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05/08/2021 | LUXEMBOURG | N°46172

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 août 2021, 46172


Tribunal administratif N° 46172 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 juin 2021 Chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 5 août 2021 Recours formé par Monsieur …, Luxembourg alias …, alias …, alias …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46172 du rôle et déposée le 25 juin 2021 au greffe du tribunal admi

nistratif par Maître Ibtihal El Bouyousfi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre ...

Tribunal administratif N° 46172 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 juin 2021 Chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 5 août 2021 Recours formé par Monsieur …, Luxembourg alias …, alias …, alias …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46172 du rôle et déposée le 25 juin 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Ibtihal El Bouyousfi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Algérie), de nationalité algérienne, alias …, né le …, alias …, alias …, de nationalité algérienne, ayant été assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK) sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 10 juin 2021 de le transférer vers les Pays-Bas, l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 juillet 2021 ;

Vu l’article 1er de la loi du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu la communication de Maître Marc-Olivier Zarnowski, en remplacement de Maître Ibtihal El Bouyousfi, du 2 août 2021 suivant laquelle il marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;

Vu la communication du délégué du gouvernement du 3 août 2021 suivant laquelle il marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique de vacation du 4 août 2021.

Le 19 avril 2021, Monsieur …, alias …, alias …, alias …, ci-après désigné par « Monsieur … », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, désigné ci-après par « le ministère », une demande 1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. ».

1en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion, suite à la comparaison des empreintes digitales de l’intéressé avec la base de données EURODAC, ainsi que suivant ses propres déclarations, qu’il avait précédemment introduit des demandes de protection internationale aux Pays-Bas le 14 octobre 2019 et en Allemagne le 13 novembre 2019.

Toujours le 19 avril 2021, Monsieur … passa encore un entretien auprès du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

En date du 20 avril 2021, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités néerlandaises aux fins de la reprise en charge de Monsieur … sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, demande à laquelle les autorités néerlandaises firent droit par un courrier daté du 26 avril 2021.

Par arrêté du 23 avril 2021, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », assigna Monsieur … à résidence à la structure d’hébergement du Kirchberg (SHUK) pour une durée de trois mois à partir de sa notification.

Par décision du 10 juin 2021, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le même jour, le ministre informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer vers les Pays-Bas, sur base des dispositions des articles 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, le ministre insistant plus particulièrement sur le fait que Monsieur … avait précédemment introduit une demande de protection internationale aux Pays-Bas en date du 14 octobre 2019 et que les autorités néerlandaises avaient, le 26 avril 2021, accepté de le reprendre en charge.

Ladite décision est fondée sur les motifs et considérations suivants :

« […] En mains le rapport de Police Judiciaire du 19 avril 2021 et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 19 avril 2021.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 19 avril 2021, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l'immigration.

2La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit deux demandes de protection internationale, dont une aux Pays-Bas en date du 14 octobre 2019 et une en Allemagne en date du 13 novembre 2019.

Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 19 avril 2021.

Sur cette base, la Direction de l'immigration a adressé en date du 20 avril 2021 une demande de reprise en charge aux autorités néerlandaises sur base de l'article 18(1)d du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités néerlandaises en date du 26 avril 2021.

2. Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d'une reprise en charge, et notamment conformément à l'article 18(1), point d) du règlement DIII, l'Etat responsable de l'examen d'une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge - dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 - le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre.

Par ailleurs, un Etat n'est pas autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il ressort des résultats du 19 avril 2021 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez introduit deux demandes de protection internationale, dont une aux Pays-Bas en date du 14 octobre 2019 et une en Allemagne en date du 13 novembre 2019.

3Selon vos déclarations, vous auriez quitté l'Algérie en date du 11 juillet 2018 pour vous rendre au Maroc. Après un mois à Saïdia, vous seriez monté à bord d'une embarcation en direction de l'Espagne où vous auriez travaillé pendant un an et demi. Après une bagarre, vous auriez quitté l'Espagne en direction de la France. Vous y auriez travaillé pendant six mois avant de vous rendre en Belgique où vous auriez travaillé quatre mois. Ensuite, vous vous seriez rendu aux Pays-Bas où vous avez introduit une première demande de protection internationale qui a été rejetée. Vous auriez reçu un ordre de quitter le territoire et vous vous seriez rendu en Allemagne où vous avez introduit une deuxième demande de protection internationale. Les autorités allemandes auraient rejeté votre demande et vous auraient annoncé que vous seriez transféré vers les Pays-Bas. Après deux mois en Allemagne, vous vous seriez alors rendu en Suisse où vous auriez vécu pendant un mois avant de venir au Luxembourg en date du 16 avril 2021.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 19 avril 2021, vous n'avez pas fait mention d'éventuelles particularités sur votre état de santé ou autres problèmes généraux empêchant un transfert vers les Pays-Bas qui sont l'Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Rappelons à cet égard que les Pays-Bas sont liés à la Charte UE et sont partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que les Pays-Bas sont liés par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que les Pays-Bas profitent, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'ils respectent leurs obligations découlant du droit international et européen en la matière.

Par conséquent, les Pays-Bas sont présumés respecter leurs obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers les Pays-Bas sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

En l'occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n'aurait pas fait l'objet d'une analyse juste et équitable, ni que vous n'auriez pas les moyens de les faire valoir, notamment devant les autorités judiciaires néerlandaises.

