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12/07/2021 | LUXEMBOURG | N°44892

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 juillet 2021, 44892


Tribunal administratif N° 44892 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 août 2020 2e chambre Audience publique du 12 juillet 2021 Recours formé par Madame …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44892 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 août 2020 par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, insc

rit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, déclarant être née ...

Tribunal administratif N° 44892 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 août 2020 2e chambre Audience publique du 12 juillet 2021 Recours formé par Madame …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 44892 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 août 2020 par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, déclarant être née le … à … (Somalie) et être de nationalité somalienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 22 juillet 2020 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 octobre 2020 ;

Vu l’article 1er de la loi du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu le courrier électronique de Maître Louis Tinti du 15 mars 2021 informant le tribunal que l’affaire pouvait être prise en délibéré en dehors de sa présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Linda Maniewski en sa plaidoirie à l’audience publique du 15 mars 2021.

Le 22 août 2018, Madame … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale, au sens de de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. » 1 Les déclarations de Madame … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section …, dans un rapport du même jour.

Les 13 février et 8 mars 2019, elle fut entendue par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 22 juillet 2020, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Madame … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée. La décision, qui comporte encore un ordre de quitter le territoire dans un délai de trente jours à son égard, est libellée de la façon suivante :

« (…) J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 22 août 2018 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée la « Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 22 août 2018 et le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 13 février 2019 et du 8 mars 2019 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.

Madame, il ressort tant de la fiche de motifs remplie par vos soins au moment de l’introduction de votre demande de protection internationale que du rapport du Service de Police judiciaire que vous auriez quitté votre pays d’origine alors que des membres d’Al-Shabaab auraient tué votre cousine dans votre salon de thé en raison du fait que vous auriez vendu de l’alcool.

Dans le cadre de votre entretien sur les motifs à la base de votre demande de protection internationale, vous expliquez que les problèmes vous ayant poussée à quitter votre pays d’origine auraient commencé en 2018.

Vous expliquez plus particulièrement que vous auriez reçu des menaces téléphoniques et vous supposez que les auteurs auraient été des membres d’Al-Shabaab. Votre interlocuteur vous aurait interdit de continuer à servir des soldats somaliens dans votre salon de thé. Deux mois plus tard, vous auriez reçu un nouvel appel téléphonique masqué et on vous aurait accusée d’avoir vendu de l’alcool. En outre, votre interlocuteur vous aurait fait comprendre qu’il serait au courant que votre époux, que vous auriez épousé en 2014, travaillerait comme espion pour le gouvernement somalien.

Vous auriez expliqué la situation à votre mari qui aurait contacté un ami auprès de la 2 police. Votre mari aurait par la suite déposé plainte pénale contre les membres d’Al-Shabaab, et vous vous seriez rendue au commissariat de police pour leur expliquer votre situation.

Au retour du bureau de police, vous auriez retrouvé votre mari et votre cousine assassinés dans les locaux de votre salon de thé. Vous estimez qu’ils auraient été tués par des membres d’Al-

Shabaab.

Vous auriez alors décidé de quitter votre pays d’origine. Vous vous seriez rendue à Mogadiscio pour vous procurer un passeport et un visa pour la Turquie. Après un séjour de dix jours à Mogadiscio, vous auriez pris l’avion en direction de la Turquie.

Vous expliquez encore que votre frère se trouverait au Luxembourg et qu’il bénéficierait d’une protection internationale.

Vous ne présentez pas de documents à l’appui de votre demande et expliquez que vous auriez perdu votre passeport dans la mer entre la Turquie et la Grèce.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Madame, je tiens à vous informer que la crédibilité de votre récit est remise en cause pour les raisons suivantes :

Premièrement, je dois constater que dans le cadre de votre entretien sur les motifs à la base de votre demande de protection internationale, vous expliquez que votre époux aurait été assassiné en date du 27 mai 2018 (page 15/21 du rapport d’entretien). Vous vous seriez par la suite rendue à Mogadiscio où vous auriez résidé auprès d’une copine pendant dix jours, avant de prendre l’avion en direction de la Turquie.

Pendant ces dix jours, vous vous seriez procurée un passeport, de manière tout à fait légale, et vous auriez payé un passeur pour que ce dernier vous organise un visa pour voyager en Turquie (pages 7 et 8/21 du rapport d’entretien).

