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12/07/2021 | LUXEMBOURG | N°44884

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 juillet 2021, 44884


Tribunal administratif N° 44884 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 août 2020 2e chambre Audience publique du 12 juillet 2021 Recours formé par Madame …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44884 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 août 2020 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la

Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … ...

Tribunal administratif N° 44884 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 août 2020 2e chambre Audience publique du 12 juillet 2021 Recours formé par Madame …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44884 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 août 2020 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Afghanistan), de nationalité afghane, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 7 août 2020 portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 octobre 2020 ;

Vu l’article 1er de la loi du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu le courrier électronique de Maître Shirley Freyermuth, en remplacement de Maître Ardavan Fatholahzadeh, du 25 février 2021 informant le tribunal que l’affaire pouvait être prise en délibéré en dehors de sa présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Sarah Ernst en sa plaidoirie à l’audience publique du 1er mars 2020.

Le 19 mars 2019, après avoir obtenu une autorisation de séjour temporaire dans le cadre d’un regroupement familial avec son époux, Monsieur …, un ressortissant afghan bénéficiaire d’une protection internationale et demeurant au Luxembourg, Madame … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. » 1Les déclarations de Madame … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section …, dans un rapport du même jour.

Le 20 mai 2019, elle fut entendue par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 7 août 2020, notifiée à l’intéressée en mains propres le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Madame … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée. La décision, qui comporte encore un ordre de quitter le territoire dans un délai de trente jours à son égard, est libellée de la façon suivante :

« (…) J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 19 mars 2019 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Vous avez introduit votre demande de protection internationale après avoir obtenu une autorisation de séjour temporaire dans le cadre d’une procédure de regroupement familial, votre époux … ayant obtenu une protection internationale en date du 1er octobre 2018.

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-

après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 19 mars 2019 et le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 20 mai 2019 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.

Madame, vous déclarez que vous auriez quitté l’Afghanistan à cause de la guerre et à cause de menaces et maltraitances que vous auriez subies de la part de votre oncle et de votre cousin.

Vous précisez que vous auriez quitté l’Afghanistan avec vos parents à l’âge de cinq ou six ans pour vous installer en Iran. Suite au décès de vos parents en 2002/2003, vous auriez été rapatriée en Afghanistan avec votre oncle … et ses deux fils. Une fois arrivée à … en Afghanistan, votre oncle aurait commencé à vous maltraiter et vous aurait brûlée à l’eau chaude. A cela s’ajoute que vous auriez été victime d’abus sexuels par l’un de vos cousins dénommé … pendant une période de 10 à 15 ans.

A l’âge de 17 à 18 ans vous auriez finalement rencontré votre futur époux … à …. Après avoir entretenu une relation secrète pendant un an avec …, il aurait quitté l’Afghanistan en direction de l’Iran. Après un séjour d’un à deux ans en Iran et une brève visite à Kabul, … aurait poursuivi son trajet en direction de l’Europe avec sa famille, où ils se sont installés au Luxembourg. Vous auriez toujours maintenu un contact téléphonique avec … et auriez finalement décidé de vous marier par téléphone. Après que votre oncle aurait été informé par l’imam de ce mariage, il aurait proféré des menaces de mort à votre égard et aurait menacé de vous ramener chez les Talibans.

2 Pour éviter de nouvelles représailles vous vous seriez cachée auprès d’une famille à Kaboul avant de rejoindre votre conjoint au Luxembourg.

Vous présentez un passeport afghan.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l’article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.

Vous déclarez avoir subi des maltraitances et abus sexuels de la part de votre oncle et de votre cousin en Afghanistan lors de votre enfance.

Notons que si ces faits sont certes condamnables, ils ne relèvent toutefois pas du champ d’application de la Convention de Genève, étant donné qu’ils n’ont aucun lien avec vos opinions politiques, votre race, votre religion, votre nationalité ou votre appartenance à un groupe social.

Il n’existe par conséquent dans votre chef aucune persécution, respectivement, crainte de persécution au sens des textes précités.

A cela s’ajoute que ces faits qui se seraient produits pendant votre enfance sont trop éloignés dans le temps pour pouvoir justifier l’octroi d’une protection internationale en 2020.

Quand bien même ces faits seraient liés à l’un des cinq critères susmentionnés, ce qui reste contesté, soulevons que, comme vous le confirmez vous-même, ces attouchements, voire abus sexuels se seraient produits pendant votre enfance. Or, vous êtes dorénavant une femme 3adulte et mariée qui ne vivrait plus sous le même toit que son oncle ou ses cousins de sorte qu’il faut en déduire que ces faits ne feraient non seulement partie du passé mais seraient en plus à percevoir comme étant.

En effet, rappelons que vous précisez qu’avant votre départ pour l’Europe, vous auriez été accueillie par une famille à Kaboul qui vous aurait mise à l’abri à l’encontre de nouvelles représailles de votre famille en vous permettant de séjourner chez elle. Vous ne faites pas état d’un incident concret qui vous serait arrivé pendant votre temps à Kaboul.

De plus, votre situation personnelle aurait donc fondamentalement évolué, alors que vous êtes non seulement majeure, mais que surtout, vous avez aujourd’hui votre propre famille, après vous être prétendument mariée, de sorte que vous ne devriez donc plus jamais retourner vivre seule en Afghanistan auprès de votre oncle et votre cousin.

Ainsi, il ne saurait être question de l’existence dans votre chef d’un risque de devenir à nouveau victime de tels actes de la part de votre oncle et de votre cousin alors que vous n’êtes plus dépendante de ces derniers.

En ce qui concerne votre crainte par rapport à la menace verbale de votre oncle de vous ramener chez les Talibans, notons que cette crainte ne relève pas non plus du champ d’application de la Convention de Genève, étant donné qu’elle n’a aucun lien avec vos opinions politiques, votre race, votre religion, votre nationalité et votre appartenance à un groupe social.

Quand bien même elle aurait un lien avec la Convention de Genève, notons qu’une simple menace qui n’est suivie d’aucun acte concret n’est pas d’une gravité suffisante pour être considérée comme un acte de persécution au sens de la prédite Convention.

Ce constat vaut d’autant plus que vous êtes donc dorénavant majeure et mariée à un homme afghan, de sorte que votre situation personnelle avec votre oncle, respectivement votre relation avec votre oncle a complètement changé. En effet, ce dernier ne pourra manifestement plus décider de votre sort en votre nom en Afghanistan.

