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05/08/2021 | LUXEMBOURG | N°46184

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 août 2021, 46184


Tribunal administratif N° 46184 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 juin 2021 chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 5 août 2021 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46184 du rôle et déposée le 29 juin 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Bénédicte SCHAE

FFER, avocat à la Cour, assistée de Maître Evariste OHINCHE, avocat, tous deux inscrits au ...

Tribunal administratif N° 46184 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 juin 2021 chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 5 août 2021 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46184 du rôle et déposée le 29 juin 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Bénédicte SCHAEFFER, avocat à la Cour, assistée de Maître Evariste OHINCHE, avocat, tous deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Côte d’Ivoire), alias …, né le … à … (Bénin), de nationalité française, actuellement détenu au Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 14 juin 2021 de le transférer vers la Pologne comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu l’ordonnance du président du tribunal administratif du 5 juillet 2021, référencée sous le numéro 46185 du rôle, ayant rejeté la demande en obtention d’un sursis à exécution de Monsieur …, préqualifié;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 juillet 2021 ;

Vu l’article 1er de la loi du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu les communications des parties du 3 août 2021 suivant lesquelles celles-ci marquent leur accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans leur présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique de vacation de ce jour.

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Le 6 mars 2020, les autorités polonaises s’adressèrent à leurs homologues luxembourgeois en vue de la réadmission d’un dénommé …, prétendument né le … à … (Bénin) et prétendument de nationalité française, résident luxembourgeois, mais dont la 1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. » 1 véritable identité serait en fait …, né le … à … (Côte d’Ivoire), de nationalité ivoirienne, recherché en France pour usurpation d’identité, ladite personne ayant été détenue en Pologne pour séjour illégal.

Par courrier du 20 août 2020, le mandataire de Monsieur … tenta d’introduire au nom et pour le compte de ce dernier une demande de protection internationale au Luxembourg.

Par décision du 26 août 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre » refusa de faire droit à la demande lui ainsi soumise en raison du fait que celle-ci avait été introduite à distance.

Monsieur … revint sur le territoire luxembourgeois en date du 1er décembre 2020 et fut incarcéré au Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig.

Le 1er février 2021, il introduisit auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Le 4 février 2021, il fut entendu par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section de la criminalité organisée et de la police des étrangers, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il s’avéra à cette occasion que Monsieur … avait précédemment, à savoir le 24 septembre 2020, introduit une demande de protection internationale en Pologne.

Le 30 mars 2021, les autorités luxembourgeoises contactèrent leurs homologues polonais en vue de la reprise en charge de Monsieur … en exécution du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par ces derniers en date du 1er avril 2021.

Par courrier du 22 avril 2021, le ministre informa Monsieur … de sa décision de le transférer vers la Pologne sur base des dispositions de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de celles de l’article 18, paragraphe (1) point c), du règlement Dublin III.

Suite à un problème de notification, le ministre prit une nouvelle décision datée quant à elle au 14 juin 2021, annulant et remplaçant la précédente, cette nouvelle décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 1er février 2021 au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 2 18(1)c du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers la Pologne qui est l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire du 4 février 2021 et le rapport d’entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 1er février 2021.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 1er février 2021, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l’immigration.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez précédemment introduit une demande de protection internationale en Pologne en date du 24 septembre 2020.

Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 1er février 2021.

Sur cette base, la Direction de l’immigration a adressé en date du 30 mars 2021 une demande de reprise en charge aux autorités polonaises, sur base de l’article 18(1)c du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités polonaises en date du 1er avril 2021.

2. Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l’article 28(1) de la loi du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette compétence revient à un autre Etat.

Dans le cadre d’une reprise en charge, et notamment conformément à l’article 18(1), point c) du règlement DIII, l’Etat responsable de l’examen d’une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge - dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 - le ressortissant de pays tiers ou l’apatride qui a retiré sa 3 demande en cours d’examen et qui a présenté une demande dans un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre Un Etat n’est pas autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, il ressort des résultats du 4 février 2021 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez précédemment introduit une demande de protection internationale en Pologne en date du 24 septembre 2020.

Selon vos déclarations, vous auriez vécu sous une fausse identité en France et au Luxembourg pendant des années. En décembre 2019, après avoir visité vos deux enfants en Côte d’Ivoire, vous auriez pris un vol de Port-Bouët/Côte d’Ivoire vers Luxembourg, avec escale à Paris. Vous auriez été muni d’un passeport français sous une fausse identité, délivré par les autorités françaises. Vous seriez resté au Luxembourg pendant deux mois avant de partir en Pologne.

