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12/07/2021 | LUXEMBOURG | N°44870

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 juillet 2021, 44870


Tribunal administratif N° 44870 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 août 2020 2e chambre Audience publique du 12 juillet 2021 Recours formé par Madame …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44870 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 août 2020 par Maître Katy Demarche, avocat à la Cour, in

scrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née … à … (Camer...

Tribunal administratif N° 44870 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 août 2020 2e chambre Audience publique du 12 juillet 2021 Recours formé par Madame …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44870 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 août 2020 par Maître Katy Demarche, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née … à … (Cameroun), de nationalité camerounaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 21 avril 2020 portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 octobre 2020 ;

Vu l’article 1er de la loi du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu la communication de Maître Katy Demarche du 23 février 2021 informant le tribunal que l’affaire pouvait être prise en délibéré en dehors de sa présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Sarah Ernst en sa plaidoirie à l’audience publique du 1er mars 2021.

Le 17 juin 2019, Madame … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. » 1 Les déclarations de Madame … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent du service de police judiciaire de la police grand-ducale, section …, dans un rapport du même jour.

Toujours le 17 juin 2019, elle passa un entretien auprès du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

Les 21 octobre et 18 novembre 2019, elle fut entendue par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 21 avril 2020, notifiée à l’intéressée par courrier recommandé expédié le 24 avril 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Madame … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée. La décision, qui comporte encore un ordre de quitter le territoire dans un délai de trente jours à son égard, est libellée de la façon suivante :

« (…) J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 17 juin 2019 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Vous êtes accompagnée de votre enfant mineure …, née le … à … en Belgique, de nationalité camerounaise.

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 17 juin 2019, le rapport d’entretien Dublin III du 17 juin 2019, le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 21 octobre et du 18 novembre 2019 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l’appui de votre demande de protection internationale.

Madame, il résulte de vos déclarations que vous seriez née dans la ville « … », à l’extrême-

nord du Cameroun et que vous auriez vécu dans le département du « … » dans la commune « … » à proximité de la frontière avec le Nigéria. Vous y auriez vécu avec votre époux …, ses deux autres femmes … et … et le cousin de votre époux ….

2 Vous déclarez avoir quitté votre pays d’origine parce qu’en janvier 2015 à l’âge de 17 ans, vous auriez été forcée de vous marier à un « homme polygame et âgé » par votre oncle qui serait devenu chef de famille après le décès de votre père (p.7/20 du rapport d’entretien). Vous auriez refusé le rapport sexuel avec votre époux, raison pour laquelle ce dernier vous aurait frappée et abusé sexuellement de vous. Vous seriez amoureuse d’…, le cousin de votre mari, et auriez entretenu une relation intime avec ce dernier, ce que votre époux n’aurait jamais découvert. Vous seriez tombée enceinte et votre fils … serait né le …. Deux mois après sa naissance, votre époux aurait décidé « qu’il allait donner notre enfant à ma mère » (p.9/20 du rapport d’entretien), et ce sans justification aucune.

Par la suite, votre époux vous aurait emmenée ainsi que ses deux autres femmes à la brousse pendant environ deux années. Vous auriez fait l’aller-retour régulièrement entre la brousse et votre maison. Vous indiquez que « C’est là-bas [Rem.: dans la brousse] que j’ai appris qu’il était avec les gens de Boko Haram » (p.9/20 du rapport d’entretien). Vous y auriez été chargée d’observer les maisons afin de recenser le nombre d’habitants. Les hommes de « Boko Haram » se seraient par la suite infiltrés dans ces maisons « pour les convaincre à ces gens de devenir Musulmans et ils sont revenus avec les filles des maisons ainsi qu’avec les mamans avec des bébés » (p.9/20 du rapport d’entretien). Vous auriez été témoin du fait que des hommes qui se seraient opposés auraient été égorgés et de l’islamisation et du mariage forcé des filles enlevées.

Vous auriez dû apprendre le maniement d’armes, mais vous n’auriez jamais réussi à fusiller une autre personne.