Vous n'avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que les Pays-Bas ne respecteraient pas le principe de non-refoulement à votre égard et failliraient à leurs 4obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités luxembourgeoises d'analyser les risques d'être soumis à des traitements inhumains au sens de l'article 3 CEDH dans votre pays d'origine, mais dans l'Etat de destination, en l'occurrence les Pays-Bas. Vous ne faites valoir aucun indice que les Pays-Bas ne vous offriraient pas le droit à un recours effectif conformément à l'article 13 CEDH ou que vous n'aviez ou n'auriez pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les juridictions néerlandaises, notamment en vertu de l'article 46 de la directive « Procédure ».

Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence aux Pays-Bas revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv.

torture.

Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l'exécution du transfert vers les Pays-Bas, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers les Pays-Bas, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s'avère nécessaire, la Direction de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers les Pays-Bas en informant les autorités néerlandaises conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités néerlandaises n'ont pas été constatées. […] ».

5Toujours le 10 juin 2021, la direction de l’Immigration pria le service de police judiciaire de la police grand-ducale, section criminalité organisée - police des étrangers, d’organiser le transfert de Monsieur … vers les Pays-Bas, en précisant que le transfert ne peut être organisé avant le 27 juin 2021.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 25 juin 2021, inscrite sous le numéro 46172 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 10 juin 2021 ordonnant son transfert vers les Pays-Bas, l’Etat membre responsable du traitement de sa demande de protection internationale.

Dans la mesure où l’article 35, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015 en sa version applicable au jour de la prise de la décision déférée prévoyait expressément un recours en annulation contre la décision de transfert visée à l’article 28, paragraphe (1), de la même loi, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision ministérielle précitée du 10 juin 2021. Le recours en annulation est encore à déclarer recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

A cet égard, le tribunal relève que si la loi du 16 juin 2021 portant modification de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, publiée au Mémorial en date du 1er juillet 2021, a modifié en ce qui concerne les décisions de transfert non seulement la procédure contentieuse devant le tribunal administratif, mais également les voies de recours, en prévoyant dorénavant la possibilité d’introduire un recours en réformation, et que si une nouvelle loi est applicable aux instances en cours quand elle se contente de modifier les formes ou la procédure du recours, le tribunal relève qu’elle ne l’est pas lorsqu’elle affecte la recevabilité même du recours qui doit être appréciée selon la loi en vigueur au jour où la décision a été prise. En d’autres termes, l’existence d’une voie de recours est régie, en l’absence de mesures transitoires, tel que cela est le cas en l’espèce, par la loi sous l’empire de laquelle a été rendue la décision attaquée.

S’agissant dès lors non pas d’une simple loi de procédure, applicable aux instances en cours, mais d’une loi de fond, la loi du 16 juin 2021 est applicable aux seules décisions ayant été prises sous son égide, de sorte que la recevabilité du présent recours sera appréciée par rapport à l’article 35, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015 en sa version applicable au jour de la prise de la décision attaquée, à savoir le 10 juin 2021.

A l’appui de son recours, le demandeur reprend en substance les faits et rétroactes tels que repris ci-avant, tout en soulignant qu’eu égard au fait que sa demande de protection internationale aux Pays-Bas aurait été rejetée et qu’elle serait assortie d’un ordre de quitter le territoire, il courrait un risque réel d’être placé en rétention dès sa remise aux autorités néerlandaises pour la préparation de son éloignement vers son pays d’origine.

En droit, le demandeur conteste la compétence des Pays-Bas en faisant état d’une erreur manifeste d’appréciation du ministre, dans la mesure où il existerait dans cet Etat membre des motifs sérieux et avérés de croire que les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale transférés en vertu du règlement Dublin III présentent des défaillances systémiques au sens de l’article 3, paragraphe (2) du même règlement qui entraîneraient en cas de transfert un risque réel qu’il soit soumis à des traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (« la Charte »).

6En se prévalant de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE)2 et de celle de la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH)3 à propos de la notion de défaillances systémiques au sens de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III, il fait valoir qu’il se dégagerait de rapports crédibles et publiquement disponibles que les conditions d’accès à la procédure d’asile et à l’hébergement par les demandeurs de protection internationale transférés vers les Pays-Bas et qui ont été définitivement déboutés d’une précédente demande d’asile risqueraient d’entraîner une violation de l’article 4 de la Charte dans son chef.

A cet égard et en s’appuyant sur un rapport de l’Asylum Information Database (AIDA), intitulé « Country report : Netherlands, 2020 Update », le demandeur soutient que dans la mesure où sa demande a d’ores et déjà été rejetée par les autorités néerlandaises et comme il ne pourrait pas faire valoir des faits nouveaux à l’appui d’une nouvelle demande de protection internationale s’il introduisait une nouvelle demande après son transfert aux Pays-Bas, celle-ci serait déclarée irrecevable « de manière très expéditive » par les autorités néerlandaises et il lui serait enjoint de quitter le territoire néerlandais suite au rejet de sa nouvelle demande de protection internationale. Encore qu’aux Pays-Bas il pourrait former dans un délai d’une semaine un recours judiciaire contre la décision d'irrecevabilité de sa demande subséquente, la justice néerlandaise n'annulerait ou ne réformerait pas la décision d'irrecevabilité de sa demande puisqu’il n’aurait pas su justifier sa nouvelle demande par des faits ou éléments nouveaux.

