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12/07/2021 | LUXEMBOURG | N°44743

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 juillet 2021, 44743


Tribunal administratif N° 44743 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 juillet 2020 2e chambre Audience publique du 12 juillet 2021 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44743 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 juillet 2020 par Maître Franck Greff, avocat à la Cou

r, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … ...

Tribunal administratif N° 44743 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 juillet 2020 2e chambre Audience publique du 12 juillet 2021 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44743 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 juillet 2020 par Maître Franck Greff, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Aghanistan), de nationalité afghane, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 28 mai 2020 portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 octobre 2020 ;

Vu la demande formulée par courrier et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 février 2021 par Maître Franck Greff au nom du demandeur, tendant à pouvoir déposer un mémoire supplémentaire ;

Vu l’ordonnance du vice-président présidant la deuxième chambre du tribunal administratif du 10 février 2021 autorisant les parties à déposer des mémoires supplémentaires et refixant l’affaire à l’audience publique du 15 mars 2021, pour plaidoiries ;

Vu le mémoire supplémentaire déposé le 26 février 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Franck Greff, pour le compte du demandeur ;

Vu le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 mars 2021 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Franck Greff et Madame le délégué du gouvernement Linda Maniewski en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 15 mars 2021.

Le 20 août 2018, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi 1du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section …, dans un rapport du même jour.

Les 6 décembre 2018 et 16 janvier 2019, il fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 28 mai 2020, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée. La décision, qui comporte encore un ordre de quitter le territoire dans un délai de trente jours à son égard, est libellée de la façon suivante :

« (…) J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 20 août 2018 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-

après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 20 août 2018, le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 6 décembre 2018 et 16 janvier 2019 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l’appui de votre demande.

Il en ressort que vous seriez d’ethnie Hazâra et originaire de … (province de …), mais que vous auriez vécu à … seul « depuis 2014 », où vous auriez étudié le droit à l’université « pendant quatre années » et obtenu un diplôme.

Vous précisez dans ce contexte avoir quitté l’Afghanistan une première fois en direction du Pakistan, lorsque vous auriez été âgé de « … », respectivement, « en 2004 ». Après une année, vous seriez parti en Grèce, où vous vous seriez encore trouvé en 2009 avant de vous faire arrêter et renvoyer en Turquie. Après avoir été « renvoyé » en Afghanistan « quatre ou cinq ans » après votre départ, vous y auriez repris vos études.

En 2010, vous auriez commencé vos études en droit à l’université de … à …. Vous y auriez par ailleurs « fait des tapis » et travaillé comme professeur, dans le bâtiment, dans une bijouterie et comme réparateur de montres. Enfin, vous précisez que vous seriez fiancé à une dénommée … qui aurait étudié avec vous à l’université.

Fin 2014, ou en 2015, vous auriez de nouveau quitté l’Afghanistan et vous vous seriez installé pendant trois ou quatre ans à Téhéran, avant de continuer votre voyage, en juin 2017, vers la Turquie, où vous seriez resté pendant deux mois. Vous seriez ensuite parti en Grèce, où vous auriez d’abord été obligé de résider pendant quatre mois dans un camp pour réfugiés et donner vos empreintes, avant de vous installer pendant six mois à Athènes. Par la suite, un 2passeur vous aurait organisé un passeport japonais avec lequel vous seriez monté à bord d’un avion pour la Suisse, où vous auriez pris un bus pour venir au Luxembourg. Vous seriez venu au Luxembourg parce qu’un ami habitant le pays, vous aurait confirmé qu’ici on accueillerait « bien les réfugiés ».

Quant à vos motifs de fuite, vous prétendez que votre père aurait été un « commandant politique » du parti « Hezb-e-Islami » à …, un parti qui aurait, vers 1997, été en « guerre » contre les trois partis « Hezb e Harakat », « Hezb e Wahdat » et « Hezb e Nasr ». Vous dites que des membres de « Hezb e Wahdat » auraient tué votre grand-père et deux de vos oncles et blessé votre père le même jour, mais que ce dernier aurait pu s’enfuir. Deux ans plus tard, votre père serait revenu à … avec « ses hommes » et aurait attaqué ledit parti, tuant à cette occasion le commandant …. La « guerre » aurait encore continué pendant trois ou quatre ans avant que les partis concernés n’auraient trouvé un accord et signé la paix.

Or, un jour, votre père se serait fait assassiner sur la route menant à … après avoir été « torturé ». Un de vos oncles habitant au Pakistan serait alors venu en Afghanistan pour vous dire de partir, alors qu’il aurait su que les « trois Hezb e » voudraient vous tuer. Il vous aurait par la suite ramené avec lui au Pakistan où vous auriez vécu pendant un an. Après avoir travaillé de façon non déclarée en Iran, vous auriez finalement pu vous financer votre voyage vers l’Europe. Or, après avoir été interpellé par les autorités grecques, vous auriez à plusieurs reprises refusé d’y introduire votre demande de protection internationale, tel que proposé par les policiers qui vous auraient arrêté, alors que vous n’auriez pas voulu avoir la « carte » qui aurait donné droit à un séjour en Grèce.

Après votre retour en Afghanistan, vous seriez sur conseil de votre mère et de votre oncle, resté à …, où vous auriez changé d’adresse deux fois par an et vécu « en cachette », tout en donnant des cours d’anglais et de physique et en allant à l’université.

Vous ajoutez que les « trois Hezb-e » travailleraient aujourd’hui tous pour l’Etat, tandis que vous n’auriez « rien » pu faire, « je ne pouvais même pas bénéficier de l’aide de l’Etat ».

En plus, « quelqu’un » aurait dit à votre oncle, qu’un « chef de quartier » de … du nom de … aurait donné l’ordre de vous tuer. A cause de « toutes ces menaces », vous vous seriez de nouveau senti obligé de quitter l’Afghanistan et vous seriez alors parti en Iran. Vous ajoutez dans ce contexte qu’en Afghanistan, les chiites comme vous seraient très mal vus et tués par les Talibans et par Daesh.

Vous ne présentez pas de document d’identité et vous n’avez amené aucune pièce à l’appui de vos dires depuis l’Afghanistan. Le 27 décembre 2018, votre mandataire a toutefois versé un rapport d’EASO de juin 2018, intitulé « Country Guidance Afghanistan », ainsi qu’un rapport de l’OSAR de septembre 2018, concernant la situation générale en Afghanistan.

2. Quant à la motivation du refus de vos demandes de protection internationale Suivant l’article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

 Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par 3la Loi de 2015.

Aux termes de l’article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.

Monsieur, force est de constater, que si les craintes mentionnées peuvent a priori rentrer dans le champ d’application de la Convention de Genève étant donné que vous les reliez à des partis politiques, respectivement milices armées et votre appartenance ethnique, il n’en reste pas moins qu’il ne vous serait jamais rien arrivé de grave en Afghanistan.

En effet, vous expliquez qu’après un premier départ d’Afghanistan au début des années 2000, vous y seriez retourné vers 2009, après avoir « refusé » de rechercher une protection internationale en Grèce. Vous précisez avoir depuis vécu à … jusqu’en 2014, sans faire état d’un quelconque problème ou ne serait-ce que d’un incident dans lequel vous auriez été impliqué.