Vous auriez pensé à contacter la police « pour leur indiquer pour aller aider les autres », mais le cousin de votre époux vous aurait déconseillé de les dénoncer et aurait dit que « la police pourrait me garder pendant un certain temps pour faire les enquêtes ; que la police allait m’emmener en brousse pour que je leur indique les endroits où sont cachés les Boko Haram » (p.11/20 du rapport d’entretien). De ce fait, vous n’auriez pas porté plainte auprès de la police contre les faits criminels de votre époux.

Vous auriez quitté votre pays d’origine en mai 2018 accompagnée du cousin de votre époux en direction de la Guinée Equatoriale. Vous y auriez séjourné pendant trois semaines chez une femme dénommée « … » qui vous aurait par la suite accompagnée en Espagne par avion. Vous auriez voyagé avec un faux passeport, munie d’un visa « Schengen » valable du 20 mai 2018 jusqu’au 20 juin 2018 établi par les autorités espagnoles en Guinée Equatoriale. Après avoir passé la nuit en Espagne vous seriez arrivée en Belgique en juin 2018 et seriez restée à Bruxelles jusqu’en juin 2019, donc une année. Vous y auriez été hébergée dans un centre du « Samusocial », un « dispositif urbain d’urgence sociale et de lutte contre l’exclusion. Nos équipes se portent à la rencontre des personnes sans-abri en détresse dans les rues de la ville pour leur offrir une aide d’urgence (hébergement, soins médicaux, accompagnement psychosocial, repas, douche) » et y auriez eu un enfant. Vous auriez quitté Bruxelles parce qu’« il y avait beaucoup de gens de mon pays » (p.6/20 du rapport d’entretien) et « J’avais peur que quelqu’un connaisse mon oncle et Bruxelles n’est pas si grand » (p.18/20 du rapport d’entretien) et seriez venue au Luxembourg.

Vous présentez les documents suivants :

- Votre carte d’identité, 3 - Votre acte de naissance et la copie de celui de votre fille, - Une attestation « pour obtenir l’indemnité de grossesse et/ou de repos postnatal » émis par la ville de Bruxelles, - La carte de vaccination incomplète de votre fille émise par la ville de Bruxelles, - Un avis aux parents et aux personnes qui ont la garde d’enfants en bas âge sur la « Vaccination antipoliomyélitique » émis par la ville de Bruxelles.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

Madame, il faut d’abord soulever que votre comportement depuis votre départ du Cameroun est incompatible avec celui d’une personne réellement à la recherche d’une protection dans un pays sûr.

Vous seriez venue au Luxembourg après avoir séjourné en Belgique pendant environ une année et après y avoir eu un enfant. En effet, le fait que vous n’auriez introduit une demande de protection internationale que plus d’une année après avoir quitté votre pays d’origine est manifestement de nature à mettre en doute la gravité de votre situation dans votre pays d’origine, alors qu’il est légitime d’attendre d’une personne se sentant réellement persécutée qu’elle introduise une telle demande dès qu’elle a l’occasion de le faire, c’est-à-dire dans le premier pays sûr rencontré et dans les délais les plus brefs, ce qui n’a manifestement pas été votre cas.

Un tel comportement est incompatible avec un réel besoin de protection.

• Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l’article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.

4 Vous déclarez que votre oncle vous aurait mariée sans votre consentement à un homme.

Force est de constater que ce fait n’est pas lié à votre race, votre religion, votre nationalité, votre appartenance à un groupe social particulier ou vos opinions politiques de sorte qu’il convient de conclure que ce motif n’entre pas dans le champ d’application de la Convention de Genève.

De plus, il s’impose de porter votre attention aux dispositions relatives au mariage forcé prévues dans le cadre légal camerounais. L’article 52 du code civil camerounais énonce ce qui suit à propos des conditions pour contracter un mariage: « Aucun mariage ne peut être célébré :

si la fille est mineure de 15 ans ou le garçon mineur de 18 ans, sauf dispense accordée par le président de la République pour motif grave; s’il n’a été précédé de la publication d’intention des époux de se marier; si les futurs époux sont de même sexe; si les futurs époux n’y consentent pas ».