De plus, son pays d’origine, à savoir l'Algérie, serait considéré par les Pays-Bas comme un pays d'origine sûr, constat qui permettrait aux Pays-Bas de déclarer une demande de protection d’un demandeur originaire d’Algérie comme manifestement non fondée dans le cadre d’une procédure accélérée.

Il s’ensuivrait que suite à son transfert, les autorités néerlandaises déclareraient sans aucun doute irrecevable sa demande de protection internationale subséquente, de sorte qu'il courrait le risque réel de se retrouver en rétention en vue de l'organisation de son éloignement vers l'Algérie sinon à la rue dans des conditions de vie inhumaines et dégradantes, alors que l'accès aux conditions matérielles minimales d'accueil lui serait refusé sinon limité, le demandeur citant, à cet égard, un extrait d’un rapport de Human Rights Watch de 2019 sur les Pays-Bas, faisant état d’une diminution des capacités d’accueil pour les demandeurs de protection internationale.

Il conclut que les conditions d’accès à la procédure d’asile et à l’hébergement des demandeurs de protection internationale retournés aux Pays-Bas en application du règlement Dublin III, constitueraient des indices sérieux de croire qu’il courrait un risque réel d’être exposé à des traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte en cas d’exécution de son transfert vers ce pays.

La décision entreprise serait dès lors à annuler pour violation de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III.

Le demandeur invoque ensuite une violation de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (la 2 CJUE, 14 novembre 2013, affaire C-4/11, Kaveh Puid c. Bundesrepublik Deutschland.

3 CourEDH, 4 novembre 2014, Requête n° 29217/12, Tarakhel c. Suisse.

7« CEDH ») en reprochant au ministre d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation pour ne pas avoir pris en compte le risque sérieux de traitements inhumains et dégradants auxquels il serait exposé à la suite de son transfert vers les Pays-Bas.

A cet égard, il se prévaut d’un arrêt de la CourEDH du 27 mai 20084 à l’occasion duquel celle-ci avait retenu que les critères d'un traitement inhumain et dégradant au sens des articles 3 de la CEDH ou 4 de la Charte pourraient être réunis dans des cas très exceptionnels et lorsque les considérations humanitaires militant contre l'expulsion sont impérieuses.

En l'espèce, les circonstances très exceptionnelles tiendraient au fait qu’il serait un demandeur de protection internationale dont la demande antérieure avait été d'ores et déjà rejetée par les Pays-Bas, de sorte que, ne disposant pas d'éléments et de faits nouveaux, sa demande subséquente introduite suite à son transfert serait rejetée avec le risque qu'il serait exposé à des traitements interdits par l'article 3 de la CEDH.

Le risque serait d'autant plus élevé qu'il se dégagerait à suffisance du rapport AIDA de 2020, précité, des indices qu’il courrait un risque réel d'être confronté à des difficultés pour trouver un hébergement, de sorte qu'il devrait vivre dans la rue et qu’il serait exposé aux interdictions de l'article 3 de la CEDH.

Ce serait dès lors à tort que le ministre se serait contenté d’affirmer, en se prévalant du principe de confiance mutuelle, que les Pays-Bas respecteraient leurs obligations tirées du droit international public, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 de la CEDH sans se référer à une quelconque preuve objective à cet égard, le demandeur insistant plus particulièrement sur le fait que le principe de confiance mutuelle ne pourrait trouver application en l’espèce alors qu’il se dégagerait clairement des rapports AIDA et Human Rights Watch ci-avant exposés que les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale aux Pays-Bas pourraient exposer ceux-ci à des traitements inhumains et dégradants, fait que les autorités luxembourgeoises ne pourraient, selon lui, simplement ignorer.

Il reproche, ainsi, au ministre d’avoir invoqué la confiance mutuelle et la présomption de protection des droits fondamentaux des demandeurs de protection internationale par les Pays-Bas sans se référer à un quelconque élément de preuve et sans fournir des explications cohérentes et pertinentes pour corroborer ses affirmations, lesquelles seraient, selon le demandeur, manifestement subjectives et automatiques, le demandeur soulignant encore qu’eu égard aux informations publiquement disponibles, il existerait un risque « énorme et réel » pour lui de voir ses droits fondamentaux violés au vu des conditions déplorables d’accueil auxquelles il serait indubitablement exposé.

Il donne à considérer que selon la jurisprudence de la CJUE5, l’évocation de la confiance mutuelle à l’appui d’une décision de transfert Dublin III présupposerait que la mise en danger éventuelle des droits fondamentaux devrait d’abord être mise en balance avec l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants contenue dans l’article 4 de la Charte ou dans l’article 3 de la CEDH. Cette interdiction serait d’une importance fondamentale en raison du lien étroit avec le respect de la dignité humaine et de son caractère absolu qui en résulterait.

4 CourEDH, 27 mai 2008, affaire N. c. Royaume-Uni, n° 26565/05 5 CJUE, 19 mars 2019, affaire C-297/17, Ibrahim, paragraphe 87.