Quant à l’insécurité qui règnerait dans votre pays d’origine, notons que vous vous bornez à faire état de considérations générales, peu étayées et dénuées de tout élément personnel et n’apportez aucun fait ou élément concret permettant d’établir que vous seriez à l’avenir personnellement et directement visée à cause de vos opinions politiques, votre race, votre religion, votre nationalité et votre appartenance à un groupe social. Ainsi, il convient de constater que votre crainte est à considérer comme purement hypothétique. Or, de simples craintes hypothétiques ne constituent pas une persécution respectivement une crainte fondée de persécution au sens de la prédite Convention.

A cela s’ajoute que la province de « … has been among the relatively calm provinces in the west of Afghanistan ». Cette amélioration de la situation sécuritaire dans les grands centres urbains peut être expliquée selon le rapport du Secrétaire Général des Nations Unies du 15 juin 2017 par la décision du gouvernement afghan « to focus its resources on defending population centres and disrupting the consolidation of Taliban control over strategic areas. ».

Vous confirmez d’ailleurs aussi avoir résidé à … avant votre départ pour l’Europe où vous auriez été accueillie par une famille non autrement définie. Force est de constater que vous ne faites pas état d’un quelconque incident lié à votre sécurité dans lequel vous auriez été 4impliquée pendant votre séjour à …. Soulevons dans ce contexte que le rapport EASO de juin 2019 précise que: « Although the situation related to settling in the cities of Kabul, Herat and Mazar-e Sharif entails certain hardships, IPA may be reasonable for married couples of working age without children (…).

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous auriez été persécutée, que vous auriez pu craindre d’être persécutée respectivement que vous risquez d’être persécutée en cas de retour dans votre pays d’origine, de sorte que le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.

L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Notons dans ce contexte que vous ne faites pas état au cours de votre entretien de faits qui seraient à qualifier d’atteinte grave au sens des articles précités.

En effet, vous vous bornez à faire état de considérations générales en rapport avec d’éventuels risques dans votre chef en lien avec la présence des Talibans et les affrontements armés dans votre région. Votre crainte est dès lors à considérer comme purement hypothétique.

Ainsi, il convient de conclure qu’il n’existe dans votre chef aucun risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015.

En ce qui concerne les abus et maltraitances subies de la part de votre oncle et votre cousin, notons qu’en tant que femme majeure et ayant sa propre famille vous ne devez plus jamais retourner seule en Afghanistan auprès de votre oncle et votre cousin, de sorte que le risque de devenir victime de nouvelles représailles n’est pas avéré. Ainsi, il ne saurait être question de l’existence dans votre chef d’un risque de devenir à nouveau victime de tels agissements de la part de votre famille alors que vous n’êtes plus dépendante de votre famille.

Votre crainte est dès lors à considérer comme purement hypothétique. Ainsi, il convient de conclure qu’il n’existe dans votre chef aucun risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015.

5Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément crédible de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 précité, de sorte que le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de l’Afghanistan, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisée à séjourner.

(…) Néanmoins, sous réserve de produire les documents requis, je suis disposé à vous accorder une autorisation de séjour en tant que membre de famille et à lever l’ordre de quitter le territoire lorsque la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée. La décision d’octroi éventuel d’une autorisation de séjour sera prise sur base de l’examen des documents produits.

A cette fin, je vous invite à me faire parvenir l’original ou une copie certifiée conforme d’un extrait récent de votre casier judiciaire. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 21 août 2020, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation, d’une part, de la décision du ministre du 7 août 2020 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et, d’autre part, de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

A titre liminaire, le tribunal relève que par courrier électronique du 8 décembre 2020, le délégué du gouvernement a versé trois pièces supplémentaires, à savoir deux arrêts de la Cour nationale du droit d’asile du 19 novembre 2020, portant respectivement les numéros 19009476 et 118054661 du rôle, de même que la première page d’un rapport du « European Asylum Support Office » (« EASO ») de septembre 2020, intitulé « Afghanistan – Security situation ».

Par courriers électroniques des 8 décembre 2020 et 6 janvier 2021, le litismandataire de la demanderesse a invité le délégué du gouvernement à déposer lesdites pièces au greffe du tribunal administratif « (…) selon les règles applicables en la matière (…) », en annonçant son intention de solliciter le rejet de ces pièces, dans l’hypothèse où la partie étatique choisirait de ne pas « (…) régulariser la situation (…) ».

A l’audience publique des plaidoiries du 1er mars 2021, à laquelle le litismandataire de la demanderesse était excusé, le tribunal a invité le délégué du gouvernement à verser les pièces susmentionnées dans leur intégralité par courrier électronique, ce qu’il a fait le même jour, en produisant une version scannée de chacune des pièces concernées.

Ainsi, indépendamment de la question de savoir si des pièces produites par courrier électronique peuvent être considérées comme étant « déposées au greffe », au sens de l’article 8 (3) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », la partie demanderesse a pu 6prendre connaissance de l’intégralité du contenu des pièces en question, et ce au plus tard à la suite du susdit courrier électronique du délégué du gouvernement du 1er mars 2021.

Dans ces circonstances et dans la mesure où il aurait été loisible à la demanderesse de solliciter la rupture du délibéré, si elle avait eu l’intention de prendre position par rapport à ces pièces, ce qu’elle n’a cependant pas fait, le tribunal retient que la production desdites pièces par courrier électronique n’a pas violé les droits de la défense de Madame …, de sorte qu’il n’y a pas lieu de les écarter des débats.

En revanche, le tribunal constate qu’à travers le susdit courrier électronique du 1er mars 2021, le délégué du gouvernement a encore versé une pièce supplémentaire, à savoir le rapport de l’EASO de décembre 2020, intitulé « Country Guidance : Afghanistan ».

Or, aux termes de l’article 8 (6) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, « Toute pièce versée après que le juge-rapporteur a commencé son rapport en audience publique est écartée des débats, sauf si le dépôt en est ordonné par le tribunal. ».

Etant donné que ledit rapport de l’EASO de décembre 2020 a été versé postérieurement au rapport du juge-rapporteur fait à l’audience publique des plaidoiries du 1er mars 2021, sans que le tribunal en ait ordonné le dépôt, il est à écarter des débats.

