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12/07/2021 | LUXEMBOURG | N°43979

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 juillet 2021, 43979


Tribunal administratif N° 43979 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 janvier 2020 1re chambre Audience publique du 12 juillet 2021 Recours formé par la société à responsabilité limitée …, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôts

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43979 du rôle et déposée le 2 janvier 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Stéphane Ebel, avocat à la Co

ur, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilit...

Tribunal administratif N° 43979 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 janvier 2020 1re chambre Audience publique du 12 juillet 2021 Recours formé par la société à responsabilité limitée …, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôts

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 43979 du rôle et déposée le 2 janvier 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Stéphane Ebel, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée …, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son gérant actuellement en fonctions, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 3 octobre 2019, référencée sous le numéro C 26358 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 juin 2020 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 15 juillet 2020 par Maître Maître Stéphane Ebel pour compte de la société à responsabilité limitée …, préqualifé ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision directoriale déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Sandro Laruccia en sa plaidoirie à l’audience publique du 12 mai 2021, et vu les remarques écrites de Maître Stéphane Ebel du 29 avril 2021, produites, conformément à la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020, avant l’audience.

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En date du 30 janvier 2019, les bureaux d’imposition Luxembourg, Sociétés 4, respectivement 5, ci-après désignés par « le bureau d’imposition », émirent à l’égard de la société à responsabilité limitée …, ci-après désignée par « la société … », sur le fondement du paragraphe 222, alinéa 1er, numéros 1 et 2, de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », des bulletins rectificatifs de l’impôt sur le revenu des collectivités, de l’impôt commercial communal et de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux au titre des années 2011 et 2012.

Par un courrier de son litismandataire du 30 avril 2019, la société … s’adressa par l’intermédiaire de son litismandataire de l’époque, la société à responsabilité limitée X, ci-

après désignée par « la société X », au directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », dans les termes suivants :

1« Pour faire suite à l’émission de bulletin rectificatif d’impôt sur le revenu des collectivités et d’impôt commercial communal pour les années 2011 et 2012 (copies ci-

jointes), nous vous prions de bien vouloir trouver ci-joint :

- copie de la requête et de ses annexes déposée au tribunal administratif en date du 3 avril courant relatif au rapport du Service de Révision du 3 janvier courant.

Nous tenons à formuler les remarques suivantes relatives à l’exercice 2011 :

Concernant les distributions cachées de bénéfices relevées par le Service de Révision pour l’année 2011 détaillées comme suit :

[…] Nous vous demandons de bien vouloir tenir compte de nos arguments qui ont été développé dans la requête à savoir :

- que les deux contrats de bail signés par le docteur … pour le … L-… font l’objet de refacturation à la société Y, dégageant un profit tant sur … lors de la refacturation que sur Y, qui elle-même sous loue ces deux biens à des tiers clients n’ayant strictement aucun lien d’aucune manière avec le docteur … que les frais Numéricâble liés à un des deux bien situé au … et sous loué ne peuvent être considéré comme distribution cachée de bénéfice le Dr … n’en bénéficiant pas le bien étant sous loué à des sociétés tiers.

- que les frais liés à l’immeuble en France ne peuvent être considéré comme distribution cachée de bénéfice car comme indiqué les actifs liés appartiennent entièrement en pleine propriété à …. Que ces biens en France pourront être vendus, qu’un bénéfice pourrait naitre de cette cession et que donc la société … n’est pas flouée dans ses revenus actuels, ni dans ses revenus futurs. Le produit de cession des biens immobiliers pouvant largement compenser les pertes accumulées. Nous rappelons d’ailleurs que ce produit de cession en vertu de la convention franco-luxembourgeoise sera taxable en France tout comme tout autre produit nait de la jouissance de ces biens immobiliers.

