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28/06/2021 | LUXEMBOURG | N°46140

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 juin 2021, 46140


Tribunal administratif Numéro 46140 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 juin 2021 2e chambre Audience publique du 28 juin 2021 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.8.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46140 du rôle et déposée le 18 juin 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Eric Says, avocat à la Cour, inscrit au

tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Géorgie),...

Tribunal administratif Numéro 46140 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 juin 2021 2e chambre Audience publique du 28 juin 2021 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.8.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46140 du rôle et déposée le 18 juin 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Eric Says, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Géorgie), de nationalité géorgienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 25 mai 2021 ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de sa notification ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 24 juin 2021 ;

Vu l’article 1er de la loi du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu la communication de Maître Eric Says du 22 juin 2021, informant le tribunal que l’affaire pouvait être prise en délibéré en dehors de sa présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Linda Maniewski en sa plaidoirie à l’audience publique du 28 juin 2021.

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Le 16 novembre 2018, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Par décision du 26 novembre 2018, notifiée à l’intéressé en mains propres le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », rejeta cette demande dans le cadre d’une procédure accélérée, tout en ordonnant à Monsieur … de quitter le territoire dans un délai de trente jours, à destination de la Géorgie ou de tout autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner.

1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. » Le 15 décembre 2018, Monsieur … fut placé en détention préventive pour vol qualifié.

Il ressort d’un acte d’écrou du Centre pénitentiaire de Luxembourg, ci-après désigné par « le CPL », du 22 juillet 2020 que par arrêt de la Cour supérieure de justice du 16 juin 2020, il fut condamné à une peine d’emprisonnement de 30 mois des chefs de vol à l’aide d’effraction, de blanchiment-détention, d’association de malfaiteurs et de vol à l’aide d’effraction ou d’escalade et que la fin de peine fut fixée au 2 juin 2021.

Par arrêté du 25 mai 2021, le ministre prononça à l’encontre de Monsieur … une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de cinq ans.

Par arrêté du même jour, notifié à l’intéressé le 2 juin 2021, jour de sa libération du CPL, le ministre ordonna encore le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et les considérations suivants :

« (…) Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu les antécédents judiciaires de l’intéressé ;

Vu la décision de retour du 26 novembre 2018, lui notifiée le 27 novembre 2018 ;

Attendu que l’intéressé n’est pas en possession d’un passeport en cours de validité ;

Attendu qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse au Grand-Duché de Luxembourg ;

Attendu par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 juin 2021, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 25 mai 2021 ordonnant son placement en rétention.

Etant donné que l’article 123 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit en l’espèce, qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée.

En droit, il se rapporte à prudence de justice quant à la compétence du ministre ayant pris la décision litigieuse.

Par ailleurs, il reproche au ministre d’avoir violé les dispositions de l’article 120 de la loi du 29 août 2008. A cet égard, il conteste qu’il existerait, dans son chef, un risque de fuite ou qu’il empêcherait la préparation de son retour ou de la procédure d’éloignement, alors qu’il souhaiterait rejoindre la Géorgie par ses propres moyens et que contrairement à ce qu’aurait retenu le ministre, il disposerait d’un passeport géorgien en cours de validité. Il ajoute qu’à ce jour, aucune proposition de retour volontaire ne lui aurait été faite, ni aucune « (…) date d’extradition (…) » ne lui aurait été proposée depuis le 25 mai 2021. Par ailleurs, ni le manque de diligences de la part du ministre ni l’absence de vols ne sauraient justifier « (…) une prorogation du placement en rétention (…) ».

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

Etant donné que le demandeur se rapporte à prudence de justice quant à la compétence de l’auteur de la décision déférée et que le fait, pour une partie, de se rapporter à prudence de justice équivaut à une contestation2, il appartient en premier lieu au tribunal de trancher le moyen de légalité externe ainsi soulevé, s’agissant d’ailleurs d’un moyen d’ordre public3. Dans la mesure où, d’une part, l’article 3 g) de la loi du 29 août 2008 définit le ministre, auquel l’article 120 de la même loi confère la compétence de prendre une décision de placement en rétention administrative, telle que la décision déférée, comme étant « le membre du gouvernement ayant l’immigration dans ses attributions » et, d’autre part, en vertu de l’arrêté grand-ducal du 28 mai 2019 portant constitution des ministères, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, qui a pris la décision litigieuse, s’est vu attribuer la matière de l’immigration, le tribunal retient que ladite décision a été prise par le ministre compétent, de sorte que le moyen afférent est à rejeter.