1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 7 août 2020 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 7 août 2020, telle que déférée, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, en réitérant, en substance, ses déclarations actées lors de ses auditions par un agent du ministère.

Elle souligne que s’il est exact qu’elle pourrait toujours bénéficier d’un titre de séjour en qualité de membre de famille de Monsieur …, il n’en resterait pas moins qu’elle aurait fait état d’actes de persécution qu’elle aurait subis en Afghanistan, de sorte qu’il serait légitime qu’elle prétendrait à un statut de protection internationale. Par ailleurs, elle ne pourrait jamais se résigner à l’idée qu’un jour, son époux pourrait lui dire que ce serait grâce à lui qu’elle disposerait d’un titre de séjour, alors qu’elle aurait vécu l’horreur dans son pays d’origine. En outre, elle ne serait pas à l’abri d’un divorce pour rupture irrémédiable des relations conjugales.

En droit, elle conclut en premier lieu à une violation des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015, ainsi que de l’article 1er, section A2 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », sinon à une erreur manifeste d’appréciation des faits, en ce que ce serait à tort que le ministre aurait refusé de lui accorder le statut de réfugié.

En effet, contrairement à l’appréciation ministérielle, elle aurait fait état d’une crainte justifiée d’être persécutée par son oncle et sa famille, ainsi que par les entités armées présentes 7en Afghanistan. Cette crainte reposerait notamment sur le fait qu’elle éprouverait une menace réelle contre sa vie de la part de son oncle, qui serait un homme influent, en sa qualité d’ancien militaire, qui l’aurait torturée et persécutée au cours de sa jeunesse et dont le fils, …, l’aurait violée à maintes reprises depuis son enfance, sans que personne lui aurait porté secours. Par ailleurs, elle craindrait d’être persécutée en tant que femme seule par les Talibans, respectivement par les autorités afghanes, la demanderesse soulignant que ces entités seraient en conflit armé et que des attentats auraient régulièrement lieu dans son pays d’origine. Ainsi, ses craintes se baseraient sur (i) son genre, (ii) son appartenance à l’ethnie des Hazaras, (iii) sa confession musulmane chiite, (iv) le fait qu’en tant que femme seule dans un pays islamique, d’une part, elle aurait été obligée de vivre sous le même toit que son oncle et son fils, alors que l’un l’aurait maltraitée et l’autre l’aurait violée, et, d’autre part, sa liberté de circulation, son droit au travail, ainsi que sa liberté d’expression seraient limités, le tout sans pouvoir bénéficier d’une protection étatique adéquate.

La demanderesse insiste sur le fait que les actes dont elle aurait été victime au cours de son enfance n’auraient cessé que lorsqu’elle aurait fui son pays d’origine pour rejoindre son époux, de sorte que ce serait à tort que le ministre aurait retenu qu’en raison de sa majorité et de son mariage, respectivement de sa fuite du domicile de son oncle et de son cousin, les actes en question ne se reproduiraient plus.

Quant à l’argumentation de la partie étatique selon laquelle elle ne devrait plus jamais retourner seule en Afghanistan, elle souligne qu’en cas de divorce pour rupture irrémédiable des relations conjugales avant l’expiration d’un délai de trois ans, elle pourrait perdre son droit au séjour.

Par ailleurs, elle n’aurait pas eu la possibilité d’aller vivre seule ni de dénoncer son oncle auprès des autorités afghanes « (…) régies par la loi islamique (…) », alors que ce dernier l’aurait menacée de la tuer et de la livrer aux Talibans. Ces menaces seraient réelles et sérieuses, compte tenu des exactions dont elle aurait déjà été victime de la part de son oncle. Elle donne encore à considérer dans ce contexte qu’elle craindrait fortement les attentats et les conflits armés incessants en Afghanistan, « (…) entre les talibans et les non talibans (…) », lesquels ne permettraient pas à une jeune femme de vivre en paix seule, ni même de pouvoir travailler.

Après avoir cité des extraits de deux rapports de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (« OSAR ») des 1er octobre 2018 et 12 septembre 2019, intitulés respectivement « Afghanistan : situation des femmes « fugitives » » et « Afghanistan : les profils à risques », décrivant la situation des femmes en Afghanistan, la demanderesse se prévaut de l’article 60 de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, signée à Istanbul le 11 mai 2011, dénommée ci-après « la Convention d’Istanbul », relatif aux demandes d’asile fondées sur le genre, et renvoie à un manuel publié par le groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI) et intitulé « Demande d’asile : persécutions liées au genre », sans cependant le verser en cause ou en fournir les références complètes.

En se référant à un rapport de l’OSAR du 12 septembre 2019, intitulé « Afghanistan :

les conditions de sécurité actuelles », la demanderesse souligne que dans son pays d’origine, la situation humanitaire serait désastreuse.

Elle fait encore plaider que la famille auprès de laquelle elle aurait trouvé refuge à … aurait également été contrainte de quitter son domicile, étant donné que son oncle l’y aurait 8repérée et aurait prévenu ladite famille qu’il viendrait récupérer sa nièce. Ainsi, son oncle aurait toutes les capacités de la retrouver partout en Afghanistan.

La demanderesse insiste encore sur le fait qu’elle ne pourrait bénéficier d’une protection étatique appropriée dans son pays d’origine, en se prévalant de la situation sécuritaire régnant dans son pays d’origine, ainsi que de celles des femmes en Afghanistan, et en expliquant que si elle avait dénoncé son oncle aux autorités afghanes, elles l’auraient renvoyée chez son persécuteur et l’auraient ainsi exposée aux représailles de ce dernier.

Elle ajoute qu’en rejetant sa demande de protection internationale, sans tenir compte de son genre, ni de son appartenance à un groupe social vulnérable, ni de la situation des femmes seules en Afghanistan, ni de la situation politique et religieuse régnant dans son pays d’origine, le ministre aurait manqué à son obligation, inscrite à l’article 10 de la loi du 18 décembre 2015, de prendre sa décision individuellement, objectivement et impartialement, sur base d’informations précises et actualisées.