Or, ces déclarations ne sont pas crédibles alors qu’il est tout à fait impossible de faire toutes ces démarches endéans dix jours. II ressort en effet des informations à ma disposition que depuis 2013, les autorités somaliennes délivrent des passeports biométriques. Pour obtenir un passeport, l’intéressé doit présenter une carte d’identité, un certificat de naissance et les résultats d’une vérification des antécédents criminels. L’intéressé doit présenter sa demande en personne et le traitement de la demande prend plus de 30 jours.

Par ailleurs, le fait que vous auriez dû avoir recours à un passeur, auquel vous auriez payé deux, voire trois mille dollars (vos déclarations divergent sur ce point), est tout aussi absurde, alors que les ressortissants somaliens peuvent simplement faire une demande pour un visa leur permettant de voyager en Turquie en ligne.

Il s’ensuit que si vous étiez effectivement en possession d’un passeport somalien et d’un visa pour voyager en Turquie, vous avez dû prendre la décision de partir de votre pays d’origine 3 bien avant votre date de départ ce qui rend évidemment invraisemblable l’intégralité de vos déclarations par rapport aux motifs invoqués dans le cadre de votre entretien lesquels vous auraient poussée à quitter votre pays d’origine.

Ce constat est corroboré par le fait que vous me mettez dans l’impossibilité de vérifier vos déclarations par rapport à votre sortie de votre pays d’origine alors que vous déclarez simplement avoir perdu votre passeport en traversant la mer entre la Turquie et la Grèce. Il n’est cependant pas non plus crédible que vous auriez tout simplement « perdu » votre passeport alors qu’il est évident qu’une personne qui tente de venir en Europe pour y chercher une protection internationale fasse tout son possible pour garder son passeport, le document le plus important en sa possession et la seule pièce lui permettant de prouver son identité. D’ailleurs, rien ne vous aurait empêchée, et rien ne vous empêche à l’heure actuelle, de contacter les autorités turques et de solliciter une copie de votre passeport, de votre visa, ou de tout autre document qui prouverait vos déclarations quant à votre sortie de votre pays d’origine.

Il paraît évident que, soit, vous avez sciemment détruit votre passeport, soit, vous refusez de me le remettre alors que ledit document prouverait que vous n’êtes pas arrivée en Europe suite au prétendu assassinat de votre époux et pas non plus dans les circonstances telles que vous les décrivez.

A cela s’ajoute que toutes vos déclarations relatives au paiement des différents passeurs ne sont absolument pas plausibles et contradictoires. Il ressort en effet du rapport du Service de Police judiciaire que vous auriez payé « … Dollar und … Euro » aux passeurs. Dans le cadre de votre entretien sur les motifs à la base de votre demande de protection internationale vous expliquez que vous auriez payé … dollars au passeur en Somalie et … dollars à un passeur en Europe. Mis à part le fait que vos déclarations par rapport aux différents paiements sont contradictoires, on peut légitimement se poser la question de savoir de quelle manière vous auriez pu obtenir une somme d’argent tellement importante, tout en prenant en considération le fait que vous auriez été propriétaire d’un petit salon de thé en Somalie. L’explication fournie dans le cadre de votre entretien suivant laquelle vous auriez épargné cet argent ne saurait évidemment pas convaincre, ceci d’autant plus que vous mentionnez une somme moindre de … euros. D’ailleurs, dans la mesure où vous auriez vous-même effectuée toutes les démarches pour obtenir votre passeport, il n’est absolument pas crédible que vous auriez payé une somme tellement importante à un passeur, ceci d’autant plus que vous auriez pu faire votre demande en obtention d’un visa via internet.

Deuxièmement, il y a lieu de noter qu’au moment de l’introduction de votre demande de protection internationale, vous expliquez sur votre fiche de motifs que :

« Ich heisse …, ich habe in … gelebt. Und dort hatte ich eine Teestube wo ich auch Trinkwasser verkaufte. Als mir die Einnahmen nicht reichten, begann ich Alkoholgetränke zu verkaufen. Eines Tages kamen die Al Shabaah (sic) in meinen Laden hinein und fragten: „Wer hat dir erlaubt, Alkohol zu verkaufen?" Und sie haben mir verboten Alkohol zu verkaufen. An einem weiteren Tag kamen sie in meinen Laden. Sie erschossen meine Cousine und ich habe Angst um mein Leben gehabt und ich bin geflohen ».