Le gouvernement camerounais interdit donc clairement l’arrangement de mariages forcés.

L’article 356 du code pénal camerounais prévoit des peines de prison et des amendes et dispose que « 1. Est puni d’un emprisonnement de cinq à dix ans et d’une amende de 25 000 à 1 000 000 francs [47 (XE 22 août 2012a) à 188 dollars canadiens (ibid. 22 août 2012b)] celui qui contraint une personne au mariage. 2. Lorsque la victime est une mineure de dix-huit ans, la peine d’emprisonnement, en cas d’application des circonstances atténuantes, ne peut être inférieure à deux ans. 3. Est puni des peines prévues aux deux alinéas précédents, celui qui donne en mariage une fille mineure de quatorze ans ou un garçon mineur de seize ans ».

Il ressort de ces informations que selon la loi camerounaise, vous auriez pu refuser le mariage, respectivement obtenir une protection en vous adressant aux autorités.

A cela s’ajoute que vous auriez pu vous adresser à diverses organisations non gouvernementales pour trouver de l’aide dans ce contexte: Parmi les ONG qui viennent en aide à ces filles et femmes, on peut citer « Child Care Cameroon », « Plan » et l’« Association de lutte contre les violences faites aux femmes », qui « milite pour l’élimination de toutes formes de violence physique, sexuelle ou morale envers les femmes et les filles, dans leur vie privée ou publique ».

Notons qu’il y a la possibilité pour les femmes de vivre seules dans les grandes villes du Cameroun, comme à Yaoundé ou à Douala. Quand bien même les femmes seules pourraient être considérées comme des femmes de « mauvaise réputation », elles peuvent néanmoins vivre indépendamment: « D’après la coordinatrice de l’ALVF [Rem.: Association de lutte contre les violences faites aux femmes], au Cameroun, il y a des femmes qui vivent seules même dans des régions « à fort attachement culturel, où les traditions et la religion ont une forte influence », comme la région de l’Extrême-Nord ; la coordinatrice a ajouté que le niveau d’éducation et les statuts social et religieux d’une femme qui vit seule influencent « fortement » la façon dont la société la considère ».

Partant, notons qu’il n’existe aucun risque futur dans votre chef de devenir victime d’une persécution.

5 Madame, vous déclarez que votre époux aurait fait partie du groupement terroriste « Boko Haram » et que vous auriez été chargée d’observer les maisons afin de recenser le nombre d’habitants et que vous auriez été témoin de divers délits. Or, il convient de retenir que les faits évoqués ne sauraient justifier l’octroi du statut de réfugié, alors qu’ils ne répondent à aucun des critères prévus par la Convention de Genève et la Loi de 2015, qui prévoient une protection à toute personne persécutée dans son pays d’origine à cause de sa race, sa nationalité, sa religion, son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.

Notons que vous vous êtes rendue coupable d’infraction en participant aux activités d’un groupement terroriste. De plus, il convient de noter que vous n’avez aucunement tenté de dénoncer ces faits aux autorités.

Notons dans ce contexte que « Countering terrorist threats remained a top security priority for the Cameroonian government, which continued to work with the United States to improve the capacity of its security forces » et que « France, the United States, the United Kingdom, and Germany are Cameroon’s principal partners, primarily in the context of operations to counter Boko Haram in the country’s Far North region. Both France and the US provide Cameroon with significant military and security assistance and training ».

De plus, notons que le gouvernement camerounais coopère activement avec le Niger, le Nigéria et le Tchad dans la région du Lac Tchad afin de contrer la menace de « Boko Haram ».

Précisons que « The Chadian government operated at a heightened level of security and has instituted screenings at border-crossings to prevent infiltration by members of Boko Haram […] Border patrols were provided by a combination of border security officials, gendarmes, police, and military […] Tchad had cooperated actively with Cameroon, Niger, and Nigeria in operations to counter the threat of Boko Haram and ISIS-WA on its borders ».