En outre, la demanderesse fait valoir que l’Afghanistan serait un pays où l’insécurité resterait permanente en raison d’une situation prolongée de guerre civile et en l’absence de perspective d’amélioration à court et à moyen terme, compte tenu du retrait des troupes internationales. A cet égard, elle se prévaut de plusieurs articles de presse, d’un rapport de l’EASO de juin 2019, intitulé « Afghanistan Security situation », ainsi que d’un arrêt de la Cour administrative du 4 janvier 2018, portant le numéro 40256C du rôle, et d’un jugement du tribunal administratif du 29 janvier 2018, portant le numéro 39327 du rôle, tout en soulignant que les persécutions qu’elle aurait subies s’inscriraient dans un contexte de persécutions généralisées dont feraient l’objet les personnes vivant en Afghanistan, sans pouvoir bénéficier d’une protection étatique appropriée, de sorte que sa crainte serait suffisamment personnalisée et individualisée, la demanderesse ajoutant qu’en raison des conflits interethniques entre les Talibans et les « (…) non-Talibans (…) », qui séviraient dans son pays d’origine, elle serait bien à qualifier de victime directe d’actes de persécution. Elle conclut qu’un retour forcé en Afghanistan ne serait pas envisageable en l’espèce, compte tenu de la situation sécuritaire générale qui resterait fragile et imprévisible dans son pays d’origine, surtout à l’égard de personnes, qui, à l’instar d’elle-même, auraient déjà fait l’objet de menaces, respectivement d’enlèvements et de viols.

La demanderesse fait ensuite plaider que les actes dont elle aurait été victime dans son pays d’origine, (i) auraient un arrière fond politique et religieux et seraient liés à son genre et à son appartenance à un groupe social vulnérable, en tant que femme, (ii) seraient d’une gravité suffisante, au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, (iii) pourraient être qualifiés d’actes de violence physique ou mentale, au sens de l’article 42 (2) a) de la loi du 18 décembre 2015, ou encore de mesures de police mises en œuvre de manière discriminatoire, au sens de l’article 42 (2) b) de la même loi, la demanderesse soulignant, sur ce dernier point que les autorités policières et judiciaires afghanes manqueraient cruellement de ressources humaines et matérielles, et (iv) émaneraient d’acteurs de persécutions, au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, alors que les autorités afghanes ne protégeraient pas les femmes victimes d’actes de violence.

En soulignant que le traitement lui réservé en cas de retour en Afghanistan serait « (…) grave et dangereux (…) », Madame … conclut qu’elle prétendrait à juste titre à l’octroi du statut de réfugié, de sorte que la décision déférée devrait être réformée en ce sens.

9A l’appui de sa demande de protection subsidiaire, la demanderesse invoque une violation de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015. En se prévalant de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (« CourEDH ») relative à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (« CEDH »), elle fait valoir que le caractère fondé de sa crainte de subir des atteintes graves, dont notamment des actes de harcèlement, des discriminations et des traitements inhumains, se dégagerait de son dossier administratif, alors qu’elle aurait d’ores et déjà dû subir de telles atteintes, qui l’auraient poussée à fuir Afghanistan, sans qu’il existe de « bonne raison », au sens de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015, de croire que les atteintes graves dont elle aurait été victime ne se reproduiraient pas en cas de retour dans son pays d’origine. Par ailleurs, elle donne à considérer que le fait de vivre dans la crainte constante que ces atteintes se réalisent constituerait pour elle un véritable traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH, tout en soulignant que compte tenu de son vécu et de l’état de guerre généralisée dans lequel se trouverait l’Afghanistan, son expulsion vers son pays d’origine mettrait sa vie en danger. Elle insiste, dans ce contexte, sur le manque de sécurité qui caractériserait son pays d’origine.

Finalement, la demanderesse conteste toute possibilité de fuite interne, en renvoyant à la situation sécuritaire régnant en Afghanistan, tout en soulignant, (i) que dans son pays d’origine, les tensions inter-ethniques seraient exacerbées depuis plusieurs dizaines d’années, étant donné que les Talibans s’opposeraient à l’établissement d’une paix durable, (ii) que les autorités afghanes seraient dans l’incapacité de lui fournir une protection appropriée et (iii) qu’en tant que femme seule appartenant à l’ethnie hazara, elle ne pourrait se réinstaller dans un autre quartier ni dans une autre province.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

Quant à la légalité externe de la décision déférée, le tribunal relève que la demanderesse n’est pas fondée à reprocher au ministre une mauvaise instruction de son dossier en violation de l’article 10 de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « (…) (2) Lors de l’examen d’une demande de protection internationale, le ministre détermine d’abord si le demandeur remplit les conditions d’octroi du statut de réfugié et, si tel n’est pas le cas, détermine si le demandeur remplit les conditions pour pouvoir bénéficier de la protection subsidiaire. (3) Le ministre fait en sorte que les décisions sur les demandes de protection internationale soient prises à l’issue d’un examen approprié. A cet effet, il veille à ce que : a) les demandes soient examinées et les décisions soient prises individuellement, objectivement et impartialement ; b) des informations précises et actualisées soient obtenues auprès de différentes sources, telles que le Bureau européen d’appui en matière d’asile (BEAA) et le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), ainsi que les organisations internationales compétentes en matière de droits de l’homme, sur la situation générale existant dans les pays d’origine des demandeurs et, le cas échéant, dans les pays par lesquels les demandeurs ont transité, et à ce que le personnel chargé d’examiner les demandes et de prendre les décisions ait accès à ces informations ; c) les agents chargés d’examiner les demandes et de prendre les décisions connaissent les normes applicables en matière d’asile et de droit des réfugiés ; d) les agents chargés d’examiner les demandes et de prendre les décisions aient la possibilité de demander conseil à des experts, le cas échéant, sur des matières particulières comme les questions médicales, culturelles, religieuses, ou celles liées aux enfants ou au genre ». En effet, il ne se dégage pas des éléments à la disposition du tribunal que la décision litigieuse n’ait pas été prise individuellement, objectivement et impartialement. Il ne se dégage pas non plus du dossier que les agents ayant mené les entretiens et l’autorité de décision n’aient pas eu les moyens mentionnés aux points c) et d) de l’article 10, précité. La seule circonstance selon laquelle 10l’instruction de la demande de Madame …, respectivement l’appréciation que le ministre a faite de ses déclarations lors de ses auditions, n’a pas abouti à l’octroi d’une protection internationale ne permet, en tout état de cause, pas à la demanderesse de soutenir valablement que l’article 10 de la loi du 18 décembre 2015 aurait été violé. Il s’ensuit que le moyen tiré d’une violation de l’article 10 de la loi du 18 décembre 2015 est rejeté.