Enfin nous tenons à rappeler que les juridictions administratives ont eu l’occasion de prendre position sur la valeur de la distribution cachée. Ainsi un arrêt de la Cour administrative du 19 janvier 2012 pour l’affaire portant le numéro de rôle 28781C a précisé que :

« … La notion de distribution cachée de bénéfices ne tend ainsi pas à réintégrer dans les comptes sociaux une opération déterminée et le revenu correspondant, mais tend, d’abord, à requalifier l’opération ayant l’apparence d’être intervenue dans le cadre de la réalisation de revenus pour lui conférer sa qualification réelle d’une opération de distribution trouvant son fondement dans l’allocation d’un avantage direct ou indirect à un associé ou actionnaire et ayant entraîné soit une diminution de l’actif ("Vermögensminderung") soit un défaut d’accroissement de l’actif ("verhinderte Vermögensmehrung") et, ensuite, à annihiler la réduction indue du revenu imposable causée par cette opération de distribution. .. » 2Nous demandons donc que seul soit pris en compte le manquement de rémunération lié à l’actif possédé par … et pour lequel aucun revenu n’a été calculé et ceux en conformité avec les premiers bulletins d’imposition émit pour les années 2011 et 2012 par l’administration.

Dans ce contexte, nous souhaiterions que le directeur des contributions directes, ramène le montant des distributions cachées de bénéfice comme suit :

[…] Nous tenons à formuler les remarques suivantes relatives à l’exercice 2012 :

Concernant les distributions cachées de bénéfices relevées par le Service de Révision pour l’année 2012 détaillées comme suit :

[…] Nous vous demandons de bien vouloir tenir compte de nos arguments qui ont été développé dans la requête et de nos remarques exposées ci-avant s’appliquent à 2012.

Nous souhaiterions que le directeur des contributions directes, ramène le montant des distributions cachées de bénéfice comme suit :

[…] Enfin nous souhaitons que les bulletins de la retenue d’impôt sur les revenus de capitaux 2011 et 2012 (copie ci-jointes) soient révisés également en fonction de nos remarques ci-avant. […] ».

Par décision du 3 octobre 2019, répertoriée sous le numéro C 26358 du rôle, le directeur déclara la réclamation lui ainsi soumise irrecevable. Cette décision est libellée comme suit :

« […] Vu la requête introduite le 30 avril 2019 par la société à responsabilité limitée X, au nom de la société à responsabilité limitée …, L-…, pour réclamer contre le(s) « bulletin rectificatif d’impôt sur le revenu des collectivités et d’impôt commercial communal pour les années 2011 et 2012 » ;

Vu le dossier fiscal ;

Vu les §§ 102, 107, 228, 238, 254, alinéa 2 et 301 de la loi générale des impôts (A0) ;

Considérant qu’en droit luxembourgeois, pour pouvoir exercer l’action d’autrui, il faut justifier en toutes matières d’un mandat ad litem exprès et spécial aux fins de l’instance (cf. : Conseil d’État du 14 janvier 1986, n° 6514 du rôle ; TA du 16 juin 1999, n° 10724 du rôle ; CA du 21 décembre 1999, n° 11382C du rôle) ;

Considérant qu’en l’espèce, faute de procuration jointe, la déposante a dû être invitée par lettre du 10 mai 2019 à justifier de son pouvoir d’agir en versant au dossier une procuration qui établit son mandat exprès et spécial pour l’instance introduite ; qu’elle n’y a 3toutefois réservé aucune suite, de sorte que l’existence d’un mandat ad litem répondant aux conditions légales lors de l’introduction des réclamations n’est pas établie et que, partant, les réclamations sont irrecevables faute de qualité ;

PAR CES MOTIFS dit les réclamations irrecevables faute de qualité. » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 2 janvier 2020, la société … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision du directeur de l’administration des Contributions directes précitée du 3 octobre 2019.

Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 AO et de l’article 8, paragraphe (3), point 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dénommée ci-après « la loi du 7 novembre 1996 », le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours dirigé par un contribuable contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation introduite contre un bulletin de l’impôt sur le revenu.

Il s’ensuit que le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours principal en réformation, qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors par lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation introduit contre la décision du directeur du 3 octobre 2019.

A l’appui de son recours et en droit, la société demanderesse admet qu’au regard des éléments à la disposition du directeur au moment de la prise de sa décision, la conclusion de celui-ci que l’existence d’un mandat au jour de l’introduction de la réclamation n’est pas établie ne serait pas critiquable.

Elle donne toutefois à considérer qu’elle aurait adressé un mandat daté du 4 février 2019, dont elle aurait disposé, par courrier simple à l’administration des Contributions directes.

