « des sifflets, des drapeaux » (p.15/24 de votre rapport d'entretien Monsieur) pour le mouvement FILIMBI, vous n'êtes pas en mesure de verser un quelconque document en rapport avec vos nombreuses activités, sauf deux copies de votre prétendue affiliation au mouvement FILIMBI dont l'authenticité ne peut pas être vérifiée car il s'agit de simples copies. Or, il semble évident qu'un prétendu activiste qui aurait œuvré pendant des années, aurait été torturé et emprisonné à diverses reprises aurait pris la peine de ramener des 5preuves ou du moins de se faire envoyer des preuves de ses dires depuis son pays d'origine une fois arrivé à bon port. Or il convient de constater qu'à ce jour vous ne versez ni photo, ni certificat médical qui attesterait de vos prétendues blessures, ni aucun autre document, courriel, SMS ou autre qui permettrait d'établir votre engagement. Or avec les moyens de communication modernes cela ne devrait pas constituer de problème de surcroît si on considère que votre famille et plus particulièrement vos enfants se trouvent encore en RDC. Pour un prétendu activiste politique de tels documents sont essentiels et constituent en quelque sorte le « sésame » pour obtenir une protection en Europe.

Monsieur, il n'est manifestement pas crédible que vous auriez été membre du mouvement FILIMBI. En effet, vous prétendez avoir fait la connaissance des membres fondateurs du mouvement FILIMBI en février ou mars 2015 et que vous auriez assisté au lancement de cette organisation mi-mars 2015. Or, il convient de constater qu'il découle clairement de la copie de la lettre prouvant votre prétendue affiliation à ce mouvement que vous seriez membre actif depuis le 15 octobre 2016. Il convient dès lors de conclure que vos dires ne sont manifestement pas crédibles car une personne ayant participé au lancement d'un tel mouvement et qui y aurait participé de la manière dont vous tentez de le faire croire, se souvient sans nul doute de la date de son adhésion du moins approximativement. Or, vous vous trompez dans cette date et pas uniquement de quelques jours mais de plus de 18 mois. Retenons que cette partie de votre récit est manifestement inventée de toutes pièces.

A cela s'ajoute que vous indiquez que vous vous seriez prétendument caché auprès de vos cousins et que vous n'auriez à aucun moment sollicité l'aide des membres fondateurs du mouvement qui selon vous disposeraient des connaissances nécessaires pour vous aider. Or, une telle attitude est incompréhensible pour quelqu'un qui serait tellement proche de cette organisation. Cet élément démontre également que vos relations avec le mouvement ne sont manifestement pas celles que vous tentez de dépeindre.

Monsieur, il n'est en outre pas crédible que vous auriez été arrêté à plusieurs reprises par la police. En effet en ce qui concerne vos prétendues arrestations, il convient de soulever qu'il y a des contradictions importantes au niveau de la chronologie de votre récit et de celui de votre femme. Vous Monsieur évoquez avoir été arrêté trois fois, deux fois en 2015 et une fois en 2018.

Par contre vous Madame indiquez que votre époux aurait été arrêté quatre fois, dont deux fois en 2015, en 2017 et en 2018. Il s'agit en l'occurrence de contradictions flagrantes et inexcusables.

En effet, il est impossible que les membres d'une famille ayant réellement vécu des événements aussi traumatisants ne se rappellent pas de la fréquence de ces évènements. Ces problèmes de cohérence laissent penser que le récit que vous faites est inventé et est destiné à augmenter vos chances d'obtenir une protection internationale.

De plus, vous évoquez que « j'étais tellement recherché, tellement et c'est de là que j'ai cherché à quitter le pays », et ce pendant des années (p.12,13/24 de votre rapport d'entretien Monsieur). Or, tout au long de l'entretien, vous déclarez qu'il y aurait eu de longues périodes sans qu'aucune personne ne vous aurait recherché d'aucune manière que ce soit. Vous avouez qu'entre mars et septembre 2015 « A l'intérieur c'était juste les problèmes de facture. C'est tout.