4 Dans le cadre de votre entretien avec l’agent de Police Judiciaire vous indiquez également que:

« Ich musste Somalia verlassen, da mir mit dem Tod gedroht wurde. Ich hatte ein kleines Geschäft, und verkaufte Alkohol. Meine Cousine wurde ermordet, und ich konnte flüchten ».

Or, dans le cadre de votre entretien sur les motifs à la base de votre demande de protection internationale, vous expliquez que la raison principale vous ayant poussée à quitter votre pays d’origine serait le fait que votre époux aurait été assassiné par Al-Shabaab alors qu’il aurait travaillé comme espion pour le gouvernement somalien et qu’il aurait déposé plainte pénale contre Al-Shabaab suite aux menaces que vous auriez reçues. Votre cousine aurait également été tuée alors qu’elle se serait trouvée, par malchance, à côté de votre époux lors de l’assassinat de ce dernier.

Si vos déclarations faites dans le cadre de votre entretien sur les motifs à la base de votre demande de protection internationale étaient véridiques, vous auriez évidemment parlé de l’assassinat de votre époux, l’élément prétendument déclencheur vous ayant poussée à quitter votre pays d’origine, dès l’introduction de votre demande de protection internationale. En effet, une personne dont le mari et la cousine auraient prétendument été tués n’omettrait pas de mentionner son mari qui constitue en principe la personne la plus importante de sa vie pour se limiter à évoquer le décès de la cousine. Cette omission de votre part prouve que vous n’êtes pas partie de votre pays d’origine en raison d’un quelconque problème avec Al-Shabaab ayant conduit à l’assassinat de votre époux, mais que vous avez inventé ces motifs pour augmenter vos chances de vous voir octroyer une protection internationale au Luxembourg.

Ce constat est corroboré par le fait qu’à la question de savoir pour quelles raisons vous auriez introduit une demande de protection internationale, vous répondez spontanément que :

« Ich habe mein Heimatland nicht aus wirtschaftlichen Gründen verlassen » (page 10/21 du rapport d’entretien). Si vous aviez effectivement quitté votre pays d’origine en raison de l’assassinat de votre époux et de menaces reçues par Al-Shabaab vous n’auriez évidemment pas commencé votre récit libre en commençant par vous justifier pour quelque chose qu’on ne vous a même pas reproché.

Eu égard à ce qui précède, il s’avère que les raisons que vous invoquez et qui vous auraient poussée à quitter votre pays d’origine ne sont absolument pas crédibles, de sorte qu’aucune protection internationale ne vous est accordée.

Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de la Somalie ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisée à séjourner. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 24 août 2020, Madame … a fait 5 introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle du 22 juillet 2020 portant refus d’octroi d’un statut de protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 22 juillet 2020 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 22 juillet 2020, telle que déférée, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse expose les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, en réitérant, en substance, ses déclarations actées lors de son audition par un agent du ministère.

En droit et à titre liminaire, la demanderesse expose la situation sécuritaire régnant en Somalie, qui serait encore fortement marquée par les attaques perpétrées par la milice « Al Shabaab ». A cet égard, elle se prévaut de l’article 37 (3) de la loi du 18 décembre 2015, ainsi que du « Rapport du Secrétaire général sur la Somalie », publié le 2 mai 2018 par le Conseil de sécurité des Nations Unies, du « Rapport préliminaire du président de la commission sur la situation en Somalie », publié par le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, d’un article publié le 8 août 2020 sur le site internet « www.theguardian.com », intitulé « Mogadishu car bomb kills eight soldiers at military base », et d’un rapport de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (« OFPRA ») du 6 juin 2018, intitulé « L’armée nationale Somalienne (SNA) ».

Elle soutient ensuite que ce serait à tort que le ministre aurait remis en cause la crédibilité de son récit, en se prévalant de l’article 37 (5) de la loi du 18 décembre 2015, dont il se dégagerait que le doute devrait profiter au demandeur d’asile, et en soutenant que son récit serait globalement crédible.