Bien au contraire, vous confirmez avoir étudié pendant quatre ans dans une université privée de … et avoir obtenu un diplôme en droit. Vous confirmez en outre avoir exercé différentes activités rémunérées dont celle de professeur d’université et vous vous seriez même fiancé pendant votre séjour à …, de nouveau, sans jamais faire part du moindre souci.

Vous prétendez certes aussi que vous auriez vécu « en cachette » pendant votre séjour à …; or ce seul constat ne saurait manifestement pas suffire pour contrebalancer l’image qui se dégage de toutes vos autres déclarations, qui font clairement état d’une vie active et publique que vous auriez menée sans aucun souci à … pendant toutes ces années.

Au vu du manque de gravité évident concernant votre situation à … depuis 2009, les craintes que vous exprimez par rapport aux seules prétendues menaces indirectes que vous auriez reçues de la part des partis des « trois Hezb-e », ne sauraient manifestement pas être perçues comme étant des craintes fondées de persécution au sens desdits textes. Vos craintes sont ainsi des craintes totalement hypothétiques traduisant en un sentiment général d’insécurité qui ne saurait toutefois pas justifier l’octroi du statut de réfugié.

Il en est évidemment de même des craintes totalement superficielles, vagues et comprimées en une seule phrase, que vous mentionnez par rapport aux Talibans et à Daesh.

En effet, il ne ressort à aucun moment de vos dires que vous auriez eu un quelconque problème avec ces groupements ou un quelconque incident dans lequel vous auriez été impliqué et vous vous bornez à faire état de considérations générales, peu étayées et dénuées de tout élément 4personnel. Vous ne rapportez en tout cas aucun fait ou élément concret permettant d’établir que vous seriez à l’avenir personnellement et directement visé à cause de vos opinions politiques, votre race, votre religion, votre nationalité et votre appartenance à un groupe social. Vos craintes par rapport aux Talibans et à Dasesh doivent de nouveau et clairement être définies comme étant totalement hypothétiques et non fondées.

Ce constat vaut d’autant plus au vu de votre passé et de votre comportement adopté en Europe. En effet, alors que les prétendues menaces des « trois Hezb-e » et du coup vos prétendues craintes dateraient d’avant votre premier départ d’Afghanistan, vous auriez tout de même jugé inutile de rechercher une protection lors de votre séjour en Europe. Pire, vous confirmez avoir « refusé » d’introduire une demande de protection internationale en Grèce après que vous y auriez vécu pendant des années et que les policiers grecs vous auraient même conseillé d’introduire cette demande pour éviter un éloignement du territoire.

Or, un tel comportement est évidemment incompatible avec une personne réellement persécutée ou qui craint avec raison d’être persécutée dans son pays d’origine et qui serait vraiment à ta recherche d’une protection dans un pays sûr.

Ajoutons dans ce contexte qu’on peut également attendre d’une telle personne qu’elle introduise sa demande dans le premier pays sûr rencontré et dans les plus brefs délais, tandis que vous auriez préféré voyager à travers plusieurs pays de l’Europe en passant par la Grèce et la Suisse et du coup la France ou l’Allemagne pour finalement venir au Luxembourg, un pays qui pourrait vous garantir un style de vie plus élevé, respectivement qui propose des avantages sociaux ou des prestations sociales plus intéressantes, en apparence, par rapports aux autres pays européens visités.

Un tel comportement ne correspond cependant pas à celui d’une personne qui auraient été forcée à quitter son pays à la recherche d’une protection internationale, mais votre façon de procéder correspond à pratiquer du forum shopping en soumettant votre demande dans l’Etat membre qui, vous pensez, satisfera au mieux vos attentes.

Il s’ensuit de tout ce qui précède qu’il paraît en effet évident que des motifs économiques, matériels ou de pure convenance personnelle sous-tendent votre demande de protection internationale; d’autant plus que vous confirmez avoir été le seul « responsable » pour garantir la subsistance de votre famille que vous auriez d’ailleurs soutenue financièrement pendant des années, lorsque vous auriez travaillé de façon non déclarée à l’étranger et envoyé de l’argent chez vous. Vous confirmez d’ailleurs que votre mère et vos sœurs mineures vivraient toujours sans problème apparent à …, mais que vous devriez la soutenir financièrement.

Des motifs économiques ou de convenance personnelle ne sauraient toutefois pas non plus justifier l’octroi du statut de réfugié alors qu’ils ne sont nullement liés aux cinq critères prévus par la Convention de Genève et la Loi de 2015, à savoir votre race, votre nationalité, votre religion, vos opinions politiques ou votre appartenance à un certain groupe social.

Enfin, concernant le prétendu assassinat de votre père au début des années 2000, à le supposer établi, soulevons en premier lieu que vous ne sauriez pas qui l’aurait tué et sous quel prétexte, mais que vous seriez toutefois persuadé qu’il s’agirait de membres des partis des « trois Hezb-e ». Or, au vu du manque de tout témoignage direct concernant sa prétendue mort, celle-ci reste donc floue, tout comme le restent les prétendus auteurs du meurtre.

5A cela s’ajoute que l’assassinat de votre père constituerait un fait non personnel, vécu par un autre membre de la famille, qui n’est susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève que si le demandeur de protection internationale établit dans son chef un risque réel d’être victime d’actes similaires en raison de circonstances particulières.

Or, au vu de la description totalement superficielle et floue dont vous parlez de la mort de votre père, vous restez en défaut d’étayer un lien entre son prétendu assassinat et des prétendues menaces indirectes et de nouveau totalement vagues de la prétendue part des « trois Hezb-e » ou d’un « chef de quartier » de …; menaces qui vous auraient pour le surplus uniquement été transmises par une personne tierce inconnue ou votre oncle habitant en Norvège depuis une quinzaine d’années.

Quand bien même un lien entre la prétendue mort au début des années 2000 de votre père et des menaces envers votre personne devrait être établi, ce qui reste contesté, rappelons que vous confirmez vous-même que depuis votre rapatriement en Afghanistan en 2009 ou 2010 et votre séjour de quatre ans à …, vous n’auriez pas rencontré le moindre problème, un constat qui confirme que les prétendus « trois Hezb-e » qui seraient pour le surplus au pouvoir à …, respectivement liés au pouvoir, n’auraient eu aucune revendication à votre égard et que vous vous trouvez nullement dans leur collimateur.

Ajoutons pour être complet que votre seule appartenance à l’ethnie des Hazâras ne saurait pas non plus suffire pour justifier dans votre chef une crainte fondée de persécution. En effet, vous mentionnez certes des craintes par rapport à votre sécurité étant donné que les Hazâras seraient visés par les Talibans et par Daesh, or comme noté plus haut, vos craintes doivent être perçues comme étant totalement hypothétiques alors que vous ne faites état d’aucun incident personnel concret et que vous fait uniquement part de propos très généraux.

Ce constat vaut d’autant plus qu’il ressort des informations en nos mains que la seule appartenance à l’ethnie Hazâra n’est clairement pas une condition suffisante pour justifier l’octroi d’une protection internationale, voire pour justifier une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève. En effet, « Being a Hazara in itself would normally not lead to the level of risk required to establish well-founded fear of persecution », d’autant plus que « [s]ince the fall of the Taliban regime in 2001, Hazara have improved their position in society ».