A part ça, j'ai fait ma vie normalement, j'ai une famille » (p.16/24 de votre rapport d'entretien Monsieur) et qu'entre septembre 2015 jusqu'en 2016 « ils n'étaient plus venus me chercher » 6(p.10/24 de votre rapport d'entretien Monsieur). Interrogé si vous auriez été recherché en 2017, vous répondez par la négative en disant que « Non, depuis la mort de mon père j'étais toujours dans ma famille » et que « je n'ai pas vu de policiers » (p.18/24 de votre rapport d'entretien Monsieur). Ceci permet de conclure que votre crainte que vous seriez arrêté en cas d'un retour dans votre pays d'origine n'est manifestement pas crédible, puisque vous avouez vous-même ne pas avoir eu des problèmes pendant des années. Vous essayez simplement de faire revivre cette histoire en indiquant que les prétendues arrestations pourraient reprendre pour augmenter vos chances d'obtenir une protection internationale au Luxembourg.

A toutes fins utiles, concernant la situation dans votre pays d'origine, il convient de noter que depuis que Felix Tshisekedi a prêté serment en tant que président le 24 janvier 2019. En effet, «At his swearing in, Tshisekedi said his administration would "guarantee to each citizen the respect of the exercise of their fundamental rights" and end all forms of discrimination, promising that his government would prioritize "an effective and determined fight against corruption … impunity, bad governance, and tribalism." His administration released most political prisoners and activists detained during the country's protracted political crisis, and those living in exile were allowed to return home. In March, Tshisekedi removed Kalev Mutondo as director of the National intelligence Agency, where he was a principal architect of former President Joseph Kabila's administration's drive to repress dissent ». Ceci montre qu'il y a eu un déclin significatif de répression politique depuis l'arrivée au pouvoir de Tshisekedi. De nombreux prisonniers politiques et militants détenus les années précédentes ont été libérés, tandis que les militants et les politiciens en exil ont été autorisés à rentrer.

Notons encore dans ce contexte que Floribert Anzuluni, coordinateur de FILIMBI, est retourné en RDC le 10 novembre 2019 après quatre ans d'exil en Belgique. Il a lui-même jugé «le moment « propice » pour revenir, plus de neuf mois après l'investiture du nouveau chef de l'État, Félix Tshisekedi (…) Plusieurs opposants ont fait leur retour en RDC depuis l'investiture du président Tshisekedi, dont l'ancien gouverneur du Katanga Moïse Katumbi, rentré en mai dernier après trois ans en Belgique ».

Au vu de ce qui précède on peut conclure que vous Monsieur n'avez jamais été membre du mouvement FILIMBI et conséquemment, vous n'avez jamais été emprisonné en raison d'une prétendue affiliation et participation à des manifestations contrairement à ce que vous tentez de nous faire croire. Vous avez inventé vos problèmes y relatifs de toutes pièces et vous vous êtes emparés de faits divers pour augmenter vos chances d'obtenir une protection internationale au Luxembourg.

Quant au prétendu abus sexuel que vous Madame auriez subi de la part d'un policier et aux menaces de mort articulées à votre égard par ce policier et quant au décès de votre beau-

père, il convient de noter que ceux-ci ne sont pas non plus crédibles car ils sont en relation avec vos fausses allégations et celles de votre époux suivant lesquelles ce dernier aurait été recherché par la police pour avoir été membre du mouvement FILIMBI, allégations qui se sont avérées mensongères.

7Madame, Monsieur, il faut en outre soulever que votre comportement depuis votre départ de la RDC est incompatible avec celui d'une personne réellement à la recherche d'une protection dans un pays sûr.

Vous n'avez pas hésité à laisser vos enfants derrière vous et à quitter seuls votre pays d'origine. Ceci permet également de conclure que votre situation n'est manifestement celle que vous tentez de décrire car si les menaces dont vous faites état seraient réelles et avérées vous n'auriez pas laissé vos enfants derrière vous respectivement comme vous le dites Madame pris le temps de les placer.

De plus, vous n'avez pas hésité à quitter un pays sûr, c'est-à-dire l'Espagne où vos empreintes ont été enregistrées pour venir au Luxembourg. A cela s'ajoute que vous avez clairement quitté votre pays d'origine en direction de l'Espagne « pour le travail » (p.7/24 du rapport d'entretien). Or, une personne réellement persécutée ou qui craint de devenir victime d'atteintes graves serait restée dans le premier pays sûr rencontré et y aurait effectué les démarches en vue d'obtenir une protection.