A cet égard, elle réfute l’argumentation ministérielle ayant trait au délai endéans lequel elle se serait vu délivrer son passeport biométrique. Elle souligne qu’il ne serait pas rare que des ressortissants somaliens obtiendraient de tels passeports en 24 heures. A cette fin, il suffirait de suivre la « (…) procédure non officielle (…) », largement usitée en Somalie, où la corruption serait fortement répandue. En l’espèce, elle aurait obtenu son passeport grâce à l’intervention de Monsieur …, qui serait l’époux de son amie auprès de laquelle elle aurait trouvé refuge avant de quitter son pays d’origine et qui travaillerait auprès de la « National civil service commission », une institution gouvernementale. Monsieur … serait intervenu personnellement pour qu’elle puisse disposer de son passeport. Elle aurait simplement dû préciser son appartenance ethnique et se déplacer au bureau des passeports, où un agent aurait pris sur place des photos d’elle ainsi que ses empreintes digitales. Dans ce contexte, Madame … précise qu’« (…) à ce stade de la procédure et pour des raisons évidentes qui [tiendraient] au fait que la procédure ainsi suivie [ne serait] pas réglementaire (…) », Monsieur … refuserait d’attester officiellement de son intervention, mais confirmerait, néanmoins, dans son attestation être intervenu pour l’aider.

6 Quant à la nécessité de faire intervenir des passeurs, remise en cause par la partie étatique, la demanderesse conteste avoir sollicité et obtenu un visa de la part des autorités turques. Elle précise qu’outre le fait que la procédure de délivrance d’un visa serait « (…) certaine quant à son issue (…) », elle aurait quitté son pays d’origine, alors que son époux et sa cousine auraient été assassinés et que des menaces auraient pesé sur sa personne, ce qui aurait rendu son départ de la Somalie impérieux. En renvoyant à l’attestation, précitée, de Monsieur …, elle ajoute que suite à l’assassinat de son époux et de sa cousine, elle aurait continué d’être menacée, pour conclure que dans de telles circonstances, il serait compréhensible que la solution la plus pratique aurait consisté pour elle à recourir à des passeurs, qui auraient été en mesure de lui apporter une solution immédiate à son problème.

La demanderesse réfute ensuite l’argumentation ministérielle selon laquelle il ne serait pas crédible qu’elle aurait « perdu » son passeport, alors qu’il serait évident qu’une personne qui tenterait de venir en Europe pour y chercher une protection internationale ferait tout son possible pour garder son passeport, le document le plus important en sa possession et la seule pièce lui permettant de prouver son identité. A cet égard, elle explique que la raison pour laquelle elle aurait « perdu » son passeport résiderait dans le mode opératoire des passeurs, qui demanderaient très souvent aux personnes qu’ils prendraient en charge de jeter leurs sacs aux abords des côtes grecques lorsqu’il s’avérerait que la traversée serait sur le point de réussir. Dans un moment de panique et de tension du parcours des migrants, ces derniers s’exécuteraient sans réfléchir et cela d’autant plus que la demande de se débarrasser de leurs affaires prendrait souvent la forme d’un ordre autoritaire et non d’une simple recommandation.

Quant à l’argumentation de la partie étatique selon laquelle ses déclarations relatives aux paiements faits au profit des différents passeurs ne seraient pas plausibles et contradictoires, elle explique que la somme de … euros payée aux passeurs n’aurait pas été entièrement financée à partir de ses deniers personnels. En effet, ses seules économies ne lui auraient effectivement pas permis de financer son exode. La somme de … euros correspondant à ses économies aurait été complétée par une aide financière de la part de ses oncles maternels.

Quant à la circonstance, invoquée par le ministre, selon laquelle dans la fiche des motifs de sa demande de protection internationale, de même que dans le cadre de son audition par la police judiciaire, elle n’aurait pas mentionné l’assassinat de son époux, dont elle aurait fait état pour la première fois au cours de son entretien par un agent du ministère, la demanderesse soutient que le décès de son époux serait prouvé tant par la photo de son édifice funéraire, qui mentionnerait le nom et la date du décès du défunt, que par la déclaration officielle de décès, tels que versés en cause, tout en précisant que le caractère tardif de cette déclaration s’expliquerait par le fait, d’une part, que le décès de son époux aurait pour la première fois été contesté dans la décision ministérielle déférée et, d’autre part, que de nombreux décès ne seraient pas enregistrés en Somalie, dès lors que l’acte d’état civil du défunt et plus précisément son acte de naissance auraient été détruits à l’occasion de la dernière guerre civile, tel que cela aurait été le cas en l’espèce, la demanderesse renvoyant, sur ce point, à un rapport de la Commission de l’Immigration et du statut de réfugié du Canada du 6 mars 2017, intitulé « Somalie : information sur la capacité d’obtenir des documents, y compris des dossiers médicaux, scolaires et d’emploi; information sur l’efficacité des services postaux à l’échelle nationale et internationale ».