La société demanderesse se réfère ensuite à un jugement du tribunal administratif du 3 avril 2014, inscrit sous le numéro 33669 du rôle, pour soutenir qu’elle aurait confirmé son intention de cautionner l’introduction de la réclamation litigieuse en faisant introduire un recours contentieux contre la décision d’irrecevabilité du directeur et en confirmant, dans la requête introductive d’instance, l’existence du mandat litigieux, de sorte que son litismandataire de l’époque, la société X, aurait disposé au moment de l’introduction de la réclamation litigieuse d’un mandat valable à cet égard.

Elle fait valoir qu’admettre le contraire relèverait d’un formalisme excessif qui aurait pour effet que la mesure qui serait censée protéger le contribuable se retournerait contre lui.

A cela s’ajouterait que la société X serait en charge de toutes ses missions fiscales et comptables et que ses dirigeants seraient les mandataires sociaux de son propre associé unique, la société Z.

4 Le délégué du gouvernement, de son côté, estime que ce serait à bon droit que le directeur a déclaré la réclamation introduite par la société X irrecevable pour défaut de qualité et il conclut au rejet du recours sous analyse.

Il fait plus particulièrement valoir que la société X se serait adressée au directeur le 30 avril 2019 au nom de la société demanderesse pour réclamer contre les bulletins rectificatifs de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal pour les années 2011 et 2012.

Néanmoins, faute de procuration jointe, elle aurait été invitée par lettre du 10 mai 2019 à justifier de son pouvoir d’agir en versant au dossier une procuration qui établirait son mandat exprès et spécial pour l’instance introduite, demande à laquelle elle n’aurait réservé aucune suite, de sorte que le directeur aurait considéré que l’existence d’un mandat ad litem répondant aux conditions légales lors de l’introduction de la réclamation n’aurait pas été établie et que la réclamation serait, dès lors, irrecevable faute de qualité.

En droit, le délégué du gouvernement fait valoir que le paragraphe 238 AO permettrait au destinataire d’un bulletin d’impôt, autorisé à introduire une réclamation contre celui-ci, de se faire représenter conformément au paragraphe 102, alinéa (2) AO, selon lequel les règles du droit civil seraient applicables en droit fiscal quant à la capacité d’agir des personnes privées. Ce paragraphe renverrait donc aux règles du Code civil sur le mandat en l’absence de dispositions spécifiques dans l’AO.

Il y aurait ainsi lieu de se référer à l’article 1987 du Code Civil lequel distinguerait entre le mandat spécial pour une affaire ou certaines affaires seulement et le mandat général pour toutes les affaires du mandant, tandis que l’article 1988 du même Code spécifierait que le mandat conçu en termes généraux n’embrasserait que les actes d’administration et que s’il s’agit d’aliéner ou d’hypothéquer, ou de quelque autre acte de propriété, le mandat devrait être exprès. L’article 1989 du Code civil préciserait, en outre, que le mandataire ne pourrait rien faire au-delà de ce qui est porté dans son mandat.

Le délégué du gouvernement donne ensuite à considérer que dans la mesure où l’introduction d’une réclamation contre un bulletin de l’impôt sur le revenu déclencherait un réexamen de l’imposition par les soins du directeur et que ce réexamen pourrait, le cas échéant, aboutir, par application du paragraphe 243 AO, à une décision qui est au détriment de celui qui a introduit la réclamation, l’introduction d’une réclamation serait à considérer comme excédant un simple acte d’administration, de sorte à requérir l’établissement d’un mandat exprès.

Il estime que dès lors que l’acte d’introduire une réclamation devant le directeur, eu égard plus particulièrement au risque y inhérent de voir l’imposition revue, le cas échéant, in pejus, présenterait un risque de voir modifier de manière permanente et irrévocable la situation de l’intéressé, une procuration afférente devrait être expresse et spéciale et renseigner clairement l’intention du mandant d’investir le mandataire du pouvoir d’agir par la voie d’une réclamation à l’encontre d’une décision déterminée avec toute la précision requise.

Il soutient encore qu’en vertu du paragraphe 254 AO, le mandataire aurait l’obligation de justifier de son mandat sur demande afférente de l’administration.

5Il poursuit que si le contribuable était en droit de produire matériellement une procuration, même suite à la demande du directeur, en vue de la soumission d’une preuve écrite du mandat dans le chef de celui qui a introduit une réclamation, ce mandat devrait néanmoins exister dès l’introduction de la réclamation auprès du directeur et cette antériorité au dépôt de la réclamation, voire l’intention de ratifier un tel acte déjà accompli, devrait ressortir clairement du libellé de la procuration émanant du contribuable concerné.