Quant au fond, le tribunal relève qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme « (…) tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

Par ailleurs, l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».

Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

« a) l’Etat;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » et aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

11(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».

Il suit des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 précitée, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Par ailleurs, force est de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel aurait été le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015. L’analyse du tribunal devra par conséquent porter en définitif sur la détermination du risque d’être persécuté que le demandeur encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

En l’espèce, la demanderesse invoque (i) des actes de violence dont elle aurait été victime de la part de son oncle, (ii) le fait d’avoir été violée à plusieurs reprises par son cousin, (iii) les menaces de mort proférées à son encontre par son oncle, pour s’être mariée à son insu et contre son gré, (iv) la situation de conflit armé régnant en Afghanistan, (v) sa crainte d’être persécutée par les Talibans et/ou les autorités afghanes, en sa qualité de femme, et (vi) sa crainte de subir des actes de persécution en raison de son appartenance à l’ethnie hazara et de sa confession musulmane chiite.

Sur ce dernier point, il se dégage certes des documents invoqués par les parties et, notamment, du rapport de l’OSAR du 12 septembre 2019, intitulé « Afghanistan : profils à risque », tel que versé par Madame …, et du rapport de l’EASO de juin 2019, intitulé « Country Guidance : Afghanistan », dont se prévaut la partie étatique, que les membres de l’ethnie hazara de confession chiite, tels que la demanderesse, constituent un groupe social et religieux davantage exposé à des actes de persécution que la population générale afghane, ces actes émanant surtout, non pas des Talibans, mais de l’« Etat islamique de la province du Khorasan » (« ISKP ») – la branche afghane de Daesh. Cependant, il ne ressort pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que la situation des chiites appartenant à l’ethnie hazara serait telle que ces derniers courraient tous un risque réel d’être persécutés du seul fait de leur appartenance ethnique et/ou de leurs convictions religieuses, indépendamment de leur situation personnelle, 12le ISKP étant, d’ailleurs, fortement affaibli à l’heure actuelle, suite à des attaques des forces afghanes et américaines et à une offensive des Talibans, même s’il reste capable de lancer des attaques majeures dans les centres urbains, notamment à Kaboul, ainsi que cela se dégage de l’article publié le 12 mai 2020 sur le site internet « www.leparisien.fr », intitulé « Afghanistan :

13 morts, dont deux bébés, dans l’attaque d’une maternité à Kaboul », tel que versé par la demanderesse. Ainsi, la crainte de la demanderesse d’être persécutée du fait de son appartenance ethnique et de sa confession musulmane chiite est trop hypothétique pour justifier l’octroi, à Madame …, du statut de réfugié.

Il en est de même de la crainte de la demanderesse de subir des actes de persécution, du seul fait d’être une femme. En effet, s’il ressort des pièces versées en cause que la situation des femmes en Afghanistan est indéniablement très difficile et que les violences à l’égard des femmes y constituent un phénomène récurrent, il n’est cependant pas établi que toute femme courrait, indépendamment de son vécu personnel et du seul fait de sa présence sur le territoire afghan, un risque réel de subir des actes de persécution.2 S’agissant, de manière plus générale, de la situation sécuritaire en Afghanistan, telle qu’invoquée par Madame …, le tribunal relève que s’il est constant en cause que des affrontements armés y ont lieu, il n’est néanmoins pas établi que ces derniers seraient de nature à exposer tout ressortissant afghan à des actes susceptibles d’être qualifiés d’actes de persécution, c’est-à-dire des actes motivés par l’un des critères de fond visés par l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, qui seraient d’une gravité suffisante au regard des dispositions de l’article 42 (1) de ladite loi du 18 décembre 2015 et qui émaneraient d’acteurs de persécutions, au sens de l’article 39 de la même loi. La seule invocation abstraite de la situation de conflit armé régnant en Afghanistan n’est, dès lors, pas non plus de nature à justifier l’octroi, à Madame …, du statut de réfugié, étant précisé que la question de savoir si, compte tenu de cette situation, elle peut valablement prétendre à l’octroi de la protection subsidiaire sur base de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015 sera abordée ci-après.

Quant aux incidents concrets relatés par la demanderesse et s’agissant, d’abord, des actes de violence dont elle a été victime de la part de son oncle, le tribunal constate que la demanderesse a déclaré, d’une part, et de manière générale, que ce dernier l’a frappée et, d’autre part, qu’il l’a brûlée à l’eau chaude lorsqu’elle avait 18 ans.

Quant au fait, pour la demanderesse, d’avoir été frappée par son oncle, il n’est, en l’absence de quelconques détails quant à la fréquence et au degré de violence de ces actes, pas établi que ces derniers seraient d’une gravité suffisante pour pouvoir être qualifiés d’actes de persécution.

Par ailleurs, s’il est exact que l’incident lors duquel la demanderesse a été brûlée à l’eau chaude est d’une gravité indéniable, il n’en reste pas moins que cet incident a eu lieu il y a approximativement 12 ans, sans avoir été suivi d’un acte comparable.

En tout état de cause, le tribunal relève, à l’instar de la partie étatique, que l’intéressée est une femme de 30 ans, qui est désormais mariée à un ressortissant afghan, de sorte qu’a priori, elle ne sera plus amenée à retourner vivre seule au domicile de son oncle et ne se trouve plus dans un lien de dépendance par rapport à ce dernier, qui ne pourra plus décider de son sort en Afghanistan.

2 En ce sens : Cour adm., 19 juin 2018, n° 40815C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

13Ainsi, il existe de bonnes raisons de penser que les faits sous analyse ne se reproduiront pas.

Pour les mêmes motifs, cette conclusion s’impose encore en ce qui concerne les viols dont la demanderesse a été victime de la part de son cousin au domicile de son oncle, ce d’autant plus qu’il se dégage du récit de la demanderesse que ces agissements ont commencé lorsqu’elle avait environ 15 ans, soit approximativement en 2005, et ont perduré pendant une dizaine d’années, de sorte à avoir cessé vers 2015, soit à peu près depuis 6 ans.