A cela s'ajoute que vous avez depuis votre arrivée en Europe utilisé des alias et tentez ainsi ostentatoirement de cacher votre réelle identité.

En effet, hormis les noms, prénoms et date de naissance donnés au Luxembourg, vous êtes encore connus en Espagne sous des alias différents, à savoir …, né le … respectivement le … à … et …, tous les deux de nationalité sénégalaise. Or, une personne réellement persécutée respectivement qui craint de subir des atteintes graves est censée collaborer avec les autorités et ne tente pas ostentatoirement de dissimuler son identité.

Madame, Monsieur, notons que ce comportement tend à remettre en doute les problèmes que vous évoquez dans votre pays d'origine, et par là même, la crédibilité de vos récits, tel que ci-avant exposé.

Ceci étant dit, notons que l'analyse de vos demandes portera uniquement sur la convocation au commissariat de police à … pour avoir causé des troubles à la société …, les agressions que votre fils aurait subies et sur les motifs économiques.

 Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l'article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons 8susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».

L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.

Monsieur, en ce qui concerne la convocation au commissariat de police à … pour avoir causé des troubles à la société … en refusant de payer les factures d'eau et d'électricité, notons que ce motif ne saurait justifier l'octroi du statut de réfugié, alors qu'il ne répond à aucun des critères prévus par la Convention de Genève et la Loi de 2015, qui prévoient une protection à toute personne persécutée dans son pays d'origine à cause de sa race, sa nationalité, sa religion, son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.

A cela s'ajoute que ce fait ne saurait manifestement pas suffire pour être considéré d'une gravité suffisante. En effet, vous évoquez que vous vous seriez présenté au commissariat et qu'«heureusement moi et le commissaire de …, on cause […] je collabore bien avec lui » (p.18/24 de votre rapport d'entretien Monsieur), de sorte que rien ne vous serait arrivé. A part le fait que vous n'apportez aucune preuve de cette convocation, il s'agit de constater que vous auriez uniquement été convoqué à un bureau de police pour donner des explications, un élément qui ne saurait manifestement pas justifier l'octroi du statut de réfugié.

Monsieur, il découle de vos dires que des motifs économiques sous-tendent votre demande de protection internationale. Ainsi vous déclarez que vous seriez parti en Espagne « pour le travail» et que votre patron dénommé … « nous a directement emmenés à la police. Pour nous enregistrer » (p.7,8/24 de votre rapport d'entretien Monsieur). Or, des raisons économiques ne sauraient justifier l'octroi du statut de réfugié alors qu'il ne s'agit pas d'un des motifs prévus dans le champ d'application de la Convention de Genève.

Monsieur, Madame, concernant les agressions que votre fils aurait subies, il convient de noter qu'il s'agit en l'occurrence d'un fait non personnel. Or, des faits non personnels mais vécus par un membre de la famille ne sont susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève que si le demandeur de protection internationale établit dans son chef un risque réel d'être victime d'actes similaires en raison de circonstances particulières. Or, vous restez en défaut d'étayer un tel lien. Vous Monsieur indiquez qu'il se serait agi des « Kuluna » qui auraient agressé votre fils. Madame, vous par contre évoquez que votre fils aurait été menacé par des jeunes non autrement identifiés. Il s'agit désormais de différentes suppositions, donc les auteurs ne peuvent aucunement être identifiés. On ne peut donc pas établir que cet acte serait lié à l'un des critères de fond de la Convention de Genève car on ignore qui seraient les auteurs et a fortiori on ignore également leur motivation.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n'apportez aucun élément de nature à établir qu'il existerait de sérieuses raisons de croire que vous auriez été persécutés, que vous auriez pu craindre d'être persécutés respectivement que vous risquez d'être persécutés en cas de retour dans votre pays d'origine, de sorte que le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

9  Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 2, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi.

L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n'apportez aucun élément crédible de nature à établir qu'il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d'origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l'article 48 précité, de sorte que le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Vos demandes de protection internationale sont dès lors refusées comme non fondées au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de la République démocratique du Congo, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisés à séjourner. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 22 juin 2020, les consorts … ont fait introduire un recours tendant à la réformation, d’une part, de la décision du ministre du 20 mai 2020 refusant de faire droit à leur demande de protection internationale et, d’autre part, de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 20 mai 2020 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal 10est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 20 mai 2020, telle que déférée.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, en réitérant, en substance, leurs déclarations actées lors de leurs auditions par un agent du ministère.