A cela s’ajoute que le gouvernement camerounais a mis en place plusieurs mesures pour contrer la menace de « Boko Haram », entre autres des « comités de vigilance » : « 14.000 personnes [sont] membres des comités de vigilance. Ils jouent un rôle essentiel dans la lutte contre Boko Haram, renseignent les forces de défense et servent d’éclaireurs ». De plus, « Ils affrontent parfois directement le mouvement jihadiste et protègent les communautés, notamment contre les attentats-suicides ».

Notons aussi que « Cameroon has deployed two military operations, namely Operation EMERGENCE 4 made up of units of the regular army and Operation ALPHA comprising of units of the Rapid Intervention Battalion (BIR), the elite corps of the Cameroonian army ».

Le fait que vous auriez toujours craint des représailles de la part de « Boko Haram » après votre fuite de votre lieu de séjour, malgré le constat que « le conflit entre les forces de sécurité camerounaises et Boko Haram baisse en intensité dans l’Extrême-Nord du Cameroun […] et Boko Haram est aujourd’hui un mouvement affaibli […] Ses opérations se limitent de plus en plus à des attaques de basse intensité, à la pose d’engins explosifs et à des attentats-suicides, qui échouent la plupart du temps », traduit donc un sentiment général d’insécurité et non une réelle crainte de persécution. Or, un simple sentiment d’insécurité, qui n’est basé sur aucun fait réel ou probable 6 ne saurait cependant constituer une persécution au sens de la Convention de Genève.

A cela s’ajoute qu’il convient de constater qu’il n’existe aucun risque futur de persécution au Cameroun puisqu’aujourd’hui vous êtes majeure et donc parfaitement capable de vous installer dans une autre partie de votre pays d’origine pour être à l’abri de représailles de « Boko Haram », vu que « Boko Haram » n’agit qu’à l’extrême-nord du pays.

Il convient de rappeler que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission d’actes de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain degré de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’une infraction, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Or, tel n’est manifestement pas le cas en l’espèce.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous auriez été persécutée, que vous auriez pu craindre d’être persécutée respectivement que vous risquez d’être persécutée en cas de retour dans votre pays d’origine, de sorte que le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

• Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.

L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

En l’espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande de reconnaissance du statut du réfugié. En effet, vous indiquez que vous auriez quitté le Cameroun et introduit une demande de protection internationale au Luxembourg parce que vous auriez été 7 forcée à travailler pour « Boko Haram » et parce que vous auriez été mariée de force.

A cet égard, il est utile de rappeler que vous auriez pu requérir la protection des autorités camerounaises. A cela s’ajoute qu’il convient de constater qu’aujourd’hui vous êtes majeure et donc parfaitement capable de vous installer dans une autre partie de votre pays d’origine, comme Yaoundé ou Douala, pour être à l’abri de représailles de « Boko Haram » et aussi de votre oncle.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément crédible de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 précité, de sorte que le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

3. Quant à la fuite interne En vertu de l’article 41 de la Loi de 2015, le Ministre peut estimer qu’un demandeur n’a pas besoin de protection internationale lorsque, dans une partie du pays d’origine, il n’y a aucune raison de craindre d’être persécuté ni aucun risque réel de subir des atteintes graves et qu’il est raisonnable d’estimer que le demandeur peut rester dans cette partie du pays.

Ainsi, la conséquence d’une fuite interne présume que le demandeur puisse mener, dans une autre partie de son pays d’origine, une existence conforme à la dignité humaine. Selon les lignes directrices de l’UNHCR, l’alternative de la fuite interne s’applique lorsque la zone de réinstallation est accessible sur le plan pratique, sur le plan juridique, ainsi qu’en termes de sécurité.

En l’espèce, il ressort à suffisance de vos dires que vous n’auriez pas tenté de vous réinstaller dans une autre ville ou région de votre pays d’origine au motif que « Boko Haram a été envoyé dans la zone chez nous. Quand je me suis enfuie, c’est le cousin qui a eu l’idée de m’emmener en Guinée pour venir ici » p.18/20 du rapport d’entretien).

Or, ces motifs ne constituent pas un obstacle à une réinstallation dans votre pays d’origine.