Selon vos dires, votre demande de protection internationale en Pologne aurait été rejetée. Or, les autorités polonaises, dans leur réponse du 20 janvier 2021 à notre demande d’informations, ont indiqué que vous avez retiré votre demande de protection internationale en date du 7 décembre 2020.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 1er février 2021, vous avez fait mention de souffrir d’hypertension et d’avoir des problèmes cardiaques. Cependant, vous n’avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé ou fait état d’autres problèmes généraux empêchant un transfert vers la Pologne qui est l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Rappelons à cet égard que la Pologne est liée à la Charte UE, et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que la Pologne est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Par conséquent, la Pologne est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à 4 l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers la Pologne sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

En l’occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n’aurait pas fait l’objet d’une analyse juste et équitable, ni que vous n’auriez pas les moyens de les faire valoir, notamment devant les autorités judiciaires polonaises.

Vous n’avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que la Pologne ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités luxembourgeoises d’analyser les risques d’être soumis à des traitements inhumains au sens de l’article 3 CEDH dans votre pays d’origine, mais dans l’Etat de destination, en l’occurrence la Pologne. Vous ne faites valoir aucun indice que la Pologne ne vous offrirait pas le droit à un recours effectif conformément à l’article 13 CEDH ou que vous n’aviez ou n’auriez pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les juridictions polonaises, notamment en vertu de l’article 46 de la directive « Procédure ».

Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en Pologne revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.

Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

5 Pour l’exécution du transfert vers la Pologne, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers la Pologne, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s’avère nécessaire, la Direction de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers la Pologne en informant les autorités polonaises conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités polonaises n’ont pas été constatées. […] ».

Par décision du 16 juillet 2021, le ministre ordonna le placement en rétention de Monsieur … pour une durée de trois mois à partir de sa notification.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 29 juin 2021, inscrite sous le numéro 46184 du rôle, Monsieur … a introduit un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 14 juin 2021 ordonnant son transfert vers la Pologne.

Par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 46185 du rôle, il fit encore introduire une demande tendant à voir ordonner un sursis à exécution par rapport à la décision du ministre du 14 juin 2021, requête dont il fut débouté par ordonnance du 5 juillet 2021.

Aucune disposition légale n’ayant prévu, au jour de la prise de la décision litigieuse, un recours au fond en la matière, l’article 35, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015 en sa version applicable au jour de la prise de la décision litigieuse ayant prévu, au contraire, expressément un recours en annulation, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision ministérielle déférée du 14 juin 2021, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A cet égard, le tribunal relève que si la loi du 16 juin 2021 portant modification de la loi du 18 décembre 2015, publiée au Mémorial en date du 1er juillet 2021, a modifié en ce qui concerne les décisions de transfert non seulement la procédure contentieuse devant le tribunal administratif, mais également les voies de recours, en prévoyant dorénavant la possibilité d’introduire un recours en réformation, et que si une nouvelle loi est applicable aux instances en cours quand elle se contente de modifier les formes ou la procédure du recours, le tribunal relève qu’elle ne l’est pas lorsqu’elle affecte la recevabilité même du recours qui doit être appréciée selon la loi en vigueur au jour où la décision a été prise. En d’autres termes, l’existence d’une voie de recours est régie, en l’absence de mesures transitoires, tel que cela est le cas en l’espèce, par la loi sous l’empire de laquelle a été rendue la décision attaquée.

S’agissant dès lors non pas d’une simple loi de procédure, applicable aux instances en cours, mais d’une loi de fond, la loi du 16 juin 2021 est applicable aux seules décisions ayant été prises sous son égide, de sorte que la recevabilité du présent recours sera appréciée par rapport à l’article 35, paragraphe (3) en sa version applicable au jour de la prise de la décision attaquée, à savoir le 14 juin 2021.

6 A l’appui de son recours, Monsieur … rappelle d’abord les faits et rétroactes à la base de la décision litigieuse, tout en insistant plus particulièrement sur les problèmes de notification de la première décision de transfert prise à son encontre en date du 22 avril 2021.

En droit, le demandeur conclut en premier lieu à une violation de l’article 33 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et le Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par le règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après désigné par « la Convention de Genève » en arguant, qu’en prenant la décision litigieuse, le ministre se serait basé sur une simple présomption que la Pologne respecterait le principe du non-refoulement, présomption qui serait toutefois contredite par les divers rapports « d’organisations des droits de l’homme ». Ainsi, seuls le Luxembourg et la Slovénie ne procéderaient pas aux retours forcés de « citoyens iraniens » vers leur pays, tandis que la Pologne mènerait une politique visant une diminution du nombre d’étrangers sur son territoire.

Dans un deuxième temps, le demandeur conclut à une violation de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III en indiquant qu’il existerait en Pologne des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale.