En effet, soulevons dans ce contexte que vous prétendez donc également qu’en tant que Hazâra, vous n’ayez pas pu rechercher de l’aide en Afghanistan parce que vous y seriez également rejeté par les autorités, mais que vous prétendez en même temps que les trois partis « Hezb-e », qui seraient tous composés d’Hazâras, seraient dorénavant liés au pouvoir. Or, étant donné que des Hazâras seraient donc liés au pouvoir, il peut logiquement être exclu sur base de vos dires que votre appartenance à cette ethnie soit en même temps la raison pourquoi vous n’auriez pas pu vous adresser aux autorités.

Les constats susmentionnés ne sauraient pas être ébranlés par le seul versement de deux rapports totalement généraux sur la situation générale en Afghanistan sans commentaire et sans référence aucune. En effet, vous ne mentionnez à aucun moment une quelconque information précise ressortant de ces rapports, qui doivent dès lors être perçus comme étant impertinents, alors que la seule description de la situation générale en Afghanistan ne saurait aucunement permettre de retenir dans votre chef l’existence d’une crainte fondée de persécution au sens desdits textes.

6 Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous auriez été persécuté, que vous auriez pu craindre d’être persécuté respectivement que vous risquez d’être persécuté en cas de retour dans votre pays d’origine, de sorte que le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

 Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.

L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Monsieur, force est de constater que si vous mentionnez certes des craintes de mort par rapport à des menaces proférées par les « trois Hezb-e », voire à cause de votre appartenance à l’ethnie Hazâra, celles-ci doivent au vu de tout ce qui précède, être définies comme étant totalement hypothétiques et non fondées.

En effet, bien que vous ayez déjà été indirectement menacé de mort avant votre premier départ d’Afghanistan début des années 2000, et de nouveau en 2014, et que vous ayez pour le surplus vécu une vie publique et active à …, il ne vous serait jamais rien arrivé dans votre pays d’origine.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 précité, de sorte que le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

3. Quant à la fuite interne En vertu de l’article 41 de la Loi de 2015, le Ministre peut estimer qu’un demandeur n’a pas besoin de protection internationale lorsque, dans une partie du pays d’origine, il n’y a aucune raison de craindre d’être persécuté ni aucun risque réel de subir des atteintes graves et qu’il est raisonnable d’estimer que le demandeur peut rester dans cette partie du pays.

7Ainsi, la conséquence d’une fuite interne présume que le demandeur puisse mener, dans une autre partie de son pays d’origine, une existence conforme à la dignité humaine. Selon les lignes directrices de l’UNHCR, l’alternative de la fuite interne s’applique lorsque la zone de réinstallation est accessible sur le plan pratique, sur le plan juridique, ainsi qu’en termes de sécurité.

En l’espèce, Monsieur, il ressort de manière claire de votre récit, qu’étant originaire de …, vous auriez par le passé eu recours à un déménagement interne en vous installant entre 2009 ou 2010 et 2014 à … pour notamment y travailler, étudier et vous y fiancer. Vous confirmez ne jamais avoir rencontré un quelconque problème lors de votre vie à …, après avoir quitté … à cause de prétendues menaces contre votre vie.

Ainsi, un déménagement vers … a déjà par le passé constitué la solution à votre problème et vous pourriez donc de nouveau vous y installer dans le futur. Ce constat vaut d’autant plus qu’il ressort de vos explications que vous y auriez mené une vie professionnelle et privée comblée, tandis que le rapport EASO de juin 2019 précise que: « Although the situation related to settling in the cities of Kabul, Herat and Mazar-e Sharif entails certain hardships, IPA may be reasonable for married couples of working age without children (…). ».

Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de l’Afghanistan, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner.

(…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 28 juillet 2020, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, d’une part, de la décision du ministre du 28 mai 2020 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et, d’autre part, de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 28 mai 2020 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 28 mai 2020, telle que déférée, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée.

En droit, il reproche au ministre d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation, en ce que ce serait à tort qu’il aurait refusé de lui accorder le statut de réfugié, au motif que rien de grave ne lui serait arrivé dans son pays d’origine. Une telle approche serait contraire aux principes clefs de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève ». En effet, conformément à cette dernière, un demandeur de protection internationale devrait démontrer, non pas qu’il aurait d’ores et déjà 8été persécuté dans son pays d’origine, mais qu’il craindrait avec raison d’y être persécuté. Ainsi, le seul fait qu’il aurait eu la chance de ne pas avoir été persécuté en Afghanistan et de se débrouiller à …, sans se faire tuer ou arrêter, ne signifierait pas qu’il n’éprouverait pas de crainte fondée de persécutions futures.

Au contraire, compte tenu de la situation conflictuelle régnant dans son pays d’origine et, surtout, de son appartenance à l’ethnie hazâra et de sa confession musulmane chiite, il craindrait avec raison d’être persécuté par les Talibans et par Daesh, en cas de retour en Afghanistan, le demandeur se prévalant, à cet égard d’un rapport du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (« UNHCR ») du 30 août 2018, intitulé « UNHCR-Richtlinien zur Feststellung des internationalen Schutzbedarfs afghanischer Asylsuchender », d’un rapport de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (« OSAR ») du 12 septembre 2019, intitulé « Afghanistan : les conditions de sécurité actuelles », et d’un rapport de la « United Nations Assistance Mission in Afghanistan » (« UNAMA ») de février 2020, intitulé « Afghanistan – Protection of Civilians in Armed Conflict 2019 ».

A ce problème ethnico-religieux s’ajouterait un second problème, directement lié à des guerres entre partis politiques, dans le cadre desquelles tous les hommes de sa famille auraient été assassinés. Même si ces faits peuvent paraître anciens, ils conserveraient toute leur pertinence, compte tenu de leur degré de violence extrême et de la circonstance selon laquelle ils concerneraient des parents directs du demandeur, à savoir son grand-père, son père et ses oncles. Dans ce contexte, le demandeur souligne que ce serait à tort que le ministre aurait soutenu que seuls des faits personnellement vécus pourraient donner droit à une protection internationale, Monsieur … se prévalant, à cet égard, d’un ouvrage doctrinal. Par ailleurs, il insiste sur le fait qu’il aurait lui-même été menacé de mort à plusieurs reprises. Il ajoute que s’il est certes revenu en Afghanistan en 2009, son retour aurait été, non pas volontaire, mais forcé.

Suite à ce retour, il n’aurait pas mené une vie active et publique, tel que soutenu erronément par le ministre, mais aurait vécu de manière cachée. Ainsi, il n’aurait plus habité auprès de sa famille, aurait souvent changé de lieu d’habitation et ses cours auraient eu lieu en soirée.

En tant que seul homme de sa famille, il serait désigné pour être le prochain à être assassiné par les susdits partis politique. Averti d’un danger de mort imminent, il aurait décidé de fuir l’Afghanistan.

En conclusion, le demandeur soutient qu’il craindrait à juste titre d’être persécuté dans son pays d’origine, d’une part, en raison de son appartenance ethnique et de ses convictions religieuses et, d’autre part, au vu des menaces de mort proférées à son encontre par les partis politiques susmentionnés et de l’assassinat d’une partie de sa famille.