Si la demanderesse fait valoir qu’elle ne sera pas à l’abri d’un divorce, un tel divorce a, en l’absence d’autres éléments, un caractère purement hypothétique, de sorte à ne pas avoir d’incidence sur les conclusions dégagées ci-avant par le tribunal, étant encore relevé qu’un éventuel divorce futur constituerait un fait nouveau susceptible d’être invoqué à l’appui d’une demande ultérieure de protection internationale, tel que souligné à juste titre par la partie étatique.

Quant aux menaces de mort proférées à l’égard de la demanderesse par son oncle pour s’être mariée à son insu et contre son gré, le tribunal retient que dans la mesure où il s’agit de simples menaces verbales non suivies d’un quelconque acte concret, elles ne sont pas d’une gravité suffisante pour pouvoir être qualifiées d’acte de persécution, étant rappelé que la demanderesse est mariée et âgée de 30 ans, de sorte qu’a priori, elle ne sera plus amenée à retourner vivre seule au domicile de son oncle et ne se trouve plus dans un lien de dépendance par rapport à ce dernier, qui ne pourra plus décider de son sort en Afghanistan.

Il suit des considérations qui précèdent que c’est à juste titre que le ministre a refusé d’accorder le statut de réfugié à la demanderesse.

Quant au statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, dudit article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

14Par ailleurs, l’article 2 g), précité, de la loi du 18 décembre 2015 définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine.

Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 instaure une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

Le tribunal constate qu’à l’appui de sa demande de protection subsidiaire, la demanderesse invoque, en substance, les mêmes motifs factuels que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié.

Le tribunal a ci-avant conclu que la crainte de la demanderesse d’être persécutée du fait de son appartenance ethnique et/ou de ses convictions religieuses est trop hypothétique pour justifier l’octroi, à Madame …, du statut de réfugié et qu’il en était de même en ce qui concerne sa crainte de subir des actes de persécution du seul fait d’être une femme.

Pour les mêmes motifs, l’appartenance ethnique de la demanderesse, ses convictions religieuses et sa qualité de femme ne sont pas non plus de nature à établir l’existence, dans son chef, d’un risque réel de subir des atteintes graves.

La même conclusion s’impose quant aux actes de violence lui infligées par son oncle, quant aux menaces de mort proférées à son encontre par ce dernier et quant aux viols dont elle a été victime de la part de son cousin, et ce pour des motifs analogues à ceux ayant amené le tribunal à retenir que ces faits n’étaient pas de nature à établir l’existence, dans le chef de Madame …, d’une crainte fondée d’être persécutée.

La demanderesse se prévaut encore de la situation de conflit armé régnant dans son pays d’origine et en conclut, en substance, qu’elle devrait obtenir la protection subsidiaire sur base de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015.

Afin qu’un statut de protection subsidiaire puisse être octroyé à la demanderesse conformément à l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, il doit être question, dans son chef, d’une menace grave contre sa vie ou sa personne, en tant que civil, en raison de la violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé interne ou international. Cette disposition législative constitue la transposition de l’article 15 c) de la directive 2011/95/UE du Parlement et du Conseil européen du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, ci-après désignée par « la directive 2011/95/UE ». Son contenu est distinct de celui de l’article 3 de la CEDH et son interprétation doit, dès lors, être effectuée de manière autonome tout en restant dans le respect des droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la CEDH3.

3 CJUE, 17 février 2009, Meki Elgafaji et Noor Elgafaji c. Staatssecretaris van Justitie, C-465/07, paragraphe 28.

15 Il convient par conséquent de tenir compte des enseignements de l’arrêt Elgafaji de la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE »), qui distingue deux situations: (i) celle où il « existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’un civil renvoyé dans le pays concerné ou, le cas échéant, dans la région concernée courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire de ceux-ci, un risque réel de subir les menaces graves visées par l’article 15, sous c), de la directive »4 et (ii) celle qui prend en compte les caractéristiques propres du demandeur, la CJUE précisant que « (…) plus le demandeur est éventuellement apte à démontrer qu’il est affecté spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle, moins sera élevé le degré de violence aveugle requis pour qu’il puisse bénéficier de la protection subsidiaire »5.

Dans la première hypothèse, le degré atteint par la violence aveugle est tel que celle-ci affecte tout civil se trouvant sur le territoire où elle sévit, de sorte que s’il est établi qu’un demandeur est un civil originaire de ce pays ou de cette région, il doit être considéré qu’il encourrait un risque réel de voir sa vie ou sa personne gravement menacée par la violence aveugle s’il était renvoyé dans cette région ou ce pays, du seul fait de sa présence sur le territoire de ceux-ci, sans qu’il soit nécessaire de procéder, en outre, à l’examen d’autres circonstances qui lui seraient propres.

La seconde hypothèse concerne des situations où il existe une violence aveugle, ou indiscriminée, c’est-à-dire une violence qui frappe des personnes indistinctement, sans qu’elles soient ciblées spécifiquement, mais où cette violence n’atteint pas un niveau tel que tout civil courrait du seul fait de sa présence dans le pays ou la région en question un risque réel de subir des menaces graves pour sa vie ou sa personne. La CJUE a jugé que dans une telle situation, il convenait de prendre en considération d’éventuels éléments propres à la situation personnelle du demandeur aggravant dans son chef le risque lié à la violence aveugle.

Dans son arrêt Elgafaji, précité, la CJUE a également jugé que, lors de l’évaluation individuelle d’une demande de protection subsidiaire, prévue à l’article 4 (3) de la directive, il peut notamment être tenu compte de l’étendue géographique de la situation de violence aveugle ainsi que de la destination effective du demandeur en cas de renvoi dans le pays concerné, ainsi qu’il ressort de l’article 8 (1) de la directive 2011/95/UE6. L’article 41 de la loi du 18 décembre 2015 constitue la transposition, en droit luxembourgeois, de l’article 8 (1) de la directive 2011/95/UE. A cet égard, il ressort clairement du prescrit de l’article 41 de la loi du 18 décembre 2015 qu’il n’y a pas lieu d’accorder la protection internationale si, dans une partie du pays d’origine, le demandeur de protection internationale n’a pas de crainte fondée de persécution ou ne risque pas réellement de subir des atteintes graves, ou s’il a accès à une protection contre la persécution ou les atteintes graves, et qu’il peut voyager en toute sécurité et légalité vers cette partie du pays, et obtenir l’autorisation d’y pénétrer et que l’on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’il s’y établisse. Il ressort dès lors d’une lecture combinée de l’article 48 c) et de l’article 41 de la loi du 18 décembre 2015 qu’une analyse par région de la situation sécuritaire s’impose pour pouvoir apprécier l’existence, dans le chef d’un demandeur, d’un risque réel au sens de l’article 15 c) de la directive 2011/95/UE.7 S’il est vrai que par arrêt du 4 janvier 2018, inscrit sous le numéro 40256C du rôle, la Cour administrative avait retenu que l’Afghanistan serait en proie à un conflit armé interne au 4 Ibid., paragraphe 35.