7 Les pièces ainsi versées confirmeraient d’ailleurs les circonstances de temps du décès de son époux, telles que relatées par la demanderesse. Par ailleurs, ses déclarations quant aux raisons de ce décès, telles qu’actées lors de son audition par un agent du ministère, seraient corroborées par la susdite attestation testimoniale de Monsieur …. Ainsi, son récit serait à considérer comme étant crédible.

Cette conclusion ne serait pas énervée par le fait que lors de son audition par un agent ministériel, elle aurait commencé son récit en déclarant ne pas avoir quitté son pays d’origine pour des raisons économiques. En effet, le fait qu’elle aurait d’emblée écarté les motifs économiques au titre de ceux qui fonderaient sa demande de protection internationale, pour ensuite concentrer ses explications sur les véritables raisons pour lesquelles elle solliciterait une telle protection, ne saurait porter à conséquence.

Quant au fait qu’elle n’aurait pas immédiatement fait part du décès de son époux, lors de son arrivée au Luxembourg, ce qui constituerait le seul point où elle partagerait le questionnement du ministre, elle déclare qu’elle ne pourrait l’expliquer que par la circonstance selon laquelle son arrivée au Grand-Duché aurait eu lieu trois mois après l’assassinat de son époux, soit à un moment où il lui aurait encore été difficile d’en accepter la réalité.

Eu égard à l’ensemble de ces développements, son récit serait à considérer comme étant crédible dans sa globalité, de sorte que la décision déférée, par laquelle le ministre aurait rejeté sa demande de protection internationale, sans procéder à une analyse au fond des conditions d’octroi d’une protection internationale, heurterait l’article 37 (3) de la loi du 18 décembre 2015, et devrait encourir l’annulation, dans le cadre du recours en réformation, la demanderesse se prévalant, à cet égard, d’un jugement du tribunal administratif du 17 septembre 2019, portant le numéro 41029 du rôle.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

En vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme « (…) tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 g) de la loi 18 décembre 2015 comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies 8 à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».

Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :

« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves, au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :

« (…) a) l’Etat;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».

Aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

9 a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demande de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

Il se dégage à ce propos du libellé de la décision déférée que le ministre est arrivé à la conclusion que le récit de Madame … ne serait pas crédible dans son ensemble.

A cet égard, il y a lieu de rappeler que si, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37 (5) de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière 10 générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves.2 En l’espèce, le tribunal partage les doutes du ministre quant à la crédibilité du récit de la demanderesse.

En effet, à l’instar de la partie étatique, le tribunal constate que dans la fiche de motifs de sa demande de protection internationale, la demanderesse a noté ce qui suit :

« (…) Ich heiße …, ich habe in … gelebt. Und dort hatte ich eine Teestube wo ich auch Trinkwasser verkaufte. Als mir die Einnahmen nicht reichten, begann ich Alkoholgetränke zu verkaufen. Eines Tages kamen die Al Shabaa[b] in meinen Laden hinein und fragten: „Wer hat dir erlaubt, Alkohol zu verkaufen?“ Und sie haben mir verboten Alkohol zu verkaufen. An einem weiteren Tag kamen sie in meinen Laden. Sie erschossen meine Cousine und ich habe Angst um mein Leben gehabt und ich bin geflohen. (…) ».

Lors de son audition par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée – police des étrangers, elle a expliqué ce qui suit : « (…) Ich musste Somalia verlassen, da mir mit dem Tod gedroht wurde. Ich hatte ein kleines Geschäft und verkaufte Alkohol. Meine Cousine wurde ermordet, und ich konnte fliehen (…) ».

