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12/07/2021 | LUXEMBOURG | N°43844

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 juillet 2021, 43844


Tribunal administratif Numéro 43844 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 novembre 2019 2e chambre Audience publique du 12 juillet 2021 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43844 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 26 novembre 2019 par Maître Faisal Quraishi, a

vocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsi...

Tribunal administratif Numéro 43844 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 novembre 2019 2e chambre Audience publique du 12 juillet 2021 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43844 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 26 novembre 2019 par Maître Faisal Quraishi, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Irak), de nationalité irakienne, demeurant actuellement à L-…, représenté par son administrateur ad hoc Maître Faisal Quraishi, préqualifié, tendant à la réformation, sinon l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 29 octobre 2019 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 24 janvier 2020 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Vu la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020 portant notamment sur la présence physique des représentants des parties au cours des plaidoiries relatives à des affaires régies par des procédures écrites ;

Vu le courrier électronique de Maître Faisal Quraishi du 21 janvier 2021 informant le tribunal que l’affaire pouvait être prise en délibéré en dehors de sa présence ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Yannick Muller en sa plaidoirie à l’audience publique du 1er février 2021.

Par une ordonnance rendue en date du 12 juillet 2018 par le juge des tutelles auprès du tribunal de la jeunesse et des tutelles près le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, Maître Faisal Quraishi fut désigné administrateur ad hoc du mineur.

Le 19 juillet 2018, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent du service de police judiciaire de la police grand-

ducale, section …, dans un rapport du même jour.

Les 16 et 19 octobre 2018, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Le 7 juin 2019, le Comité d’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant a conclu qu’il serait dans l’intérêt supérieur de Monsieur … de rester sur le territoire luxembourgeois jusqu’à sa majorité, en cas de refus d’octroi d’une protection internationale dans son chef.

Par décision du 29 octobre 2019, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été déclarée non fondée, sans prononcer d’ordre de quitter le territoire à son égard. Cette décision est libellée comme suit :

« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite le 19 juillet 2018 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Il convient de mentionner que vous êtes né le … à … et que vous êtes arrivé seul au Luxembourg.

Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-

après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 19 juillet 2018, le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 16 et 19 octobre 2018 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que l'avis du Comité d'évaluation de l'intérêt supérieur de l'enfant du 7 juin 2019 et les documents versés à l'appui de votre demande de protection internationale.

Il résulte de vos déclarations que vous seriez originaire de … dans la province de …, d'ethnie arabe et de confession musulmane sunnite.

Vous énoncez que votre clan, dénommé « … », serait dans le collimateur des milices chiites alors qu'un membre de votre clan serait un ancien collaborateur de Saddam Hussein.

Vous avancez que les milices auraient ainsi considéré votre père comme étant un proche de Saddam Hussein.

Vous poursuivez votre récit en faisant état de menaces à l'encontre de votre père, qui auraient débutées il y a plus ou moins 3 ans et qui auraient été proférées par la milice Asa'ib Ahl al-Haqq.

2 Vous mentionnez en outre un incident qui aurait eu lieu devant votre école. Vous expliquez qu'en sortant de l'établissement vous auriez aperçu deux individus en civil et non-

armés, qui se seraient dirigés vers vous. Vous seriez dès lors retourné à l'école et vous auriez demandé de l'aide auprès d'un agent de sécurité qui serait un policier. Lorsque le policier se serait dirigé vers les individus en question ils auraient pris la fuite.

Suite à cet incident, vous auriez décidé de quitter votre pays d'origine.

Vous présentez votre carte d'identité irakienne.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l'article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d'une part le statut de réfugié et d'autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

 Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l'article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifiée de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».

L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.

En l'espèce, il ressort à suffisance de votre dossier administratif que les raisons qui vous ont amené à quitter votre pays d'origine n'ont pas été motivées par un des critères de fond définis par lesdites Convention et loi.

Monsieur, vous indiquez que vous auriez dû quitter votre pays d'origine parce que votre père serait dans le collimateur de la milice Asa'ib Ahl al-Haqq à cause d'…, membre de votre clan, qui aurait été Vice-président de la République d'Irak sous le régime de Saddam Hussein.

Force est de constater que les faits invoqués ont été vécus personnellement et uniquement par votre père. Dans ce contexte, il y a lieu de préciser que des faits non personnels mais vécus par d'autres membres de la famille ne sont susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens des prédits textes que si le demandeur de protection internationale établit 3 dans son chef un risque réel d'être victime d'actes similaires en raison de circonstances particulières.