Aux termes de l’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 (…), l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement (…) ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120 (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire ».

L’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une 2 Trib. adm., 27 octobre 2004, n° 17634 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 814 et les autres références y citées.

3 R. Ergec et F. Delaporte, Contentieux administratif luxembourgeois, Pas. adm. 2020, n° 204.

structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120 (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Le tribunal relève en premier lieu qu’il est constant en cause que le demandeur, qui a fait l’objet d’une décision de retour le 26 novembre 2018, est en séjour irrégulier au Luxembourg.

S’agissant, ensuite, des contestations de Monsieur … ayant trait à l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite, le tribunal relève que le demandeur (i) n’établit pas disposer d’une assurance maladie couvrant tous les risques sur le territoire, (ii) reste en défaut de justifier l’objet et les conditions de son séjour envisagé et (iii) ne justifie pas non plus de ressources personnelles suffisantes, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans le pays d’origine ou le transit vers un pays tiers dans lequel son admission est garantie, ni de la possibilité d’acquérir légalement ces moyens. Il ne remplit, dès lors, pas les conditions de l’article 34 (2), point 5. de la loi du 29 août 2008, de sorte que l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite est présumée, en application de l’article 111 (3) c), point 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « (…) Le risque de fuite est présumé (…) si l’étranger ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 (…) ».

Or, force est au tribunal de constater que le demandeur, qui ne dispose pas d’une adresse au Luxembourg, n’a fourni aucun élément concret qui serait de nature à renverser cette présomption d’un risque de fuite. En effet, le fait, pour l’intéressé, d’être en possession d’un passeport, de même que sa simple affirmation selon laquelle il souhaiterait quitter le Luxembourg de son propre chef pour se rendre en Géorgie sont insuffisants à cet égard, ladite affirmation étant même de nature à conforter l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite, étant précisé que le risque de fuite visé à l’article 120 de la loi du 29 août 2008 est à entendre comme le risque de soustraction à la mesure d’éloignement projetée.

Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120 (1), précité, de la loi du 29 août 2008, placer le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement.

Quant à l’argumentation du demandeur selon laquelle il n’empêcherait pas la préparation de son retour ou de la procédure d’éloignement, le tribunal retient que la mesure litigieuse n’est pas motivée par une telle considération, de sorte que l’argumentation en question est à rejeter pour défaut de pertinence.

S’agissant ensuite des contestations de Monsieur … quant aux démarches entreprises par le ministre en vue de procéder à son éloignement, le tribunal relève que le 25 mai 2021, soit le jour même de la prise de la décision déférée, le ministre a chargé le service de police judiciaire, section …, de la mission d’organiser le départ de l’intéressé vers la Géorgie. Le 26 mai 2021, les autorités luxembourgeoises ont soumis à leurs homologues géorgiens une demande de réadmission de Monsieur …, demande à laquelle ces derniers ont fait droit le lendemain. Il se dégage d’une note au dossier administratif du 21 juin 2021 que l’autorité ministérielle luxembourgeoise est en train de considérer différentes options pour l’exécution de l’éloignement de plusieurs ressortissants géorgiens, dont Monsieur …, à savoir, notamment, d’une part, « (…) [u]n vol regroupé (JRO) organisé par l’Espagne à destination de l’Albanie et la Géorgie prévu pour le 7 juillet 2021, qui reste à être confirmé (…) », et, d’autre part, « (…) [u]n vol dédié (CRO) organisé par la Géorgie, avec lieu de remise en Allemagne prévu pour le 15 juillet 2021 (…) ».

Etant donné qu’eu égard aux démarches ainsi accomplies par le ministre, le rapatriement du demandeur est a priori imminent, le tribunal retient que ces démarches doivent être considérées comme étant suffisantes, de sorte qu’il y a lieu de conclure que l’organisation de l’éloignement est en cours et est exécutée avec toute la diligence requise et que, dès lors, les contestations afférentes du demandeur encourent le rejet.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’en l’état actuel du dossier et compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée. Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, premier vice-président, Daniel Weber, premier juge, Michèle Stoffel, premier juge, et lu à l’audience publique du 28 juin 2021 par le premier vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 28 juin 2021 Le greffier du tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 46140
Date de la décision : 28/06/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-06-28;46140 ?

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