En droit, après avoir cité l’article 37 (3) a) de la loi du 18 décembre 2015, ils soutiennent que dans le cadre de l’appréciation du bien-fondé de leur demande de protection internationale, le tribunal serait amené à considérer la situation qui prévaudrait actuellement au Congo en matière de respect des droits de l’Homme et surtout depuis l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi en décembre 2018. Ils citent à cet égard par extraits un article publié sur le site internet https://blogs.mediapart.fr en date du 31 juillet 2019, intitulé « RDC : les ministères-clés aux mains de la coalition pro-Kabila », un rapport du Conseil des droits de l’homme auprès des Nations Unies du 14 août 2019, intitulé « Situation des droits de l’homme et activités du Bureau conjoint des Nations Unies pour les droits de l’homme en République démocratique du Congo », deux articles intitulés respectivement « Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU devrait encourager la RD Congo à combattre l’impunité » et « Déjà 100 jours en prison pour l’activiste congolais Joseph Lokondo », publiés par Human Rights Watch en date des 24 septembre 2019, respectivement 29 avril 2020, un article publié sur le site internet www.voaafrique.com en date du 6 mai 2020, intitulé « Près de 700 violations des droits de l’homme commises au Congo en mars », le rapport annuel sur la République démocratique du Congo de 2019 de Amnesty International et, finalement, un article publié sur le site internet www.tdg.ch en date du 31 mars 2019, intitulé « L’objectif du viol comme arme de guerre est de déshumaniser ».

Les demandeurs soutiennent d’abord, en ce qui concerne le défaut de crédibilité soulevé dans la décision ministérielle, que ce serait à tort que le ministre leur aurait opposé un défaut de crédibilité, alors qu’ils versent (i) un courrier du docteur … attestant des séquelles au doigt du demandeur à la suite de tortures, (ii) un courrier du 4 novembre 2019 du coordinateur du mouvement FILIMBI et (iii) deux photos prétendument prises à l’occasion de réunions clandestines que Monsieur … aurait tenues avec d’autres activistes politiques.

Quant aux contradictions relevées dans la décision ministérielle ayant trait à la date d’adhésion de Monsieur … au mouvement FILIMBI, les demandeurs font valoir que suite à sa participation au lancement dudit mouvement en février/mars 2015, Monsieur … se serait vu contraint à la clandestinité en raison de la réaction violente des autorités congolaises, ce qui aurait eu pour conséquence que les démarches d’adhésion auraient été entravées jusqu’au courant de l’année 2016. Monsieur … aurait pu enfin adhérer en date du 25 décembre 2016, ce qui ressortirait par ailleurs d’une prise de position du 8 juin 2020 du coordinateur du mouvement FILIMBI.

S’agissant de l’argument ministériel ayant trait au fait qu’il serait incompréhensible que Monsieur … se serait réfugié auprès de ses cousins au lieu de demander de l’aide auprès des membres du mouvement FILIMBI, qui auraient, selon ses dires, pu l’aider, les demandeurs font valoir que l’aide des cousins aurait été plus discrète que celle des membres fondateurs du mouvement FILIMBI.

11 Quant aux contradictions des demandeurs quant au nombre d’arrestations, les demandeurs font valoir que Madame … n’aurait pas été certaine du nombre d’arrestations subies par son époux.

Ils donnent encore à considérer que leurs auditions se seraient déroulées dans un contexte émotionnel très marqué en précisant que la demanderesse aurait été particulièrement traumatisée en raison du viol qu’elle aurait subi dans son pays d’origine, ce qui aurait nécessité l’intervention des pompiers à la suite d’une crise d’angoisse de la demanderesse pendant son audition. Ils soulignent que cette circonstance aurait dû conduire le ministre à apprécier avec circonspection les déclarations de la demanderesse. Ainsi, la conclusion du ministre que les contradictions seraient inexcusables paraîtrait excessive.

Les demandeurs précisent encore que jusqu’à leur départ du Congo, Monsieur … se serait soit caché soit aurait dû prendre des mesures de sécurité particulières.