Ainsi, ledit Etat membre ne respecterait pas les droits fondamentaux des demandeurs de protection internationale et contreviendrait à l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », ainsi que qu’à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après désignée par « la CEDH ». A cet égard, il fait valoir que lors de son incarcération en Pologne il aurait fait l’objet de traitements dégradants en raison de la couleur de sa peau. En mettant encore en avant la législation homophobe qui existerait dans ce même Etat membre, le demandeur souligne qu’il risquerait en outre d’y subir des sévices en raison de sa bisexualité.

Le demandeur affirme ensuite qu’en cas de retour forcé dans son pays d’origine, en l’occurrence la Côte d’Ivoire, sa vie serait menacée. Il se prévaut dans ce contexte des élections présidentielles d’octobre 2020 qui se seraient déroulées dans un climat de violence extrême et qui auraient entrainé la mort de centaines de personnes ainsi que des détentions arbitraires, le demandeur citant encore arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, ci-

après désignée part « la CourEDH », relatif au cas d’un opposant politique iranien éloigné vers l’Iran. Dans la mesure où la Pologne aurait déjà pris un ordre de quitter le territoire à son encontre, il y serait, en cas de l’exécution de la décision de transfert litigieuse, reconduit en Côte d’Ivoire, le demandeur ajoutant que le fait de connaître le sort lui ainsi réservé aurait des conséquences sur son état psychologique, lequel se serait aggravé depuis la prise de la décision litigieuse.

Finalement, le demandeur soutient qu’il aurait vécu et travaillé au Luxembourg pendant plus de dix ans et qu’il y aurait passé une partie de son temps avec son fils. Par ailleurs, et outre l’usage de faux documents, il n’y aurait jamais commis une quelconque infraction.

7 Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour n’être fondé dans aucun de ses moyens.

En ce qui concerne la procédure de détermination de l’Etat membre responsable du traitement d’une demande de protection internationale, il y a tout d’abord lieu de relever qu’aux termes de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015: « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise ou la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable sans examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

Aux termes de l’article 18, paragraphe (1), point c) du règlement Dublin III, sur le fondement duquel la décision litigieuse a été prise, « L’État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de […] c) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25, et 29 le ressortissant de pays tiers ou l’apatride qui a retiré sa demande en cours d’examen et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre ».

Il est constant en l’espèce que la décision litigieuse a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18 paragraphe (1) point c) du règlement Dublin III, au motif que ce ne serait pas le Luxembourg qui serait compétent pour le traitement de la demande de protection internationale présentée par Monsieur … et de ses suites, mais bien la Pologne, Etat dans lequel il a déposé une demande de protection internationale le 24 septembre 2020. Par ailleurs, les autorités polonaises ont expressément accepté leur responsabilité par courrier électronique du 1er avril 2021, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers la Pologne et de ne pas examiner sa demande de protection internationale déposée au Luxembourg.

Force est ensuite de constater que le demandeur ne conteste ni la compétence de principe des autorités polonaises, ni, par conséquent, l’incompétence de principe des autorités luxembourgeoises, mais soutient en substance que son transfert serait contraire au principe de non-refoulement inscrit à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi qu’à l’article 3, paragraphe (2), du règlement Dublin III, sinon à l’article 3 de la CEDH et à l’article 4 de la Charte.

A cet égard, il échet d’abord de rappeler que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les 8 conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

En présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n’est pas lié par l’ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.

S’agissant d’abord du moyen tiré de la violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, le tribunal relève que celui-ci prévoit que : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. » Force est au tribunal de constater que cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte.

La situation visée par ledit article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé2.

A cet égard, le tribunal relève que la Pologne est tenue au respect, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de la Charte, ainsi que de la CEDH, de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et de la Convention de Genève - comprenant le principe de non-refoulement - ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés, à l’application de ces dispositions et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés.

Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la 2 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.

9 CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard3.

C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants4. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption - réfragable - que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées5. Dans son arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile6, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que ces défaillances systémiques requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de la Charte.

En effet, suivant la jurisprudence des juridictions administratives7, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE8, des défaillances systémiques au sens de l’article 3, paragraphe (2) précité, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens des articles 4 de la Charte. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, prémentionné, du 16 février 20179.

Quant à la preuve à rapporter par le demandeur, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 201910 que pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel ladite disposition du 3 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform., point 78.

4 Ibidem, point. 79 ; Voir également : Trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.ja.etat.lu.

5 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

6 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.

7 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur www.ja.etat.lu.

8 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.

9 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.

10 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

91.

10 règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénouement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine11. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant12.