Ainsi, vous auriez pu vous installer à Yaoundé, la capitale du Cameroun, ou à Douala, ville portuaire, la capitale économique du Cameroun, le principal centre d’affaires et la plus grande ville avec Yaoundé, au lieu de vous enfuir en direction de l’Europe. A cela s’ajoute que l’économie camerounaise, qui est la plus diversifiée de la région, a connu ces dernières années des taux de croissance au-delà des 4%, il convient donc de souligner qu’étant votre âge et votre parfaite condition pour vous adonner à des activités rémunérées, vous êtes dans une position qui pourrait vous permettre à gagner votre vie dans une ville camerounaise, en particulier à Yaoundé.

Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

8 Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination du Cameroun, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisée à séjourner. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 21 août 2020, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation, d’une part, de la décision du ministre du 21 avril 2020 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et, d’autre part, de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 21 avril 2020 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 21 avril 2020, telle que déférée, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, en réitérant, en substance, ses déclarations actées lors de ses auditions par un agent du ministère.

En droit, elle réfute l’argumentation du ministre selon laquelle son comportement, consistant en le fait de n’avoir déposé sa demande de protection internationale au Luxembourg que plus d’un an après avoir quitté son pays d’origine, après un séjour en Belgique, serait incompatible avec celui d’une personne réellement à la recherche d’une protection dans un pays sûr. A cet égard, elle insiste sur le fait qu’elle aurait dû fuir un danger pour sa personne émanant d’un groupe islamiste dangereux et puissant, tout en soulignant qu’elle n’aurait pas été informée de la possibilité de l’introduction d’une demande de protection internationale en Belgique.

Par ailleurs, elle soutient qu’elle remplirait l’ensemble des conditions d’octroi du statut de réfugié, telles que prévues par la loi du 18 décembre 2015 et par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés.

S’il est certes exact que le mariage forcé serait interdit au Cameroun, elle ne se serait néanmoins pas renseignée, à l’époque de son mariage, « (…) sur les modalités pour faire refuser un tel mariage par les autorités de son pays (…) ». Dans ce contexte, la demanderesse souligne que lors de son mariage, elle aurait encore été jeune, aurait pensé pouvoir continuer sa scolarité et aurait « (…) vécu dans sa bulle (…) ». Elle aurait refusé son mariage, mais sa mère ne l’aurait pas soutenue et son oncle serait un homme autoritaire, auquel elle n’aurait pas pu s’opposer. Elle n’aurait pas été informée de la possibilité de demander de l’aide auprès d’organisations non gouvernementales et elle n’aurait pu s’enfuir, étant donné qu’elle n’aurait pas su où aller. La demanderesse souligne encore qu’elle proviendrait d’un « (…) village traditionnel dans lequel les autorités [n’auraient] pas d’influence sur les pratiques musulmanes non évoluées de sorte[…] que 9 la mentalité des esprits des habitants [serait] préservée de la connaissance des lois du pays en continuant les pratiques transmises de père en fils (…) ».

La demanderesse insiste ensuite sur le fait que suite à son mariage forcé, elle se serait retrouvée sous l’emprise du groupe islamiste « Boko Haram », dont les membres pilleraient les villages, tueraient les hommes et certains enfants, et enlèveraient les femmes pour les convertir à l’Islam, les marier, les violer, les maltraiter et en faire leurs esclaves.

Elle fait valoir, en substance, qu’elle aurait fait état d’une crainte fondée d’être persécutée du fait de ses opinions politiques, en soulignant que « Boko Haram » serait un groupe islamiste qui entendrait appliquer sa politique par la force, en soumettant toute personne rencontrée. Dans ce contexte, la demanderesse précise qu’elle aurait été violée à maintes reprises par son mari, afin qu’elle soit soumise et exécute les ordres lui donnés. Elle aurait été considérée comme une esclave, et non pas comme un participant aux activités d’un groupement terroriste.

La demanderesse ajoute qu’il se dégagerait d’un article du journal « Le Monde » qu’au nord de son pays d’origine, les autorités camerounaises seraient impuissantes face aux agissements de « Boko Haram », qui continuerait de faire régner la terreur en tuant tous ceux qui ne se soumettraient pas à leurs pratiques.