Or, dans le cadre de son entretien portant sur les motifs gisant à la base de sa demande de protection internationale, elle a expliqué que son époux aurait été assassiné par « Al Shabaab », au motif qu’il aurait travaillé en tant qu’espion pour le gouvernement somalien et qu’ils auraient, tous les deux, vendu de l’alcool, respectivement parce ce qu’il les aurait dénoncés auprès des autorités somaliennes, suite aux menaces qu’elle aurait reçues. Elle a précisé que sa cousine aurait également été tuée, étant donné que les membres d’« Al Shabaab » l’auraient confondue avec elle-

même.

A cet égard, le tribunal partage l’appréciation de la partie étatique selon laquelle une personne dont le conjoint et la cousine auraient été assassinés par les auteurs de menaces dont elle aurait personnellement fait l’objet n’omettrait pas, à deux occasions successives, de mentionner le décès de son conjoint, qui constitue a priori la personne la plus importante dans sa vie, pour n’évoquer que l’assassinat de sa cousine.

Etant donné que l’assassinat du mari de la demanderesse constitue l’un des éléments clefs de son récit, le tribunal retient que cette omission, qui n’est pas suffisamment expliquée par le fait qu’elle aurait eu du mal à accepter la réalité du décès de son mari trois mois après les faits, est de nature à ébranler la crédibilité dudit récit dans son ensemble.

2 Trib. adm. 16 avril 2008, n° 23855, Pas. adm. 2020, V° Etrangers, n° 135 et les autres références y citées.

11 Cette conclusion n’est pas énervée par l’attestation testimoniale du dénommé …, rédigée comme suit : « Ce jour, le 13/08/2020, je déclare que …, qui est une amie de mon épouse, est venue chez nous à la maison il y a deux ans. C’était la nuit, elle présentait des signes de d[é]tresse, de peur, d’angoisse.

… avait dormi ce soir-là chez nous. Le lendemain, elle a reçu plusieurs coups de fil contenant des menaces, de la part des personnes qui ont tué son mari et sa cousine à elle.

Ayant constaté que … se trouvait dans une situation très préoccupante, nous avions décidé de l’aider, et de lui trouver quelqu’un qui pourrait l’aider à fuir le pays, étant donné que sa vie était en danger, et qu’elle ne pouvait vivre avec nous pour des raisons de sécurité.

… (…) ».

En effet, outre le fait que cette attestation a été rédigée le 13 août 2020, soit après la prise de la décision ministérielle déférée et, dès lors, in tempore suspecto, et que le nom de la demanderesse y indiqué, à savoir « … », ne correspond pas à celui ayant été acté lors de l’introduction de sa demande, à savoir « … », l’auteur de l’attestation s’est trompé dans la rédaction de son propre nom, qui, aux termes de sa carte professionnelle annexée au document en question, serait « … », et non pas « … ». Eu égard à l’ensemble de ces éléments, l’attestation en question n’emporte pas la conviction du tribunal, outre le fait qu’elle n’est pas de nature à expliquer l’omission, par la demanderesse, du décès de son mari, dans la fiche des motifs de sa demande de protection internationale et lors de son audition par un agent du service de police judiciaire.

Il en est de même en ce qui concerne le certificat de décès versé en cause. En effet, il est certes exact qu’il se dégage du procès-verbal de la police grand-ducale, unité …, section …, du 21 janvier 2021, portant le numéro de référence …, tel que versé par le délégué du gouvernement en cours de délibéré, suite à la question du tribunal à l’audience des plaidoiries quant à l’issue de la vérification d’authenticité de ladite pièce, qu’il s’agit d’un document authentique. Il n’en reste pas moins que la pièce en question est dépourvue de valeur probante, étant donné (i) qu’elle ne contient que la transcription de déclarations de deux personnes, dont l’identité exacte ne ressort d’aucun élément produit en cause, (ii) que la qualité en vertu de laquelle ces personnes ont effectué cette déclaration ne se dégage ni de la pièce litigieuse, ni d’un quelconque autre élément soumis à l’appréciation du tribunal (iii) qu’il y est indiqué qu’il ne s’agit que d’un « certificat de décès provisoire » et (iv) que ces déclarations ont été effectuées le 4 août 2020, soit également in tempore suspecto. En tout état de cause, même à admettre que cette pièce serait de nature à prouver à suffisance de droit le décès de l’époux de la demanderesse en date du 27 mai 2018, ce qui n’est pas le cas, il n’en reste pas moins qu’elle n’est pas de nature à établir que ce dernier serait intervenu dans les circonstances de fait invoquées par la demanderesse.