5 Ibid., paragraphe 39.

6 Ibid., paragraphe 40.

7 Conseil du Contentieux des Etrangers, arrêt du 13 août 2020, n° 239678 du rôle, disponible sur www.rvv-

cce.be.

16sens de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, il n’en reste pas moins qu’entretemps un document intitulé « Country Guidance : Afghanistan » publié par l’EASO en juin 2019, tel que cité par la partie gouvernementale, a retenu que la situation sécuritaire en Afghanistan différerait largement en fonction des différentes provinces. Ainsi, il y est spécifié que « (…) According to UNAMA, in 2018 fighting intensified particularly in the east, southeast and in some areas within the south. The Taliban ‘made territorial gains in sparsely populated areas, and advanced their positions in areas that had not seen fighting in years’ (…). As of December 2018, it was reported that all provincial centres were under the control or influence of the Afghan government, however, throughout 2018, the Taliban had succeeded in temporarily capturing several district centres (…)8. Ainsi, la plupart des violences et le cœur du conflit en Afghanistan sont localisés dans le sud, le sud-est et l’est du pays. Seules certaines provinces sont confrontées à des combats incessants et ouverts opposant des groupes anti-

gouvernementaux et les services de sécurité afghans, ou des combats entre les différents groupes anti-gouvernementaux. Dans ces provinces, la mort de nombreux civils est à déplorer, ces violences contraignant les civils à quitter leurs habitations. Dans d’autres provinces par contre, il n’est pas question de combats ouverts, ou d’affrontements persistants ou ininterrompus. On assiste davantage à des incidents dont l’ampleur et l’intensité de la violence sont largement moindres que dans les provinces où se déroulent des combats ouverts. Les conditions de sécurité qui prévalent dans les villes sont divergentes également de celles qui prévalent dans les zones rurales en raison des différences de typologie et d’ampleur de la violence entre les villes et la campagne. De telles différences régionales apparaissent clairement à l’examen de la carte intitulée « Level of indiscriminate violence in a situation of armed conflict in Afghanistan »9 qui classe les provinces afghanes en cinq catégories en fonction de la gravité du conflit. Au terme d’une évaluation de la situation sécuritaire prévalant actuellement en Afghanistan, au regard de l’ensemble des documents versés en cause, le tribunal constate donc que le niveau de violence, l’étendue de la violence aveugle et l’impact du conflit sévissant en Afghanistan présentent de fortes différences régionales. La seule invocation de la nationalité afghane d’un demandeur d’asile ne peut dès lors plus suffire à établir la nécessité de lui accorder une protection internationale.10 Dans un arrêt récent, la Cour administrative s’est également prononcée en ce sens.11 Il convient donc, en principe, d’évaluer la situation qui prévaut dans la région de provenance du demandeur de protection internationale concerné ou, plus précisément, celle où il avait le centre de ses intérêts avant son départ et où il a vocation à se réinstaller en cas de retour et d’apprécier si cette personne court, dans cette région ou sur le trajet pour l’atteindre, un risque réel de subir les atteintes graves visées à l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015.

En l’espèce, la demanderesse est originaire de la province de ….

A cet égard, le tribunal relève que dans le rapport, précité, de juin 2019, intitulé « Country Guidance : Afghanistan », qui couvre la période du 1er janvier 2018 au 28 février 2019, l’EASO retenait ce qui suit, au sujet de la province de … : « (…) Looking at the indicators, it can be concluded that indiscriminate violence is taking place in the province of …, however not at a high level and, accordingly, a higher level of individual elements is required in order 8 EASO, « Country Guidance: Afghanistan », juin 2019, pp. 86 et 87.

9 Ibid., p. 89.

10 Trib. adm., 14 janvier 2021, n° 44166 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

11 Cour adm., 27 avril 2021, n° 45652C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

17to show substantial grounds for believing that a civilian, returned to the territory, would face a real risk of serious harm within the meaning of Article 15(c) QD.

In the provincial capital of Herat City, indiscriminate violence is taking place at such a low level that in general there is no real risk for a civilian to be personally affected by reason of indiscriminate violence within the meaning of Article 15(c) QD. However, individual elements always need to be taken into account as they could put the applicant in risk-enhancing situations. (…) ».12 Si le rapport, plus récent, de l’EASO de septembre 2020, intitulé « Afghanistan – Security situation » mentionne 400 victimes civiles dans la province de … en 2019, dont 144 morts et 256 blessés, ce qui correspond à une augmentation de 54 % par rapport à 201813, et situe le nombre de victimes civiles à entre 51 et 75 pour le premier quart de l’année 202014 et entre 101 et 125 pour le second quart de la même année15, il n’en ressort néanmoins pas qu’il y ait eu une dégradation de la situation sécuritaire depuis la publication du susdit rapport intitulé « Country Guidance : Afghanistan », qui serait telle que la conclusion y retenue quant aux risques encourus par les civils dans cette province ne serait plus valable.

Ainsi, le tribunal retient, sur base des éléments soumis à son appréciation, d’une part, que la simple présence d’un civil sur le territoire de la province de … n’est pas suffisante pour établir un risque réel d’y subir des atteintes graves, au sens de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, et, d’autre part, que le degré de violence aveugle y régnant n’atteint pas un niveau excessivement élevé, de sorte qu’un niveau plus élevé d’éléments individuels est requis pour démontrer qu’il existe des motifs sérieux de croire qu’un civil, renvoyé sur le territoire de cette province, courrait un risque réel d’y subir de telles atteintes graves.

Par conséquent, le tribunal se doit d’examiner la question de savoir si la demanderesse se trouve dans les conditions de la seconde hypothèse visée dans l’arrêt Elgafaji et s’il est dès lors « (…) apte à démontrer qu’il est affecté spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle (…) » par un risque réel résultant de la violence aveugle régnant dans la province de …, tenant compte du degré de celle-ci.