8Il ajoute que la CJUE préciserait, par ailleurs, que la présomption de protection des droits fondamentaux des demandeurs d’asile devrait être considérée comme étant réfutée ou réfragable si la situation qui prévaut dans l’Etat membre cible du transfert et qui serait contraire à la présomption de sécurité ne pourrait être ignorée de l’Etat membre effectuant le transfert.

Cela entraînerait, de surcroît, une obligation pour les juridictions nationales de fournir une certitude de conviction quant à la sécurité prévalant dans l’Etat cible.

Le demandeur donne encore à considérer qu’afin d’évaluer les risques réels pour les demandeurs de protection internationale en cas de transfert vers un Etat membre, la CJUE et la CourEDH se référeraient à des rapports réguliers et cohérents du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), de la Commission de l’Union européenne, des organisations non gouvernementales internationales telles que Amnesty International, Human Rights Watch et Pro-Asyl, du Conseil européen des réfugiés et exilés, des organisations non gouvernementales présentes dans l’Etat cible ainsi que de la Commission nationale des droits de l’homme20.

Or et contrairement à la confiance mutuelle manifestement erronée et biaisée dont témoignerait le ministre à l’égard des Pays-Bas quant au respect des droits fondamentaux, des informations de nature à écarter l’application du principe de confiance mutuelle à l’égard des Pays-Bas ressortiraient des rapports cités ci-avant. Ainsi, le ministre semblerait manifestement avoir ignoré que depuis la retentissante condamnation de la Belgique et de la Grèce par la CourEDH en 20116, il ne serait plus question de faire aveuglement confiance aux Etats membres de l’Union européenne dans le cadre de l’application du règlement Dublin III en invoquant simplement le principe de confiance mutuelle, alors que les Etats membres pourraient constituer des Etats d'insécurité dans lesquels les demandeurs de protection internationale courent le risque d'un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la CEDH.

Il en conclut que le ministre aurait dû prendre en compte, eu égard aux informations qui précèdent, que son transfert vers « la France » pourrait raisonnablement emporter un risque réel qu'il soit soumis à des traitements inhumains ou dégradants.

Il s’ensuivrait qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que l’exécution de la décision de transfert vers les Pays-Bas emporterait dans son chef un risque réel d’une violation de l’article 3 de la CEDH, de sorte que la décision querellée serait à annuler de ce chef.

Le demandeur se prévaut, enfin, d’une violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, en reprochant au ministre d’avoir commis une erreur manifeste d'appréciation en ce qui concerne sa situation particulière et d’avoir méconnu le principe de bonne administration.

En effet, si le ministre avait constaté en l'espèce que sa demande manquait d'informations pertinentes et suffisantes pour l'application de l'article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, il lui aurait appartenu, conformément au principe de bonne administration, de lui donner la possibilité de fournir plus d'informations avant de prendre sa décision définitive.

Pour ce faire, le demandeur est d’avis que suite à l'introduction de sa demande de protection internationale suivie de l'entretien Dublin III, son avocat aurait dû avoir, en amont, 6 CEDH [GC], MSS c. Belgique et Grèce, 21 janvier 2011.

9l'occasion de rédiger un avis sur la décision ministérielle envisagée et de fournir également des informations complémentaires après discussion avec son mandant.

Dès lors, le fait pour le ministre de se servir simplement d'une demande comportant des informations non suffisantes et non pertinentes pour rejeter l'application de l'article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III serait à considérer comme contraire au principe de bonne administration dans la mesure où aucune possibilité ne lui aurait été donnée de compléter les informations considérées comme insuffisantes par le ministre et d'éclairer celles estimées non pertinentes.

En l'espèce, en raison du risque réel qu’il courrait d'être confronté à des traitements contraires aux interdictions des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, le ministre, qui serait tenu d'apprécier sa situation personnelle et particulière à la date de la prise de sa décision de transfert vers les Pays-Bas, aurait dû utiliser le pouvoir discrétionnaire lui conféré par l'article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III pour déclarer le Grand-Duché de Luxembourg compétent pour l'examen de sa demande de protection internationale.

La décision querellée serait dès lors à annuler pour violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé dans aucun de ses moyens.

Aux termes de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

L’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités néerlandaises pour assurer le suivi du dossier du demandeur à la suite du rejet de sa demande de protection internationale prévoit que « 1. L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : […] d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale, voire des suites à réserver à la décision de rejet d’une telle demande, et si ce pays accepte la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de transférer le demandeur vers les Pays-Bas et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application des prédits articles 28, paragraphe 10(1) de la loi du 18 décembre 2015 et 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale et de ses suites sont les Pays-Bas, en ce que le demandeur y a introduit une demande de protection internationale en date du 14 octobre 2019 et que les autorités néerlandaises ont accepté sa reprise en charge le 26 avril 2021, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de ne pas examiner la demande de protection internationale déposée par le demandeur au Luxembourg et de le transférer vers les Pays-Bas.

Le bien-fondé de cette motivation se dégage, par ailleurs, aussi bien des recherches effectuées dans la base de données EURODAC, que de la réponse des autorités néerlandaises, qui, tel que relevé ci-avant, ont accepté de reprendre le demandeur en charge sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III.