En soulignant qu’en cas de retour dans son pays d’origine, elle risquerait de faire l’objet de représailles de la part de son oncle et de membres du susdit groupe terroriste, Madame … conclut qu’elle prétendrait à juste titre au statut de réfugié.

A l’appui de sa demande de protection subsidiaire, la demanderesse invoque, en substance, les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de sa demande d’octroi du statut de réfugié, en insistant sur le fait que les autorités de son pays d’origine ne pourraient lui accorder une protection appropriée par rapport aux agissements de « Boko Haram ».

Par ailleurs, elle conteste toute possibilité de fuite interne, en faisant valoir qu’elle n’aurait pu s’installer dans une autre partie de son pays d’origine, ni dans un autre pays africain, au motif, en substance, qu’en Afrique, le danger émanant de groupes islamistes serait omniprésent et que les autorités étatiques ne pourraient accorder une protection appropriée à la population. En outre, elle aurait été une esclave de « Boko Haram » et si « (…) l’un des survivants (…) » la reconnaissait, elle risquerait d’être malmenée tant par la population que par les membres de ce groupe.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

En vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme « (…) tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du 10 fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 g) de la loi 18 décembre 2015 comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».

Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :

« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves, au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :

11 « (…) a) l’Etat;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».

Aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

12 A l’appui de sa demande de protection internationale, la demanderesse invoque le fait d’avoir été mariée de force à un membre de « Boko Haram », qui l’aurait violée à maintes reprises et l’aurait forcée à participer à des exactions de ce groupe, ainsi que sa crainte de subir des représailles de la part de son oncle, respectivement de membres du susdit groupe islamiste, en cas de retour dans son pays d’origine.

Force est au tribunal de constater que la participation forcée de la demanderesse aux agissements de « Boko Haram », ainsi que les actes de ce groupe islamiste auxquels elle craint d’être exposée en cas de retour au Cameroun constituent des faits à caractère purement local, Madame … n’ayant pas produit d’éléments probants permettant de remettre en cause les explications fournies par la partie étatique, sources à l’appui, selon lesquelles dans son pays d’origine, « Boko Haram » n’agit que dans la région de l’Extrême-Nord.

C’est, dès lors, à juste titre que le ministre a évoqué la possibilité pour la demanderesse de recourir à une fuite interne.

Sur ce point, l’article 41 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « 1) Dans le cadre de l’évaluation de la demande de protection internationale, le ministre peut estimer qu’un demandeur n’a pas besoin de protection internationale lorsque, dans une partie du pays d’origine, a) il n’a pas une crainte fondée d’être persécuté ou ne risque pas réellement de subir des atteintes graves; ou b) il a accès à une protection contre les persécutions ou les atteintes graves au sens de l’article 40 et qu’il peut, en toute sécurité et en toute légalité, effectuer le voyage vers cette partie du pays et obtenir l’autorisation d’y pénétrer et que l’on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’il s’y établisse.

(2) Lorsqu’il examine si un demandeur a une crainte fondée d’être persécuté ou risque réellement de subir des atteintes graves, ou s’il a accès à une protection contre les persécutions ou les atteintes graves dans une partie du pays d’origine conformément au paragraphe (1), le ministre tient compte, au moment où il statue sur la demande, des conditions générales dans cette partie du pays et de la situation personnelle du demandeur, conformément à l’article 37. A cette fin, le ministre veille à obtenir des informations précises et actualisées auprès de sources pertinentes, telles que le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et le Bureau européen d’appui en matière d’asile. ».