Or, tel n'est pas le cas en l'espèce. En effet, vous précisez uniquement qu'il aurait reçu des menaces écrites ou téléphoniques, une fois tous les quelques mois depuis 3 ans (p.6/13 du rapport d'entretien) et vous admettez que vous ne disposez d'aucune information concrète concernant les menaces que votre père aurait reçues (p.6/13 du rapport d'entretien).

De plus, vous concédez lors de votre entretien que vous n'avez jamais été personnellement menacé d'une quelconque manière (p.7/13 du rapport d'entretien). Ainsi, vous restez en défaut d'établir un lien quelconque entre les faits vécus par votre père, et des éléments liés à votre personne qui vous exposeraient à des actes similaires de sorte qu'aucune crainte fondée de persécution ne saurait être retenue dans votre chef.

Soulignons également que votre père se trouve actuellement en Irak partant, il y a lieu de conclure que sa situation n'est manifestement pas de nature à lui faire courir un quelconque risque.

Concernant le prétendu incident qui aurait eu lieu devant votre établissement scolaire, force est de constater que ce fait n'entre pas dans le champ d'application de la Convention de Genève alors qu'il ressort clairement de votre récit que vous ne connaissiez ni l'identité des auteurs ni leur motif, de sorte qu'il ne saurait être question de l'existence dans votre chef d'une persécution respectivement d'une crainte de persécution en raison de votre race, votre nationalité, votre religion, vos opinions politiques ou votre appartenance à un certain groupe social.

Il échet dès lors de conclure que ce fait ne présenterait, même s'il rentrait dans le champ d'application de la Convention, pas un degré de gravité suffisant permettant de le qualifier d'acte de persécution au sens des prédits textes.

Même à supposer que les faits seraient liés à un des critères de fond et seraient d'une gravité suffisante, notons qu'une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités politiques et dont l'existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur de protection internationale.

Or, tel n'est pas le cas en l'espèce. En effet, vous indiquez n'avoir à aucun moment saisi la police irakienne. Ainsi, aucun reproche ne saurait être formulé à l'égard des autorités irakiennes qui n'auraient jamais été mises en mesure d'exécuter leur mission.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n'apportez aucun élément de nature à établir qu'il existerait de sérieuses raisons de croire que vous auriez été persécuté, que vous auriez pu craindre d'être persécuté respectivement que vous risquez d'être persécuté en cas de retour dans votre pays d'origine, de sorte que le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

 Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs 4 sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 2, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi.

L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

En l'espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande de reconnaissance du statut du réfugié.

Monsieur, vous déclarez que vous auriez quitté votre pays d'origine parce que votre père serait menacé par la milice Asa'ib Ahl al-Haqq.

Il ressort de manière claire et non équivoque de vos dires que ce souci concerne votre père et qu'il s'agit en l'occurrence de faits non personnels.

Au vu des constats susmentionnés, il appert que vos motifs traduisent tout au plus un sentiment général d'insécurité qu'une crainte de subir des actes qualifiés d'atteintes graves.

Cependant, des craintes hypothétiques et un sentiment général d'insécurité liés à des faits non personnels ne rentrent pas dans le champ d'application du statut conféré par la protection subsidiaire.

De plus, rappelons que votre famille n'aurait pas demandé de l'aide aux autorités de votre pays d'origine de sorte qu'aucun reproche ne peut être fait aux forces de l'ordre irakiennes.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n'apportez aucun élément crédible de nature à établir qu'il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d'origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l'article 48 précité, de sorte que le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

 Quant à l'ordre de quitter le territoire luxembourgeois Monsieur, il convient de noter que conformément à l'article 103 de la loi du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l'immigration, une décision de retour ne peut être prise à l'encontre d'un mineur non accompagné que si l'éloignement est nécessaire dans son intérêt.

5 Le Ministre se rallie à l'avis du Comité d'évaluation de l'intérêt supérieur de l'enfant réuni en date du 7 juin 2019, qui a retenu que « Au regard de tous les éléments du dossier, le Comité est amené à conclure qu'il est dans l'intérêt supérieur de Monsieur … de rester au Luxembourg jusqu'à ses 18 ans plutôt que de retourner dans son pays d'origine », de sorte qu'aucune ordre de quitter le territoire n'est prononcé à votre encontre.

Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 26 novembre 2019, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision précitée du ministre du 29 octobre 2019 portant rejet de sa demande de protection internationale.

Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre la décision ministérielle du 29 octobre 2019.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

Ledit recours est encore à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, Monsieur … affirme avoir été inquiété par la milice Asaib Ahl Al-Haqq, en raison de l’appartenance de l’un des membres de son clan au régime de Saddam Hussein. Le père du demandeur aurait reçu des appels et des courriers de menaces de mort. Contrairement à l’affirmation du ministre, il aurait été visé personnellement à la sortie de l’école où deux hommes masqués se seraient approchés de lui, mais que ces derniers seraient partis lorsqu’il aurait fait appel à un policier. Il ajoute que la milice Asaib Ahl Al-Haqq serait proche du pouvoir iranien et serait opposée aux anciens membres du régime de Saddam Hussein. Il précise encore que les milices chiites seraient bien implantées et s’en prendraient à la communauté sunnite, contre laquelle elles commettraient des enlèvements et des exécutions.

Il fait ensuite valoir qu’en tant que mineur, sa demande de protection internationale ne pourrait pas être analysée comme celle d’un adulte. Il précise à cet égard, qu’ayant fait l’objet d’une tentative d’enlèvement, le ministre aurait dû prendre en compte les effets psychiques en résultant et l’en protéger. Monsieur … ajoute que, malgré les plaintes et les réclamations de son père, la police aurait été incapable d’assurer sa protection.

En droit, le demandeur fait valoir que la décision ministérielle portant refus de lui accorder l’un des statuts conférés par la protection internationale serait entachée d’illégalité au motif qu’il remplirait les conditions prévues par la loi du 18 décembre 2015 pour obtenir soit le statut de réfugié, soit celui conféré par la protection subsidiaire.

En s’appuyant sur les articles 37 (3) et 37 (5) de la loi du 18 décembre 2015, il estime que ses affirmations quant à son vécu doivent être déclarées comme vraies. Contrairement à l’appréciation ministérielle, les menaces de la milice Asaib Ahl Al-Haqq pèseraient sur lui. En tant que mineur, ses parents ne lui auraient pas donné l’ensemble des informations pour le préserver.

Il ajoute dans ce contexte que le ministre n’aurait pas respecté l’article 14 e) de la loi du 18 décembre 2015 concernant la procédure à suivre pour l’audition des mineurs.

Il en conclut que le ministre aurait basé sa décision sur un examen superficiel et insuffisant des faits de l’espèce, respectivement aurait procédé à une analyse erronée de ces mêmes faits. Ainsi, les menaces téléphoniques et les lettres de menace envoyées à son père et la tentative d’enlèvement, qui s’en serait suivie établiraient à suffisance dans son chef une crainte fondée de persécution.

Le demandeur estime dès lors que les faits qu’il a invoqués devraient être assimilés à des actes de menace, de violence et de persécution au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », de sorte que le ministre aurait dû lui octroyer soit le statut de réfugié, soit le statut conféré par la protection subsidiaire.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Quant à la légalité externe de la décision déférée, et plus particulièrement le respect de la procédure visée à l’article 14 (3) e) de la loi du 18 décembre 2015, celui-ci prévoit que : « Le ministre fait en sorte que l’entretien soit mené dans des conditions qui permettent au demandeur d’exposer l’ensemble des motifs de sa demande.

A cet effet, le ministre: (…) veille à ce que les entretiens avec les mineurs soient menés d’une manière adaptée aux enfants par un agent possédant les connaissances nécessaires sur les besoins particuliers des mineurs. » Or, à cet égard, le demandeur n’avance aucun élément concret permettant de retenir que le ministre n’a pas respecté les prescriptions de l’article 14 (3) e) de la loi du 18 décembre 2015 et que l’agent en charge de son audition n’a pas les connaissances nécessaires relatives aux besoins particuliers des mineurs, de sorte que le moyen est à rejeter pour être non fondé, le tribunal ne pouvant suppléer à la carence du demandeur.

Quant à la légalité interne de la décision déférée, en ce qui concerne en premier lieu le moyen selon lequel les conditions de l’article 37 (5) de la loi du 18 décembre 2015 seraient remplies, de sorte que les déclarations du demandeur seraient à considérer comme établies même en l’absence de preuves documentaires, il échet de constater qu’étant donné que le ministre n’a pas remis en cause la crédibilité des déclarations du demandeur, le moyen y afférent est à rejeter pour ne pas être pertinent.

En deuxième lieu, aux termes de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout 7 apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

Par ailleurs, aux termes de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».

Aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 : « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi : «(1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou 8 b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. » Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Il s’ensuit également que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. L’article 2 g), précité, définit également la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 ». Cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que les persécutions ou les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par lajustification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas.

Les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne peut bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.

Il échet de constater que les motifs à la base de la demande de protection internationale de Monsieur … se résument au fait que son père aurait été menacé de mort par la milice Asaib Ahl Al-Haqq en raison du fait qu’un membre de son clan aurait été un ancien collaborateur de Saddam Hussein et au fait que deux hommes masqués se seraient approchés de lui à la sortie de l’école.

Force est au tribunal de constater que Monsieur … impute ces faits à l’appartenance de sa famille au clan … dont l’un des membres aurait été un ancien collaborateur de Saddam Hussein, de sorte à tomber a priori dans le champ d’application de la Convention de Genève pour être basés sur une toile de fond ethnique, voire politique. Or, il échet de constater que le demandeur n’apporte aucun élément permettant de retenir qu’il aurait été personnellement visé par ces menaces, ni que son père aurait été visé par ces menaces en raison de son appartenance audit clan. Si Monsieur … invoque à cet égard encore un incident ayant eu lieu à la sortie de son école où deux hommes masqués non armés se seraient approchés de lui, il échet cependant de constater que, d’un côté, il n’est pas établi que lesdites personnes font partie de la milice Asaib Ahl Al-Haqq et, d’un autre côté, les deux individus ont pris la fuite, sans avoir fait un quelconque mal au demandeur, dès que ce dernier avait averti un policier stationné dans son école. Si Monsieur … semble encore tenter de justifier ses craintes en invoquant des motifs religieux pouvant a priori tomber dans le champ d’application de la Convention de Genève, en s’appuyant sur un rapport de Human Rights Watch du 31 juillet 2014, intitulé « Iraq : Pro-

Government Militias’ Trail of Death » et un article d’Amnesty International du 9 février 2016, intitulé « Les populations sunnites sous la menace des milices chiites », il y a cependant lieu de constater dans la mesure où le demandeur reste en défaut d’établir un lien existant entre les agissements des miliciens ayant menacé son père et les éléments liés à sa personne, le tribunal est amené à retenir que les affirmations du demandeur se résument en des craintes vagues et hypothétiques et constituent l’expression d’un sentiment général d’insécurité.

Quant au reproche du demandeur selon lequel le ministre n’aurait pas tenu compte dans sa décision de l’intérêt supérieur de l’enfant et de ses besoins particuliers, dans la mesure où Monsieur … ne formule aucune contestation précise à cet égard, le tribunal est amené à retenir que le moyen du demandeur y afférent doit être considéré comme ayant été simplement suggéré sans être effectivement soutenu, de sorte qu’il est à rejeter pour être non fondé. Il n’appartient en effet pas au tribunal de suppléer à la carence du demandeur et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions1.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande en obtention du statut de réfugié présentée par Monsieur ….

1 Trib. adm. 5 juillet 2000, n° 11527 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 461 et les autres références y citées.Quant au statut conféré par la protection subsidiaire, force est au tribunal de constater que le demandeur reste muet sur ce volet.

Au vu des conclusions dégagées ci-avant au sujet de la demande en reconnaissance du statut de réfugié, dans la mesure où il a été jugé que les menaces de mort proférées par des miliciens à l’égard de son père, respectivement l’incident ayant eu lieu à la sortie d’école ne sont pas de nature à établir, dans le chef du demandeur, une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015, il y a lieu de retenir qu’il n’existe pas davantage d’éléments susceptibles d’établir, sur la base des mêmes arguments, qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’il encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 précité. Plus particulièrement, le demandeur reste en défaut d’établir qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il risquerait l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, ou encore des menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

C’est dès lors également à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée la demande tendant à l’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

Au vu des conclusions qui précèdent, le recours en réformation de Monsieur … à l’encontre de la décision ministérielle portant rejet d’une protection internationale est à rejeter pour être non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 29 octobre 2019 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, déclare le recours en réformation non fondé et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation introduit contre la décision ministérielle du 29 octobre 2019 portant refus d’une protection internationale ;

donne acte au demandeur de ce qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, premier vice-président, Hélène Steichen, premier juge, Michèle Stoffel, premier juge, et lu à l’audience publique du 12 juillet 2021 par le premier vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 12 juillet 2021 Le greffier du tribunal administratif 12


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 43844
Date de la décision : 12/07/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-07-12;43844 ?

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