Quant à l’argument du ministre selon lequel le coordinateur de FILIMBI serait retourné au Congo après 4 ans d’exil en Belgique, les demandeurs font valoir que la plupart des activistes congolais qui auraient été tués n’auraient pas été les leaders des partis politiques, mais « ceux qui d’une manière beaucoup moins officielle se battent au péril de leur vie pour que les droits fondamentaux de leurs concitoyens soient respectés. ».

Ils en concluent que leur récit serait crédible et renvoient à l’article 37, paragraphe 5, point e) de la loi du 18 décembre 2015 en soulignant qu’ils devraient bénéficier du doute, alors que leur récit serait globalement cohérent et crédible et corroboré par des documents versés en cause.

Les demandeurs donnent encore à considérer qu’en tout état de cause, le viol subi par la demanderesse devrait être admis « par considération du contexte général de l’affaire qui relève d’une particulière gravité », au vu de la réaction de la demanderesse lors de son audition et au regard des documents versés en cause qui confirmeraient que le viol des femmes congolaises serait utilisé comme arme de guerre.

Quant à l’argument du ministre selon lequel les demandeurs ne se seraient pas comportés comme des personnes réellement persécutées en raison du fait qu’ils auraient laissé derrière eux leurs 7 enfants en prenant le temps avant leur fuite de les placer, ils donnent à considérer qu’il aurait été irréaliste de fuir leur pays d’origine en prenant avec eux 7 jeunes enfants en raison « des incertitudes liées à un tel exil et le danger qui caractérise ce type de parcours ».

Finalement quant à l’emploi de fausses identités, les demandeurs expliquent qu’elles seraient « l’œuvre de ceux qui [auraient] tenté d’exploiter la main d’œuvre clandestine de Monsieur … et que cette infraction n’a[urait] que peu perduré alors que très vite ils [auraient] préféré mettre un terme à la situation d’exploitation dont ils [auraient été] victimes en préférant retourner au Maroc ».

Force est au tribunal de constater que c’est à juste titre que tant le ministre que le délégué du gouvernement ont relevé un défaut de crédibilité dans le récit des demandeurs et notamment dans la qualité d’adhérent de Monsieur … au mouvement FILIMBI.

12En effet, il échet, en premier lieu, de relever que les versions du document du 4 novembre 2019 prétendument établi par le mouvement FILIMBI, attestant de la qualité de membre de Monsieur … dudit mouvement et versé en copie au ministère en date des 8 novembre 2019 et 12 février 2020 et, selon les déclarations du litismandataire, en original au ministère en date du 22 juin 2020 ainsi qu’à l’appui de la requête introductive d’instance, ne concordent pas, dans la mesure où non seulement le document est établi en caractères différents, mais encore l’orthographe du prénom du demandeur est différent selon les documents. Ainsi, sur la prétendue copie du document son prénom est écrit « … » et sur le prétendu original « … », tandis que son adresse est libellée sur la copie comme « N° …) … » et sur l’original « N° … ». Il échet également de constater que sur la copie, le nom du signataire est souligné, alors qu’il ne l’est pas sur l’original, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’accorder de valeur probante à ce document, qui semble avoir fait l’objet de manipulations, à défaut d’explications des demandeurs quant aux raisons des divergences qui y figurent.