Ainsi, une possibilité de fuite interne ne saurait être considérée comme donnée que si, dans une partie du pays d’origine, le demandeur de protection internationale n’a pas une crainte fondée d’être persécuté ou ne risque pas réellement de subir des atteintes graves, ou bien si, dans une partie du pays d’origine, il a accès à une protection contre les persécutions ou les atteintes graves, à condition qu’il puisse effectuer le voyage vers cette partie du territoire en toute sécurité et légalité et qu’il puisse raisonnablement s’y établir. Il appartient dès lors au ministre d’identifier une zone sûre, accessible tant en pratique que légalement pour le demandeur, en tenant compte du profil de la personne concernée, étant en tout état de cause souligné qu’il incombe au ministre, sinon de prouver positivement l’absence de tout risque, respectivement l’accès à une protection suffisante, du moins d’examiner et d’énoncer de manière plausible pour quelles raisons il estime devoir et 13 pouvoir, dans le contexte et pour les causes visées à l’article 41 de la loi du 18 décembre 2015, refuser la protection internationale. Le ministre ne peut pas s’emparer d’un défaut par le demandeur d’établir 1’impossibilité de la fuite interne, mettant ainsi la charge de la preuve du côté du demandeur de protection internationale.

En l’espèce, le tribunal retient que c’est à bon droit que la partie étatique soutient que la demanderesse, majeure d’âge et physiquement apte à s’adonner à une activité rémunérée, peut se mettre à l’abri des agissements de « Boko Haram » et d’une éventuelle participation forcée à de tels actes, en s’installant dans une autre région camerounaise, et notamment à Yaoundé ou encore à Douala, où ce groupe islamiste ne sévit pas.

La conclusion selon laquelle la demanderesse peut recourir à une fuite interne n’est pas énervée par l’argumentation non autrement étayée de Madame … selon laquelle en Afrique, le danger émanant de groupes islamistes serait omniprésent, ni par ses développements selon lesquels elle risquerait d’être malmenée tant par la population locale que par les membres de « Boko Haram », si « (…) l’un des survivants (…) » la reconnaissait en sa qualité d’ancienne esclave de ce groupe islamiste, le risque ainsi invoqué étant purement hypothétique, à défaut d’autres éléments.

Les craintes de la demanderesse en relation avec « Boko Haram » ne sont, au vu des considérations qui précèdent, pas de nature à justifier l’octroi d’une protection internationale.

Quant au mariage forcé de la demanderesse et aux viols subis par elle au cours de son mariage, le tribunal relève que Madame … n’est pas obligée de retourner vivre auprès de son époux, la demanderesse pouvant, en effet, s’installer, notamment, à Douala ou à Yaoundé, dans le cadre d’une fuite interne, tel que relevé ci-avant, étant encore précisé qu’il ressort des recherches ministérielles qu’au Cameroun, les mariages forcés sont interdits et que leur arrangement constitue une infraction pénale, de sorte qu’à défaut d’éléments de preuve contraires, la demanderesse peut obtenir une protection étatique contre d’éventuelles agressions sexuelles de la part de son époux.

Il s’ensuit que si les actes vécus par la demanderesse en tant que victime d’un mariage forcé sont certes d’une gravité indéniable, ils ne sont néanmoins pas non plus de nature à justifier l’octroi, à Madame …, d’un statut de protection internationale.

La même conclusion s’impose quant à la crainte de la demanderesse de subir des représailles de la part de son oncle, en cas de retour au Cameroun, compte tenu, d’une part, de la possibilité de Madame … d’opter pour une fuite interne, notamment, à Yaoundé ou à Douala et, d’autre part, du fait que la crainte en question est purement hypothétique pour ne pas être étayée par un quelconque élément concret.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé de faire droit à la demande de protection internationale de Madame …, de sorte que le recours en réformation sous analyse encourt le rejet.

2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire 14 Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant la réformation de pareil ordre a valablement pu être introduit en l’espèce, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.

La demanderesse sollicite la réformation de l’ordre de quitter le territoire en tant que conséquence de la réformation de la décision de rejet de sa demande de protection internationale.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen.

Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le recours en réformation dirigé contre le refus d’une protection internationale est à rejeter, le ministre a valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

En l’absence d’autres moyens, le tribunal ne saurait remettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de l’ordre de quitter le territoire, de sorte que le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 21 avril 2020 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 21 avril 2020 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais et dépens.

15 Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, premier vice-président, Daniel Weber, premier juge, Michèle Stoffel, premier juge, et lu à l’audience publique du 12 juillet 2021 par le premier vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 12 juillet 2021 Le greffier du tribunal administratif 16


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 44870
Date de la décision : 12/07/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-07-12;44870 ?

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