Le tribunal constate ensuite que le demandeur ne conteste pas la compétence de principe des autorités néerlandaises, mais conclut à l’annulation de la décision litigieuse au motif que son transfert serait contraire aux articles 3, paragraphe (2) et 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, ainsi qu’aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, en raison des déficiences systémiques qui existeraient dans la procédure d’asile et les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale déboutés, tel que cela résulterait des rapports internationaux versés en cause.

Il y a lieu de relever que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte - similaire à l’article 3 de la CEDH -, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la faculté d’examiner la demande de protection internationale en passant outre la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

S’agissant tout d’abord de l’article 3 du règlement Dublin III, celui-ci dispose en son paragraphe (2), alinéa 2 que : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable. ». L’application de cette disposition par un Etat membre qui a priori n’est pas compétent, présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile, respectivement dans les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans l’Etat membre en principe compétent et qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte dans le chef de l’intéressé.

Cette disposition impose dès lors à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses 11raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, respectivement de l’article 3 de la CEDH.

La situation visée par ledit article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé7.

A cet égard, le tribunal relève que les Pays-Bas sont tenus au respect, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« la Convention « torture »), ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par le règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après désignées par « la Convention de Genève », et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard8. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants9. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées10. Dans son arrêt du 16 février 2017, la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après « CJUE », a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile11, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

7 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.

8 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-

493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform., point 78.

9 Ibidem, point. 79 ; Voir également : Trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.ja.etat.lu.

10 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

11 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.

12Le tribunal relève à cet égard encore que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés.

S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de reprise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives12, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE13, ces défaillances systémiques requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens des articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 201714.

Quant à la preuve à rapporter par le demandeur à l’appui de son moyen tiré de la violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 201915 que pour relever de l’article 4 de la Charte - similaire à l’article 3 de la CEDH -, auquel ladite disposition du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine16. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant17.

Le demandeur remettant en question la présomption du respect par les Pays-Bas des droits fondamentaux, puisqu’il affirme y risquer des traitements inhumains et dégradants, il lui incombe de fournir des éléments concrets permettant de la renverser, étant, à cet égard, relevé que sa situation est celle d’un demandeur de protection internationale débouté, de sorte que c’est sur cette toile de fond que ses contestations doivent être examinées.

Le tribunal est toutefois amené à retenir qu’en l’espèce, le demandeur reste en défaut de démontrer qu’en cas de retour aux Pays-Bas, il risquerait d’encourir un quelconque traitement inhumain ou dégradant au sens des dispositions internationales précitées, respectivement dans le sens retenu par la CJUE, nécessitant, tel que retenu ci-avant, des actes 12 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur www.ja.etat.lu.

13 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.

14 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.

15 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

91.

16 Ibid., pt. 92.

17 Ibid., pt. 93.

13devant revêtir un certain seuil de gravité et entraînant des souffrances physiques ou psychologiques intenses.

En ce qui concerne tout d’abord les craintes du demandeur qu’il serait placé en rétention sinon qu’il serait contraint de vivre dans la rue au regard du fait qu’une éventuelle seconde demande de protection internationale serait rapidement déclarée irrecevable aux Pays-Bas, le tribunal relève qu’en argumentant qu’il n’aurait aucune chance de voir aboutir dans une seconde demande de protection internationale aux Pays-Bas, le demandeur semble vouloir dire que sa demande de protection internationale, dont il a été déboutée par les autorités néerlandaises, aurait été rejetée à tort impliquant nécessairement un examen défectueux opéré par les autorités néerlandaises.

Or, au regard de la présomption de confiance mutuelle quant au respect des droits fondamentaux, telle que relevée ci-avant, il y a a priori lieu d’admettre que la demande de protection internationale du demandeur a été examinée en respect des instruments européens et internationaux auxquels les Pays-Bas sont liés, et cela tant en ce qui concerne la procédure de demande de protection internationale que de manière plus générale quant au respect des droits fondamentaux et quant aux possibilités de recours.

En tout état de cause, le demandeur reste en défaut d’avancer des raisons concrètes permettant de penser que les autorités néerlandaises responsables du traitement de sa demande de protection internationale, respectivement des suites à y donner, n’auraient pas analysé correctement sa demande de protection internationale avant de l’en débouter ou que ses droits n’auraient pas été respectés lors du traitement de sa demande de protection internationale - le seul fait que sa demande n’a pas été accueillie ne permettant en tout cas pas de conclure ipso facto à un tel examen défectueux - ou qu’en tant que demandeur de protection internationale débouté, il n’aurait pas ou n’aurait pas eu accès à la justice de cet Etat pour, le cas échéant, faire valoir ses droits, que ce soit en relation avec la décision de rejet de sa demande de protection internationale ou avec une éventuelle mesure d’éloignement vers son pays d’origine.

En tout état de cause, il n’appartient pas au ministre de mettre en doute la décision de rejet des autorités de l’Etat membre responsable, le contraire aboutissant, en effet, à ce que le ministre procède à une nouvelle analyse d’une demande d’ores et déjà rejetée dans un Etat membre, façon de procéder qui relèverait toutefois du « forum shopping » que le règlement Dublin III vise justement à éviter.