En l’espèce, le demandeur se limite d’affirmer de façon non autrement circonstanciée que la Pologne ne lui offrirait pas « toutes les conditions matérielles d’accueil » et ne respecterait pas les droits de l’homme.

Or, à cet égard, il y a lieu de constater que le tribunal ne s’est pas vu soumettre d’éléments permettant de conclure à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Pologne qui entraîneraient un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers ce pays.

En effet, le demandeur n’apporte pas la preuve que de manière générale, les droits des demandeurs ou des bénéficiaires d’une protection internationale en Pologne ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore que ceux-ci n’auraient en Pologne aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir auprès des autorités polonaises en usant des voies de droit adéquates13, étant rappelé, comme retenu ci-avant, que la Pologne est signataire de la Charte, de la CEDH et de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de la Convention de Genève ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, est censée en appliquer les dispositions.

Plus particulièrement, le demandeur reste en défaut de verser une quelconque pièce au tribunal qui pourrait laisser conclure de manière générale à l’existence de défaillances systémiques en Pologne, à savoir que les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale en Pologne seraient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée, et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour l’ensemble des demandeurs de protection internationale, indépendamment de leur situation personnelle, d’être systématiquement exposés à une situation de dénuement matériel extrême, qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de 11 Ibid., pt. 92.

12 Ibid., pt. 93.

13 Voir, pour les demandeurs de protection internationale : article 26 de la directive n°2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale.

11 se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou les mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, au point que leur transfert dans ce pays constituerait en règle générale un traitement prohibé par l’article 4 de la Charte.

Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal est amené à conclure que le moyen tiré d’une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III encourt le rejet.

Néanmoins, il convient encore de relever dans ce cadre que si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable.

Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’État membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte14 et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant15.

En l’espèce, le demandeur fait état de traitements racistes et dégradants qu’il aurait subis au cours de son incarcération de la part des autorités carcérales polonaises, ainsi que du climat homophobe qui régnerait en Pologne.

En ce qui concerne les traitements racistes et dégradants, force est de constater que ces actes, certes fortement condamnables, se sont produits au cours de son emprisonnement pour avoir fait usage d’une fausse identité et sont, faute d’explications complémentaires, sans lien avec sa qualité de demandeur de protection internationale.

Quant aux craintes, non autrement sous-tendues, mises en avant par le demandeur en raison de son orientation sexuelle, craintes qui sont également sans lien avec sa qualité de demandeur de protection internationale, celle-ci sont purement hypothétiques, le demandeur restant en effet en défaut de faire état d’un quelconque mauvais traitement dont il aurait été victime en Pologne en raison de ce même fait.

Par ailleurs, et si Monsieur … était d’avis que le système d’aide polonais est à tel point déficient, dans la mesure où il serait inaccessible aux migrants et demandeurs de protection internationale qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire à 14 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 65 et 96.

15 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

88.

12 l’article 4 de la Charte, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités polonaises en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates.

Dans ces circonstances et dans la mesure où le demandeur n’a pas fait état d’autres éléments dont il se dégagerait que compte tenu de sa situation personnelle, il serait exposé à un risque réel de subir des traitements contraires à l’article 4 de la Charte, respectivement 3 de la CEDH, nonobstant le constat fait ci-avant de l’absence, en Pologne, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, au sens de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III, le tribunal retient que le moyen tiré de la violation de ces mêmes articles encourt le rejet.

En ce qui concerne ensuite la violation alléguée de l’article 33 de la Convention de Genève et plus particulièrement la crainte du demandeur de faire l’objet d’une expulsion en cascade, le tribunal constate tout d’abord que la décision attaquée n’implique pas un retour vers le pays d’origine du demandeur, mais désigne uniquement l’Etat membre responsable pour le traitement de la demande de protection internationale, respectivement de ses suites, étant relevé que ledit Etat membre, en l’occurrence la Pologne, a reconnu être compétent pour reprendre le demandeur en charge.

Il échet en outre de relever qu’il ne ressort d’aucun élément soumis au tribunal que la Pologne aurait refusé ou omis de traiter la demande de protection internationale de Monsieur …, celui-ci ayant en effet pu introduire une demande dans ce même Etat membre, mais ayant ensuite implicitement renoncé à cette même demande.

Il n’en demeure pas moins qu’en vertu notamment de la CourEDH, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse être de nature à entraîner un risque sérieux qu’un demandeur de protection internationale soit, en cas de transfert vers un Etat membre, traité d’une manière incompatible avec les droits fondamentaux, étant relevé que la présomption selon laquelle les Etats membres respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH et la Charte est réfragable.