Il échet ensuite de constater qu’il y a de nombreuses contradictions au niveau de l’adhésion, respectivement l’activité de Monsieur … en faveur du mouvement FILIMBI. Ainsi, il échet de relever que les dates renseignées par le demandeur lors de son audition auprès du ministère et celles contenues dans les documents versés en cause ne concordent pas. Ainsi, Monsieur … déclare avoir fait connaissance des membres fondateurs du mouvement FILIMBI en février/mars 2015 et avoir assisté au lancement de cette organisation en mars 2015. Le formulaire d’identification versé en cause indique cependant qu’il serait membre mobilisateur depuis le 25 décembre 2016. Selon une prise de position du mouvement FILIMBI datée au 8 juin 2020, le mouvement n’aurait plus eu de nouvelles de Monsieur … durant la période de « septembre 2015 à décembre 2016 (…) sauf mi-octobre 2016 lorsqu’il s’est activement manifesté au travers de son épouse pour notamment savoir s’il pouvait sortir de la clandestinité ». Il en ressort également que Monsieur … n’aurait pas pu officiellement adhérer audit mouvement durant l’année 2015 au vu de l’opposition du pouvoir en place contre ce mouvement, de sorte que Monsieur … n’aurait pu formaliser son adhésion audit mouvement qu’en décembre 2016. Or, selon le courrier du mouvement FILIMBI du 4 novembre 2019, signé par la même personne que le courrier du 8 juin 2020, Monsieur … serait membre actif depuis le 15 octobre 2016. Il ressort des déclarations du demandeur à cet égard lors de son audition après du ministère, qu’en février 2015, avant le lancement du mouvement FILIMBI, deux individus se seraient présentés chez lui. Dans un premier temps, le demandeur déclare qu’ « Ils m’ont dit qu’ils voulaient utiliser mon courage. Ils ont dit qu’ils ont monté un mouvement et que je les rejoins pour monter ce mouvement. »2 Après la relecture, le demandeur explique que « Le mouvement avait déjà été créé, je devais les rejoindre pour la mobilisation ».3 Monsieur … répond ensuite à la question comment l’officialisation du mouvement se serait déroulée avoir déjà fait partie du mouvement avant cette date4. Il échet encore de constater dans ce contexte que les photos versées en cause montrant le demandeur avec d’autres personnes ne permettent aucun rapprochement avec le mouvement FILIMBI. Il y a encore lieu de rajouter que le demandeur se contredit quant à son rôle joué dans le mouvement FILIMBI. Ainsi, il expose d’un côté avoir été un « leader. J’étais à la base de la mobilisation dans mon quartier. Dans la manifestation j’étais 2 Rapport d’audition du demandeur, p. 15.

3 Ibidem.

4 Ibidem.

13devant. »5 et qu’on l’aurait appelé « Leader Ingénieur »6, et d’un autre côté, avoir joué qu’un rôle subordonné7.

Le tribunal est également amené à douter sur les déclarations du demandeur ayant trait à la recherche policière dont il aurait fait l’objet. Ainsi, il échet de constater que si Monsieur … déclare certes avoir fui vers sa région natale entre septembre 2015 et décembre 20168 et qu’il aurait été « tellement recherché »9, il n’en reste pas moins qu’il déclare également qu’entre mars 2015 et septembre 2015, il aurait « fait [s]a vie normalement, j’ai une famille »10 et qu’entre mars 2017 et fin 2017, il n’aurait pas non plus été recherché11, alors qu’il vivait au sein de sa famille. Or, si le demandeur avait été recherché à tel point, ce qui au vu de son rôle a priori subordonné dans la hiérarchie du mouvement FILIMBI est difficilement compréhensible, les policiers auraient certainement pu le repérer pendant les périodes où il résidait à …, respectivement ils auraient pu suivre sa femme qui le visitait régulièrement lorsqu’il se cachait auprès de ses cousins.

Si les demandeurs ont versé à l’appui de leur demande de protection internationale un certificat médical du Dr … attestant que « le doigt [de Monsieur …] est en position de flessum au niveau de l’IPP et de l’IPD. La peau palmaire montre une cicatrice à hauteur de P2, mais elle est tout à fait souple. Passivement, le doigt peut être davantage étendu, mais au prix d’une douleur non négligeable », il n’en reste pas moins que le médecin ne tire aucune conclusion quant à l’origine de ladite blessure, mais se base uniquement sur les faits tels qu’ils lui ont été présentés par le demandeur, de sorte que ledit document ne saurait être avancé afin de prouver de prétendues tortures.