Si le demandeur cite certes un extrait d’un rapport AIDA de 2020 dont il se dégage qu’une demande de protection internationale pourrait être rejetée par les autorités néerlandaises comme manifestement non fondée suivant une procédure accélérée alors que son pays d’origine, l’Algérie, serait considéré comme un pays d’origine sûr, le demandeur non seulement n’allègue pas qu’il aurait été débouté de sa demande sur un tel fondement par les autorités néerlandaises, mais reste encore en défaut d’expliquer en quoi l’application de telles dispositions serait contraire aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte dont il se prévaut.

Le tribunal constate encore, dans ce contexte, qu’il ne se dégage pas des éléments à sa disposition que le demandeur ait introduit aux Pays-Bas un recours contentieux contre la décision de refus opposée à sa demande de protection internationale, le demandeur n’alléguant, par ailleurs, pas qu’il n’aurait pas pu exercer les voies de recours adéquates contre ce refus.

Au contraire, force est de constater que lors de son entretien Dublin III, le demandeur n’a pas fait état de difficultés particulières qu’il aurait rencontrées quant aux conditions 14matérielles d’accueil aux Pays-Bas ou encore quant à la manière dont sa demande de protection internationale y a été traitée. En l’occurrence, il a affirmé avoir été logé dans un foyer pour demandeurs d’asile pendant son séjour aux Pays-Bas, tout en expliquant qu’il s’est rendu en Allemagne en vue d’y introduire une nouvelle demande de protection internationale après s’être vu rejeté sa demande de protection internationale par les autorités néerlandaises assortie d’un ordre de quitter le territoire pour des raisons qui ne lui seraient pas connues (« Je ne sais pas. Je n’ai pas demandé pourquoi. »)18. Questionné sur les raisons pour lesquelles il a souhaité ne pas rester aux Pays-Bas et quelles pourraient être les conséquences d’un transfert vers ce pays, le demandeur a répondu par « Aucune ».

Ensuite, la seule circonstance qu’après avoir été débouté d’une première demande de protection internationale aux Pays-Bas, une seconde demande risque d’être déclarée irrecevable par les autorités néerlandaises à défaut de tout élément nouveau - étant relevé que le demandeur est en aveu qu’il n’y a pas de faits nouveaux qu’il pourrait présenter à l’appui d’une seconde demande de protection internationale - n’est pas non plus per se contraire aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, le demandeur admettant, par ailleurs, disposer de voies de recours aux Pays-Bas au cas où une seconde demande de protection internationale était déclarée irrecevable. Au contraire, les conséquences incriminées par le demandeur d’une demande ultérieure déposée aux Pays-Bas découlent justement de l’article 33 de la directive n° 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (« directive Procédure »), qui permet de déclarer irrecevable une demande ultérieure19, étant relevé que cette possibilité est d’ailleurs aussi prévue par la législation du Grand-Duché de Luxembourg, pays de la compétence duquel le demandeur entend justement se prévaloir.

Dans ces conditions et à défaut de tout élément concret permettant de douter que la demande de protection internationale n’avait pas été examinée par les autorités néerlandaises suivant les standards européens s’imposant à ce pays et en respect des droits fondamentaux découlant de la CEDH et de la Charte, le fait qu’un demande ultérieure est déclarée irrecevable n’étant pas critiquable per se, le demandeur n’est pas fondé à conclure de façon purement théorique et abstraite à une violation des articles 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III, 3 de la CEDH et 4 de la Charte à partir du seul constat qu’après le rejet d’une première demande, une deuxième demande de protection internationale risquerait, à défaut d’éléments nouveaux, d’être rejetée aux Pays-Bas.

Quant à la crainte du demandeur d’être confronté à un accès limité, voire impossible à des conditions matérielles d’accueil et plus particulièrement celle de rencontrer des difficultés pour trouver un hébergement, le tribunal relève que la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant une protection internationale, ci-après désignée par la « directive Accueil », prévoit explicitement la faculté de « limiter les possibilités d’abus du système d’accueil en précisant les circonstances dans lesquelles le bénéfice des conditions matérielles d’accueil pour les demandeurs peut être limité ou retiré, tout en garantissant un niveau de vie digne à tous les demandeurs20». L’article 20 de cette directive prévoit, pour sa part, explicitement la possibilité 18 Page 7 du rapport d’entretien Dublin III.

19 Cf considérant numéro 36 de la directive Procédure: « Lorsqu’un demandeur présente une demande ultérieure sans apporter de nouvelles preuves ou de nouveaux arguments, il serait disproportionné d’obliger les États membres à entreprendre une nouvelle procédure d’examen complet. Les États membres devraient, en l’espèce, pouvoir rejeter une demande comme étant irrecevable conformément au principe de l’autorité de la chose jugée. » 20 Considérant 25.

15pour les Etats membres notamment de limiter, voire de retirer, le bénéfice des conditions matérielles d’accueil, notamment lorsqu’un demandeur « a) abandonne le lieu de résidence fixé par l’autorité compétente sans en avoir informé ladite autorité ou, si une autorisation est nécessaire à cet effet, sans l’avoir obtenue » ou encore « c) a introduit une demande ultérieure telle que définie à l’article 2, point q), de la directive 2013/32/UE », c’est-à-dire une nouvelle demande de protection internationale « présentée après qu’une décision finale a été prise sur une demande antérieure, y compris le cas dans lequel le demandeur a explicitement retiré sa demande et le cas dans lequel l’autorité responsable de la détermination a rejeté une demande à la suite de son retrait implicite, conformément à l’article 28, paragraphe 1 ».