Pour ce qui est du principe de non-refoulement invoqué par le demandeur, force est au tribunal de constater qu’il reste en défaut d’étayer concrètement l’existence d’un risque d’être renvoyé dans son pays d’origine, le demandeur ne fournissant en effet pas d’éléments susceptibles de démontrer que la Pologne ne respecterait pas le prédit principe et faillirait dès lors à ses obligations internationales en le renvoyant dans un pays où sa vie, son intégrité physique ou sa liberté seraient sérieusement en danger ou encore qu’il risquerait d’être forcé de se rendre dans un tel pays, la simple allégation non autrement circonstanciée qu’il se dégagerait de divers rapports d’organisations « des Droits de l’Homme », rapports non versés en cause, que la Pologne aurait procédé à des refoulements forcés n’étant en effet pas suffisante à cet égard.

Ainsi, le demandeur ne fournit pas de précisions quant à la situation générale des personnes transférées vers la Pologne dans le cadre du règlement Dublin III, ni n’invoque-t-il une jurisprudence de la CourEDH relative à une suspension générale des transferts vers le prédit pays, voire une demande en ce sens de la part de l’UNHCR. Le demandeur ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis de l’UNHCR interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers la Pologne dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus 13 particulièrement de la politique d’asile polonaise ou du renvoi des demandeurs d’asile ivoiriens déboutés qui les exposerait à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte.

Par ailleurs, il ne se dégage pas des éléments soumis au tribunal que si les autorités polonaises devaient quand même décider de rapatrier le demandeur dans son pays d’origine en violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, alors même qu’il y serait exposé à un risque concret et grave pour sa vie, il ne lui serait pas possible de faire valoir ses droits directement auprès des autorités polonaises en usant des voies de droit adéquates.

Il ne ressort dès lors pas des éléments soumis au tribunal que le transfert du demandeur en Pologne l’exposerait à un refoulement en cascade qui serait contraire au principe de non-refoulement ancré dans l’article 33 de la Convention de Genève, de sorte que le moyen y afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.

Finalement et en ce qui concerne les développements du demandeur quant à sa situation au Luxembourg, et à supposer que celui-ci ait entendu invoquer une violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III au motif de la non-application de la clause discrétionnaire y inscrite, le tribunal relève que ledit article prévoit ce qui suit : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […] ». A cet égard, il y a lieu de préciser que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres16, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans l’arrêt, précité, de la CJUE du 16 février 201717. Si un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend certes pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge18, et s’il appartient au juge administratif de vérifier si les motifs invoqués ou résultant du dossier sont de nature à justifier la décision attaquée19, de sorte que lorsque l’autorité s’est méprise, à partir de données fausses en droit ou en fait, sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, il y a lieu d’annuler la décision en question, encore faut-il que pareille erreur dans le chef de l’autorité administrative résulte effectivement des éléments soumis au tribunal.

En l’espèce, le demandeur invoque la circonstance qu’il aurait vécu et travaillé au Luxembourg pendant plus de 10 ans et qu’il n’aurait pas commis d’autres infractions que l’usage d’une fausse identité.

Or, il n’apparaît pas que le ministre, en ne faisant pas usage de la faculté lui offerte par l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III, a commis une quelconque erreur susceptible d’être sanctionnée par l’annulation de sa décision, en ce qu’il aurait fait un 16 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

17 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 88 et 97.

18 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Recours en annulation, n° 55 et les autres références y citées.

19 CdE, 11 mars 1970, Pas. 21, p.339.

14 mauvais usage d’un pouvoir discrétionnaire qui lui est offert au regard notamment de la situation individuelle du demandeur, ce dernier n’ayant plus particulièrement pas fait état d’un élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement Dublin III et qui aurait dû amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables du traitement de la demande de protection internationale de l’intéressé. La circonstance, que Monsieur … aurait vécu et travaillé au Luxembourg pendant 10 ans n’est pas suffisante pour retenir une quelconque erreur dans le chef du ministre susceptible d’être sanctionnée par l’annulation de sa décision, voire une disproportion de la décision ministérielle du 14 juin 2021, alors que le séjour du demandeur au Luxembourg basait, tel que relevé à juste titre par le délégué du gouvernement sur de fausses déclarations et sur des documents de voyage appartenant à autrui.

Au vu des développements qui précèdent, le tribunal retient que le moyen tiré de la violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III est à rejeter.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, et à défaut de tout autre moyen, le recours en annulation sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, déclare le recours non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 5 août 2021 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Alexandra Bochet, juge, Marc Frantz, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 5 août 2021 Le greffier du tribunal administratif 15


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 46184
Date de la décision : 05/08/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 11/08/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-08-05;46184 ?

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