La CJUE n’a pas précisé la nature de ces « éléments propres à la situation personnelle du demandeur » qui pourraient être pris en considération dans cette hypothèse. Toutefois, il doit découler du principe de l’autonomie des concepts affirmé par la CJUE, tout comme d’ailleurs de la nécessité d’interpréter la loi de manière à lui donner une portée utile, que ces éléments ne peuvent pas être de la même nature que ceux qui interviennent dans le cadre de l’évaluation de l’existence d’une crainte avec raison d’être persécuté au sens de l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 ou du risque réel de subir des atteintes graves, au sens de l’article 48 a) et b) de la même loi. Les éléments propres à la situation personnelle des demandeurs, au sens de l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015, sont donc des circonstances qui ont pour effet que lesdits demandeurs encourent un risque plus élevé qu’une autre personne d’être victimes d’une violence indiscriminée, alors même que celle-ci ne les cible pas pour autant plus spécifiquement que cette autre personne. Tel pourrait ainsi, par exemple, être le cas lorsqu’une vulnérabilité accrue, une localisation plus exposée ou une situation socio-économique particulière ont pour conséquence que le demandeur encourt un risque plus élevé que d’autres 12 EASO, « Country Guidance: Afghanistan », juin 2019, p. 100.

13 EASO, « Afghanistan Security Situation », septembre 2020, p. 151.

14 Ibid..

15 Ibid..

18civils de voir sa vie ou sa personne gravement menacée par la violence aveugle16. La question qui se pose est, dès lors, celle de savoir si la demanderesse peut démontrer qu’il existe dans son chef des circonstances personnelles minimales ayant pour effet d’augmenter la gravité de la menace résultant de la violence indiscriminée qui règne dans la province de …, de sorte que bien que cette violence n’atteigne pas un degré tel que tout civil encourrait du seul fait de sa présence sur place un risque réel de subir une menace grave pour sa vie ou sa personne, il faudrait considérer qu’un tel risque réel existe néanmoins dans son chef.

Au vu des développements de la demanderesse à l’appui de sa demande de protection internationale, il échet de constater que tel n’est pas le cas en l’espèce. En effet, la demanderesse est restée en défaut de soumettre au tribunal des éléments qui permettraient de conclure qu’elle courrait un risque plus élevé qu’une autre personne afghane d’être victime d’atteintes graves en Afghanistan et qui seraient différents des éléments intervenant dans le cadre de l’évaluation de l’existence d’une crainte avec raison d’être persécuté, au sens de l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, ou du risque réel de subir des atteintes graves, au sens de l’article 48 a) et b) de la même loi, ces derniers éléments ayant été toisés ci-avant.

Dans ce contexte, le tribunal rappelle que la demanderesse est désormais mariée à un ressortissant afghan, de sorte qu’a priori, elle ne sera pas amenée à retourner vivre seule en Afghanistan et qu’elle ne saurait, dès lors, se prévaloir de la qualité de femme seule pour conclure à une vulnérabilité accrue dans son chef, qui serait de nature à l’exposer davantage à un risque de subir des atteintes graves dans son pays d’origine.

Au vu de ces éléments, le tribunal est amené à conclure que la demanderesse ne remplit pas les critères prévus à l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015.

Le ministre a, dès lors, valablement pu rejeter la demande de protection subsidiaire de l’intéressée.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé de faire droit à la demande de protection internationale de Madame …, de sorte que le recours en réformation sous analyse encourt le rejet.

2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant la réformation de pareil ordre a valablement pu être introduit en l’espèce, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.

La demanderesse sollicite en premier lieu la réformation de l’ordre de quitter le territoire en tant que conséquence de la réformation de la décision de rejet de sa demande de protection internationale, en soulignant qu’un retour dans son pays d’origine l’exposerait à un risque réel de subir des atteintes graves, au sens des articles 48 et 49 de la loi du 18 décembre 2015.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen.

16 Conseil du Contentieux des Etrangers, arrêt du 13 août 2020, n° 239678 du rôle, disponible sur www.rvv-cce.be.

19Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « (…) Une décision du ministre vaut décision de retour (…) », cette dernière notion étant définie par l’article 2 q) de la même loi comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire », étant encore relevé, à cet égard, que si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Or, dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le recours en réformation dirigé contre le refus d’une protection internationale est à rejeter, de sorte qu’un retour de Madame … dans son pays d’origine ne l’expose ni à des actes de persécution ni à des atteintes graves, le ministre a a priori valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

En outre, la demanderesse fait plaider que l’ordre de quitter le territoire violerait l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », ainsi que l’article 3 de la CEDH.

Le délégué du gouvernement conclut également au rejet de ces moyens.

Il convient de rappeler que si l’article 3 de la CEDH, auquel renvoie l’article 129 de la loi du 29 août 2008 – qui est applicable à la décision de retour découlant d’une décision de rejet d’une demande de protection internationale, conformément à l’article 34 (2), alinéa 3 de la loi du 18 décembre 2015 –, proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.

En effet, si une mesure d’éloignement – telle qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé à la demanderesse pour quitter le Luxembourg – relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à l’article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose un problème de conformité à la CEDH, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la CEDH d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.

Cependant, dans ce type d’affaires, la CourEDH soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La CourEDH recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.

Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.

20Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour en Afghanistan, le tribunal a conclu ci-avant à l’absence, dans le chef de la demanderesse, de tout risque réel et actuel de subir des atteintes graves, au sens de l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, de sorte que le tribunal ne saurait se départir de cette conclusion à ce niveau-ci de son analyse.

Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH,17 le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi de la demanderesse dans son pays d’origine soit dans ces circonstances incompatible avec l’article 3 de la CEDH, de sorte que les moyens tirés d’une violation dudit article 3 de la CEDH et de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 encourent le rejet.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

écarte des débats le rapport du « European Asylum Support Office » de décembre 2020, intitulé « Country Guidance : Afghanistan », versé par le délégué du gouvernement le 1er mars 2021 ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 7 août 2020 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 7 août 2020 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, premier vice-président, Daniel Weber, premier juge, Michèle Stoffel, premier juge, et lu à l’audience publique du 12 juillet 2021 par le premier vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 12 juillet 2021 Le greffier du tribunal administratif 17 CourEDH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2003, pt. 59.


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 44884
Date de la décision : 12/07/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-07-12;44884 ?

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