Partant, le tribunal constate, à l’instar de la partie gouvernementale, que la production du document manipulé prétendument dressé par le mouvement FILIMBI, combinée aux différents éléments relevés ci-dessus porte atteinte à la crédibilité générale du récit des demandeurs, étant donné qu’à part l’incident dont aurait été victime leur fils ainsi que la convocation du demandeur au commissariat de police à … pour avoir causé des troubles à la société …, tous les faits, tels que relatés par eux lors de leurs auditions respectives auprès du ministère, sont en lien avec le prétendu activisme politique de Monsieur …. Le tribunal considère en outre que le bénéfice du doute sollicité par les demandeurs ne peut leur être accordé. En effet, en application de l’article 37, paragraphe 5 de la loi du 18 décembre 2015, « Lorsque certains aspects des déclarations du demandeur ne sont pas étayés par des preuves documentaires ou autres », le bénéfice du doute est accordé « lorsque les conditions [cumulatives] suivantes sont remplies : a) le demandeur s'est réellement efforcé d'étayer sa demande ; b) tous les éléments pertinents à la disposition du demandeur ont été présentés et une explication satisfaisante a été fournie quant à l'absence d'autres éléments probants ; c) les déclarations du demandeur sont jugées cohérentes et plausibles et elles ne sont pas contredites par les informations générales et particulières connues et pertinentes pour sa demande ; d) le demandeur a présenté sa demande de protection internationale dès que possible, à moins qu'il puisse avancer de bonnes raisons pour ne pas l'avoir fait ; et e) la crédibilité générale 5 Ibidem, p. 14.

6 Ibidem, p. 10.

7 « Mais lui était dans les bureaux, moi j’étais exposé dans la rue », Rapport d’audition du demandeur, p. 19.

8 Ibidem, p. 16.

9 Ibidem, p. 12.

10 Ibidem, p.16 11 Ibidem., p.18.

14du demandeur a pu être établie. ». Il échet de constater qu’en l’espèce, les conditions énoncées sous les points c), et e), ne sont pas remplies et qu’il n’y a dès lors pas lieu d’octroyer aux demandeurs le bénéfice du doute qu’ils revendiquent.

Il découle de tout ce qui précède que le tribunal limitera son analyse du bien-fondé du recours introduit par les demandeurs à l’incident dont a été victime leur fils ainsi que la convocation du demandeur au commissariat de police à … pour avoir causé de troubles à la société ….

Le tribunal relève qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme « (…) tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

Par ailleurs, l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».

Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

« a) l’Etat;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » et aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

15 a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».

Il suit des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 précitée, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Par ailleurs, force est de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel aurait été le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015. L’analyse du tribunal devra par conséquent porter en définitif sur la détermination du risque d’être persécuté que le demandeur encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

Il échet de constater que ni l’agression du fils des demandeurs par des Kuluna ni l’interpellation de septembre 2017 au commissariat de police de … pour avoir « jeter les factures [d’électricité et d’eau] à la société … »12 ne tombent dans le champ d’application de la Convention de Genève, même si le demandeur expose avoir commencé son prétendu activisme politique à 12 Rapport d’audition du demandeur, p. 9.

16l’issue de cette opposition au paiement des factures13.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande en obtention du statut de réfugié présentée par les demandeurs comme étant non fondée. Le recours des demandeurs est par conséquent à déclarer comme non fondé pour autant qu’il est dirigé contre le refus du ministre de leur accorder le statut de réfugié.

Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef des demandeurs d’un statut de protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2 g), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la 13 « Il y avait un problème d’eau et d’électricité, ces choses-là m’ont donné le courage de me soulever. On ne consomme pas l’eau comme il faut, il n’y a pas d’électricité. Fin du mois, on nous r amène des factures d’eau et d’électricité. Je me suis dit : « Non, trop c’est trop » J’ai pris l’initiative de ramasser des factures dans les parcelles et je suis parti à l’SNEL, la société d’énergie, de ramener des factures et de jeter les factures : « On ne consomme pas l’eau, on n’a pas d’électricité ! On n’a que dix jours d’électricité et vous nous facturez tout le mois ! » C’est comme ça que j’ai rassemblé les jeunes du quartier pour rassembler les factures ». Rapport d’audition du demandeur, p.8.

17justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

Le tribunal constate qu’à l’appui de leur demande de protection subsidiaire, les demandeurs invoquent les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de leur demande de reconnaissance du statut de réfugié.

Les demandeurs se limitant à faire valoir en cas de retour dans leur pays d’origine un risque de subir des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015, le tribunal ne vérifiera pas si les difficultés dont ils font état sont susceptibles de remplir les critères de l’article 48 a) et c) de la loi du 18 décembre 2015.