En se prévalant des susdits rapports de l’UNHCR et de l’OSAR, le demandeur fait valoir que les actes auxquels il risquerait d’être exposé en raison de son appartenance à l’ethnie hazâra et de sa confession musulmane chiite, à savoir des discriminations, ainsi que des actes de violence physique – pouvant entraîner sa mort, dans le pire des cas –, dans le cadre d’attaques, de bombardements et d’attentats, seraient, de par leur nature et leur caractère répété, suffisamment graves au regard des dispositions de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015.

Ces actes devraient être considérés comme étant contraires à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », et à l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, le demandeur rappelant encore qu’il risquerait d’être assassiné par les susdits partis politiques.

9Le demandeur soutient ensuite que les auteurs des actes invoqués à l’appui de sa demande de protection internationale, à savoir, d’une part, les Talibans et, d’autre part, les partis politiques susmentionnés, seraient à qualifier d’acteurs de persécutions, au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015. Quant aux Talibans, il se prévaut du susdit rapport de l’UNHCR, pour soutenir qu’ils constitueraient l’un des principaux acteurs des persécutions subies par la communauté chiite et qu’ils contrôleraient une partie importante du territoire afghan, tout en invoquant un rapport de l’organisation « Human Rights Watch » du 30 juin 2020, intitulé « « You Have No Right to Complain » - Education, Social Restrictions, and Justice in Taliban-

Held Afghanistan », ainsi qu’un article publié le même jour par la même organisation, intitulé « Afghanistan : Insuffisance des efforts des talibans relatifs aux droits humains », dont il se dégagerait que les Talibans auraient mis en place un régime totalitaire dans les régions se trouvant sous leur contrôle, qu’ils y violeraient massivement les droits fondamentaux du peuple afghan et que les autorités afghanes n’arriveraient pas à les contrôler.

Il se dégagerait de ces développements que le demandeur remplirait les conditions d’octroi du statut de réfugié.

Monsieur … conteste ensuite toute possibilité de fuite interne, en faisant valoir qu’en tant que membre de l’ethnie hazâra, il ne pourrait librement s’installer en Afghanistan et que l’ensemble du territoire afghan serait toujours le théâtre d’un conflit armé, et ce nonobstant les pourparlers de paix en cours, ainsi que cela se dégagerait d’un article publié le 30 janvier 2020 par Amnesty International, intitulé « Rétrospective 2019 – Afghanistan. Les civils continuent de payer le prix du conflit ». Le demandeur précise qu’eu égard à la situation sécuritaire y régnant, il ne pourrait s’installer ni dans la région de Ghazni, où il serait né, ni à …, Monsieur … se prévalant, à cet égard, des rapports, précités, de l’OSAR du 12 septembre 2019 et de l’UNAMA de février 2020. Ainsi, le ministre serait resté en défaut d’identifier une zone sûre sur le territoire afghan, dans laquelle tout risque pour lui pourrait valablement être exclu.

En conclusion, il soutient que par réformation de la décision déférée, il y aurait lieu de lui accorder le statut de réfugié.

A l’appui de sa demande de protection subsidiaire, le demandeur invoque, en substance, les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de sa demande d’octroi du statut de réfugié, en insistant sur le fait qu’un retour dans son pays d’origine l’exposerait à un risque réel de subir des atteintes graves, au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, et plus particulièrement des actes de torture et des traitements inhumains ou dégradants, qui pourraient même entraîner sa mort, le demandeur soulignant encore que la communauté chiite, dont feraient parti les Hazâras, constituerait l’un des ennemis cibles des Talibans et de Daesh.

Par ailleurs, il conviendrait de tenir compte du conflit armé régnant en Afghanistan et qui aurait gagné en intensité en 2019, malgré les pourparlers de paix en cours. A cet égard, il soutient que l’ensemble des rapports internationaux versés en cause démontreraient l’existence, dans son pays d’origine, d’une violence aveugle résultant d’un conflit armé interne et provoquant des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil, au sens de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015.

Le demandeur en conclut qu’il prétendrait à juste titre à l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire et que la décision déférée devrait encourir la réformation en ce sens.

Dans son mémoire supplémentaire, Monsieur … soutient que la situation sécuritaire se serait dégradée au cours de l’année 2020, ainsi que cela se dégagerait des rapports cités dans la 10requête introductive d’instance, tels que mentionnés ci-avant, ainsi que d’un rapport de l’OSAR du 30 septembre 2020, intitulé « Afghanistan : Die aktuelle Sicherheitslage », d’un article publié le 26 octobre 2020 par « Human Rights Watch », intitulé « L’attentat-suicide contre une école en Afghanistan visait une communauté minoritaire », d’un article publié le 27 octobre 2020 sur le site internet « www.la-croix.com », intitulé « En Afghanistan, les talibans font monter la pression », et d’un rapport du « European Asylum Support Office » (« EASO ») de septembre 2020, intitulé « Afghanistan Security situation ».

Le demandeur ajoute que depuis le début de l’année 2021, cette dégradation se poursuivrait.

Il fait plaider qu’aussi longtemps que les Talibans n’accepteraient pas un armistice général et inconditionnel sur tout le territoire afghan et au vu de la multitude des attentats et attaques meurtriers commis par ces derniers au cours de l’année 2020 et au début de l’année 2021, il y aurait lieu de conclure à l’existence, en Afghanistan, d’une violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé interne permettant, en application des critères dégagés par la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE ») dans ses arrêts Elgafaji1 et Diakité2, de lui accorder, au moins, la protection subsidiaire.

Dans ce contexte, le demandeur donne à considérer que toute la communauté internationale aurait été extrêmement choquée par l’assassinat par balles de deux femmes juges auprès de la Cour suprême afghane à … en janvier 2021, Monsieur … se prévalant, à cet égard, d’un article publié le 25 janvier 2021 sur le site internet « www.rtbf.be », intitulé « Afghanistan :

vers un retour au pouvoir des Talibans ? ».

En invoquant un article publié le 30 janvier 2021 sur le site internet « www.la-

croix.com », intitulé « L’administration Biden remet en question le retrait des troupes en Afghanistan », il fait valoir que même si le nouveau président américain, Joe Biden, remet en question l’accord trouvé entre les Etats-Unis et les Talibans en septembre 2020, certains spécialistes seraient convaincus que cette remise en question américaine serait trop tardive, le demandeur ajoutant que les « (…) hésitations relatives à la situation actuelle quant à la politique étrangère américaine fragilise[raient] encore plus la région (…) » et que même si, à l’heure actuelle, les autorités afghanes peuvent encore bénéficier d’un « petit » soutien de la part des forces américaines, il serait néanmoins certain qu’elles ne pourraient protéger la société civile de l’Afghanistan dans le cadre du conflit armé y régnant.

Dans ce contexte, le demandeur fait plaider que si deux juges de la Cour suprême afghane peuvent être assassinés par balles dans les rue de …, ce serait à juste titre qu’en tant que Hazâra et simple citoyen civil afghan, il craindrait que sa vie serait en danger, du simple fait de sa présence sur le territoire afghan, Monsieur … renvoyant, sur ce point, à un rapport du « UK Home Office » de mai 2020, intitulé « Country Policy and Information Note – Afghanistan :

security and humanitarian situation », aux termes duquel l’ « Institute for Economics and Peace » aurait déjà qualifié l’Afghanistan de pays le moins paisible du monde en 2019.