De même, si le 11ème considérant du règlement Dublin III stipule explicitement que la directive Accueil est applicable aux demandeurs d’asile soumis à une procédure Dublin, il admet également explicitement l’application des limitations figurant dans cette même directive Accueil.

Tel que relevé ci-avant, il est constant en cause que le demandeur a été débouté de sa demande de protection internationale aux Pays-Bas, cet Etat membre ayant accepté sa reprise en charge sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d), du règlement Dublin III, précité.

En cas de transfert vers les Pays-Bas, le demandeur devra, dans ces conditions, soit y être considéré comme un migrant en situation irrégulière, à défaut d’y réintroduire une nouvelle demande de protection internationale, et, partant en sa qualité de demandeur d’asile débouté comme sortant du champ d’application de la Convention de Genève, soit, dans l’hypothèse de l’introduction d’une nouvelle demande, comme demandeur ayant formulé une demande ultérieure au sens de la législation européenne, de sorte à pouvoir, théoriquement, se voir opposer la limitation, voire le retrait de l’accès aux conditions matérielles d’accueil.

Le tribunal relève encore que la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à l’accueil des demandeurs de protection internationale et de protection temporaire, législation régissant les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale au Luxembourg, s’applique à tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride ayant présenté une demande de protection internationale sur laquelle aucune décision finale n’a encore été prise, de sorte à exclure les demandeurs ayant formulé une « demande ultérieure », tandis que l’article 22 de la même loi permet au directeur de l’Office luxembourgeois de l’accueil et de l’intégration de limiter ou de retirer le bénéfice des conditions matérielles d’accueil lorsque le demandeur a notamment déjà introduit une demande de protection internationale au Grand-Duché de Luxembourg.

Dès lors, le fait même de limiter ou de restreindre totalement ou partiellement l’accès aux conditions matérielles d’accueil à des migrants ayant quitté sans autorisation leur lieu d’hébergement ou ayant introduit une demande ultérieure après avoir essuyé un premier refus définitif à leur demande de protection internationale est autorisé tant par la législation européenne que, à titre de mise en perspective, par la législation nationale luxembourgeoise.

Ainsi, même à admettre que les Pays-Bas aient adopté une politique visant à restreindre l’accès au système d’accueil à certaines catégories de personnes et notamment à celles y ayant déjà été définitivement déboutées de leur demande de protection internationale, étant relevé que le demandeur n’invoque même pas expressément de telles restrictions, mais se limite à affirmer de façon péremptoire qu’il serait contraint de vivre dans la rue en cas de transfert aux 16Pays-Bas, cette circonstance ne peut pas per se être constitutive d’une violation des articles 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III, respectivement 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Au-delà de ce constat, le tribunal relève encore que la seule référence à un rapport de Human Rights Watch de 2019, mentionnant de manière générale une réduction des capacités d’accueil des demandeurs de protection internationale récemment arrivés dans le pays - ce qui n’est pas le cas du demandeur qui n’est pas un primo-arrivant - est insuffisante pour sous-

tendre l’affirmation péremptoire du demandeur qu’il serait nécessairement contraint de vivre dans la rue sans possibilité de secours.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, d’une part, que le demandeur n’a pas soumis au tribunal des éléments suffisamment convaincants permettant de retenir qu’il encourt un risque de se voir confronté à une limitation de facto ou en vertu de dispositions légales ou réglementaires néerlandaises à des conditions d’accueil qui seraient contraires aux articles 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III, 3 de la CEDH et 4 de la Charte, sa seule affirmation péremptoire qu’il devrait nécessairement vivre dans la rue aux Pays-Bas étant insuffisante à cet égard, et, d’autre part, à supposer qu’en cas de retour du demandeur aux Pays-

Bas, il serait confronté à une limitation de l’accès aux conditions d’accueil, une telle limitation ne constitue pas per se une violation de l’article 3 de la CEDH, sous réserve d’une possibilité d’accès, à l’instar de toute autre personne en situation de détresse, en ce compris les nationaux, à un dispositif d’aide d’urgence.

La question litigieuse, en l’espèce, se pose dès lors davantage en termes d’accès à l’aide sociale d’urgence de droit commun plutôt qu’en termes d’accès au système d’accueil spécifiquement mis en place pour les besoins des demandeurs de protection internationale.

Une telle approche est également retenue par le Conseil d’Etat français21: « le bénéfice [de l’accès à tout moment à un dispositif d’hébergement d’urgence] ne peut être revendiqué par l’étranger dont la demande d’asile a été définitivement rejetée et qui a fait l’objet d’une mesure d’éloignement contre laquelle les voies de recours ont été épuisées qu’en cas de circonstances particulières faisant apparaître, pendant le temps strictement nécessaire à son départ, une situation de détresse suffisamment grave pour faire obstacle à ce départ ».

Dans ce contexte et de manière plus générale, le tribunal relève encore que la CourEDH a considéré de manière régulière que l’article 3 de la CEDH ne saurait être interprété comme obligeant les Etats membres à garantir un droit au logement à toute personne relevant de leur juridiction. Il ne saurait pas non plus être tiré de l’article 3 de la CEDH un devoir général de fournir aux réfugiés une assistance financière pour que ceux-ci puissent maintenir un certain niveau de vie22.