Il échet de constater que les demandeurs sont restés en défaut d’établir que l’agression de leur fils ainsi que le fait d’être convoqué au commissariat de police sont d’une gravité suffisante au regard des dispositions de l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015, étant donné que, d’un côté, l’agression subie par le fils des demandeurs lors de laquelle il a été blessé au visage et ses agresseurs lui ont volé ses baskets et son téléphone, aussi condamnable qu’elle soit, était un incident isolé, et d’un autre côté, s’agissant de l’interpellation au commissariat de …, Monsieur … a simplement été convoqué en raison de l’opposition de payer les factures d’électricité et d’eau, sans que le moindre mal ne lui aurait été fait par les autorités policières14.

Au vu des développements qui précèdent, le tribunal est amené à conclure que les faits invoqués par les demandeurs dans le cadre de leur demande de protection subsidiaire ne sont pas à qualifier d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est partant à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection subsidiaire sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.

2. Quant au recours tendant à la réformation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant la réformation 14 Comment est-ce qu’on vous a interpellé ? Quand je suis revenu du SNEL je trouve une convocation de …. Heureusement moi et le commissaire de …, on cause.

Tout ce que je fais, je le fais aussi pour sa famille. J’ai pris la convocation et je suis allé le voir. Il m’a donné comme conseil, d’y aller doucement. Que j’ai passé des moments très noirs et que cette fois-ci je dois faire doucement. Je collabore bien avec lui. C’était au mois de septembre, c’était mon dernier dépôt de factures.

Pour quelle raison étiez-vous convoqué ? Les gens de SNEL avaient réclamé auprès de la police et on m’a interpellé à cause de ça. Si ce n’étais pas …, je ne devais pas m’y rendre. Je ne faisais plus confiance. Vous savez on collabore très bien et son petit frère, c’est mon meilleur ami. », Rapport d’audition du demandeur, p. 18.

18de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en réformation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.

Les demandeurs invoquent à cet égard l’article 33 de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « Convention de Genève », consacrant le principe de non-

refoulement repris en droit interne luxembourgeois par l’article 54, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, ainsi que l’article 129 de la loi du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », au motif que le fait de devoir quitter le Luxembourg pour rentrer au Congo, devrait être retenu comme étant de nature à les exposer à des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH.

Le délégué du gouvernement conclut également au rejet de ce volet du recours.

Aux termes de l’article 34, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Etant donné qu’il vient d’être retenu ci-avant que c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder aux demandeurs l’un des statuts conférés par la protection internationale, il a également a priori valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

S’agissant du principe de non-refoulement combiné avec l’article 3 de la CEDH, invoqués par les demandeurs, en ce que l’ordre de quitter le territoire les exposerait à des traitements inhumains et dégradants, il convient de rappeler que si l’article 3 de la CEDH, auquel renvoie également l’article 129 de la loi du 29 août 2008, proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.

En effet, si une mesure d’éloignement - telle qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé aux demandeurs pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à l’article 3 précité, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose un problème de conformité au prédit article 3 de la CEDH, mais ce sont les effets mêmes de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que cet article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par le prédit article 3 qui interdit aux Etats parties à la CEDH d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné 19quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.

Cependant, dans ce type d’affaires, la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La CourEDH recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la CourEDH évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.

Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.

Or, en ce qui concerne les risques prétendument encourus en cas de retour en République démocratique du Congo, le tribunal a conclu ci-avant à l’absence de crédibilité du récit des demandeurs, respectivement que les faits invoqués ne sont pas d’une gravité suffisante, de sorte que ces derniers n’ont établi ni l’existence d’un risque réel et actuel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48, point b) de la loi du 18 décembre 2015, précité, à savoir la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ni l’existence d’un risque suffisamment réel pour que leur renvoi en République démocratique du Congo soit incompatible avec l’article 3 de la CEDH, proscrivant la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, respectivement avec l’article 33 de la Convention de Genève, de sorte que les moyens afférents encourent le rejet.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 20 mai 2020 portant rejet d’un statut de protection internationale dans le chef des demandeurs ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 20 mai 2020 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

20 Hélène Steichen, premier juge, Daniel Weber, premier juge, Michèle Stoffel, premier juge, et lu à l’audience publique du 28 juin 2021 par le premier juge, Hélène Steichen, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Hélène Steichen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 28 juin 2021 Le greffier du tribunal administratif 21


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 44567
Date de la décision : 28/06/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-06-28;44567 ?

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