Il soutient encore qu’il se dégagerait de l’ensemble des sources internationales citées par lui que les Talibans seraient en train de gagner de plus en plus de terrain et de pouvoir et 1 CJUE, grande chambre, 17 février 2009, Meki Elgafaji et Noor Elgafaji contre Staatssecretaris van Justitie, C-

465/07.

2 CJUE, quatrième chambre, 30 janvier 2014, Aboubacar Diakité c. Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides, C-285/12.

11qu’un civil afghan ne pourrait plus raisonnablement bénéficier d’une protection étatique appropriée.

En renvoyant à deux arrêts de la Cour nationale du droit d’asile française des 6 janvier et 9 février 2021 ayant accordé la protection subsidiaire à des demandeurs d’asile afghans et au susdit rapport de l’EASO de septembre 2020, le demandeur conclut qu’en cas de retour en Afghanistan et, plus particulièrement, aux lieux pouvant être considérés comme ayant été les centres de ses intérêts, à savoir la province de … et …, il serait exposé à un risque réel d’être victime d’attentats et d’attaques commis de manière régulière, de sorte qu’il prétendrait à juste titre à l’octroi de la protection subsidiaire et que, dès lors, la décision déférée devrait encourir la réformation en ce sens.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

En vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme « (…) tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

Par ailleurs, l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».

Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

« a) l’Etat;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » 12et aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».

Il suit des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 précitée, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Par ailleurs, force est de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel aurait été le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015. L’analyse du tribunal devra par conséquent porter en définitif sur la détermination du risque d’être persécuté que le demandeur encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

En l’espèce, le demandeur invoque (i) la situation sécuritaire régnant dans son pays d’origine, (ii) sa crainte d’être persécuté par les Talibans et/ou Daesh en raison de son appartenance à l’ethnie hazâra et de sa confession musulmane chiite, (iii) le fait que son grand-

père et deux de ses oncles auraient été tués et que son père aurait été blessé en 1997, lors d’une attaque dans le cadre d’une « guerre » entre le parti « Hezb-e-Islami », dont ce dernier aurait été un commandant, et les « trois Hezb-e » : les partis « Hezb e Harakat », « Hezb e Wahdat » et « Hezb e Nasr », (iv) l’assassinat de son père en 2003, qu’il impute aux « trois Hezb-e », et plus particulièrement à un dénommé …, qui serait actuellement un député, (v) le fait qu’en 2003, son oncle, qui aurait à l’époque vécu au Pakistan et qui demeurerait actuellement en Norvège depuis une quinzaine d’années, l’aurait averti que les « trois Hezb-e » voudraient le 13tuer et (vi), le fait qu’en 2014, un dénommé …, un membre de sa famille éloignée, aurait informé ce même oncle qu’un « chef de quartier » dénommé … aurait donné l’ordre de le tuer.

S’agissant en premier lieu de la crainte du demandeur d’être persécuté en raison de son appartenance ethnique et de ses convictions religieuses, le tribunal constate qu’il se dégage certes des documents invoqués par les parties et, notamment, du rapport de l’OSAR du 12 septembre 2019, intitulé « Afghanistan : les conditions de sécurité actuelles » et du rapport de l’UNAMA de février 2020, intitulé « Afghanistan – Protection of Civilians in Armed Conflict », tels que versés par Monsieur …, ainsi que des rapports de l’EASO de juin 2019 et de décembre 2020, intitulés « Country Guidance : Afghanistan », dont se prévaut la partie étatique, que les membres de l’ethnie hazâra de confession chiite, tels que le demandeur, constituent un groupe social et religieux davantage exposé à des actes de persécution que la population générale afghane, ces actes émanant surtout, non pas des Talibans, mais de l’« Etat islamique de la province du Khorasan » (« ISKP ») – la branche afghane de Daesh. Cependant, il ne ressort pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que la situation des chiites appartenant à l’ethnie hazâra serait telle que ces derniers courraient tous un risque réel d’être persécutés du seul fait de leur appartenance ethnique et/ou de leurs convictions religieuses, indépendamment de leur situation personnelle. Ainsi, la crainte du demandeur d’être persécuté du fait de son appartenance ethnique et de sa confession musulmane chiite est, en l’absence d’éléments concrets issus de son vécu personnel, trop hypothétique pour justifier l’octroi, à Monsieur …, du statut de réfugié.

S’agissant, de manière plus générale, de la situation sécuritaire en Afghanistan, telle qu’invoquée par Monsieur …, le tribunal relève que s’il est constant en cause que des affrontements armés y ont lieu, il n’est néanmoins pas établi que ces derniers seraient de nature à exposer tout ressortissant afghan à un risque réel de subir des actes susceptibles d’être qualifiés d’actes de persécution, c’est-à-dire des actes motivés par l’un des critères de fond visés par l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, qui seraient d’une gravité suffisante au regard des dispositions de l’article 42 (1) de ladite loi du 18 décembre 2015 et qui émaneraient d’acteurs de persécutions, au sens de l’article 39 de la même loi. La seule invocation abstraite de la situation de conflit armé régnant en Afghanistan n’est, dès lors, pas non plus de nature à justifier l’octroi, à Monsieur …, du statut de réfugié, étant précisé que la question de savoir si, compte tenu de cette situation, il peut valablement prétendre à l’octroi de la protection subsidiaire sur base de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015 sera abordée ci-après.

Quant aux actes subis par deux oncles du demandeur et par son père en 1997 et en 2003, le tribunal relève que des persécutions subies par une personne autre que le demandeur de protection internationale peuvent établir une crainte fondée de persécutions dans le chef de ce dernier, à condition que le demandeur puisse établir l’existence, dans son chef, d’un risque réel d’être victime d’actes similaires en raison de circonstances particulières.

Or, en l’espèce, le demandeur reste en défaut d’établir de telles circonstances particulières.

En effet, quant à l’incident survenu en 1997, le tribunal constate qu’il se dégage du récit du demandeur qu’il s’agissait d’une attaque s’inscrivant dans le contexte particulier d’une « guerre » entre le parti « Hezb-e-Islami », dont le père de Monsieur … aurait été un commandant, et les « trois Hezb-e », sans qu’il soit allégué ni a fortiori établi que ces partis politiques se livreraient toujours à des attaques armées réciproques, le demandeur ayant, au contraire, affirmé qu’un accord de paix aurait été signé en 2003.

14Si le demandeur suggère que cet accord aurait été rompu par l’assassinat de son père en 2003, le tribunal constate que le lien invoqué entre cet assassinat et les « trois Hezb-e » correspond à une simple supposition non étayée par un quelconque élément concret, les auteurs de cet assassinat et les motifs gisant à sa base étant restés inconnus.

De même, quant aux menaces dont le demandeur déclare avoir fait l’objet en 2003 et en 2014, le tribunal constate qu’il s’agit de menaces indirectes, n’ayant jamais été suivies d’un quelconque incident concret.

Par ailleurs, quant aux premières menaces, le demandeur s’est borné à déclarer que son oncle l’aurait averti que les « trois Hezb-e » voudraient le tuer, sans fournir le moindre détail quant aux origines de cette information. Dès lors, la fiabilité de cette dernière ne peut être vérifiée et aucune conclusion valable quant à l’existence d’un danger réel pour la vie ou l’intégrité physique du demandeur ne peut en être déduite.