La CourEDH a de même retenu qu’aucune disposition de la CEDH ne saurait être interprétée comme conférant à une personne le droit de jouir d’un niveau de vie donné ou le droit d’obtenir une aide financière de l’Etat23.

Par ailleurs, un Etat ne peut pas se voir reprocher de vouloir inciter une personne définitivement déboutée de sa demande de protection internationale et a fortiori en situation 21 Voir par exemple Conseil d’Etat, 4 juillet 2013, n°369750.

22 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12, points 94 et 95, et les jurisprudences y citées.

23 CEDH, 20 avril 1999, Wasilewski c. Pologne, n° 32734/96.

17irrégulière de quitter volontairement le territoire sur lequel elle réside irrégulièrement ; le fait d’être, le cas échéant, exposée à la nécessité d’entreprendre des démarches administratives plus contraignantes pour obtenir l’assistance, telle que la mise à disposition d’un logement gratuit de l’Etat où la personne en question se maintient en dépit d’une décision de refus, respectivement de ne pouvoir bénéficier que d’une aide plus limitée, ne saurait être considéré comme impliquant ipso facto un traitement inhumain et dégradant qui serait contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH.

Il convient, par ailleurs, de souligner que si le demandeur devait estimer que le système d’aide néerlandais - que ce soit celui offert aux demandeurs de protection internationale ou celui accessible à tous les résidents néerlandais- était à tel point avilissant qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités néerlandaises en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates; il en va de même si le demandeur devait estimer que le système néerlandais n’était pas conforme aux normes européennes ; dans ce cas, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits sur base de la directive Procédure, ainsi que de la directive Accueil directement auprès des autorités néerlandaises en usant des voies de droit adéquates.

Le tribunal est dès lors amené à conclure que le demandeur n’apporte pas la preuve que, dans son cas précis, ses droits tels que consacrés par les articles 3 CEDH et 4 de la Charte, ne seraient pas garantis en cas de retour aux Pays-Bas, ni que, de manière générale, les droits des demandeurs d’une protection internationale déboutés, voire ceux ayant introduit une seconde demande après avoir été déboutés d’une première, ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés aux Pays-Bas, ou encore que ceux-ci n’y auraient aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir auprès des autorités néerlandaises en usant des voies de droit adéquates.

L’ensemble des considérations qui précédent amènent, dès lors, le tribunal à rejeter le moyen tiré d’une violation des articles 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III, 4 de la Charte et 3 de la CEDH.

En ce qui concerne, enfin, le moyen du demandeur selon lequel il aurait appartenu au ministre de faire usage de la clause discrétionnaire inscrite à l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III, aux termes duquel « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement.[…]», le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres24. Si un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend certes pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge25, et s’il appartient au juge administratif de vérifier si les motifs invoqués ou résultant du dossier sont 24 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

25 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Recours en annulation, n° 55 et les autres références y citées.

18de nature à justifier la décision attaquée26, de sorte que lorsque l’autorité s’est méprise, à partir de données fausses en droit ou en fait, sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, il y a lieu d’annuler la décision en question, encore faut-il que pareille erreur dans le chef de l’autorité administrative résulte effectivement des éléments soumis au tribunal.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant dans le cadre de l’examen de la légalité de la décision attaquée par rapport aux articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH, que les prétentions du demandeur ne sont pas fondées, et que c’est sur base de cette même argumentation que le demandeur semble estimer que le ministre aurait dû appliquer la clause discrétionnaire, il y a lieu de retenir qu’il ne saurait pas davantage être reproché au ministre de s’être mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation en ne faisant pas usage de la simple faculté discrétionnaire lui offerte par l’article 17 du règlement Dublin III d’examiner la demande de protection internationale du demandeur alors même que cet examen incombe aux autorités néerlandaises.

En tout cas, ni sur le fondement du règlement Dublin III, ni sur le fondement des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, ni encore sur le principe de bonne administration de la justice, il ne peut être retenu que le ministre ait eu l’obligation, compte tenu des explications fournies par le demandeur lors de son entretien Dublin III, de permettre au litismandataire du demandeur de rédiger, préalablement à la prise de la décision attaquée, un avis sur l’applicabilité de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, voire de donner des explications complémentaires, cela d’autant plus que lors de son entretien Dublin III le demandeur n’a justement pas fait état de difficultés particulières qu’il aurait rencontrées aux Pays-Bas, tel que cela a été relevé ci-avant. Le reproche du demandeur de ne pas avoir donné à son litismandataire la possibilité de donner des explications en amont est dès lors non fondé.

Il s’ensuit que c’est à bon droit et sans commettre d’erreur d’appréciation, ni excéder ses pouvoirs, que le ministre a décidé de transférer le demandeur vers les Pays-Bas, l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, respectivement de ses suites, sans faire application de l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III, de sorte que le moyen fondé sur une violation de cette disposition est également rejeté.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres moyens, que le recours est à rejeter pour être non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, déclare le recours non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

26 CdE, 11 mars 1970, Pas. 21, p.339.

19Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 5 août 2021 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Alexandra Bochet, juge, Marc Frantz, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 5 août 2021 Le greffier du tribunal administratif 20


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 46172
Date de la décision : 05/08/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 11/08/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-08-05;46172 ?

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