Au vu des considérations qui précèdent, il fait valoir qu’il conviendrait d’examiner si compte tenu des circonstances de l’espèce, il y aurait lieu d’admettre qu’un mandat en vue d’introduire une réclamation contre les bulletins rectificatifs de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal pour les années 2011 et 2012 avait existé au moment de l’introduction de la réclamation.

Ainsi, il y aurait lieu d’analyser si la procuration du 4 février 2019 produite en l’espèce est susceptible d’établir un tel mandat, respectivement si elle est suffisamment précise et expresse pour permettre de retenir que Madame …, gérante de la société X, était investie du pouvoir d’introduire une réclamation au nom et pour le compte de la société demanderesse contre les bulletins rectificatifs de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal pour les années 2011 et 2012.

Le délégué du gouvernement admet, à cet égard, que la procuration versée par la société demanderesse n’est pas à considérer comme étant générale au sens de l’article 1987 du Code civil faute de couvrir de manière générale toutes les affaires de celle-ci.

Il estime toutefois qu’au regard des éléments à la disposition du directeur au moment de la prise de sa décision, sa conclusion que l’existence d’un mandat au jour de l’introduction de la réclamation n’était pas établie ne serait pas critiquable.

Il met en exergue que la finalité du mandat serait, en effet, de permettre aux instances saisies de contrôler que la décision d’introduire la réclamation en matière fiscale a été cautionnée par le contribuable et que l’exigence de la justification d’un mandat par le mandataire serait une mesure destinée à protéger le contribuable envers les agissements d’un mandataire qui dépasserait, le cas échéant, ses pouvoirs en déposant une réclamation à son insu.

Il poursuit que même si le contribuable avait confirmé son intention de cautionner l’introduction de la réclamation litigieuse en introduisant un recours contentieux contre la décision d’irrecevabilité du directeur et en confirmant, dans la requête introductive d’instance, l’existence du mandat litigieux, il ne pourrait être retenu que Madame … avait effectivement au moment de l’introduction de la réclamation litigieuse un mandat valable pour ce faire. A cela s’ajouterait qu’il ne serait pas établi que le mandat daté du 4 février 2019 « n’a[urait] pas été dressé ex-post pour les besoins de la cause ».

Dans son mémoire en réplique, la société demanderesse expose que la société X serait en charge de sa comptabilité et de sa gestion administrative depuis 5 ans. En outre, Madame … serait également associée minoritaire de son actionnaire unique, la société Z.

Elle donne ensuite à considérer que le délégué du gouvernement reconnaîtrait à juste titre qu’une procuration pourrait valablement être produite ex post pour autant qu’elle établisse que le pouvoir était bien donné au jour d’introduction de la réclamation.

6 Face à la remarque du délégué du gouvernement qu’il ne serait pas exclu que le mandat du 4 février 2019 serait antidaté, la société demanderesse met en exergue que la possibilité d’un « pouvoir ex post avec effet rétroactif » ne lui avait pas échappée, mais qu’elle aurait toutefois fourni le pouvoir émis en son temps et antérieurement à l’introduction de la réclamation litigeuse. Elle verse « pour autant que de besoin » un « pouvoir à effet rétroactif » qu’elle aurait émis le 14 juillet 2020 et qui ratifierait l’introduction de la réclamation par la société X.

La société demanderesse estime qu’il serait incohérent de considérer différemment un mandat ex post à effet rétroactif et un mandat établi antérieurement à l’introduction de la réclamation même si celui-ci aurait été fourni postérieurement à son introduction.

Ainsi, il y aurait lieu de considérer qu’outre le fait d’avoir communiqué le mandat du 3 février 2019 par courrier simple et même si la partie étatique niait sa réception, elle aurait expressément confirmé son intention de cautionner l’introduction de la réclamation litigieuse en faisant introduire un recours contentieux contre la décision d’irrecevabilité du directeur, de sorte que la société X, représentée par Madame …, aurait disposé, au moment de l’introduction de la réclamation litigieuse, d’un mandat valable pour ce faire.