Dans le même ordre d’idées, quant aux menaces dont le demandeur a fait l’objet en 2014, le tribunal relève que l’intéressé n’a pas non plus fourni d’informations concrètes quant aux circonstances dans lesquelles le dénommé … aurait appris que le « chef de quartier » … aurait donné l’ordre de le tuer, la réalité de cet ordre, de même que le lien invoqué entre ce dernier et le conflit entre les susdits partis politiques n’étant, d’ailleurs, étayés par aucun événement concret se dégageant du récit de Monsieur ….

Eu égard à tous ces éléments, le tribunal n’entrevoit pas de risque suffisamment réel et concret d’un passage à l’acte futur, les menaces litigieuses se résumant, en l’état actuel du dossier, à de simples rumeurs, non corroborées par des faits concrets.

Cette conclusion est renforcée par le fait que nonobstant l’existence de prétendues menaces à son encontre depuis 2003, le demandeur a pu vivre à … de 2009 à 2014, sans y rencontrer le moindre problème, malgré le fait, d’une part, qu’il y a obtenu un diplôme en droit et donné des cours d’anglais et de physique – et ce en journée, tel qu’il l’a expressément affirmé au cours de ses auditions –, ce qui ne correspond pas à une vie en cachette, telle qu’invoquée par Monsieur …, et, d’autre part, que selon ses propres déclarations, les « trois Hezb-e » seraient actuellement liés au pouvoir à ….

Le tribunal conclut, au vu des éléments qui précèdent, que la crainte de persécutions que le demandeur déduit du sort de ses oncles et de celui de son père, ainsi que des menaces lui transmises par son oncle en 2003 et en 2014 est trop hypothétique pour justifier l’octroi, à Monsieur …, du statut de réfugié.

Il suit des considérations qui précèdent que c’est à juste titre que le ministre a refusé d’accorder ledit statut au demandeur.

Quant au statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

15 L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, dudit article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2 g), précité, de la loi du 18 décembre 2015 définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine.

Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 instaure une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

Le tribunal constate qu’à l’appui de sa demande de protection subsidiaire, le demandeur invoque, en substance, les mêmes motifs factuels que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié.

Le tribunal a ci-avant conclu que la crainte du demandeur d’être persécuté du fait de son appartenance ethnique et/ou de ses convictions religieuses est trop hypothétique pour justifier l’octroi, à Monsieur …, du statut de réfugié et qu’il en était de même de sa crainte de persécutions qu’il a déduit du sort de ses oncles et de celui de son père, ainsi que des menaces lui transmises par son oncle en 2003 et en 2014.

Pour les mêmes motifs, les faits en question ne sont pas non plus de nature à établir l’existence, dans le chef du demandeur, d’un risque réel de subir des atteintes graves.

Le demandeur se prévaut encore de la situation de conflit armé régnant dans son pays d’origine et en conclut, en substance, qu’il devrait obtenir la protection subsidiaire sur base de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015.

Afin qu’un statut de protection subsidiaire puisse être octroyé au demandeur conformément à l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, il doit être question, dans son chef, d’une menace grave contre sa vie ou sa personne, en tant que civil, en raison de la violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé interne ou international. Cette disposition législative constitue la transposition de l’article 15 c) de la directive 2011/95/UE du Parlement et du 16Conseil européen du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, ci-après désignée par « la directive 2011/95/UE ». Son contenu est distinct de celui de l’article 3 de la CEDH et son interprétation doit, dès lors, être effectuée de manière autonome tout en restant dans le respect des droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la CEDH3.

Il convient par conséquent de tenir compte des enseignements de l’arrêt Elgafaji de la CJUE, qui distingue deux situations: (i) celle où il « existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’un civil renvoyé dans le pays concerné ou, le cas échéant, dans la région concernée courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire de ceux-ci, un risque réel de subir les menaces graves visées par l’article 15, sous c), de la directive »4 et (ii) celle qui prend en compte les caractéristiques propres du demandeur, la CJUE précisant que « (…) plus le demandeur est éventuellement apte à démontrer qu’il est affecté spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle, moins sera élevé le degré de violence aveugle requis pour qu’il puisse bénéficier de la protection subsidiaire »5.

Dans la première hypothèse, le degré atteint par la violence aveugle est tel que celle-ci affecte tout civil se trouvant sur le territoire où elle sévit, de sorte que s’il est établi qu’un demandeur est un civil originaire de ce pays ou de cette région, il doit être considéré qu’il encourrait un risque réel de voir sa vie ou sa personne gravement menacée par la violence aveugle s’il était renvoyé dans cette région ou ce pays, du seul fait de sa présence sur le territoire de ceux-ci, sans qu’il soit nécessaire de procéder, en outre, à l’examen d’autres circonstances qui lui seraient propres.

La seconde hypothèse concerne des situations où il existe une violence aveugle, ou indiscriminée, c’est-à-dire une violence qui frappe des personnes indistinctement, sans qu’elles ne soient ciblées spécifiquement, mais où cette violence n’atteint pas un niveau tel que tout civil courrait du seul fait de sa présence dans le pays ou la région en question un risque réel de subir des menaces graves pour sa vie ou sa personne. La CJUE a jugé que dans une telle situation, il convenait de prendre en considération d’éventuels éléments propres à la situation personnelle du demandeur aggravant dans son chef le risque lié à la violence aveugle.

Dans son arrêt Elgafaji, précité, la CJUE a également jugé que, lors de l’évaluation individuelle d’une demande de protection subsidiaire, prévue à l’article 4 (3) de la directive, il peut notamment être tenu compte de l’étendue géographique de la situation de violence aveugle ainsi que de la destination effective du demandeur en cas de renvoi dans le pays concerné, ainsi qu’il ressort de l’article 8 (1) de la directive 2011/95/UE6. L’article 41 de la loi du 18 décembre 2015 constitue la transposition, en droit luxembourgeois, de l’article 8 (1) de la directive 2011/95/UE. A cet égard, il ressort clairement du prescrit de l’article 41 de la loi du 18 décembre 2015 qu’il n’y a pas lieu d’accorder la protection internationale si, dans une partie du pays d’origine, le demandeur de protection internationale n’a pas de crainte fondée de persécution ou ne risque pas réellement de subir des atteintes graves, ou s’il a accès à une protection contre la persécution ou les atteintes graves, et qu’il peut voyager en toute sécurité et légalité vers cette partie du pays, et obtenir l’autorisation d’y pénétrer et que l’on peut raisonnablement s’attendre 3 CJUE, grande chambre, 17 février 2009, Meki Elgafaji et Noor Elgafaji c. Staatssecretaris van Justitie, C-465/07, paragraphe 28.