La même conclusion s’impose quant à la photographie de la prétendue tombe de l’époux de la demanderesse, telle que versée en cause. Par ailleurs, outre le fait que cette photographie est d’une mauvaise qualité et que les inscriptions sur la tombe ne sont pas lisibles, le nom qui y figurerait, selon les explications contenues dans la requête introductive d’instance, serait « … ».

Or, selon le susdit certificat de décès, le nom du défunt serait « … », tandis qu’au cours de son audition par un agent ministériel, la demanderesse a déclaré que son conjoint se serait appelé 12 « … ». Si le tribunal n’aperçoit pas de lettre « … » dépassant le bord de la prétendue tombe, telle que mise en exergue par le délégué du gouvernement, c’est néanmoins à juste titre que le représentant étatique souligne qu’à côté de cette dernière, se trouve un gros trait noir qui semble y avoir été placé par ordinateur, la partie demanderesse n’ayant fourni aucune explication à cet égard.

Ces éléments sont, dans leur ensemble, de nature à corroborer le défaut de crédibilité du récit de la demanderesse, tel que retenu ci-avant par le tribunal.

Il en est de même en ce qui concerne les incohérences affectant les explications de la demanderesse quant aux paiements des passeurs à l’aide desquels elle aurait quitté son pays d’origine pour se rendre en Europe. A cet égard, le tribunal constate, à l’instar de la partie étatique, que lors de son audition par un agent de la police grand-ducale, section …, elle a expliqué qu’elle aurait payé « … Dollar und … Euro », tandis que dans le cadre de l’entretien sur les motifs gisant à la base de sa demande de protection internationale, elle a affirmé avoir payé … dollars à un passeur en Somalie et … dollars à un autre passeur en Turquie, sans qu’elle ait fourni une quelconque explication quant à cette divergence entre ces montants. De même, interrogée par l’agent en charge de son audition quant à l’origine des … dollars qu’elle a affirmé avoir payés au passeur somalien, elle a répondu : « (…) Das war mein Geld (…). Ich habe Geld gespart von der Arbeit (…) ». Or, dans la suite de ses explications, elle n’a fait état que d’un montant de … dollars correspondant à ses économies issues de son travail – et non pas de … euros, tel que soutenu erronément par les parties. Si, dans la requête introductive d’instance, elle explique que ses oncles maternels lui auraient donné l’argent manquant, cette explication n’est néanmoins pas convaincante, étant donné qu’au cours de son audition, elle a explicitement affirmé qu’elle aurait utilisé ses propres économies, sans faire la moindre allusion à une aide financière de la part de sa famille.

Indépendamment du bien-fondé des autres arguments soulevés par la partie étatique, et notamment de ceux ayant trait à l’opportunité, pour la demanderesse, de recourir aux services d’un passeur et aux modalités dans lesquelles elle a obtenu son passeport, de même que son visa, le tribunal conclut, au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, que c’est à juste titre que le ministre a retenu que la crédibilité du récit de la demanderesse est ébranlée dans son ensemble et qu’elle ne saurait, dès lors, bénéficier ni du statut de réfugié, ni du statut conféré par la protection subsidiaire.

Il suit des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande de protection internationale de Madame …, de sorte que le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.

2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 22 juillet 2020 portant ordre de quitter le territoire, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit 13 dans les formes et délai de la loi.

En se prévalant du susdit jugement du tribunal administratif du 17 septembre 2019, la demanderesse sollicite l’annulation de l’ordre de quitter le territoire, dans le cadre du recours en réformation, en tant que conséquence de l’annulation, dans le cadre du recours en réformation, de la décision ministérielle de rejet de sa demande de protection internationale.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Or, dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le recours en réformation dirigé contre le refus d’une protection internationale est à rejeter, le ministre a valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 22 juillet 2020 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 22 juillet 2020 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, premier vice-président, Hélène Steichen, premier juge, 14 Daniel Weber, premier juge, et lu à l’audience publique du 12 juillet 2021 par le premier vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 12 juillet 2021 Le greffier du tribunal administratif 15


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 44892
Date de la décision : 12/07/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-07-12;44892 ?

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