Aux termes du paragraphe 238 AO, qui prévoit notamment que le destinataire d’un bulletin d’impôt est autorisé à introduire une réclamation contre celui-ci, ce même destinataire peut se faire représenter conformément au paragraphe 102 (2) AO, selon lequel les règles du droit civil sont applicables en droit fiscal quant à la capacité d’agir des personnes privées. Ce paragraphe renvoie donc aux règles du Code civil sur le mandat en l’absence de dispositions spécifiques dans l’AO1.

L’article 1987 du Code civil distingue entre le mandat spécial pour une affaire ou certaines affaires seulement et le mandat général pour toutes les affaires du mandant, tandis que l’article 1988 du même Code spécifie que le mandat conçu en termes généraux n’embrasse que les actes d’administration et que s’il s’agit d’aliéner ou d’hypothéquer, ou de quelque autre acte de propriété, le mandat doit être exprès. L’article 1989 du Code civil précise, en outre, que le mandataire ne peut rien faire au-delà de ce qui est porté dans son mandat.

Dans la mesure où l’introduction d’une réclamation contre un bulletin de l’impôt sur le revenu déclenche un réexamen de l’imposition par les soins du directeur et que ce réexamen peut, le cas échéant, aboutir, par application du paragraphe 243 AO, à une décision qui est au détriment de celui qui a introduit la réclamation (« Sie können die Entscheidung auch zum Nachteil dessen, der das Rechtsmittel eingelegt hat, ändern. »), l’introduction d’une réclamation est à considérer comme excédant un simple acte d’administration, de sorte à requérir l’établissement d’un mandat exprès2.

Dès lors, l’acte d’introduire une réclamation devant le directeur, eu égard plus particulièrement au risque y inhérent de voir l’imposition revue, le cas échéant, in pejus, présentant un risque de voir modifier de manière permanente et irrévocable la situation de l’intéressé, une procuration afférente doit être expresse et spéciale et renseigner clairement 1 Trib. adm., 20 juillet 2009, n° 25156 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Impôts, n° 993 et autres références y citées.

2 Ibidem 7l’intention du mandant d’investir le mandataire du pouvoir d’agir par la voie d’une réclamation à l’encontre d’une décision déterminée avec toute la précision requise3.

En l’espèce, il y a d’abord lieu de relever qu’il n’est pas établi qu’une procuration ait été jointe à la lettre de réclamation du 30 avril 2019 et que la société demanderesse est encore restée en défaut de prouver qu’elle a donné suite au courrier de l’administration des Contributions directes du 10 mai 2019 invitant la société X à justifier son pouvoir d’agir.

S’il résulte certes des pièces versées en cause à l’appui du présent recours que le 4 février 2019, la société demanderesse, représentée par son gérant, Monsieur …, a donné procuration à la société X, resprésentée par Madame …, « pour introduire une réclamation portant sur les bulletins d’imposition 2011 et 2012 au sens du §228 AO », il n’est toutefois pas contesté qu’au moment de la prise de sa décision, le directeur n’avait pas à sa disposition ladite procuration.

De ce point de vue, aucun reproche ne peut, dès lors, être adressé au directeur pour avoir dit la réclamation introduite par la société X au nom de la société … irrecevable faute de qualité, ce que la société demanderesse admet d’ailleurs dans son recours.

En l’espèce, les parties sont néanmoins en désaccord quant à la prise en compte de la procuration du 4 février 2019 par le tribunal dans le cadre du recours sous analyse.

Dans ce contexte, il échet de relever que si le paragraphe 254 alinéa 2 AO exige que « Bevollmächtigte und gesetzliche Vertreter haben sich auf Verlangen als solche auszuweisen », il n’en est pas moins que l’invitation à verser une procuration doit être entendue en ce sens qu’il s’agit de communiquer à l’administration la procuration existante qui aurait pu manquer au dossier, rendant ainsi incertaine l’existence de la qualité d’agir du mandataire et non pas de faire rédiger a posteriori une procuration, un mandataire n’ayant pu introduire la réclamation pour compte d’autrui qu’au cas où il était muni d’une procuration spéciale et expresse à cette fin4.