4 Ibid., paragraphe 35.

5 Ibid., paragraphe 39.

6 Ibid., paragraphe 40.

17à ce qu’il s’y établisse. Il ressort dès lors d’une lecture combinée de l’article 48 c) et de l’article 41 de la loi du 18 décembre 2015 qu’une analyse par région de la situation sécuritaire s’impose pour pouvoir apprécier l’existence, dans le chef d’un demandeur, d’un risque réel au sens de l’article 15 c) de la directive 2011/95/UE.7 S’il est vrai que par arrêt du 4 janvier 2018, inscrit sous le numéro 40256C du rôle, la Cour administrative avait retenu que l’Afghanistan serait en proie à un conflit armé interne au sens de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, il n’en reste pas moins qu’entretemps un document intitulé « Country Guidance : Afghanistan » publié par l’EASO en juin 2019, tel que cité par la partie gouvernementale, a retenu que la situation sécuritaire en Afghanistan différerait largement en fonction des différentes provinces. Ainsi, il y est spécifié que « (…) According to UNAMA, in 2018 fighting intensified particularly in the east, southeast and in some areas within the south. The Taliban ‘made territorial gains in sparsely populated areas, and advanced their positions in areas that had not seen fighting in years’ (…). As of December 2018, it was reported that all provincial centres were under the control or influence of the Afghan government, however, throughout 2018, the Taliban had succeeded in temporarily capturing several district centres (…)8. Ainsi, la plupart des violences et le cœur du conflit en Afghanistan sont localisés dans le sud, le sud-est et l’est du pays. Seules certaines provinces sont confrontées à des combats incessants et ouverts opposant des groupes anti-

gouvernementaux et les services de sécurité afghans, ou des combats entre les différents groupes anti-gouvernementaux. Dans ces provinces, la mort de nombreux civils est à déplorer, ces violences contraignant les civils à quitter leurs habitations. Dans d’autres provinces par contre, il n’est pas question de combats ouverts, ou d’affrontements persistants ou ininterrompus. On assiste davantage à des incidents dont l’ampleur et l’intensité de la violence sont largement moindres que dans les provinces où se déroulent des combats ouverts. Les conditions de sécurité qui prévalent dans les villes sont divergentes également de celles qui prévalent dans les zones rurales en raison des différences de typologie et d’ampleur de la violence entre les villes et la campagne. De telles différences régionales apparaissent clairement à l’examen de la carte intitulée « Level of indiscriminate violence in a situation of armed conflict in Afghanistan »9 qui classe les provinces afghanes en cinq catégories en fonction de la gravité du conflit. Au terme d’une évaluation de la situation sécuritaire prévalant actuellement en Afghanistan, au regard de l’ensemble des documents versés en cause, le tribunal constate donc que le niveau de violence, l’étendue de la violence aveugle et l’impact du conflit sévissant en Afghanistan présentent de fortes différences régionales. La seule invocation de la nationalité afghane d’un demandeur d’asile ne peut dès lors plus suffire à établir la nécessité de lui accorder une protection internationale.10 Dans un arrêt récent, la Cour administrative s’est également prononcée en ce sens.11 Il convient donc, en principe, d’évaluer la situation qui prévaut dans la région de provenance du demandeur de protection internationale concerné ou, plus précisément, celle où il avait le centre de ses intérêts avant son départ et où il a vocation à se réinstaller en cas de retour et d’apprécier si cette personne court, dans cette région ou sur le trajet pour l’atteindre, un risque réel de subir les atteintes graves visées à l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015.

7 Conseil du Contentieux des Etrangers, arrêt du 13 août 2020, n° 239678 du rôle, disponible sur www.rvv-

cce.be.

8 EASO, « Country Guidance: Afghanistan », juin 2019, pp. 86 et 87.

9 Ibid., p. 89.

10 Trib. adm., 14 janvier 2021, n° 44166 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

11 Cour adm., 27 avril 2021, n° 45652C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

18Le tribunal constate que s’il est certes exact que le demandeur a grandi dans la province de Ghazni, il n’en reste pas moins qu’avant son départ, il avait le centre de ses intérêts à …, où il habitait et travaillait de 2009 à 2014 et où réside sa copine.

C’est, dès lors, par rapport à la province de … que le tribunal effectuera son analyse.

Dans le rapport intitulé « Country Guidance : Afghanistan », précité, qui couvre la période du 1er janvier 2018 au 28 février 2019, l’EASO retenait que la province de …, en ce compris la ville de …, ferait partie des « (…) Provinces where indiscriminate violence is taking place, however not at a high level and, accordingly, a higher level of individual elements is required in order to show substantial grounds for believing that a civilian, returned to the territory, would face a real risk of serious harm within the meaning of Article 15(c) QD.

(…) ».12 Le rapport, plus récent, de l’EASO de septembre 2020, intitulé « Afghanistan – Security situation », ne remet pas en cause cette conclusion. En effet, s’il y est précisé que les attaques à … n’ont pas cessé, et qu’après avoir diminué lors du dernier trimestre de 2019 et les premiers mois de 2020, elles se seraient intensifiées depuis le deuxième trimestre de 2020, il en ressort néanmoins que celles-ci sont plus particulièrement dirigées contre les départements et les responsables gouvernementaux afghans, les forces de sécurité afghanes et les institutions internationales de haut niveau, tant militaires que civiles, ainsi que contre les juges, les procureurs, les agents de santé, les travailleurs humanitaires et les défenseurs des droits humains. Par ailleurs, l’EASO rapporte une diminution des attaques à grande échelle dans la capitale afghane, qui auraient été remplacées par une augmentation soutenue des assassinats ciblés13. De manière plus générale, concernant la province de …, le rapport sous analyse de l’EASO ne permet pas de conclure à une dégradation de la situation sécuritaire depuis la publication du susdit rapport intitulé « Country Guidance : Afghanistan », qui serait telle que la conclusion y retenue quant aux risques encourus par les civils dans cette province ne serait plus valable. Le rapport en question fait, au contraire, état d’une diminution du nombre de victimes civiles en 2019 (1.563)14 par rapport à 2018 (1.866)15, étant précisé que le nombre de victimes civiles au cours de la première moitié de l’année 2020 (338)16, tel que relaté par le rapport en question, ne correspond qu’à 22 % du nombre total de victimes civiles de l’année 2019, même s’il ressort également dudit rapport, d’une part, que la province de … a subi le plus grand nombre de victimes civiles à l’échelle du pays (208) au premier trimestre de 2020, ce qui représente l’augmentation la plus importante de tout le pays (151 %) par rapport au dernier trimestre de 201917, et, d’autre part, qu’au deuxième trimestre de 2020, … était l’une des trois provinces, avec Nangarhar et Ghazni, qui ont connu le plus grand nombre de victimes civiles à l’échelle du pays18.

Le tribunal relève ensuite qu’en décembre 2020, l’EASO a publié une version actualisée de sa « Country Guidance », couvrant la période du 1er mars 2019 au 30 juin 2020 et confirmant la conclusion dégagée dans la version antérieure dudit rapport quant aux risques encourus par les civils dans la province de ….

12 EASO, « Country Guidance: Afghanistan », juin 2019, p. 29 et p. 102.

13 EASO, « Afghanistan – Security situation », publié en septembre 2020, pages 60-62.

14 EASO, « Afghanistan – Security situation », publié en septembre 2020, p.166.

15 EASO, « Country Guidance: Afghanistan », juin 2019, p. 101.

16 EASO, « Afghanistan – Security situation », publié en septembre 2020, p.166.

17 Ibid..

18 Ibid..

19Par ailleurs, le tribunal constate qu’il ne s’est pas vu soumettre d’éléments probants dont il se dégagerait qu’au cours de la période postérieure au 30 juin 2020, la situation sécuritaire à … ait connu une dégradation telle que cette conclusion dégagée par l’EASO ne serait plus valable. Si l’article publié le 25 janvier 2021 sur le site internet « www.rtbf.be », intitulé « Afghanistan : vers un retour au pouvoir des Talibans ? », fait état d’une recrudescence de la violence en Afghanistan depuis septembre 2020, il s’en dégage également qu’il s’agit essentiellement d’attaques ciblées visant notamment des journalistes, des politiques, des juges et des activistes.