Il échet par contre également de préciser que dans le cadre du recours sous analyse, le tribunal statue dans le cadre d’un recours en réformation qui est l’attribution légale au juge administratif de la compétence spéciale de statuer à nouveau, en lieu et place de l’administration, sur tous les aspects d’une décision administrative querellée. Le jugement se substitue à la décision litigieuse en ce qu’il la confirme ou qu’il la réforme. Cette attribution formelle de compétence par le législateur appelle le juge de la réformation à ne pas seulement contrôler la légalité de la décision que l’administration a prise sur base d’une situation de droit et de fait telle qu’elle s’est présentée à elle au moment où elle a été appelée à statuer, mais elle l’appelle encore à tenir compte des changements en fait et en droit intervenus depuis la date de la prise de la décision litigieuse et, se plaçant au jour où lui-même est appelé à statuer, à apprécier la situation juridique et à fixer les droits et obligations respectifs de l’administration et des administrés concernés5.

Dès lors que le mandataire d’un contribuable doit prouver l’existence d’un mandat 3 Cour adm., 5 novembre 2002, n° 15043C du rôle, Pas. adm. 2020, V° Impôts, n° 986 et les autres références y citées.

4 Cour adm. 18 juillet 2007, n°22680C du rôle, Pas. adm. 2020, V° Impôts, n°990.

5 Cour adm. 5 juin 2008, n° 23341 du rôle, Pas. Adm. 2020, V° Recours en réformation, n° 12 et les autres références y citées.

8spécial et exprès ayant existé au moment de l’introduction de la réclamation pour le compte de son mandant, le tribunal, statuant dans le cadre d’un recours en réformation, peut prendre en compte des pièces qui n’étaient pas à la disposition du directeur au moment où ce dernier a pris sa décision, sous condition que le mandat versé pendant la phase contentieuse ait été antérieur à l’introduction de la réclamation litigieuse.6 Il s’ensuit que la seule circonstance qu’une procuration écrite n’est produite qu’après l’introduction de la réclamation n’entraîne pas ipso facto l’irrecevabilité de la réclamation pour défaut de mandat, le réclamant étant en droit d’établir, même ex post, l’existence d’un mandat au jour de l’introduction de la réclamation.

En l’espèce et nonobstant la question de savoir si un mandat signé ex post était susceptible établir l’existence d’un mandat ad litem exprès et spécial au jour de l’introduction de la réclamation, il y a lieu de constater que le mandat versé par la société demanderesse à l’appui de son recours est daté au 4 février 2019, soit antérieurement à l’introduction de la réclamation déposée par la société X, resprésentée par Madame …, pour le compte de la société …, étant encore relevé que ni la qualité de gérant de la société … de Monsieur …, ni les termes précis de ladite procuration n’ont étés contestés par le délégué du gouvernement.

Il s’ensuit qu’au jour où le tribunal statue, cette procuration établit à suffisance l’existence d’un mandat valable pour introduire une réclamation.

Cette conclusion ne saurait être invalidée par les contestations du délégué du gouvernement fondées sur l’affirmation qu’il ne serait pas établi que le mandat daté du 4 février 2019 n’aurait pas été dressé ex-post qui sont, en l’absence d’une inscription en faux du mandat litigieux, à rejeter.

Il s’ensuit qu’il est établi que la société X disposait d’un mandat spécial et exprès lui permettant d’introduire valablement la réclamation litigeuse du 30 avril 2019 de la part de la société …, de sorte que le recours en réformation est fondé et que la décision déférée est à annuler dans le cadre d’un recours en réformation dont le tribunal est saisi, et le dossier est à renvoyer devant le directeur.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le dit justifié, partant, dans le cadre du recours en réformation, annule la décision du directeur de l’administration des contributions directes du 3 octobre 2019, portant le numéro de référence C 26358 et renvoie le dossier à la direction de l’administration des Contributions directes ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne l’Etat aux frais et aux dépens.

6 En ce sens: Trib. adm., 16 juin 1999, n°10724 du rôle, confirmé par Cour.adm., 21 décembre 1999, n° 11382C du rôle, Pas.adm. 2020, V°Impôts, n° 987 et autres références y citées.

9 Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique 12 juillet 2021 par:

Annick Braun, vice-président, Alexandra Castegnaro, vice-président, Carine Reinesch, juge, en présence du greffier Luanan Poiani.

s. Luanan Poiani s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 12 juillet 2021 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 43979
Date de la décision : 12/07/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-07-12;43979 ?

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