Ainsi, le tribunal retient, sur base des éléments soumis à son appréciation, d’une part, que la simple présence d’un civil sur le territoire de la province de …, en ce compris la ville de …, n’est pas suffisante pour établir un risque réel d’y subir des atteintes graves, au sens de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, et, d’autre part, que le degré de violence aveugle y régnant n’atteint pas un niveau très élevé, de sorte qu’un niveau plus élevé d’éléments individuels est requis pour démontrer qu’il existe des motifs sérieux de croire qu’un civil, renvoyé sur le territoire de cette province, courrait un risque réel d’y subir de telles atteintes graves.

Par conséquent, le tribunal se doit d’examiner la question de savoir si le demandeur se trouve dans les conditions de la seconde hypothèse visée dans l’arrêt Elgafaji et s’il est dès lors « (…) apte à démontrer qu’il est affecté spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle (…) » par un risque réel résultant de la violence aveugle régnant dans la province de …, tenant compte du degré de celle-ci.

La CJUE n’a pas précisé la nature de ces « éléments propres à la situation personnelle du demandeur » qui pourraient être pris en considération dans cette hypothèse. Toutefois, il doit découler du principe de l’autonomie des concepts affirmé par la CJUE, tout comme d’ailleurs de la nécessité d’interpréter la loi de manière à lui donner une portée utile, que ces éléments ne peuvent pas être de la même nature que ceux qui interviennent dans le cadre de l’évaluation de l’existence d’une crainte avec raison d’être persécuté au sens de l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 ou du risque réel de subir des atteintes graves, au sens de l’article 48 a) et b) de la même loi. Les éléments propres à la situation personnelle des demandeurs, au sens de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, sont donc des circonstances qui ont pour effet qu’ils encourent un risque plus élevé qu’une autre personne d’être victimes d’une violence indiscriminée, alors même que celle-ci ne les cible pas pour autant plus spécifiquement que cette autre personne. Tel pourrait ainsi, par exemple, être le cas lorsqu’une vulnérabilité accrue, une localisation plus exposée ou une situation socio-économique particulière ont pour conséquence que le demandeur encourt un risque plus élevé que d’autres civils de voir sa vie ou sa personne gravement menacée par la violence aveugle19. La question qui se pose est, dès lors, celle de savoir si le demandeur peut démontrer qu’il existe dans son chef des circonstances personnelles minimales ayant pour effet d’augmenter la gravité de la menace résultant de la violence indiscriminée qui règne dans la province de …, en ce compris dans la capitale, de sorte que bien que cette violence n’atteigne pas un degré tel que tout civil encourrait du seul fait de sa présence sur place un risque réel de subir une menace grave pour sa vie ou sa personne, il faudrait considérer qu’un tel risque réel existe néanmoins dans son chef.

Au vu des développements du demandeur à l’appui de sa demande de protection internationale, il échet de constater que tel n’est pas le cas en l’espèce. En effet, le demandeur, qui dispose d’un niveau d’éducation assez élevé, en ce qu’il est titulaire d’un diplôme en droit, 19 Conseil du Contentieux des Etrangers, arrêt du 13 août 2020, n° 239678 du rôle, disponible sur www.rvv-cce.be.

20qui est apte à s’adonner à une activité rémunérée, qui peut se prévaloir d’expériences professionnelles dans des domaines variés, tels que l’enseignement, le bâtiment, la bijouterie et la fabrication de tapis, et dont la copine réside à …, est resté en défaut de soumettre au tribunal des éléments qui permettraient de conclure qu’il courrait un risque plus élevé qu’une autre personne afghane d’être victime d’atteintes graves en Afghanistan et qui seraient différents des éléments intervenant dans le cadre de l’évaluation de l’existence d’une crainte avec raison d’être persécuté, au sens de l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, ou du risque réel de subir des atteintes graves, au sens de l’article 48 a) et b) de la même loi, ces derniers éléments ayant été toisés ci-avant.

Au vu de ces éléments, le tribunal est amené à conclure que le demandeur ne remplit pas les critères prévus à l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015.

Le ministre a, dès lors, valablement pu rejeter la demande de protection subsidiaire de l’intéressé.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé de faire droit à la demande de protection internationale de Monsieur …, de sorte que le recours en réformation sous analyse encourt le rejet.

2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant la réformation de pareil ordre a valablement pu être introduit en l’espèce, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.

Le demandeur sollicite en premier lieu la réformation de l’ordre de quitter le territoire en tant que conséquence de la réformation de la décision de rejet de sa demande de protection internationale.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen.

Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « (…) Une décision du ministre vaut décision de retour (…) », cette dernière notion étant définie par l’article 2 q) de la même loi comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire », étant encore relevé, à cet égard, que si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Or, dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le recours en réformation dirigé contre le refus d’une protection internationale est à rejeter, de sorte qu’un retour de Monsieur … dans son pays d’origine ne l’expose ni à des actes de persécution ni à des atteintes graves, le ministre a a priori valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

En outre, le demandeur fait plaider que l’ordre de quitter le territoire violerait l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, 21ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », en donnant à considérer qu’un retour en Afghanistan l’exposerait à des menaces graves et individuelles contre sa vie et sa personne.

Le délégué du gouvernement conclut également au rejet de ce moyen.

Il convient de rappeler que si l’article 3 de la CEDH, auquel renvoie l’article 129 de la loi du 29 août 2008 – qui est applicable à la décision de retour découlant d’une décision de rejet d’une demande de protection internationale, conformément à l’article 34 (2), alinéa 3 de la loi du 18 décembre 2015 –, proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.

En effet, si une mesure d’éloignement – telle qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé au demandeur pour quitter le Luxembourg – relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à l’article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose un problème de conformité à la CEDH, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la CEDH d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.

Cependant, dans ce type d’affaires, la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La CourEDH recherche donc s’il existe un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.

Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.

Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour en Afghanistan, le tribunal a conclu ci-avant à l’absence, dans le chef du demandeur, de tout risque réel et actuel de subir des atteintes graves, au sens de l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, de sorte qu’il ne saurait se départir de cette conclusion à ce niveau-ci de son analyse.

Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH,20 le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi du demandeur dans son pays d’origine soit dans ces circonstances incompatible avec l’article 3 de la CEDH, de sorte que le moyen tiré de la violation de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 encourt le rejet.

20 CourEDH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2003, pt. 59.

22Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 28 mai 2020 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 28 mai 2020 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, premier vice-président, Hélène Steichen, premier juge, Daniel Weber, premier juge, et lu à l’audience publique du 12 juillet 2021 par le premier vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14 juillet 2021 Le greffier du tribunal administratif 23


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 44743
Date de la décision : 12/07/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-07-12;44743 ?

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